jeudi 26 juin 2025

Striggio: Messe à 40. Hervé NiquetFrance Musique en direct, samedi 20 août 2011 à 21h

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« Ecco si beato giorno »
Messe a 40
Alessandro Striggio

France Musique
Samedi 20 août 2011 à 21h
En direct de La Chaise Dieu

Florence, 1560. Simultanément au britannique Robert Hollingworth qui a créée
l’événement en s’intéressant à la partition retrouvée à la BNF à Paris.
Hervé Niquet aborde au concert cet été le chef d’oeuvre polychoral d’Alessandro Striggio (circa 1536-1592), diplomate musicien
et créateur génial dont la vision rejoint cette liturgie profane qui
place l’homme au centre de l’univers. A l’époque, c’est la figure axiale
et sublimée de Cosimo de Medici qui y est inscrite à la place d’honneur
astre solaire d’une constellation musicale qui veut toucher et
impressionner. Ici, c’est le spectateur qui semble au coeur du
dispositif choral et instrumental: l’oreille est continûment sollicité par un flamboiement de
timbres et d’accords collectifs produit par les 5
choeurs/instrumentariums simultanés… Le travail a été possible grâce à
la redécouverte dans le fonds des archives de la BNF à Paris de la
partition de la Messe de 1566 (« Ecco si beato giorno »), monument de la
Renaissance florentine. Voilà qui place la capitale toscane avant
Venise, dans l’essor d’une sensibilité chorale spatialisée de grande
ampleur…


Joyaux polychoraux florentins

La révélation se produit en deux temps; d’abord le motet préalable « Ecce Beatam Lucem »
(circa 1561, au moment du passage à Florence de deux cardinaux
missionnés par le Pape), sorte d’esquisse avant le grand oeuvre, et qui
expérimente l’effectif si spécifiquement colossal à plusieurs voix
séparés; puis Messe à 40 parties séparées , composées 5 années après,
circa 1566, quand Cosimo de Medicis, employeur de Striggio,
souhaitait s’assurer le soutien de l’Empereur pour l’obtention de son
titre de Grand Duc de Toscane… de sorte que la musique reflète bien la
quête de pouvoir du Medicis, puissant s’adressant aux plus puissants
(incarnation d’une volonté qui se voyait au centre du monde).

Dans le motet des origines (Ecce Beatam lucem),
soulignons la saine spatialité rayonnante qui doit à l’exubérante
manifestation des groupes de chanteurs et de musiciens – chacune des
formations étant très subtilement caractérisée par un jeu de timbres
choisis-, sa prodigieuse activité: voici une solennité qui tourne comme
une constellation recomposée et enveloppe jusqu’à l’ivresse (le
dispositif comprend 5 choeurs distincts chacun avec son instrumentarium
individualisé), envoûte et captive, bien avant le Vespro de Monteverdi. A
Florence, Striggio, serviteur et diplomate pour la gloire des Medicis
ne fait pas que satisfaire le besoin de grandeur et de solennité de ses
employeurs et mandataires: il « invente » littéralement la musique
grandiose, simultanée, spatialisée.
La révélation est totale et d’un apport d’autant plus percutant que les
interprètes réunis recherchent à rendre pleinement justice à une musique étagée et spatialisée, aux
inflexions souples et rondes, en outre chacune des formations, assumant
pleinement son activité au sein de ce vaste plan musical aux dimensions
colossales (à la mesure de l’architecture de la Cathédrale de Florence
où le principe de polychoralité florentine est ainsi expérimenté)…
chanteurs et musiciens n’ayant aucune peine à nous convaincre de cette
extase paradisiaque qui se répand jusqu’aux dernières notes (« nos hinc
atrahunt inparadisum »)… Ils sont bien touchés par la lumière et par la
grâce, visiblement inspirés par l’événement politico religieux à
célébrer en grande pompe dans le vaisseau de la Cathédrale toscane… En
fin diplomate, Striggio sait inscrire ses compositions dans le contexte
précis où elles auront le meilleur impact. Gageons que cette première
oeuvre eut l’effet spectaculaire escompté.

Même arabesques planantes, et lévitation croissante, même architecture
pré baroque et vertigineuse dans la reprise par Striggio des effectifs
et motifs de son motet initial, pour la Messe proprement dite: « Ecco si beato giorno »
de 1566. L’oeuvre fait résonner tout l’univers de cette joie
collective, profane en définitive à son amorce, devenu chant de prière
et d’exultation pour célébrer Dieu et surtout la gloire du Grand Duc
Cosimo… A dessein politique d’envergure, messe circonstancielle
majestueuse… Et toute la puissance divine (percussion à l’appui,
sacqueboutes et aussi cornets) descend sur terre pour éblouir tous ceux
qui depuis le début de la Messe, ne seraient pas encore comblés ou
conquis, voire transportés par ce chant d’exaltation suspendue…
La maestrià du chef britannique est indiscutable: son souci de l’unité
et de la cohérence comme de l’allant général traverse tous les défis et
obstacles d’une oeuvre fleuve, gigantesque, » énorme », que d’aucun par
manque d’attention et de vision globale aurait mener à sa perte jusqu’à
la dilution. Comme un grand corps collectif, les participants malgré
leur nombre et leurs formations respectives, construisent pas à pas
cette arche de réconciliation en unité organique remarquable. Maître de
cette ferveur cosmique, le chef met en orbite chaque partie, il doit
exprimer aussi la très riche parure des instruments choisis (parmi
lesquels traversos, harpe, luths Renaissance…), les accents
d’espérance (cordes caressantes et presque intimes pour le Sanctus plus
humain et terrestre; égale atténuation incarnée par les sopranos dans le
Benedictus qui suit), les prières profondes et mordantes (mystère et
respirations des deux excellent Agnus Dei de conclusion, au souffle
conquérant dont le chef sait aussi transmettre la sereine et si humaine
concentration), directes et exclamatives d’une doxologie d’un faste
inouï (expansion sonore avec effets de lointains et de réponses de
l’incroyable Credo, en plage 4) dont les distorsions spectaculaires, le
flamboiement instrumental (cuivres en diable, pointe des dulcianes,
chants doublés par les cornets ou le lirone…) disent cet apogée d’une
forme certes aristocratique mais poétiquement originale qui annonce la
polychoralité qu’on avait crû essentiellement vénitienne -marcienne sous
l’impulsion des deux Gabrieli, grands ordonnateurs des fastes à San
Marco. Tout donc aurait commencé à Florence…

Avant les
Vénitiens, Gabrieli puis Monteverdi, il faut désormais compter avec
Striggio.
Non contente de favoriser les peintres et les architectes, la cité
médicéenne à son apogée (milieu du XVIè), affirme sa pleine conscience
musicale dans la musique d’un Striggio à redécouvrir d’urgence.
Lévitation garantie. Messe restituée, mardigaux dynastiques
magnifiquement habités… voici un cycle nouveau réhabilitant l’oeuvre
et la figure d’Alesandro Striggio, génie musicien et alors jeune
trentenaire, à la Cour des Médicis. Disque événement.


cd

Alessandro Striggio
(circa 1536/1537-1592): Motet Ecce beatam lucem (1561). Messe Ecco si
beato giorno (1566) pour 40 parties indépendantes. Madrigaux. Thomas
Tallis (circa 1505-1585): Spem in alium (1567)… I Fagiolini. Robert Hollingworth, direction. 1 cd + 1 dvd Decca. Parution: le 20 juin 2011.

Illustrations: Cosimo de Medici, Francisco de Medici par Bronzino (DR)
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