lundi 5 mai 2025

Joseph Haydn: les opéras Présentation générale

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Joseph Haydn
Les opéras

Méconnus, sous-estimé, les opéras du compositeur des princes Esterhazy à Eisenstadt et Esterhaza à partir de 1766 (installation du directeur de la musique dans le bâtiment dévolu aux musiciens), méritent assurément davantage qu’un regard de complaisante considération: défis inédits, audaces formelles, facétie, mélange des genres, expérimentation continue apportent la preuve que Haydn ne fut pas ce « bon papa » conforme et passif, à l’activité décorative autant que divertissante: le jeu de la forme, une exigence dramatique, aiguë, constante (apprise dans les années 1750 à Vienne auprès du maître de l’opéra napolitain, Porpora) indique la figure du défricheur, connaisseur des genres théâtraux, en quête de nouvelles combinaisons, dont des ensembles de plus en plus risqués pour ses finales (ce que fera après lui Mozart dans les Noces par exemple). Haydn ne suit pas les modes: il en crée de nouvelles.
Composant la majorité de ses oeuvres lyriques, buffa et seria, et en mêlant les deux genres (comme à l’époque du premier bel canto vénitien celui de Monteverdi, Cavalli, Cesti…), pour la Cour somptueuse du palais Esterhaza, à la demande de son employeur Nikolaus II dit « Le magnifique », Haydn reste toujours en relation avec le milieu viennois: il y réside au palais urbain de son protecteur, et ne manque aucun des temps forts lyrique de la Cour Impériale, active, sur la scène du vieux théâtre de Cour, même si l’Impératrice Marie-Thérèse demeure moins férue de musique et moins mélomane que ses ancêtres, Leopold Ier au 17è, que son père Charles VI…

S’agissant de Haydn, peu d’opéras, comme d’oratorios, mais une écriture délicate, raffinée, virtuose qui se joue des cadres et des formes pour mieux servir sa propre conception du théâtre: festif, autocritique, exigeante, jamais creuse. Haydn « ose » exacerber les effets, mêler les formes et les genres -seria,buffa, eroïsco, amoroso…-, en un laboratoire perpétuel.

Du Diable boiteux à Acide (1751-1762)
A l’époque de son apprentissage auprès de Niccolo Porpora, génie du chant napolitain virtuosissime à Vienne: Haydn, qui est son voisin dans le bâtiment de la Michaelplatz en face de la Hofburg et du théâtre de la Cour (!), écrit un premier opus, aujourd’hui perdu: Der Krumme Teufel (circa 1751), repris et amplifié dans Der Neue Krumme Teufel (1758) d’après Le Diable boiteux de Lesage.
Nommé en 1760, directeur de la musique du prince Esterhazy, Haydn compose d’abord à Eisenstadt jusqu’en 1766, puis dans le nouveau palais princier, édifié par Nikolaus II et dans lequel le compositeur s’installe une bonne partie de l’année, à Esterhaza, sauf de nombreux et réguliers séjours à Vienne, où Haydn suit le prince en son immense palais urbain, au centre de la cité. Outre les opéras proprement dits, il compose aussi plusieurs ouvrages pour marionnettes destinés à un théâtre spécifique, au total 5, tous perdus sauf Philemon et Baucis de 1773.

Esterhaza (1776-1790)
Pour la Cour Esterhazy, Haydn fournit toute la musique, en particulier les opéras destinés au théâtre local de … 400 places: merveille de machinerie néo-classique. Son activité redouble encore à partir de 1776 car il doit organiser la programmation lyrique: faire représenter presque chaque soir des opéras de son cru mais aussi de ses confrères européens, surtout italiens. Haydn adapte, réécrit, réarrange les ouvrages choisis selon le goût de son fastueux mécène qui reçoit alors toutes les têtes couronnées de l’Europe des Lumières. Cette activité donne le vertige car en plus de ses obligations à la Cour, l’infatiguable musicien trouve aussi le temps d’écrire et de définir de façon libre les genres nouveaux de l’époque: quatuor à cordes depuis 1770 et Symphonies. Constante, sa volonté de produire, inventant toujours, demeure exemplaire.

Mélange des genres: comédies buffa et serias
Au début de son service pour les Esterhazy, qui durera 30 années jusqu’en 1790, Haydn compose des pièces légères, dont l’exquise Acide,ou festa teatrale (1762), à la quelle succèdent des oeuvres dans le pur genre buffo ou dramma giocoso: La Canterina (1766), deux pièces d’après le succulent Goldoni qui lui sert de truculent portraits individuels: Lo Speziale (1768, qui inaugure le nouveau théâtre Esterhaza), et Le Pescatrici (1770). Ce cycle giocoso s’achève avec l’Infedelta delusa (1773) qui dans le personnage de femme forte (Vespina) tirant les ficelles du drame, annonce en bien des aspects da Despina, compice de Don Alfonso dans Cosi fan tutte de Mozart (plus tardif).
En 1775, L’incontro Improviso marque une recherche plus exigeante encore: orchestration ciselée, orchestre inventif et interventioniste, approfondissement des portraits psychologiques, alliance idéale du seria et du buffa: tout ce que fera Mozart. L’Improviso annonce directement L’enlèvement au Sérail de ce dernier qui l’écrit bien plus tard… en 1782.

