Résidant au Théâtre Auditorium de Poitiers depuis peu, l’Orchestre des Champs Élysées dirigé depuis ses débuts, en 1991, par Philippe Herreweghe, qui en est aussi le fondateur, a lancé dimanche la saison musicale de Poitiers; pour l’occasion, Philippe Herreweghe a invité l’excellente violoniste allemande Isabelle Faust pour un programme entièrement consacré à Johannes Brahms (1833-1897). Exceptionnellement loquace en ce dimanche après midi, le chef belge remercie le public avec une émotion et une sincérité directes. Il en a profité pour annoncer que pour le remercier de sa fidélité, l’orchestre jouerait une pièce supplémentaire du compositeur allemand, en l’occurrence le premier mouvement de la sérénade N°2 en la majeur.
C’est donc la sérénade N°2 en la majeur qui ouvre la soirée: direction ferme et attentive de Philippe Herreweghe dans un premier mouvement abordé en finesse et en sensibilité sans jamais forcer le trait ni effets de manche.
Philippe Herreweghe, la main sur le coeur,dédie cette sérénade, composée pour un effectif réduit (orchestre de cordes et de vents), à un public fidèle; l’apparente simplicité de la musique de Brahms ne masque pas une réelle difficulté technique mais Herreweghe qui connait bien son sujet ne tombe dans aucun des pièges tendus par le compositeur.
Après une remise en place nécessaire pour permettre à l’ensemble des musiciens de l’orchestre de s’installer sur le plateau, la symphonie N°3 en fa majeur qui suit, fait aussi l’objet d’une brève présentation de la part du chef didactique, dont la passion pour la musique transparait tant dans son discours que dans sa direction et dès les premières notes le chef imprime sa marque tout en souplesse et en légèreté.
Si le public connait par coeur le thème du troisième mouvement il n’en oublie pas de savourer l’oeuvre dans son ensemble. Des quatre mouvements de la symphonie, c’est le troisième qui a été rendu fameux grâce, entre autres, au film « Aimez vous Brahms? » d’Anatole Litvak mais aussi grâce aux remplois de Serge Gainsbourg (Baby alone in Babylone), Yves Montand (Quand tu dors près de moi), Franck Sinatra (Take my love) … Autant de cinéastes et de musiciens qui ont contribué par le biais de leurs oeuvres respectives à faire connaitre la musique du compositeur hambourgeois.
Quoi qu’il en soit, l’Orchestre des Champs Élysées joue cette symphonie de Brahms avec une énergie et une dynamique éloquente, tout en finesse par un Philippe Herreweghe en grande forme. Lorsqu’Isabelle Faust fait son apparition après l’entracte pour jouer le concerto pour violon, composé en 1878 (-que Brahms dédie à son ami, le virtuose Joseph Joachim), elle reçoit un accueil chaleureux. Les deux hommes se sont d’ailleurs affrontés au sujet de l’oeuvre et Brahms a du faire des concessions à son ami-dedicataire, qui estimait que l’oeuvre était impossible à exécuter dans son état original.
Cependant il a une réputation tenace qui a encore cours aujourd’hui; Isabelle Faust en véritable esthète se lance « à l’assaut » du concerto sans trembler même si effectivement il est nécessaire d’avoir une technique … parfaite. La jeune violoniste, elle n’a que quarante ans, démontre d’ailleurs avec éclat qu’elle possède toutes les qualités qui font les grands artistes; le style de la jeune femme est certes très différent de celui de Giuliano Carmignola que nous avions salué dans le courant de l’été, mais il n’en est pas moins assez étonnant tant au niveau de l’attitude pendant les moments de « pause » que dans les pages où elle joue. Faust fait sienne la musique de Brahms qu’elle joue de mémoire et avec une rare maitrise de son instrument, un stradivarius de 1704 poétiquement surnommé « la belle au bois dormant ». L’interprète cisèle chaque mesure, chaque note, chaque intonation avec une aisance confondante, tant elle a su, avec un brio incomparable, s’imposer dans un improbable morceau de bravoure dont la « mauvaise » réputation est au final très largement imméritée.
L’ovation qui accueille Faust et Herreweghe à la fin du Concerto et lors des rappels est d’autant plus méritée que la violoniste a parfaitement maitrisé un concerto réputé injouable depuis sa création ; que le chef a su rendre avec brio les intentions de Brahms.
C’est Philippe Herreweghe lui même qui annonce le bis du concert; 2013 est l’année d’un double bicentenaire très attendu et dans ce cadre, avec la volonté de varier les plaisirs, c’est un cycle de lieder de Wagner qui est donné dans sa version pour violon et orchestre : Die Wesendonck lieder. À l’origine le cycle a été composé pour piano et voix de femme mais il a été orchestré plus tard par le chef d’orchestre Félix Mottl qui dirigeait les opéras de Wagner. Et, comme dans le concerto pour violon, Isabelle Faust intègre parfaitement la musique de Wagner qui est plus connu pour ses opéras que pour ses autres oeuvres, tant instrumentales que vocales; quant au seul cycle de lieder qu’il a composé, s’il est régulièrement enregistré depuis 1948, il semble qu’il soit tombé dans l’oubli peu après sa création. C’est d’autant plus regrettable que cette musique est sans aucun doute libérée de toute contrainte opératique; et composée sous l’emprise de l’amour que Wagner éprouvait pour l’épouse de son mécène Otto Wesendonck, Matilde Wesendonck-, Die Wesendonck lieder est une ode émouvante à l’amour que Faust retranscrit avec beaucoup de sensibilité.
La saison musicale du théâtre Auditorium a donc démarré sur les chapeaux de roues par un concert de l’Orchestre des Champs Élysées ; dirigé par un Philippe Herreweghe en grande forme, l’Orchestre sur instruments d’époque, a joué des oeuvres de Brahms qui, surtout dans le cas du concerto pour violon, gagnent à être connues. Quant aux Wesendonck lieder, si c’est la version pour violon et orchestre qui a été jouée, la pureté du son de l’instrument d’Isabelle Faust donne une dimension presque surnaturelle à l’oeuvre qui se fait l’écho des sentiments de Wagner pour madame Wesendonck.
Poitiers. Auditorium, le 14 octobre 2012. Johannes Brahms (1833-1897) : sérénade N°2 en la majeur, 1er mouvement; symphonie N°3 en fa majeur opus 90; concerto pour violon et orchestre opus 77. Richard Wagner (1813-1873) (bis) : Die Wesendonck lieder pour violon et orchestre. Isabelle Faust, violon; Orchestre des Champs Élysées; Philippe Herreweghe, direction. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale Hélène Biard