mercredi 7 mai 2025

Gluck: Orphée et Eurydice (Alagna, 2008) 1 dvd Belair classiques

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Restructuration mortuaire

Orphée et Eurydice est en fait le reprise par Gluck de son Orfeo viennois de 1762 (chanté en Italien et avec un castrat). Pour Paris où favori de marie-Antoinette il va réformer le genre tragique, Gluck réadapte en 1774, en français et avec ballets -tradition française oblige-, sa partition originalle, créée 12 ans plus tôt. Recyclage ou réemploi exemplaire: entre temps, la partition gagne en grandeur hiératique, en tension expressive et en clarté comme en équilibre…
Même Berlioz, au XIXè alors fou de Gluck, écrit le rôle pour Pauline Viardot.

Orphée défait, recousu…

Que pensez de cette production chantée en français à Bologne en janvier 2008? Dans cette version, le frère cadet de Roberto, David, compositeur, réadapte pour une vision plus moderne, tessitures et conception dramatique: fin heureuse gommée, ballets allégés, surtout voix plus sombres et graves. En fait, intermèdes symphoniques, choeurs et ballets sont resserrés pour constituer un « prologue d’exposition »: le spectateur peut avant le drame et pour mieux le suivre, découvrir au préalable chacun des protagoniste (difficile de faire plus pédago).

Valses des tessitures

L’amour hier soprano léger et coloratoure devient donc un baryton ample et profond (Marc Barrard au timbre percutant et racé): il est dans la mise en scène bolonaise, l’agent des Pompes funèbres.
Orphée initialement conçu à Paris pour le haute-contre Joseph Legros, est réécrit pour une voix héroïque et romantique (verdienne), de ténor spinto, celle de son frère, Roberto (donc exit l’air virtuose du I)… Compensation inverse, Eurydice est ici une claire soprano… un rien acidulée et aigre (Serena Gamberoni).
L’idée est à l’écrit et dans les intentions cohérentes. Pourquoi pas actualiser quitte à effacer la complexité du mythe pour en faire une intrigue de fait divers (Eurydice meurt le jour de ses Noces dans un accident d’automobile…?

Toujours simplificateur voire simpliste, le metteur en scène qui a déconstruit la partition pour en recomposer l’enchaînement dramatique, imagine des tableaux là encore très faciles à identifier: voyage d’Orphée (décors suggestifs) vers la chambre froide de la mort… (tableau plus glacial). En fait, le spectateur comprend à la façon d’un flash back cinématographique, que Orphée a peut-être rêvé ce voyage infernal en quête de son aimée, le temps des funérailles. Le héros revient dans le final au cimetière: il y retrouve le triste spectacle de la réalité endeuillée.

Le chef d’orchestre Giampaolo Bisanti offre quant à lui une sonorité classique, et même romantique, parfois pâteuse et sombre (à mille lieues des versions allégées, fortes, contarstées et surtout instrumentales de Gardiner ou Minkowski) sans accents ni temps morts: tout est mis en oeuvre pour souligner les voix et le chant de douleur, en particulier celui d’Orphée/Alagna.
Justement, le ténor vedette se glisse dans la peau d’un Orphée tendre et ému qui chante sans cesser de souffrir la perte de l’amour, sa solitude et le travail d’une douleur inconsolable. Il y a du sanglot et des larmes, de manière affectée parfois mais stylé à la Beniamino Gigli…
Saluons la beauté du timbre rayonnant, sa diction exemplaire (si cruciale chez Gluck comme chez Berlioz). L’engagement de l’acteur chanteur atteint même un sommet de sincérité et de vérité dans l’arioso du II ( « Quel nouveau ciel pare ces lieux ! »), grâce aussi à l’épure expressive qu’apporte dans ce tableau du dénuement ultime la partie de cor anglais (que Wagner reprendra d’ailleurs pour son Tristan). Même pudeur déchirée, même silence tendue, même horreur mesurée: voici le grand tragique, façon Gluck, celui qu’on adoré ses admirateurs fervents dont Berlioz.

Rien de très marquant in fine dans cette production guère poétique, au réalisme mortuaire surligné à gros traits. Créé à Bologne en janvier 2008 (quand Roberto Alagna avait du renoncé à chanté Aïda à la Scala en décembre 2007 avec le tollé que l’on sait), repris en février 2008 à Montpellier, le spectacle frappe surtout grâce à l’engagement du ténor français. C’est lui seul qui rétablit dans une mise en scène artificielle, l’émotion d’une action qui a trop souffert de son actualisation.

Christoph Willibald Gluck: Orphée et Eurydice, version de Paris (1774), réadaptée par David Alagna (2008). Tragédie-opéra en trois actes d’après Pierre-Louis Moline. Livret original: Orfeo ed Euridice de Ranieri de’ Calzabigi (pour la version originale de Vienne, en 1762). Roberto Alagna (Orphée), Serena Gamberoni (Eurydice), Marc Barrard (le guide). Choeur et orchestre du Teatro Comunale di Bologna. Giampaolo Bisanti, direction. David Alagna, mise en scène. Sortie annoncée le 19 novembre 2009

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