Egalement inspiré par Goldoni, Il Mundo della Luna (1777) indique en plus de la facétie apparente, une ironie sarcastique nouvelle: Haydn épingle la naïveté ridicule d’un homme amoureux, prêt à se faire tromper par un surcroît d’illusion… Falstaff avant l’heure, il s’agit d’un individu dindon de la farce: la société ne serait-elle composée que de rapports trompés/trompeurs? La manipulation mène le bal et le monde. Dans le sillon de L’Infedelta delusa, les caractères mêlent populaire et héroïque, amoureux et satirique… et plus que jamais, Haydn soigne ses finales dont il fait des ensembles vertigineux… avant Mozart. Ainsi, l’un de ses sommets de la maturité lyrique: La Vera Costanza, destiné à Vienne, créée à Esterhaza (1779, repris avec nouvelle adaptation en 1785). Les finales y sont tout autant très fouillés.

Les années 1780, marquées par l’avènement de l’Empereur Joseph II, et la décade joséphine, au néo atticisme déclaré, Haydn radicalise sa manière: moins de complaisance, plus d’efficacité et d’expression. Ainsi L’Isola disabitata (1779), La Fedelata premiata (1780) et surtout Orlando Paladino (1782) qui approche de façon apparemment badine le thème de la folie amoureuse du chevalier Roland, mais avec une ironie sous-jacente et caustique, nouvelle. Cette seconde lecture sous-jacente enrichit encore le portrait des caractères dans les opéras du compositeur.
La série des années 1780, atteint un nouveau sommet avec un pur seria: Armida, dramma eroico de 1783, qui reprend le mythe d’une autre enchanteresse puissante et magicienne certes, pourtant défaite et démunie au terme de la guerre amoureuse… Haydn y écarte la surenchère des ensembles conclusifs pour ne s’intéresser qu’à lalternance récitativos et arias. Mais la perfection du style force l’admiration, comme la subtile caractérisation des personnages, en particulier celui d’Armide.

Orfeo londonien de 1791
Le dernier opus lyrique de Haydn se réalise au moment de son premier séjour à Londres: la mégapole européenne qui lui offre sa reconnaissance. Entre mythologie et ironie, voire désespoir, le compositeur reprend le thème premier pour la musique, celui d’Orphée dans lequel il déploie une vision désenchantée vis à vis des êtres possédés par leur passion: l’homme qui désire doit apprendre à souffrir, perdre, renoncer… lecture étonnante d’un homme au sommet de son génie musical, qui composera ensuite, comme Haendel, ses oratorios miraculeux que sont à l’extrême fin des années 1790, La Création (1798) puis les Saisons (1801), pour l’autre siècle.
L’Anima del filosofo ossia Orfeo ed Euridice est compoé l’année de la mort de Mozart, en 1791. Mais l’ouvrage, testament lyrique du compositeur qui fait de la fable du poète chantre de Thrace, et prototype de tous les compositeurs interprètes, une allégorie philosophique, ne sera jamais représenté. L’opéra est créé à Florence… en 1951 avec la participation de Maria Callas ! L’Atelier lyrique de Tourcoing a récemment repris (mars 2009) la production de l’oeuvre, dévoilant l’importance du choeur, sa part énigmatique et désespérée, qui en fait aussi une oeuvre déjà romantique.

en guise de conclusion…
Haydn occupe une place première dans l’écriture lyrique: assimilant et réinventant l’écriture napolitaine dans le seria et le buffa: il est avec Mozart, un génie du théâtre, osant des combinaisons nouvelles, cherchant, mettant en doute certaines options, expérimentant, avec, propre à son inspiration dernière, une autodérision sur la forme, un regard critique voire cynique tout à fait original. De 1760 à 1776, il crée surtout dans la veine comique, mélangeant les genres et les effets; à partir des années 1780, la manière se resserre pour davantage d’efficacité. Les derniers opus, montrent une nette inspiration philosophique comme si le plus grand compositeur des Lumières, confronté dans sa vieillesse aux secousses de la Révolution française et à l’essor néfaste de Napoléon, délivrait un message sur la vie et le monde, profond et désenchanté. Après son ultime opéra, jamais représenté de son vivant (!), il fait comme Haendel avant lui: écarte l’écriture lyrique pour se consacrer à l’oratorio: seul la célébration de la divine nature, miracle et paradis terrestre accordé aux hommes par le Créateur (La Création, 1798; puis, Les Saisons, 1801), réussissent à réenchanter ses derniers jours.

cd
Decca annonce la réédition de l’intégral des opéras de Haydn par Antal Dorati. Sortie: mi août 2009.

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