Un même metteur en scène, Adrian Noble, anciennement directeur de la Royal Shakespeare Company, un même chef, le jeune français Stefano Montanari, et des solistes qu’on retrouve diversement dans les trois œuvres.
Mais c’est dans Don Giovanni qu’on retrouve la plus grande partie des interprètes des deux ouvrages précédemment joués, Cosi fan Tutte, puis le Nozze di Figaro : Leporello était Don Alfonso, Donna Anna s’incarnait en Fiordiligi, Donna Elvira chantait en Comtesse, Zerlina virevoltait en Despina et Barbarina, et Ottavio phrasait Ferrando. Un véritable esprit de troupe, qui se ressent puissamment dans cette représentation.
Belle vision du drama giocoso de Mozart
L’imagination d’Adrian Noble nous emmène en plein Manhattan, au cœur de « Little Italy », avec un décor d’immeubles admirablement reconstitués. Ces bâtiments, montés sur roulettes et pivotants, peuvent s’assembler à l’infini et créér toutes les atmosphères requises par le livret. Au-delà de cet aspect, c’est la direction d’acteurs qui concentre toute l’attention : d’une grande justesse et d’une belle précision, elle évite tout temps mort et permet un enchaînement ininterrompu des actions. Chaque personnage est ainsi caractérisé avec force et conviction. Seule à laisser des interrogations, la figure de Donna Elvira. Adrian Noble l’a visiblement dépeinte comme une perpétuelle victime, maladivement attachée à Don Giovanni, qu’elle suit comme un petit chien, prête à tout accepter pour récupérer les miettes de son amour. Si cette vision du rôle se révèle très intelligente et bien pensée, la musique la contredit plus d’une fois, montrant davantage la grandeur d’âme qui est la sienne plutôt que sa pathétique passion amoureuse.
Séduisant parrain, Markus Werba incarne un Don Giovanni plein d’énergie et de fougue. Le rôle semble lui coller à la peau, et il s’en amuse visiblement. Lui manquent davantage de mordant et de volume, une arrogance vocale qu’il n’a pas, davantage taillé pour des rôles plus légers.
Son complice, Lionel Lhote, nous offre une prestation qui s’intensifie au cours de la soirée. Il n’est clairement pas basse, mais bel et bien baryton – il chantera bientôt le comte de Luna dans le Trouvère à Bordeaux -, et on ressent clairement qu’il tente de contrefaire sa voix et de la retenir pour coller vocalement au personnage de Leporello. Plus la représentation avance, plus il revient à son naturel vocal, allant même jusqu’à transposer des notes graves à l’octave supérieure, pour culminer dans une scène du dîner où il laisse éclater toute sa puissance, emplissant – enfin – la salle sans effort.
En Donna Anna éplorée et vindicative, Maria Bengtsson renouvelle sa Pamina bordelaise. Le timbre est somptueux, la pâte vocale chaude et enveloppante, la technicienne, dans la lignée d’une Elisabeth Grümmer, irréprochable, notamment dans un « Non mi dir » d’anthologie où elle laisse flotter sa voix dans des piani d’une rare pureté, notamment dans le point d’orgue précédent la reprise, où le public est littéralement suspendu à ses lèvres.
Elvira touchante dans son malheur, Helena Juntunen vit et chante à l’unisson de la vision du rôle que développe le metteur en scène. Ce qui nous vaut de beaux moments, notamment dans le trio du second acte, où, à son balcon, elle phrase superbement, mais également d’autres instants, comme « Mi tradi » où elle manque d’ampleur, trop victime et pas assez ange salvateur.
Daniel Behle donne vie avec force au discret Ottavio, chantant un très beau « Dalla sua pace », nuancé et délicat, mais il est regrettable que, suivant la version de Vienne, son second air « Il mio tesoro » ait été coupé.
Magnifique Zerlina, Elena Galitskaya déploie sa superbe voix dans un « Batti, batti » de toute beauté, montrant un volume étonnant, rare dans ce rôle. Son charme et son aisance scénique achèvent de faire fondre les spectateurs.
Son Masetto existe pleinement avec Grigori Soloviov, véritable rival de Don Giovanni.
Saluons enfin le Commandeur imposant et sonore d’Andreas Bauer, enfin une basse qui chante le rôle avec force et noblesse. On se souviendra longtemps de sa main protectrice étendue au-dessus de la tête de Donna Anna durant son second air, veillant sur elle avec amour.
Son intervention finale restera également dans les mémoires, au milieu de ce décor de cimetière, où il convoque les damnés qui emportent Don Giovanni dans la tombe.
Excellent également, le Chœur de l’Opéra de Lyon.
Déconcertant de rapidité dans l’ouverture, Stefano Montanari fait craindre le pire. Heureusement, par la suite, il trouve les tempi les plus justes, laissant palpiter librement la musique, attentif aux chanteurs et sachant tout à la fois souligner les traits marquants à l’orchestre, un Orchestre de l’Opéra de Lyon soyeux et transparent, en belle forme.
Lyon. Opéra, le 27 mars 2011. Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni. Livret de Lorenzo da Ponte. Avec Don Giovanni : Markus Werba ; Leporello : Lionel Lhote ; Donna Anna : Maria Bengtsson ; Don Ottavio : Daniel Behle ; Donna Elvira : Helena Juntunen ; Zerlina : Elena Galitskaya ; Masetto : Grigori Soloviov ; Il Commendatore : Andreas Bauer. Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon. Stefano Montanari, direction musicale ; Mise en scène : Adrian Noble. Décors : Tom Pye ; Costumes : Deirdre Clancy ; Eclairages : Japhy Weiderman ; Chorégraphie : Sue Lefton