jeudi 8 mai 2025

Nantes. Théâtre Graslin, jeudi 1er octobre 2009. Jules Massenet: Manon. Avec Burcu Uyar, Marc Laho. Cyril Diederich, direction.

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Le directeur d’Angers Nantes Opéra, Jean-Paul Davois, n’est jamais en
manque d’une action aussi mordante que pertinente : il est par exemple
le seul à avoir eu le « génie » de faire venir en France, la production
majeure du Tristan und Isolde de Wagner mis en scène d’Olivier Py (que
quelques happy few avaient pu découvrir médusés à Genève en … 2005),
faisant d’Angers Nantes Opéra, au mois de mai 2009, « la » scène la plus importante de
l’heure. Lire nos vidéos et comptes rendus sur
cette réalisation originellement magnifique, sublimée encore en France
grâce à une distribution nantaise superlative (reportage vidéo Tristan und Isolde à Angers Nantes Opéra, mai 2009).
Comme il le précisait en introduction à sa brillante et prometteuse
nouvelle saison 2009-2010, Jean-Paul Davois met en avant l’oeuvre des
femmes. Femmes metteuses en scène, cantatrices évidemment… comme nous
le montre avec quelle classe et impertinence musicale, cette production
de Manon, déjà présentée à sa création à l’Opéra de Marseille. C’est
d’ailleurs l’ex directrice de la scène marseillaise, Renée Auphan qui
cosigne la mise en scène, d’un classicisme sans surprise mais efficace.

D’autant plus efficace qu’elle met en lumière le relief des
tempéraments vocaux. En ouverture de saison, la Manon de Massenet offre
un portrait de femme superbe, et un rôle complet pour toute chanteuse
capable d’en relever les défis (importants). La soprano turque Burcu
Uyar
fait effectivement tout le miel de cette production en reprise. La
gamine de 16 ans, promise en début d’action au couvent, qui séduit à
Paris, le jeune chevalier Des Grieux, éblouit par sa santé vocale, son
timbre claironnant, opulent et puissant, d’un velours tendre et assuré,
de surcroît d’une articulation linguistique exceptionnelle (à en rendre
les surtitres superflus): voilà, une diction remarquable, doublée d’une
agilité colorature évidente qui lui fait réussir le tableau du Cours la
Reine.
La soprano a tout pour elle et sa Manon confirme la réussite de sa
Traviata, écoutée l’été passé à Saint-Céré. Lire le compte rendu de
notre collaborateur Nicolas Grienenberger à propos de La Traviata par Burcu Uyar.
La soprano aborde le rôle-titre de Massenet avec candeur, une
juvénilité ardente, de plus en plus brûlée, finalement coupable pour
son amour des plaisirs. Elle finit mourante, enchaînée, exténuée, sur
le chemin du Havre, vers la Louisianne. Pas d’issue pour les
courtisanes, y compris pour les repenties…

Au soir de la 2è représentation, la voix assurée ne faiblit jamais,
mais l’assise dramatique se cherche parfois encore: en particulier au
début du grand duo à Saint-Sulpice où la sirène séductrice
reconquiert son ancien chevalier… devenu abbé par dépit (2è tableau
du III). Fort heureusement, la suite est du meilleur lyrisme, sans
appui, d’une très belle innocence,… radicale. Son « N’est ce plus ma voix,
n’est ce plus ma main que cette main presse….?
 » diffuse jusqu’à
l’ensorcellement la force sanguine et sensuelle de l’enchanteresse.
On pense évidemment aux grandes dive qui l’ont précédée dans cette scène de reconquête primordiale: Beverly Sills, Ileana Cotrubas… mais la soprano de Nantes ajoute ce surcroît si délectable de la fraîcheur et de la jeunesse, justifié par l’âge requis du personnage… Même abattage cristallin et d’une fraîcheur souveraine pour son air du
IV (dans le tripot de l’hôtel de Transylvanie) où la vénus terrestre
qui a retrouvé son amant, l’emmène dans le temple du jeu et des cartes (Pharaon) pour
y célébrer l’ivresse que procurent les plaisirs d’une jeunesse
insouciante. Mais après ce manège des sens, à force de s’oublier en un
tourbillon illusoire, la chute inéluctable n’en est que plus
saisissante et fatale.
L’innocente beauté trop avide des plaisirs, courtisée par les deux
rivaux Bretigny (parfait Marc Scoffoni) et Morfontaine (mordant
Rodolphe Briand dans le rôle hier dévolu au pétillant Sénéchal);
l’amoureuse traîtresse qui sait souveraine des coeurs, reconquérir son
ancien chevalier, la femme abattue enfin, pécheresse en quête
d’expiation… toutes les facettes du personnage sont admirablement
incarnées par un futur diva. Voici un tempérament évidemment à suivre.

A ses côtés le Des Grieux de Marc Laho offre un beau chant, d’une
musicalité rare et fluide avec des aigus impériaux, couverts, colorés,
clairs… Si l’on peut être agacé par son côté lisse et droit, le
ténor belge impose peu à peu une vision cohérente du rôle, insistant
mais sans lourdeur, sur la candeur juvénile, l’innocence du personnage;
amant démuni face à la déesse de l’amour… Son appel au plaisir à
Paris (« nous vivrons à Paris »), puis en particulier son rêve qui clôt
l’acte II, d’une rayonnante tendresse, sont à tomber. La mezza voce,
murmurée, tenue sur le fil du souffle (d’une endurance impeccable)
captive et l’on se dit qu’il y a chez lui, du Nadir et l’étoffe d’un
Don José, peut-être demain, moins dramatique que… lumineux et tendre.

Dans une version qui évite le ballet du III (quand Morfontaine invite
les danseurs de l’Opéra pour en imposer à Manon), l’Orchestre national des
Pays de la Loire a du mal à démarrer. La baguette pourtant précise du
chef ne parvient pas en début d’action à imposer le souffle du drame,
ce lyrisme foisonnant qui étonne toujours chez Massenet, en particulier
dans l’évocation collective des scènes du Paris rocaille, dans l’effusion d’un coeur en extase… Heureusement, et peu à peu (à partir de Saint-Sulpice), les
musiciens se bonifient, offrant dans les deux derniers tableaux (à
l’Hôtel de Transylvanie et sur la route du Havre), du nerf et du sang
avec ce supplément de déploration sur le corps de la jeune Manon qui a
brûlé sa vie.

Notre collaborateur Benito Pelegrin avait rendu compte de la création
de cette production à Marseille
dans une autre distribution (mai 2008).
Au théâtre Graslin de Nantes, outre les deux protagonistes saisissants, saluons en particulier la
belle stature (avec une diction exemplaire) du Des Grieux père, de la
basse marseillaise Christophe Fel: la voix se tend dans les aigus mais
le chanteur exprime la noblesse morale du commandeur qui paraît au IV
comme le fait chez Verdi, Germont père dans La Traviata.
Reprise réussie, portée par la candeur juvénile de deux chanteurs idéalement attendris.

Jules Massenet (1842-1912): Manon, 1884. Livret de Henri Meilhac et
Philippe Gille. Avec Burcu Uyar (Manon), Marc Laho (Des Grieux),
Lescaut (Hugh Russel), Guillot de Morfontaine (Rodolphe Briand), De
Bretigny (Marc Scoffoni)… Choeurs d’Angers Nantes Opéra. Orchestre
National des Pays de la Loire. Cyril Diederich, direction. Renée Auphan
et Yves Coudray, mise en scène.

Illustrations: Manon au Théâtre Graslin de Nantes © Jef Rebillon 2009

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