mercredi 18 juin 2025

CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 14 au 24 juin 2025). MOZART : Cosi fan tutte. D. Johnny, R. Banjesevic, R. Lewis, I. Kutyukhin… Marie-Eve Signeyrole / Duncan Ward

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Dans sa nouvelle production de Così fan tutte de W. A. Mozart, présentée à l’Opéra de Lyon (jusqu’au 24 juin 2025), la metteuse en scène Marie-Eve Signeyrole transpose l’intrigue dans une école des Beaux-arts. Le décor de Fabien Teigné déploie un amphithéâtre aux gradins mobiles, où des étudiants observent et participent à l’expérience orchestrée par Don Alfonso, transformé en professeur de philosophie. Les gradins pivotent pour révéler des espaces changeants : un atelier de nu, une rue projetée où les amants pédalent sur des vélos, ou un jardin intime éclairé par les lumières sobres de Philippe Berthomé. Des projections vidéo annotent l’action comme un tableau pédagogique, soulignant réactions muettes et détails scéniques, tandis qu’un « choeur de figurants-étudiants » – des couples de spectateurs invités à prendre part à la représentation sur la scène ! – incarne un miroir vivant de notre société d’aujourd’hui…

 

L’innovation majeure réside dans l’intégration de jeunes spectateurs volontaires (âgés entre 20 et 32 ans) parmi les figurants. Ces étudiants, témoins actifs des manipulations d’Alfonso, dynamisent l’espace par leurs déplacements chorégraphiés. Lorsque les gradins s’écartent, ils animent des tableaux visuels forts : le simulacre d’empoisonnement des amants devient une performance artistique, et la leçon de séduction dans l’atelier de nu mêle érotisme et innocence. Les costumes contemporains (vestes casual, robes légères etc.) effacent toute distance historique, ancrant la versatilité des sentiments dans une modernité immédiate.

La distribution vocale est un satisfecit total. La soprano serbe Tamara Banješević (Fiordiligi) possède un timbre puissant et dense domine les sauts vertigineux de « Come scoglio », déployant des aigus flamboyants et des pianissimi fiévreux. Son corps écartelé entre devoir et désir incarne la fracture intérieure du personnage. La sulfureuse mezzo canado-omanaise Deepa Johnny (Dorabella) offre à nouveau à l’auditoire sa voix ambrée et lumineuse, capturant les contradictions du rôle avec une spontanéité juvénile. Son jeu physique épouse les élans impulsifs de la soeur cadette. Ancien membre du Studio de la maison lyonnaise, le prometteur ténor américain Robert Lewis (Ferrando) dévoile un lyrisme touchant, naviguant l’étendue technique du rôle avec aisance, notamment dans les moments de désespoir feint ou réel. Son collègue russe Ilya Kutyukhin (Guglielmo) est un baryton au timbre clair et résonant, qui allie virtuosité vocale et assurance scénique, jouant avec brio l’arrogance masculine. La jeune Giulia Scopelliti (Despina), également issue du Studio de l’Opéra de Lyon, offre une Despina moins espiègle qu’avisée. Sa voix large et sonore habite les travestissements (notaire, médecin) sans caricature. Quant à l’italien Simone del Savio (Don Alfonso), loin du cynisme traditionnel, son Alfonso est un humaniste manipulateur. La voix chaleureuse et autoritaire, renforcée par des apartés parlés, impose une présence « doctorale »

Le chef d’orchestre britannique Duncan Ward, placé à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Lyon, impulse une ouverture nerveuse et contrastée qui annonce d’emblée la vitalité du spectacle. Sa direction alerte épouse les revirements de l’intrigue : elle souligne l’ironie des ensembles comiques (comme le quatuor « La mano a me date »), tout en déployant une palpitation sensuelle dans les duos d’amour. Les instruments à vent répondent avec des couleurs rêvées, notamment le cor dans les arie de Fiordiligi, tandis que le chœur « maison » – excellemment préparé par Benedict Kearns – se fond avec naturel dans la foule estudiantine. Les récitatifs secs, soutenus par un clavecin inventif, gagnent en modernité grâce à des ponctuations de violoncelle en arrière-plan.

Cette production lyonnaise réinvente la farce de Lorenzo Da Ponte en laboratoire des émotions, où la scénographie innovante et les performances vocales exceptionnelles servent un propos universel : l’inconstance n’est pas trahison, mais bien d’essence humaine. Duncan Ward et Marie-Eve Signeyrole offrent un dialogue parfait entre orchestre et scène, tandis que les six solistes, portés par une jeunesse audacieuse, rappellent que Mozart reste un terrain de jeu inépuisable pour les artistes d’aujourd’hui.

 

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CRITIQUE, opéra. LYON, opéra de Lyon (du 14 au 24 juin 2025). MOZART : Cosi fan tutte. D. Johnny, R. Banjesevic, R. Lewis, I. Kutyukhin… Marie-Eve Signeyrole / Duncan Ward. Crédit photo © Paul Bourdrel

 

 

 

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