Dans ce nouvel album pour Decca classics, le pianiste britannique Benjamin Grovenor s’intéresse en particulier aux œuvres de Chopin qui ont profité du soutien amoureux, affectueux de George Sand dont la relation avec le Polonais dura 9 années, de 1838 à 1847. Période heureuse où le compositeur accouche non sans douleur de deux Sonates (entre autres), à une période où il semblait que le genre était devenu inutile tant Beethoven paraissait avoir tout dit. Ainsi sont composées les Sonates n°2 (1839) et n°3 (1844). Deux opus peu jouées en concert et qui font tout le sel et le charme de ce nouveau programme réjouissant…
Schumann s’est exprimé à propos de la Sonate n°2 : enfant « turbulent », œuvre impétueuse. De fait, Benjamin Grosvenor en exprime avec raison, les tensions souterraines, l’énergie structurelle qui naissent de la volonté coûte que coûte qu’a Chopin de retrouver dans le feu du jeu improvisé, l’évidence de la forme Sonate.
Sous ses doigts très agiles, s’affirme immédiatement la carrure virile, beethovénienne du premier mouvement (« Grave – Doppio movimento »), ses emportements, ses vertiges, ses aspirations intimes, soulignant en un jeu lisztéen, le feu intérieur, bouillonnant d’un Chopin, au final, très peu doucereux.
Même versatilité fluide dans les séquences tout aussi contrastées du Scherzo (2è mouvement) : crépitement et aspirations verticales puis rêverie d’une valse enivrée… dévoile l’ardente volubilité du pianiste britannique.
Dans une ample respiration intérieure, la Marche funèbre (« lento ») est finement énoncée comme pour mieux préparer au jaillissement du 2è thème, lui aussi de pur enivrement et pensé, tel un abandon onirique. Le dernier mouvement est un jaillissement primitif qui d’ailleurs rappel les 24 Préludes. Course, chute, énergie pure… dévoilement sans fard d’un flux qui semble effectivement improvisé.
CHOPIN impétueux et rêveur
Benjamin Grosvenor
au cœur du bouillonnement chopinien…
Dans la Sonate n°3, le pianiste questionnent la portée expressive de l’écriture en ciselant davantage encore, de superbes contrastes ; sa compréhension gagne un relief indiscutable en particulier dans le premier mouvement qui a cette énergie et cette élocution beethovénienne, carrée, d’une passion incandescente. Le Scherzo qui suit fusionne idéalement abandon et jaillissement, rêverie et improvisation. Le 3è mouvement (Largo) coule dans une fluidité pacifiée, subtilement nostalgique ; quel contraste avec l’allegro tempétueux, sa houle intranquille du dernier mouvement (Finale: Presto non tanto), passionnée et conquérante, finalement victorieuse où rayonne aérienne, volubile, l’aisance comme enivrée de la main droite.
Benjamin Grosvenor joue les contrastes entre la Berceuse opus 57, pacifiée, sereine, et la Ballade opus 23 (qui lui succède), ardente, harmoniquement éruptive (jusqu’à sa fin). Et les deux Nocturnes opus 55, chefs d’œuvre du genre (inventé par John Field précédemment) sont réalisés avec une finesse suggestive à la fois langoureuse (15) puis évanescente (16).
Ce récital personnel, parfaitement abouti, a pris en compte (et mesuré) l’esthétique même de Chopin : son hypersensibilité à la fois furieuse et pulsionnelle, ses vertigineux accents, exprimés, libres comme s’ils étaient improvisés, sa propension à la rêverie pure, comme à l’impérieuse volonté, à l’abandon voire à l’anéantissement, jusqu’à la vaporisation sonore. CLIC de CLASSIQUENEWS été 2025
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CRITIQUE CD. CHOPIN par Benjamin Grosvenor. Sonates n°2 et n°3, Nocturnes opus 55 n°15
et 16… (1 cd DECCA classics – Enregistré en septembre 2024, Garsington Opera) – parution le 23 mai 2025 – CLIC de CLASSIQUENEWS été 2025
PLUS D’INFOS sur le site de l’éditeur DECCA : https://store.deccaclassics.com/collections/benjamin-grosvenor-1/products/chopin-sonatas-2-3-ballade-no-1-berceuse-nocturnes-cd
tracklisting
1 Chopin: Piano Sonata No. 2 in B-Flat Minor, Op. 35 « Funeral March »: I. Grave – Doppio movimento
2 II. Scherzo – Più lento
3 III. Marche funèbre. Lento
4 IV. Finale. Presto
5 Chopin: Berceuse in D-Flat Major, Op. 57
6 Chopin: Ballade No. 1 in G Minor, Op. 23
7 Chopin: Nocturne No. 15 in F Minor, Op. 55 No. 1
8 Chopin: Nocturne No. 16 in E-Flat Major, Op. 55 No. 2
9 Chopin: Piano Sonata No. 3 in B Minor, Op. 58: I. Allegro maestoso
10 II. Scherzo. Molto vivace
11 III. Largo
12 IV. Finale. Presto non tanto
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