mardi 29 avril 2025

Toulouse. Capitole, le 29 septembre 2011.Puccini:Tosca. Catherine Naglestad : Tosca ; Vladimir Galouzine : Mario… Orch. National du Capitole.Tugan Sokhiev, direction. Mario Pontiggia, mise en scène

A lire aussi
Quand il fait mode de tout transposer, décaler, analyser au crible des fantasmes les plus improbables des metteurs en scène, le parti pris de Frédéric Chambert est un signe fort de respect envers son public. Invitant pour l’ouverture de la saison 2011-2012 la production de Mario Poniggia pour l’éminente maison florentine, le parti pris « classique » est revendiqué. En effet cela faisait partie du cahier des charges de la production du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino. Et cela pose la question de ce qu’un public peut attendre d’un opéra que tout le monde ou presque connaît, ou qui permettra sur un titre phare du répertoire d’attirer de jeunes oreilles et de jeunes yeux. Reconnaissons qu’à part les insatisfaits chroniques il n’y avait aucune raison de bouder son plaisir à Toulouse.

Une véritable Tosca

L’époque est respectée, les lieux presque exacts, les costume parfaits de goût, et l’espace est habilement réparti entre intime et grandiose. Le mélodrame peut ainsi s’épanouir et cela fonctionne à merveille. Le jeu des acteurs est dans la droite ligne de ce qui est dû au théâtre ou à l’opéra des années 1900. Grands gestes, positions prises à l’envie et effets très calculés. On l’oublie souvent, Puccini voulait se rapprocher de ce théâtre de mélodrame ennobli par Sarah Bernardt. N’avait elle pas inventé le geste des chandeliers après la mort de Scarpia que librettistes et compositeur ont décidé de conserver ? Puccini voulait la noirceur et la violence, l’outrance et la force de ce théâtre-là. Il n’y a qu’à écouter sa partition qui se démarque tant de Bohème et Butterfly et n’a rien à voir avec Turandot. Au Capitole nous avons eu droit à une leçon d’histoire et de musique, car la partition a été restituée dans sa force brute comme sa délicatesse par un Tugan Sokhiev admirable en tout. L’harmonie entre yeux et oreilles est respectée et la reconstitution acquiert la force de l’évidence. Novices ou vieux routiers de l’opéra, chacun en des applaudissements généreux, a acquiescé : oui, cette production capitoline venue de Florence propose une Vraie Tosca. Le jeu de l’abus de pouvoir sur les individus, la torture, l’internement abusif, le harcèlement sexuel et moral n’a pas besoin de transposition, chacun sait que rien n’a changé : Rome autrefois, New-York, Damas et même Paris aujourd’hui sont des villes toujours gangrenées par de tels agissements. Le pouvoir a toujours le même effet sur les hommes, surtout allié à la religion.

