festival de musique classique exemplaire dont l’essor s’est avéré
bénéfique année après année, dans une région (la Bretagne) où se sont
plutôt imposées les sonorités celtiques (festival de Cornouailles en
juillet, festival de Lorient en août). L’événement aoûtien séduit les quimpérois et les estivants de
passage, avec d’autant plus d’acuité que sa programmation éclectique,
accessible, de surcroît à des tarifs « démocratiques », s’adressent à tous
les publics.
32è festival Quimpérois
L’exigence artistique portée depuis ses débuts par Michel Legrand se
manifeste certes par la qualité des interprètes conviés (en 2010,
paraissent Brigitte Engerer, Gérard Caussé, Pascal Amoyel, les
Lunaisiens dans l’opéra de Grétry Zémir et Azor…). C’est aussi
l’alchimie souvent miraculeuse entre un programme choisi et un lieu; de
ce point de vue, Quimper et ses environs ne manquent pas d’écrins
enchanteurs, nichés dans la nature (chapelle Notre-Dame de Kerdévot) ou
marquant l’espace urbain de la préfecture du Finistère (église de
Locmaria). C’est aussi depuis de nombreuses éditions, l’orangerie du
château de Lanniron, ancien palais des évêques de Cornouailles dont
l’architecture, dans un domaine enchanteurs aux espèces
méditerranéennes, revisite le modèle des palais palladiens, au bord du
fleuve Odet.
Liturgie selon Leskov
Mais le temps fort de l’édition 2010, outre la thématique animale, demeure la création de la cantate L’Ange scellé du
compositeur moscovite Rodion Konstantinovitch Chtchedrine, créé en
première française dans la cathédrale Saint-Corentin de Quimper ce 7
août 2010.
Le programme se livre à l’exercice de la rencontre, celle de deux
choeurs de jeunes chanteurs (choeur de chambre de la Société
Philharmonique de Saint-Pétersbourg et du King’s College de Londres),
dont les solistes paraissent seuls, exprimant chacun, respectivement,
les auteurs qui composent leur répertoire traditionnel (Byrd puis
Britten pour les King’s College), Rachmaninov entre autres (extraits des
Vêpres) pour les Pétersbourgeois. D’emblée, les esthétiques se
distinguent: contrastée et engagée voire fiévreuse pour les Russes; plus
lumineuse et homogène pour les Londoniens. Conduits par leur chef
respectif, Yulia Khutoretskaya puis David Trendell, les jeunes choristes
s’inscrivent chacun dans la lignée des chorales d’exception, même si
l’on relève la disparité des expériences: le King’s College remonte dans
sa forme structurelle actuelle à … 1945; le Choeur de Chambre russe
n’a été fondé qu’en 1992…
Or le rayonnement musical des voix, en groupe ou solistes s’avère
exemplaire. Il est même superlatif dans la Cantate de Chtchedrine (né en
1932), où la combinaison des deux ensembles se réalise en une entité
chorale qui sait tirer parti des fortes individualités tout en affirmant
un son d’ensemble particulièrement homogène. Inspiré par les textes de
Nikolaï Leskov (1831-1895), Chtchedrine, ancien président de l’Union des
compositeurs russes de 1973 à 1990, met en musique un cycle
particulièrement puissant par ses accents spirituels et mystiques. Le
compositeur y retrouvent deux aspects qui l’ont toujours fortement
conquis: la ferveur populaire et le sentiment du sacré. Chtchedrine dont
on redécouvre peu à peu les oeuvres, grâce entre autres au travail
récent de Valery Gergiev (enregistrement de son opéra Le Voyageur enchanté, commande de Lorin Maazel en 2002, édité chez Mariinsky records), fut lui-même choriste de l’Ecole Chorale fondée par Staline, d’abord comme alto puis comme basse.
Chtchedrine respecte la trame dramatique hérité du poète romantique: il y
est question de paysans croyants détenteurs d’une icône miraculeuse
signée par le peintre Sevatyan… Voix du peuple russe auquel l’auteur
restitue la noblesse admirable, d’autant plus impressionnant par ses
accents inspirés et sincères, forme dépouillée et franche, « L’Ange Scellé »,
sorte de « liturgie selon Leskov », lui-même apôtre d’un christianisme
moderne et progressif, est indiscutablement une oeuvre majeure de la
musique russe sacrée du XXè siècle. Chtchedrine nous offre une musique
constellée de joyaux d’essence spirituel: c’est un cycle où s’affirme le
sentiment de la Révélation et de l’Illumination qui foudroie ceux qui
savent en recueillir l’aliment précieux; qui en comprennent le sens
profond et mystérieux.
Sous la direction du chef David Trendell, les deux choeurs
invités gravissent les pans foudroyés d’une partition à la fois
intimiste et monumentale. Sous la nef de la Cathédrale Saint-Corentin de
Quimper, mise en lumière et scénographiée pour l’événement par
Jean-Paul Gloaguen, L’Ange Scellé montre son visage multiple aux spectateurs venus écouter ses splendeurs vocales.
Direct, expressif, sachant subtilement doser les contrastes de climats
et d’intonations, entre recueillement et flamboiements vertigineux voire
exclamatifs, le compositeur signe là une oeuvre à l’esprit foudroyant,
dans une forme toujours accessible qui outre le chant choral, exige
l’intervention d’une flûte au chant aérien et visionnaire. L’unique
instrument convié (synthèse de la voix par son timbre et le souffle
perceptible) « ouvre » et « ferme » la partition, laissant l’auditeur nimbé,
comme saisi par un sentiment de lévitation.
Création majeure.
Quimper. Cathédrale Saint-Corentin, le 7 août 2010. 32è Semaines Musicales de Quimper. Rodion Konstantinovitch Chtchédrine (Moscou, 1932): L’Ange Scellé,
cantate (création française). Choeur de chambre de la Société
Philharmonique de Saint-Petersbourg, Choeur du King’s College de
Londres. David Trendell, direction. Mise en lumières: Jean-Paul
Gloaguen.