Une vie de Rossini
Facétieux mais déprimé, précoce mais trop vite silencieux (retraité fortuné dès 37 ans…), Rossini (1792-1868) suscite bien des questions au regard de ses nombreuses et troublantes contradictions. Un compositeur trop vite happé par la machine à succès et l’ivresse d’une production lyrique étourdissante, révolutionnaire et singulière, peut-il connaître comme ses confrères moins « fracassants », la tranquillité d’une carrière plus équilibrée à l’âge mur? Les auteurs soulèvent bien des voiles dans le cas d’un auteur à la jeunesse magnifique et pourtant dangereuse…
Le texte est structuré en deux parties complémentaires: l’une biographique, l’autre thématique.
« Une vie de Rossini » évoque la naissance, les débuts vertigineux à Venise, Milan, Naples, Rome; la maturité des années 1816 (avec le Barbier de Séville) et 1817 (Rossini a 24 ans!); le transfert à Paris en 1824 (en pleine révolution romantique, celle d’Ernani de Victor Hugo, et de la Mort de Sardanapale de Delacroix), enfin l’ultime offrande: Guillaume Tell (1829), prélude au silence qui suit.. car même s’il y a par la suite, encore quelques joyaux à venir: la cantate Giovanna d’Arco, Les Péchés de vieillesse, La Petite Messe solennelle (1864), le Stabat Mater; en revanche, plus d’opéras; car le faiseur de magie scénique a décidé de se taire…
Puis, les « Variations rossiniennes » abordent en détail quelques aspects du phénomène Rossini, en particulier le profil humain, social, artistique, la personnalité gastronome d’un Rossini contradictoire (« de l’homme pressé à l’homme du passé »), qui recycle beaucoup ses anciennes mélodies… ; son apparente indifférence : il échappe aux révolutions politiques et artistiques de son temps (totale incompréhension vis à vis de Wagner qui le visite en 1860), et compose pour les têtes couronnées, revenues après l’épisode Napoléonien; sa vie privée: Rossini se marie deux fois (Isabella Colbran puis Olympe Pélissier); ses amitiés: il est moins l’ami de Stendhal que de Balzac, lequel lui écrit son admiration dans ses oeuvres comme La Femme de trente ans ou surtout ses nouvelles musicales, Gambara et Massimila Doni... ;il se passionne enfin, non sans raisons, pour le jeune Bellini dont la création des Puritains à Paris, devient un objectif qui passe avant tout… alors qu’il n’est plus directeur du Théâtre Italien (depuis octobre 1826); c’est enfin l’écriture vocale et instrumentale rossinienne (ce beau chant et ce respect subtil du sentiment qui saura se taire quand la barricade et le spectaculaire surgiront), et plus proche de nous, la renaissance des oeuvres de Rossini depuis les années 1980…
A l’image du sujet, le texte est enlevé, l’approche documentaire précise et les anecdotes empruntant à la propre correspondance d’un fieffé créateur, souvent surprenantes; l’homme reste comme son œuvre, très attachant: un ovni dans son temps, pape de l’opéra italien, virtuose du buffa, inventeur du grand opéra à la française mais déjà si verdien; esthète avant d’être dramaturge, pacifiste et à sa manière engagé pour la musique, très scrupuleux à défendre les moyens de création de ses oeuvres…
En complément, (en fin d’ouvrage): chronologie, discographie, vidéographie, bibliographie sommaire.
Jean et Jean-Philippe Thiellay: Rossini. Actes Sud. 224 pages. 18,50 euros. Parution: fin mars 2012.