Renaud de Sacchini : prémices romantiques
(1783)
Paris, 1781. Quand Antonio Sacchini (1730-1786) arrive à Paris en 1781, le Napolitain cinquantenaire, particulièrement applaudi dans toute l’Europe et récemment à Londres, la Cour de France veut régénérer la scène lyrique; Gluck est parti; un autre Napolitain, Piccinni, semble s’essouffler (Roland, 1778; Atys, 1780). Il faut un nouveau champion capable d’embraser à nouveau les planches et redorer le blason poussiéreux de la tragédie en musique. La France accueille ainsi les plus grands compositeurs européens, invités à mettre en musique les vers de la tragédie française, quitte à en refonder l’écoulement dramatique selon les nouveaux accents de la musique moderne (celle des années 1780 principalement: néoclassique donc plus baroque, et déjà pré romantique).
Sacchini retrouve donc Piccinni à Paris, leurs retrouvailles marquent le sommet du parti des Italiens à Paris contre celui des Allemands : Gluck (Armide, 1777), Jean-Chrétien Bach (Amadis, 1779), Vogel (Médée, 1786)…. Marie-Antoinette souhaite obtenir de nouvelles musiques sur les livrets anciens, de Quinault comme des autres poètes après lui, tout aussi brillants librettistes; c’est le cas de Renaud de l’Abbé Pellegrin (1722, pour Desmaret).
Sacchini plaît aussitôt à la Reine de France, d’autant que son frère Joseph II en visite incognito lui confirme le talent du Napolitain. Sacchini signe donc son contrat pour la Cour: il devra livrer 3 nouveaux opéras contre 10.000 livres pour chacun. En définitive plusieurs partitions seront créées en France : Renaud (1783), Chimène ou le Cid (1783), Dardanus (1784), Œdipe à colonne (1786-1787), Arvire & Evelina (inachevé mais créé en 1788)… trois triomphes parisiens qui marquent les esprits et concrétisent après Gluck, avant Cherubini et Spontini, le sommet des apports des Italiens à Paris au cours des années 1780.
Armide démente amoureuse
Au final, l’opéra de Sacchini n’a rien de baroque; aux tourments et ravages de la passion amoureuse dont témoignent les actes I et II, (panique et solitude terrifiante d’Armide impuissante et amoureuse) répond en finalité, le triomphe inopiné d’un amour apaisé et partagé. (car la fin est heureuse). Les égarements et vertiges émotionnels de la magicienne incarnent une conception déjà romantique du personnage féminin: complexité psychologique qui prélude aux grandes héroïnes du XIXème siècle… S’agissant de Renaud, le titre est trompeur car c’est bien le personnage féminin qui est majeur: comme Médée de Vogel (1786) – et plus tard celle de Cherubini-, c’est Armide qui brûle les planches dans Renaud. Personnage aux facettes multiples, l’Armide de Sacchini saisit par la complexité du personnage, prise entre ses aspirations individuelles et ses obligations liées à son rang (c’est la fille du roi musulman Hidraot). Mais elle tombe amoureuse du beau croisé chrétien Renaud… Dans l’acte I, c’est la guerrière haineuse et revancharde qui souhaitant se venger de Renaud (insensible à la femme): Armide détruit la paix proposée par le chevalier; veut le détruire avec l’aide d’Antiope, la reine des amazones. Au II: c’est l’amoureuse attendri par celui qu’elle aime (et qui vient d’être fait prisonnier par son père Hidraot). Touché par le jeune homme, Armide trahit son camp: elle lui dévoile les secrets des Musulmans… C’est un être impuissant et démuni face à l’amour. Au III: les ruines du champs de bataille sont à la mesure du désespoir de la magicienne (Prélude). Traîtresse aux siens, écartée par Renaud, la femme paraît défaite, et même suicidaire… Dans un renversement imprévu, Renaud l’empêche de se tuer et déclare son amour à Armide C’est donc un retour à la convention du genre, l’événement d’une fin heureuse ou lieto finale: le triomphe de l’amour s’affirme dans le chant de la Coryphée à la fin de l’opéra: » que l’éclat de la victoire « ).
Sacchini gluckiste
L’oeuvre rend bien compte de la synthèse opérée par Sacchini et qui fonde le triomphe de son style auprès des français: force dramatique à la Gluck (il est même taxé de gluckisme par les critiques de l’époque: » il a gluckiné tant qu’il a pu « , ironisa Grimm tout en reconnaissant le talent du Napolitain), poésie lyrique et mélodique proche de Piccinni, auxquelles répondent aussi harmonie raffinée et recherche des couleurs d’une écriture orchestrale qui rappellent Mozart et Pergolesi. Très vite, le parterre impatient et passionné se déclare Sacchiniste ! L’intensité, l’expressivité, la grandeur comme souvent la vérité des accents restent passionnants. Ils découlent d’un traitement prosodique minutieux, d’une nouvelle gestion du flux dramatique opéra sur le livret de Pellegrin ( » marche plus rapide, coupe des scènes mieux appropriées à la nouvelle musique moderne… » selon les témoignages de l’époque).
Un tel cocktail mérite la résurrection actuelle de Sacchini et son Renaud éblouit par ses accents tragiques et humains. A l’aube de la Révolution, déjà se précisent dans le personnage trouble, contradictoire d’Armide, les ferments d’un romantisme bouillonnant. Les 19 et 21 octobre, à Versailles et à Metz: 2 dates incontournables.
Renaud de Sacchini, 1783
tragédie lyrique en 3 actes
version de concert
Versailles, Opéra Royal, le 19 octobre 2012, 20h
Metz, Arsenal, le 21 octobre 2012, 20h
Marie Kalinine, Armide
Julien Dran, Renaud
Katia Velletaz, une Coryphée, Doris
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Les Talens Lyriques
(Christophe Rousset, direction)