Ainsi que nous l’annoncions en septembre dernier, le Théâtre Auditorium de Poitiers déroule pendant toute la saison 2011/2012 un fil rouge autour des pays de langue espagnole. En ce 19 février et suivant la ligne directrice de la saison en cours, l’Orchestre Poitou Charentes, dirigé par son directeur artistique Jean-François Heisser, a donné deux concerts consacrés à plusieurs compositeurs espagnols modernes ou contemporains, l’un à 11h, l’autre à 17h. Au programme, quelques joyaux déjà connus: le concerto d’Aranjuez ou l’Amour sorcier; c’est aussi l’occasion d’écouter des oeuvres moins connues mais tout aussi séduisantes.
Le Théâtre Auditorium, à l’heure espagnole avec l’Orchestre Poitou Charentes
La journée débute avec le Concerto pour clavecin de Manuel de Falla (1876-1946). Composé entre 1923 et 1926, le Concerto est créé le 5 novembre 1926 ; il reçoit alors un accueil réservé du public et de la critique; l’oeuvre qui ne compte que cinq instruments (hautbois, clarinette, flûte, violon, contrebasse) pour accompagner le clavecin se situe à mi-chemin entre la musique moderne et la musique contemporaine. Si la confrontation entre deux époques peut étonner, voire inquiéter, au vu du résultat, cette pièce n’en permet pas moins de remettre à l’honneur le clavecin délaissé depuis bien longtemps, et lorsque Jean François Heisser présente le programme général de la journée, et le concerto pour clavecin en particulier, il fait référence à Domenico Scarlatti et à Padre Soler qui sont les derniers grands compositeurs pour clavier ayant oeuvré en Espagne.
L’interprétation souligne le caractère de l’oeuvre concertante moins d’un concerto. La lecture d’Olivier Baumont et des cinq musiciens de l’Orchestre Poitou Charentes est assez savoureuse et même suffisamment marquante pour que le public présent dès 11h n’oublie pas de sitôt ce retour en grâce du clavecin; on peut être séduit ou non par une musique qui ne laisse de toute façon personne indifférent tant De Falla utilise avec talent les canons de la musique moderne et ceux de la musique contemporaine. Après une remise en place de la scène permettant à l’Orchestre Poutou Charentes de s’installer et, sous la direction de Jean François Heisser, d’entamer les Danses de Don Quichotte de Roberto Gerhard (1896-1970); depuis Cervantès au XVIe siècle, le mythe de Don Quichotte a inspiré de nombreux compositeurs et Gerhard qui compose son oeuvre entre 1940 et 1941 la remet sur le métier entre 1947 et 1949 lui donnant ainsi sa forme définitive.
Heisser dirige « ses » musiciens avec une sureté de métier et une précision qui donnent à la musique, une dynamique et une impulsion permettant tout à coup de visualiser l’homme de la Manche et Rosinante avec une netteté confondante. Pour achever le premier concert de la journée, Emmanuel Rossfelder rejoint Jean François Heisser et l’Orchestre Poitou Charentes dans le célebrissime Concerto d’aranjuez de Joaquin Rodrigo; composée en 1939, la partition est la première des cinq concertos pour guitare et orchestre de Rodrigo. Emmanuel Rossfelder a une maîtrise quasi parfaite de son instrument : le charme et l’agilité de ses doigts opèrent d’autant que la guitariste économe et concentré n’en rajoute jamais… et Jean François Heisser veille à ne jamais couvrir le soliste. Applaudi et fêté, Emmanuel Rossfelder est rappellé sur scène à plusieurs reprises au point qu’il accepte de jouer en bis un passage de Recuerdos de l’Alhambra composé par Francisco Tarrega peu après un séjour à Grenade. Le concerto pour clavecin de De Falla ou les Danses de Don Quichotte éclairent l’audience d’une chaleur ibérique contagieuse. L’Auditorium n’a jamais semblé plus en phase avec la thématique du programme, d’autant mieux servie et avec panache par un orchestre survolté.
Après le récital, consacré au flamenco, d’Antonia Contreras dont nous parlons par ailleurs, l’Orchestre Poitou Charentes et son chef reviennent sur scène pour donner leur deuxième concert qui est aussi le dernier des trois organisés par le Théâtre Auditorium. Là encore ont été programmées deux oeuvres méconnues du répertoire moderne espagnol : la Sinfonietta de Ernesto Halffter (1905-1989), révélées à défaut par ses deux premiers mouvements; Halffter fut l’élève de Manuel de Falla; il a largement profité des leçons de son maître dont l’influence ressort ici, comme mêlée à celle de Domenico Scarlatti; lors de cette dernière apparition Jean-François Heisser prend son orchestre à bras le corps et fait résonner dans la salle l’oeuvre de Halffter sans aucune faiblesse. La Rapsodia sinfonica de Joaquin Turina (1882-1949) qui suit ne manque pas de saveurs ; la pianiste Marie-Josèphe Jude qui rejoint les musiciens après l’installation de l’instrument joue avec finesse et intelligence sans jamais céder à la facilité. Elle s’immisce ensuite dans l’orchestre pour interpréter l’Amour Sorcier composé en 1915 par Manuel de Falla (modifié ensuite en 1916 puis en 1925); pour la partie soliste, c’est Antonia Contreras, chanteuse de flamenco, assure la partie lyrique; elle fait sienne la partition de De Falla passant du flamenco à l’Amour Sorcier avec une aisance confondante; la diction parfaite permet de suivre l’action; elle sculpte les aspérités d’un texte riche en images et situations. Cette célèbrissime pièce passée de la pantomine (oeuvre originale de 1915) au ballet lorsque De Falla la reprend en 1925, est un morceau de bravoure, pour l’orchestre, pour la récitante qui, en l’occurrence, a autant à déclamer qu’à chanter. Heisser s’enflamme et convainc dans une oeuvre qu’il a précédemment enregistrée pour le disque (L’Amour Sorcier par Jean-François Heisser), de surcroit avec la même soliste.
Poitiers et son Auditorium se sont mis au diapason de la fièvre ibérique. Le chef et son orchestre, entourés de solides solistes ont démontré leurs affinités avec un répertoire magnifique dont le sélection des oeuvres équilibre de façon exemplaire, pièces célèbres et véritables pépites oubliées.
Poitiers. Auditorium, le 19 février 2012. Manuel De Falla (1876-1946): Concerto pour clavecin, l’Amour Sorcier; Roberto Gerhard (1896-1970): Danses de Don Quichotte; Joaquin Rodrigo (1901-1999): Concerto d’Aranjuez; Ernesto Halffter (1905-1989): Sinfonietta; Joaquin Turina (1882-1949) : Rapsodia sinfonica; Francisco Tarrega (1852-1909) : Recuerdos de la Alhambra. Olivier Baumont, clavecin; Emmanuel Rossfelder, guitare; Marie-Josèphe Jude, piano; Antonia Contreras, chant; Orchestre Poitou Charentes. Jean-François Heisser, direction. Par notre envoyée spéciale Hélène Biard