Romeo au pays des Soviets
. »
Pour nous autres Russes, Shakespeare est devenu notre bien, il est
entré dans notre chair, dans notre sang « . Cette citation de Tourgueniev
donne une idée de l’immense fortune qu’a connue l’auteur de Roméo et
Juliette en Russie. C’est ainsi que Serge Prokofiev reçut du Bolchoï la
commande d’un ballet inspiré de Roméo et Juliette.
Après ses
années d’exil, Prokofiev qui a toujours souffert du mal du pays, décide
de revenir en URSS en 1935. Mais l’arrivée de Staline au pouvoir en 1927
et la mise en place d’associations professionnelles de contrôle qui se
multiplient au début des années 30, réduisent considérablement la
liberté d’expression, de création des artistes dont on veut faire, selon
l’expression officielle, des » ingénieurs des âmes ».
Prokofiev
ne se doute pas de l’ampleur de l’emprise idéologique qui
s’imposait aux artistes. Crédule nostalgique, patriote aveuglé? C’est lui le vrai Roméo et comme Chostakovitch et Khatchaturian, il ne tardera pas à goûter amèrement au régime de la terreur institué par Staline… Le retour du compositeur était également motivé
par les garanties qui lui sont données de pouvoir compter sur des
commandes lucratives. C’est ainsi qu’il reçut du Bolchoï celle d’un
ballet tiré de Roméo et Juliette de Shakespeare. La directive officielle
était claire, il fallait pour toucher un public plus large, arriver à
créer un opéra sans paroles. La gestuelle et les expressions devaient
remplacer le texte opératique et être accompagnées d’un partition d’un »
style simple et lyrique « . On demandait à Prokofiev de rompre avec
l’esthétisme et le modernisme des ballets russes de Diaghilev, symbole
du » goût décadent petit bourgeois « , et de renouer avec la tradition
du ballet de Tchaïkovski, compositeur qui, lui, avait su » s’adresser à
tous « .
Prokofiev, Roméo au pays des Soviets. Un documentaire de Iossif Pasternak