dimanche 15 juin 2025

Dominique Jameux: Opéra, Eros et le pouvoir. Monteverdi, BergEditions Fayard, collection  » les chemins de la musique « 

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Livres, critique, compte rendu
Opéra, Eros et le pouvoir
par Dominique Jameux

Le sujet, la forme: l’auteur de cet essai revient sur des années de  » pratique  » et d’expérience de l’opéra; pour avoir vu et éprouvé, parfois été subjugué par de multiples réalisations scéniques dans les théâtres européens, il s’intéresse surtout à deux auteurs lyriques aux extrémités d’une longue histoire musicale: Monteverdi dont l’Orfeo (1607) est le commencement, et Berg dont Wozzeck (1925) serait la borne marquant une modernité renouvelée au début du XXème siècle. D’Orphée à Wozzeck, de Poppea à Lulu, c’est aussi deux types de portraits à l’opéra, masculin ou féminin, souverain ou victime, selon leur relation au sexe et au pouvoir.


L’opéra: une affaire d’éros ou de pouvoir…

Beaucoup de commentaires sur les actions respectives, surtout sur les arcanes de la forme, sur l’architecture de la pensée musicale (options harmoniques, dramaturgie sous-jacente des accords…), sur la mécanique de structure (plan et déroulement de l’action, principe de péripétie grecque entre autres…), sur les nombreux points latents qui fondent sa syntaxe…

Il en découle des éclairages souvent pertinents (et toujours intensément vécus) sur chaque ouvrage présenté, comparé, analysé. Autant de regards directs et croisés qui soulignent la profonde cohérence et la justesse des opus retenus. C’est aussi un acte d’amour pour le fait lyrique dont après avoir décortiqué les enjeux et les symbolismes multiples, le texte met en lumière la force et la violence d’une tension structurante, présente dans tous les livrets: amour et devoir, sexe et pouvoir, éros et politique…

Dans un vocabulaire choisi et maîtrisé, il s’agit bien d’une approche critique qui sans jamais épuiser la richesse unique des oeuvres, en restitue tous les champs possibles de compréhension et de sensation: chez Orfeo, l’affaire du poète de Thrace est présentés et exposée à la façon d’un procès, – méthodologie judiciaire à l’appui, dont tous les éléments argumentent l’indiscutable unité de la forme, l’inusable force du mythe (dévoilant outre le contexte de commande, les diverses fins possibles, chaque élément du discours qui atteste une pensée géniale). Devant les jurés, défilent les oeuvres de Monteverdi donc mais aussi, celle de Peri (antérieure), Gluck (opéra maçonique et véritable apologie de la lumière, qui serait plus démonstration-représentation de l’Antiquité, que réel drame: Berlioz aurait-il acquiescé?) et même celles de Mozart (car ici La Flûte enchantée, hymne au Soleil, serait un écho, une résonance des Orfeo/Orphée précédemment exposés?), mais tout autant Wagner (Tannhaüser, Lohengrin, Parsifal…) et Weber (Freischütz), jusqu’à Offenbach… dont le polythéisme célébré renvoie à un temps où les hommes, libérés des dieux pouvaient vivre sans la loi du monothéisme… dans l’action de l’opéra, l’image d’une société ou la représentation d’un modèle politique n’est jamais loin !

D’Orfeo à Wozzeck, de Lulu à Poppea: voici la ronde et le manège désenchanté de l’amour sacrifié pour le pouvoir; à l’équilibre foisonnant de l’Orfeo montéverdien répond le classicisme formel du Wozzeck de Berg. Aux dissonances et ruptures imprévues de Lulu, le démentélèment en règle du Couronnement de Poppée. Tout en reconnaissant à travers les époques et les compositeurs, des scénarios et représentations récurrentes, l’auteur sait surtout nous éclairer sur l’inventivité jamais asséchée des compositeurs, qui savent aussi sur le sujet retenu, ciseler une forme toujours captivante, dramatiquement efficace, poétiquement sublimée.

Le lecteur piqué dans sa curiosité et son désir d’en comprendre davantage se laissera guider par les filiations, les comparaisons des oeuvres et des compositeurs entre eux; au hasard des pages et des commentaires, il mesure entre autres la valeur et le sens de la lieto fine (fin heureuse), la définition juste du sémantème (distingué ici non sans raison et précision salvatrice, du leit motiv)…, s’intéressera contre toute prévision aux multiples visages du rite dans les actions dramatiques… Les chemins balisés par les thématiques, sans omettre les nombreuses voies de traverses composent ici un passionnant voyage en terres lyriques. De sorte que l’ouvrage s’inscrit idéalement sous le titre de la collection à laquelle il participe : « Les chemins de la musique ».

Dominique Jameux: Opéra, Eros et le pouvoir. Monteverdi, Berg. Editions Fayard, collection  » les chemins de la musique « . ISBN: 978 2 213 67104 8. 198 pages. 19 euros. Parution: septembre 2012.

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