Ravissant enlèvement du quotidien
Il excelle en tout cas dans Mozart, compositeur des lumières. Bernard Labadie, chef canadien de grand talent, dirige avec entrain, élégance et gouaille cette partition qui mélange comique grossier et abymes métaphysiques. Étonnement peu connue en France cette baguette est à suivre car un don pour la précision de la direction en osant des souplesses musicales exquises est le signe d’une musicalité raffinée et rare. Côté chanteurs une indisposition nous révèle un Osmin de dernière minute qui aura droit à la partition à la main et restera toutefois parfaitement connecté avec ses compères pour des interactions théâtrales de qualité. L’Osmin d’Alastair Miles est bonhomme et plus sympathique qu’effrayant. Vocalement on ne lui en voudra pas, tant le rôle est difficile (ambitus impossible), de peiner dans les graves extrêmes mais les aigus sont superbes ! De même les trilles un peu escamotées sont monnaie courante, hélas, chez les plus grands titulaires du rôle… Le Pédrillo de Joshua Ellicott est particulièrement élégant vocalement et scéniquement. La musique est enfin entendue dans toute sa richesse quand souvent les interprètes exagèrent le côté comique du rôle aux dépens de la musicalité. Sa sérénade en particulier est d’une poésie nocturne infinie. Quand au Belmonte de Frédéric Antoun il ressuscite le charme inégalable d’Anton Dermota, c’est peu dire mais tout dire car il reste le meilleur Belmonte possible au disque. La voix de Frédéric Antoun est belle, chaude et parfaitement homogène avec un médium et des graves aussi solaires que ses aigus. La technique vocale est absolument sidérante avec un souffle d’une longueur tout à fait inhabituelle. Ainsi dans son premier air sur la longue tenue qui se termine par d’élégantes vocalises le chef lui permet de prendre tout son temps et de terminer ses abellimenti très poétiquement sans se presser aucunement. Nous tenons là un ténor Mozartien racé qui va faire une carrière sensationnelle car il a toutes les qualités vocales requises et une beauté sur scène, une joie de chanter qui illumine son art. Évidement, à côté d’un tel charisme les dames sont un peu en retrait. Techniquement Aline Kutan a toutes les notes du terrible rôle de Constance. Les vocalises du si périlleux « Martern aller Arten » sont stupéfiantes de précision et les contre-ut sont rayonnants. La mélancolie n’est pas non plus absente quand elle est nécessaire mais le timbre manque de caractère et la voix certes homogène sur toute la tessiture ne provoque pas toute la sympathie que le rôle réclame. La Blonchen de Malin Christensson est agréable, elle aussi arrivant à négocier une tessiture vertigineuse. En narrateur, Laurent Natrella tire très bien son épingle du jeu. Avec sa diction claire et un humour parfois lourd, il est bien en situation et fait avancer l’action efficacement.
Une soirée dépaysante et musicalement suprême, pour cet opéra de Mozart riche en bonheurs musicaux, a provoqué un enlèvement du quotidien bienvenu.
Toulouse. Halle-Aux-Grains. Le 18 novembre 2010. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Die Entführung aus dem Serail, singspiel en trois actes sur un livret de Gottlieb Stephanie le Jeune. Constance : Aline Kutan ; Blonchen : Malin Christensson ; Belmonte : Frédéric Antoun ; Pedrillo : Joshua Ellicott ; Osmin : Alastair Miles ; Narrateur Laurent Natrella ; Orchestra of the Age of Enlightement ; Direction : Bernard Labadie.