Les 3 Danses symphoniques (Midi,Crépuscule, Minuit), véritable testament musical, lyrique, flamboyant, introspectif, composé en Amérique et créé par l’Orchestre de Philadelphie et son chef Eugène Ormandy (1942), répondent à la vitalité suractive du second, déposée dans sa Symphonies en 3 mouvements.
Danses inabouties
Ce live de 2009 fait apparaître d’évidentes fêlures. Les Danses commencent plutôt très mal. Pourquoi un tel tempo lent au commencement de « Midi », parfois d’une pesanteur de plomb malgré une belle assise architecturée: pour quelles raisons Gergiev charge-t-il ses troupes d’une lourdeur aussi paralysante, d’autant que chaque tutti (cuivres outrageusement sardoniques), rugit ici jusqu’au risque de … claquage! Il n’est pas certains que Rachmaninov en ait demandé autant ; sauvage, belliqueux, le début de la première danse est plus que fracassant … hélas avorté comme un pétard mouillé. Quel dommage car les couleurs de l’orchestre y désignent ce Rachmaninov orchestrateur d’une intuition originale et vive (le saxo alto comme le piano y tiennent des rôles jtrès intéressants).
Le manque d’ivresse et de légèreté au début de la seconde danse (Crépuscule) confirme notre appréciation, mais les cuivres cisaillent et s’affirment au devant de l’orchestre, le solo du violon est superbe. Et les cordes ont cette élégance lyrique requise (Rachmaninov veillait avant toute chose à la couleur et l’intonation des cordes grâce entre autres aux conseils de Fritz Kreisler!), en particulier dans le mouvement de valse qui innerve tout le mouvement: valse enivrée et d’un élan macabre.
Testament, dernier cyclique symphonique de Rachmaninov et page majeure par le souffle des mélodies parmi les plus suaves et lyriques du compositeur (qui y recycle, option autobiographique, le thème générique de sa Première Symphonie dont la création en 1897 fut catastrophique), le déroulement du cycle aussi est saisissant … D’autant plus si l’on s’appuie sur les récentes interprétations les plus justes: cycle universel et philosophique voire même autobiographique, les 3 danses symphoniques éblouissent par leur vitalité tendre, passionnelle, élégante;
leur morsure amère à peine voilée aussi… trait aigre que Gergiev prend trop à la lettre…
Le chef se montre assez carré voire massif dans une partition flamboyante dont Ashkenazy savait exprimer les éclats lyriques, l’opulence et la légèreté… Comme pour accuser l’amertume de la fatalité, le regard de Rachmaninov sur sa propre existence et sur son oeuvre d’exilé, Gergiev cultive les relents tristes, le poison du regret, tout ce qui verse ici dans la gravité et la désespérance… et souvent le cri, l’écrasement, la tension… Il a souvent la main lourde, laissant s’affirmer une sauvagerie martiale assez surprenante…
Semblant préoccupé par le détail, le chef manque de souffle, surtout dans la course du 3ème volet, ou là encore la baguette se montre brusque et pas assez fouillée … d’autant plus que les instrumentistes ne demandent qu’à nuancer leur éclat naturel. Au final c’est peu respecter la finesse et la subtilité du Rachmaninov orchestrateur. On reste circonspect.
Plus inspiré par la motricité rythmique de Stravinsky, Gergiev réussit mieux l’épreuve de la Symphonie en 3 mouvements (écrite à la même période que les Danses de Rachmaninov: entre 1942 et 1945). Bruits de guerre, déflagration du front, et même travaux forcés des paysans chinois… et arrogance des troupes nazies… les images se précipitent et se mêlent comme les séquences d’un journal d’actualité; au chef de réussir malgré la diffraction des éléments sonores et la fugacité des épisodes évoqués, le lien et la cohérence du plan symphonique. Gergiev très à son aise dans cette course sur un volcan, fait feu de tout bois; musclée, nerveuse, sa direction affûtée et pétaradante excelle à exprimer la pulsion panique d’une époque exposée au risque d’implosion totale. Plus convaincant.
Sergueï Rachmaninov (1873-1943) : Danses symphoniques opus 45. Igor Stravinsky (1882-1971) : Symphonie en trois mouvements. London Symphony Orchestra, direction : Valery Gergiev. Durée : 58mn.
1 cd LSO Live sacd. Réf. : LSO0688. Enregistrement live réalisé en mai 2009 à Londres.