Né en 1739 à Basse-Terre (Guadeloupe), d’une esclave d’origine sénégalaise et d’un planteur noble, Joseph, le beau mulâtre de Guadeloupe, incarne une trajectoire singulière voire exceptionnelle au XVIIIè ; il apparaît aujourd’hui comme l’une des figures les plus romanesques du siècle des Lumières. L’auteur qui avait déjà fait paraître une biographie chez le même éditeur en 1999 (« intitulée alors « Monsieur de Saint-George, le nègre des lumières »), rééditée ensuite en 2017, a repris son texte et l’a considérablement enrichi des découvertes les plus récentes
Joseph, le Voltaire de la musique
… dont l’un des apports significatifs est la restauration de son juste nom, levant le voile sur ses origines ; les musiciens et musicologues désormais avisés seraient inspirés (lire la passionnante annexe « l’homme qui ne s’appelait pas Bologne »), de respecter le nom exact de Joseph de Saint-George, et précisez dorénavant : Joseph Boullongne de Saint-George, … en aucun cas « Bologne » qui est inexact (et que l’on peut lire cependant partout). L’affaire est entendue, et le dossier identitaire et la clarification patronymique sont désormais clos : Joseph est le fils d’une esclave NINON (au caractère bien trempé, originaire d’Afrique / Sénégambie) et de Guillaume-Pierre de BOULLONGNE, trésorier général des colonies pour le duc de Choiseul alors ministre de la Marine et des colonies de Louis XV. On apprendra que l’enfant né de ce couple inespéré héritera de la grâce et du caractère de sa mère ; de la force et de la fermeté de son père.
BOULLONGNE et non « BOLOGNE »
C’est le destin exceptionnel de ce répudié de l’histoire que retrace ici Alain Guédé, dont l’érudition vivante, accessible ressuscite avec talent l’itinéraire de l’homme et aussi le contexte historique dans lequel il dut faire sa place ; période tourmentée, société hiérarchisée et compartimentée, mentalités racistes… Les grands événements de sa vie sont retracés avec un aplomb réjouissant et force détails.
Le profil du remarquable bretteur qui avait le goût des confrontations et qui aimait les gagner, revêt ainsi un relief singulier, idéalement évoqué ; aux côtés de ses performances musicales : le virtuose du violon (élève du légendaire et mystérieux Jean-Marie Leclair) affirmant également un charisme fédérateur comme chef, comme directeur musical de son propre orchestre (« des Amateurs »), et aussi au Concert Spirituel, entre autres… Protégé de Marie-Antoinette, jeune Reine de France en 1776, Saint-George est pressenti pour prendre la direction de l’Opéra Royal : mais un nègre à la tête de l’Académie royale !? le candidat fut ostracisé, relégué, écarté ; son éviction, emblème d’une société raciste et esclavagiste.
Contemporain de Mozart, l’auteur soulève un fait marquant : alors parisien, présent au moment où le Chevalier est pourtant célèbre et son talent reconnu, Wolfgang ne fait aucune mention de son confrère pourtant si doué. Le sous titre de la présente édition « un rival de Mozart », laisse perplexe.
LONDRES, 1787… Parmi les épisodes édifiants d’une vie qui se déroule comme une épopée rocambolesque, distinguons l’un des séjours londoniens de Saint-George, proche du Prince de Galles (futur George IV), et comme le Français, très amateur de fleuret. Envoyé comme agent par le Duc Philippe d’Orléans (son mécène), Joseph âgé de 48 ans y rencontre la Chevalière d’Éon, qui était un homme et que l’on pensait le vrai père du Prince (!)… Les deux épéistes, exceptionnels bretteurs, Saint-George et Éon (60 ans), s’affrontent alors, entre élégance et grande estime partagée, dans un célèbre match qui fait la Une des gazettes londoniennes. C’est à la suite de cette performance médiatisée, que Saint-George est portraituré par Mather Brown,ble portraitiste de John Adams et de Thomas Jefferson (visuel de couverture du livre), et qu’il composera en pensant à la Chevalière d’Éon, son opéra « La fille garçon ». Tout chez l’Américain, ce « Voltaire de la musique » relève de la fable, de la légende, d’un destin hors du commun.
L’un des apports les plus salutaires reste le premier catalogue raisonné des œuvres de Saint-George ; c’est l’indice le plus objectif qui parle en faveur du compositeur et de sa valeur (qui n’est pas celle d’un « dilettante » comme on le dit trop souvent). La musique de Saint-George avait la grâce de Mozart et aussi sa profondeur, ainsi que le suggère Alain Guédé (le choix du sous titre se précise ainsi) ; plusieurs exemples indiquent clairement la séduction d’un langage musical qui était aussi brillant que juste, virtuose et bouleversant. Ainsi une passionnante hypothèse est formulée à propos du fameux « Adagio d’Albinoni », pastiche contemporain, néo baroque conçu au XXè par le musicologue Remo Giazotto, lequel aurait pu s’inspirer du mouvement lent du Concert pour violon n°9 de Saint-George ! Voilà qui serait d’autant plus significatif sur les dons de mélodiste du très doué Chevalier…
MUSICIEN DES LUMIERES
L’auteur recense ainsi les Quatuors (dès 1772, à un époque où Haydn invente et fixe le format du quatuor classique viennois…), plus de 10 Concertos pour violon, un cycle impressionnant de Symphonies et Symphonies concertantes, surtout d’airs lyriques (ariettes, mélodies…), l’opéra « L’Ernestine » de 1777 (livret de Choderlos de Laclos, l’auteur des Liaisons dangereuses), ou encore « La fille-garçon », hommage déguisé à la Chevalière d’Éon (1787) ; quantité de Sonates pour piano seul, clavecin, violon et clavier (pianoforte / clavecin), d’airs avec orchestre, … ce jusqu’à la Révolution, période à partir de laquelle le premier colonel noir de l’Armée française abandonne plume et partitions pour l’épée, s’engageant sans compter au service des idéaux républicains.
Depuis, une trentaine de pièces ont été identifiées (datées 1999-2009)… Aussi complète que facile à lire, la biographie est la référence pour qui souhaite comprendre la personnalité de Joseph de Saint-George, humainement, artistiquement, militairement admirable. Il est temps de ressusciter son legs musical : le présent texte y contribue idéalement. Lecture incontournable.
Londres, Carlton House, 1787. Match entre deux bretteurs épéistes virtuoses : Joseph de Saint-George et La Chevalière D’Éon, l’espionne de Louis XV – ici rivaux dans une joute fameuse organisée par le Prince de Galles, futur George IV (DR)
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CRITIQUE LIVRE événement. ALAIN GUÉDÉ : MONSIEUR DE SAINT GEORGE (nouvelle édition 2025, Actes Sud) – parution : mars, 2025 – 13.00 x 24.00 cm – 352 pages. ISBN : 978-2-330-20319-1 – Prix indicatif : 24.50€ – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2025
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur Actes Sud : https://www.actes-sud.fr/catalogue/litterature-francophone/monsieur-de-saint-george
VIDÉO Joseph, Chevalier de Saint-George
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