mardi 13 mai 2025

Venise. Palazzetto Bru Zane, le 15 avril 2010. Florent Schmitt : Quintette pour piano et cordes opus 51. Jean-Frédéric Neuburger, piano. Quatuor Modigliani

A lire aussi
Bouillonnant Schmitt

Audace qui vaut manifeste: il reste téméraire de la part du Palazzetto Bru Zane d' »oser » programmer à Venise dans l’écrin de son salon de musique, une oeuvre qui même à Paris, demeure exceptionnelle: le Quintette de Florent Schmitt (1870-1958), Prix de Rome en 1900, élève de Fauré, Dubois et Massenet, appartient à ce corpus d’oeuvres majeures et pourtant parfaitement oubliées qui l’espace d’un concert, projette à l’auditoire ses flamboiements harmoniques (d’ascendance franckiste), son développement si singulier, ses accents personnels dont le propre est de fermer l’ultra romantisme de Wagner et d’ouvrir sur la modernité du XXème siècle. C’est donc bien une oeuvre clé, à la démesure inédite, que le concert nous révèle ce soir.

Donné au début du festival d’avril et mai 2010, intitulé « le Pianoforte romantico » (du 15 avril au 19 mai 2010), le programme marque fort les intentions du Centre de musique romantique française à Venise: diffuser depuis la lagune, les oeuvres clés du romantisme français. A l’évidence, l’engagement du pianiste Jean-Frédric Neuburger (né en 1986) défend avec infiniment de nuances et aussi de tempérament (il en faut pour une partition qui dure près d’une heure!, dont les pointes et les éclairs approchent la véhémence de la Tragédie de Salomé, contemporaine), ce monument composé à partir de 1905 (à Rome), puis créé à Paris en 1909, et qui fait un sort au genre musical du quintette, lequel entend fusionner, non sans lancer de nombreux défis (pour les résoudre), les deux formes « nobles » par excellence: la sonate pour piano et le quatuor à cordes.

Au clavier du pianoforte Erard 1902, propriété du Centre, -instrument idéal donc pour interpréter l’oeuvre de Schmitt-, le jeune pianiste s’enflamme et chaloupe idéalement dans une oeuvre complexe, versatile qui exige tension et tendresse. On reste continûment stupéfait par le souffle (et l’ampleur symphonique), l’expressivité sans pause d’une écriture ardente, souvent radicale. A ses côtés, en complices déjà éprouvés, ses quatre partenaires suivent les méandres de ce labyrinthe passionné: le jeu des Modigliani apporte les couleurs électriques d’un romantisme hérité en droite ligne du Tristan wagnérien comme un feu sonore qui ne s’éteint jamais. L’activité des instrumentistes portent cet incandescente qui brûle, tour à tour poison et venin d’un envoûtement irrésistible (en cela proche de Chausson, autre inguérissable wagnérien). La vitalité sanguine du Finale éblouit par ses embrasements dyonisiaques, jusqu’aux derniers accords assénés non sans une sauvagerie délectable et franche. Les jeunes musiciens savent capter l’essence chorégraphique d’une architecture au chant continu dont la progression telle une course puis un galop, et la frénésie engagée annoncent l’allant de la Valse ou du Boléro de Ravel.

Par sa densité permanente, l’Opus 51, qui enchaîne ses trois mouvements, remplit la salle du Palazzetto, faisant frémir murs et plafond au diapason d’une oeuvre unique en son genre. La révélation est totale: elle indique une partition qui sait récapituler et dans le même temps, ouvrir de nouvelles perspectives, avec ce ton si particulier propre aux créateurs qui possèdent le secret de la synthèse et de l’originalité.


Quintettes à découvrir…

Le programme est évidemment emblématique de tout le festival et de la période musicale concernée: en jouant un instrument d’époque, Jean-Frédéric Neuburger réalise ce souci d’exactitude sonore et esthétique qui ajoute à la valeur de l’interprétation. C’est aussi l’amorce d’un cycle spécifique dans le festival, dédié au quintette, car les festivaliers pourront entendre le 30 avril 2010 dans la même salle, deux oeuvres tout aussi exceptionnelles pour la même formation: les Quintettes de Franck et Pierné (David Violi, pianoforte et le Quartetto Ardeo. Palazzetto Bru Zane à 20h30). Plus tard, le 12 mai 2010, Laurent Martin, pianoforte et la Quatuor Satie joueront ceux de Gouvy et Castillon, véritables résurrections en la matière! De surcroît, le même Jean-Frédéric Neuburger interprétera, en un concert événement, les Concertos pour piano n°2, 3 et 4 de Hérold (avec le Sinfonia Vasovia, dirigé par Hervé Niquet), le 14 mai 2010 (Scuola Grande di San Rocco, à 20h30).

Défense ardente des joyaux oubliés de notre patrimoine, de surcroît projetée dans un écrin acoustique réhabilité (non sans finesse), feu et passion décuplée pour une oeuvre magistrale à l’aube du XXè… la soirée d’ouverture du festival Le Piano Romantique à Venise relève le défi de son propos. Il s’agit bien de nous captiver voire nous enchanter par l’écoute de chefs-d’oeuvre oubliés. De joyaux, le Centre de musique romantique français ne sera pas avare : il promet de nombreux autres découvertes mémorables le temps de son festival,  » Le Piano romantique » jusqu’au 19 mai 2010. Consulter l’ensemble de la programmation du festival Le Piano romantique présenté par le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française à Venise.

Venise. Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française, mercredi 15 avril 2010. Festival Le pianoforte romantique, concert d’ouverture.
Florent Schmitt
: Quintette pour piano et cordes opus 51.
Jean-Frédéric Neuburger, piano. Quatuor Modigliani

Illustrations: Florent Schmitt (DR)

Derniers articles

OPERA DE SAINT-ÉTIENNE. MOZART : L’enlèvement au Sérail, les 13, 15 et 17 juin 2025. Ruth Iniesta, Benoît-Joseph Meier, Kaëlig Boché… Jean-Christophe Mast /...

Après avoir incarné à Saint-Étienne La Traviata en italien et Thaïs en français, la soprano espagnole Ruth Iniesta donne...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img