lundi 12 mai 2025

CRITIQUE, opéra. OPÉRA DE LYON, le 9 mai 2025. BRITTEN : Peter Grimes. S. Panikkar, S. Campbell-Wallace, A. Foster-Williams… Christoph Loy / Wayne Marshall

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

La production de Peter Grimes signée Christof Loy, créée en 2015 et reprise à Vienne en 2021, débarque à l’Opéra de Lyon avec une sobriété puissante, loin des représentations traditionnelles de l’œuvre de Benjamin Britten. En collaboration avec le scénographe Johannes Leiacker, Loy opte pour une esthétique minimaliste, où l’ellipse et la suggestion remplacent le réalisme littéral. Un choix audacieux qui contraste avec la mise en scène plus mouvementée et figurative de Yoshi Oida, vue ici-même en 2014.

Pas de falaises ni de cabanes de pêcheurs : ici, l’espace scénique se résume à des murs sombres et un sol aux reflets mouvants, évoquant tantôt l’immensité menaçante de la mer, tantôt le brouillard étouffant du destin. Les lumières de Henning Purkrabek sculptent l’atmosphère, tantôt oppressantes, tantôt irréelles. Seules quelques chaises et un bateau-lit, à la fois refuge et prison, ancrent l’histoire dans une dimension tangible. Ce lit-bateau, objet central, devient le symbole des frontières floues entre réalité et folie, entre protection et prédation. Loy assume une lecture sans ambiguïté de la relation entre Grimes et son jeune apprenti, rejetant toute interprétation pudique de l’homosexualité du héros. Le metteur en scène donne une place inédite à l’enfant, ici incarné avec une présence troublante par le jeune danseur Yannick Bosc, en apportant une « physicalité » saisissante aux interludes orchestraux, durant lesquels la chorégraphie de Thomas Wilhelm renforce l’expressivité du drame. Les costumes de Judith Weihrauch, tout en contrastes, soulignent les tensions sociales et psychologiques qui traversent l’œuvre. En dépouillant la scène de tout superflu, Loy place l’accent sur la violence sourde et l’isolement de Grimes. Les excellents Chœurs de l’Opéra de Lyon, masses compactes et accusatrices, deviennent les gardiens d’une morale implacable, tandis que les solistes livrent des performances d’une intensité brute. 

La révélation de la soirée s’appelle Sean Panikkar, qui incarne un Peter Grimes bouleversant dans son enfermement intérieur. Avec son corps massif et musculeux, comme replié sur lui-même, ses gestes maladroits et brutaux, c’est une boule de nerfs prête à exploser à tout instant, qui marque une impossibilité physique d’exister, de vivre. Il faut l’entendre chanter, a capella, le fameux air “Now the great Bear”, les yeux fixes et embués, soudainement fragile et prêt à mourir. Qui plus est, le ténor américano-Sri Lankais affiche une santé vocale éblouissante, qu’il s’agisse du médium et des aigus, modulant son instrument avec aisance, alternant des pianisssimi somptueux et une puissance toute héroïque, avec un naturel qui force l’admiration. 

De son côté, Sinéad Campbell-Wallace chante le rôle d’Ellen Orford avec une voix chaude et riche, ainsi que des accents particulièrement éloquents. Bonne comédienne, elle fait parfaitement ressortir le côté maternel et la clémence du personnage, se montrant particulièrement touchante dans la scène finale, où la maîtresse d’école se voit obligée de céder à ses terrifiants voisins. Andrew Foster-Williams, dont on apprécie depuis longtemps la présence et la conviction, rend pleinement justice à l’humanité de son personnage, avec un Captain Balstrode d’une vraie générosité… et tiraillé par les mêmes pulsions que Grimes. La mezzo catalane Carole Garcia est parfaite en Auntie, tant vocalement que dans l’allure, entourée ses de deux nièces (Eva Langeland Gjerde et Giulia Scopelliti, solistes de l’Opéra Studio de Lyon), affublées ici de costumes rose-bonbon. Katarina Dalayman fait de la sinistre Mrs Sedley un véritable personnage, sans tomber dans la caricature. Citons encore le Bob Boles bien chantant de Philip Varik, le Révérend au ténor clair d’Eric Arman, le Swallow concupiscent de Thomas Faulkner, le Ned Keene cynique d’Alexander de Jong, ou encore le Hobson aux graves profonds de Lukas Jakobski

Avec un sens aigu de la théâtralité, le chef afro-britannique Wayne Marshall explore avec soin les détails de la partition de Benjamin Britten, même quand se déchaîne la violence orchestrale. Visiblement en osmose avec le plateau, Marshall ordonne une lecture tout en convulsions et rugissements, avec des silences qui coupent le souffle, explorant sans relâche l’âme insondable de Peter Grimes

 

 

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CRITIQUE, opéra. OPÉRA DE LYON, le 9 mai 2025. BRITTEN : Peter Grimes. S. Panikkar, S. Campbell-Wallace, A. Foster-Williams… Christoph Loy / Wayne Marshall

 

 

 

VIDEO : Joseph Kaiser chante l’air « Now the great Bear » dans la production de Christoph Loy au Theater an der Wien

 

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