dimanche 15 juin 2025

Bordeaux. Opéra, 23 juin 2012. Mozart, Les Noces de Figaro. David Bizic, Susanna Philips, Jennifer Holloway. Direction: Mikhail Tatarnikov, mise en scène: Laurent Laffargue

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Bordeaux, les Noces de Figaro
par notre envoyé spécial, Raphaël Dor

Laurent Laffargue est un habitué du Grand Théâtre du Bordeaux, de Mozart et de Beaumarchais. Après avoir mis en scène Don Giovanni et Le Barbier de Séville, ce sont Les Noces de Figaro qu’il aborde aujourd’hui. Son approche de l’opéra est audacieuse : pour lui, le livret évoque l’évolution des mœurs d’une société, la tentation du libertinage. Quel meilleur cadre que les années folles, les années 20 ? La transposition n’est qu’esthétique, et évite heureusement tout parallèle politique qui aurait été maladroit. Le premier acte se déroule donc dans un intérieur bourgeois que l’on sent inspiré par le peintre Mondrian, tandis que le deuxième acte affiche clairement sa parenté avec Fernand Léger et Kandinsky, le tout avec de superbes meubles du Bauhaus.
Dans ce contexte, Figaro représenterait l’homme du passé, attaché aux valeurs traditionnelles, alors que le Comte se poserait davantage de questions sur l’attitude à adopter. Sa relation avec Suzanne est déjà largement consommée puisque celle-ci semble avoir cédé depuis longtemps, voire entretenir des liens ambigus.
Certes, les différentes intrigues du livret reposent en effet sur le désir, avec des scènes d’une sensualité trouble (notamment entre la Comtesse et Cherubino), mais Laffargue semble tellement accentuer la dimension comique et les allusions sexuelles que l’on s’approche parfois du théâtre de boulevard. Heureusement, ces écarts se font plutôt rares, et la mise en scène réussit le pari de l’efficacité dramatique : on rit de bon cœur, et l’on se prend au jeu sans s’ennuyer un seul instant !
Tout au long de l’opéra, de jeunes filles sans visages, voilées de blanc, semblent illustrer les rêves et espoirs de Cherubino. Personne hormis lui ne peut les voir, mais elles seront malmenées par certains protagonistes comme le Comte qui souille inconsciemment leur pureté.
Aux actes III et IV, la présence d’une petite scène de théâtre sur laquelle se jouent les intrigues galantes et jeux de masques établit une distance intéressante avec l’action, comme si le metteur en scène se jouait lui-même des artifices théâtraux. Derniers détails amusants, le bal des doubles noces est fêté dans des costumes du XVIIIe siècle, référence à l’époque de la création de l’œuvre, tandis que le Comte arbore le fameux costume aux deux masques de Léopold Mozart dans le film Amadeus.

Au rang des interprètes qui ont rendu ces représentations saisissantes, citons d’abord la magnifique Comtesse de Susanna Philips. Ce timbre rond et chaud, ce vibrato serré, ont permis les moments de grâce qu’étaient ses deux airs Porgi amor et Dove sono.
Trevor Scheunemann, quant à lui, incarne un Comte, qui cabotine sans doute un peu trop mais il parvient au fil de la soirée à imposer son autorité et à prouver sa grande maîtrise technique.
Sur scène, Jennifer Holloway est impressionnante en Chérubin : elle ne mime pas maladroitement le garçon mais adopte sa gestuelle et se fond dans son personnage comme rarement on peut le voir. Même sa voix sonne juvénile, elle détimbre joliment lorsque l’adolescent est submergé par ses émotions.
Pour finir, le couple pétillant de David Bizic et Henriette Bonde-Hansen, Figaro et Suzanna, est parfait. Lui, truculent sans trop en faire, avec un très beau timbre ; elle, pleine de vie et d’ardeur, la voix fine et ciselée pour le rôle.
Dans la fosse, Mikhail Tatarnikov déploie une belle énergie qui porte le drame du début à la fin sans jamais faiblir, tout en ménageant de belles parenthèses de poésie, comme les airs du Cherubino ou de la Comtesse. L’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine maintient un très bel engagement, mais manque parfois d’un peu de nuances aux cordes, là où les bois sont d’une grande élégance.

L’alchimie entre Bordeaux, Laurent Laffargue et Mikhail Tatarnikov opère une fois encore, nous livrant un spectacle de grande qualité. Après Don Giovanni et Les Noces de Figaro, la trilogie Da Ponte pourrait-elle être complété par un Cosi fan tutte de la même tenue ?

Bordeaux. Grand Théâtre, 23 juin 2012. Mozart, Les Noces de Figaro. Avec Figaro : David Bizic ; Suzanna : Henriette Bonde-Hansen ; La Comtesse : Susanna Philips ; Le Comte : Trevor Scheunemann ; Cherubino : Jennifer Holloway. Orchestre National de Bordeaux Aquitaine, direction Mikhail Tatarnikov, mise en scène Laurent Laffargue. Compte rendu rédigé par notre envoyé spécial Raphaël Dor

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