La mise en scène se permet de faire sentir le poids de la religion, celui qui fait de Tosca une naïve maladroite et de Scarpia un stratège malfaisant. L’irruption des républicains à la fin du Te Deum et leur répression sous la croix du prêtre est une image forte et claire. La présence d’œuvres religieuses et de statues de marbre dans le bureau de Scarpia montrent son goût du beau et sa conscience du pouvoir accru que lui donne son utilisation du fait religieux. C’est le personnage du chef de la police qui bénéficie le plus de la mise en scène. Il gagne en intelligence et en charme venimeux. Franck Ferrari est parfait. Jamais il ne surjoue et en devient d’autant plus inquiétant. Vocalement il est somptueux, sa voix est sonore et sa diction limpide. Nuances et phrasés subtiles en font un Scarpia qui compte. Vladimir Galouzine est un véritable athlète. Dans ce sens, il donne tant physiquement que vocalement un relief héroïque au peintre révolutionnaire. Adversaire potentiellement dangereux pour le pouvoir en place et non simple amoureux bravache. Le timbre barytonnant du ténor russe permet aussi de donner une grande force au rôle de Mario sur tout l’ambitus. L’homogénéité du timbre et l’opulence vocale sont sensationnelles. Ainsi deux moments clefs sont tout particulièrement fulgurants, « la vita mi costaste, vi salvero » au premier acte avec un aigu percutant, quasi invincible et des graves sonnants comme du bronze. Le « Vittoria, vittoria… » de l’acte deux, se poursuit par une revendication ardente très sonore dans le grave, qui devient un acte politique qui fait froid dans le dos tant par la force vocale que par la revendication véritablement révolutionnaire. Le personnage gagne indubitablement en force et provoque la sympathie. Reste la Diva Tosca, rôle des rôles, support des projections les plus exigeantes et des attentes les plus difficilement comblables. Celui qui aime sa Tosca au disque ou sur scène en est prisonnier et ne peut retrouver son idéal sur aucune scène. Les qualités de la belle américaine, Catherine Naglestad, quasi titulaire du rôle actuellement sur les scènes les plus prestigieuses, sont remarquables. Longue voix, très homogène, aigus victorieux, graves sonores, volume sans limites. Ce grand soprano spinto a la voix de Tosca. Les grands emportements du second acte face à Scarpia la verront gagner les lauriers de la présence vocale la plus spectaculaire, mettant le Scarpia pourtant imposant de Franck Ferrari dans l’ombre. Mais la cantilène belcantiste de sa prière est admirablement négociée sur un fil de voix avec des nuances subtilement dosées et avec une belle émotion. Le couple de héros est donc vocalement digne de l’âge d’or des Ponselle et Martinelli. Cette esthétique héroïque, cette tension vocale permanente, qui se relâche rarement, provoque alors un effet de bien être délicieux. Il est tout simplement prodigieux de retrouver ces sensations fortes, alors que l’on entend tant de pisse-vinaigre prétendre qu’il n’y a plus de Grandes Voix de nos jours.

La direction de Tugan Sokhiev est savamment dosée entre drame et les nombreuses subtilités de l’orchestration de Puccini. Ainsi de beaux motifs sont mis en valeur, comme des harmonies rares. Les instrumentistes solistes, comme violoncelles, clarinette, sont superbes d’émotion. Le son est parfaitement dosé avec un orchestre descendu au fond de la fosse. Le Te Deum est très impressionnant, la scène de torture est brutale, la prière poétique à souhait. Le troisième acte s’ouvre sur un prélude aérien et ampli des nuances les plus marquées. Le lever de soleil sur Rome avec ses cloches est une merveille. Tout est toujours parfaitement inscrit dans le drame, dans une construction agencée sans moments faibles. Comme rien dans la mise en scène ne vient nous distraire, l’action semble avancer inexorablement dans un continuum musical, à la manière d’un Victor De Sabata ressuscité mais avec une plus grande sensibilité.
Un âge d’or a été retrouvé à Toulouse pour cette ouverture brillante. La salle comble et particulièrement enthousiaste le soir de la première prouve la validité du choix respectueux qui a été fait par Frédéric Chambert.

Toulouse.Théâtre du Capitole, le 29 septembre 201. Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca ; Melodramma en trois actes sur un livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica d’après le drame de Victorien Sardou « La Tosca » créé le 14 janvier 1900 au Teatro Constanzi de Rome. Production du Teatro del Maggio Musicale Fiorentino ; Mise en scène : Mario Pontiggia ; Décors et costumes : Francesco Zito ; Lumières : Gianni Paolo Mirenda ; Catherine Naglestad : Floria Tosca ; Vladimir Galouzine : Mario Cavaradossi ; Franck Ferrari : Le Baron Scarpia ; Nahuel Di Pierro : Cesare Angelotti ; Mauro Buffoli : Spoletta ; José Fardilha : Le Sacristain ; Craig Verm : Sciarrone ; Alexandre Durand : Un Geôlier ; Orchestre National du Capitole ; Chœur du Capitole, chef de chœur : Alfonso Caiani. Direction : Tugan Sokhiev.

Derniers articles

CRITIQUE, opéra. MILAN, Teatro alla Scala, le 27 avril 2025. FILIDEI : Il Nome della rosa. K. Linday, L. Meachem, D. Barcellona, C. Vistoli…...

Voilà une création qui fera date. Pour son troisième opus lyrique, Francesco Filidei a frappé fort, grâce à un...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img