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Leos Janacek: La Petite Renarde Rusée, 1924 Arte, lundi 2 février 2009 à 22h30

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Leos janacek
La Petite Renarde Rusée
, 1924
Découvrir un opéra

Arte, Musica
Lundi 2 février 2009 à 22h30

Berlin, 1956: 32 ans après sa création à Prague en 1924, l’opéra de Janacek, La Petite Renarde rusée ressuscitait sur les planches du Deutsch Oper, grâce à la vision enchantée et vivante, poétique et tendre de Walter Felsenstein, véritable magicien des planches.
Le documentaire diffusé par Arte, met en avant le travail actuel de la metteuse en scène Katharina Talbach, qui bien qu’impressionnée par la réussite de son prédécesseur (qui après le triomphe de 1956 avait filmé ensuite en studio en 1965, les bénéfices de sa scénographie pour la télévision), s’intéresse de très près aux mondes mêlés, animal, végétal et humain dans l’opéra de Leos Janacek.
Davantage qu’une féerie champêtre, La Petite Renarde Rusée est un hymne personnel à la vie, à l’amour (âgé de 70 ans, Janacek renaît au monde dans l’amour que lui suscite la jeune Kamilla Stösslova, épouse et mère, rencontrée dans une ville thermale en 1917: 800 lettres enflammées, écrites par un coeur embrasé, disent l’intensité d’une passion venue sur le tard qui dans l’écriture musicale fait naître de purs chefs-d’oeuvre, et dans l’action de La Petite Renarde Rusée, la scène d’amour, tableau crucial de l’opéra, le plus long, dans lequel Janacek prête au monde animal des sentiments humains… La petite renarde découvre la sensualité qui l’habite et l’amour qui l’aimante à son jeune compagnon…

Chant amoureux d’un vieil homme

Janacek commence son ouvrage dès 1921, écrivant « pour la forêt et pour égayer ses vieux jours » dit-il. En guise de drame mélancolique composé en fin de carrière, Janacek élabore plutôt une manière de « sagesse » tendre et poétique, facétieuse et réaliste qui n’empêche pas cynisme et renoncement. La mort est d’ailleurs toujours présente: elle donne le sens caché de la fable. Si les animaux n’en ont pas conscience (et sont donc libres par cet oubli), les hommes qui a contrario se savent trop mortels, n’en supportent pas les effets: tous, -garde chasse, instituteur et curé-, expriment leur mal être face à une existence vouée à l’éphémère et à l’anéantissement… Chacun y aspire à retrouver ce lien perdu avec le cycle réconfortant de la nature qui offre un souffle bienfaisant.

Dans la dernière scène, alors que la petite Renarde qui a vécu sa vie (capturée, domestiquée puis libérée, l’animal a connu l’amour puis la maternité, avant de succomber sous un coup de fusil), le garde chasse devenu vieux, s’émerveille à nouveau du spectacle de la forêt et de ses habitants: crapaud et nouvelle renarde… Il ne s’agit plus de pleurer la disparition des êtres terrestres mais de conserver toujours cette liberté émotionnelle, ce geste d’enchantement par lequel tout peut recommencer et renaître, dans le cycle des saisons…

Le docu s’avère exhaustif: genèse de l’écriture (l’une des plus foisonnantes qui soit, utilisant le collage et la multiplicité des formules musicales dont Janacek a le secret, en particulier dans la scène du mariage de la Renarde avec son fiancé!); personnalité d’un musicien versatile et d’humeur changeante, ce qui se lit dans sa musique, jamais prévisible, comme le rappelle le chef Jan Latham-Koenig.

Le film rappelle aussi les grandes étapes de la vie du compositeur tchèque, né le 3 juillet 1854, qui conserve toujours l’admiration suscitée face aux forêts de sa Moravie natale. Personnalité incontournable de Brno où, directeur de la Société Philharmonique, il fonde l’école d’organistes (qui deviendra conservatoire), figure du cercle littéraire aussi, Janacek entend défendre la vérité des dialectes de sa langue maternelle, en particulier contre l’hégémonie de l’Allemand. Ses opéras revendiquent clairement la défense du patrimoine culturel morave: il écrit lui-même ses livrets, en prose vernaculaire, à partir des notes qu’il prend en écoutant ses contemporains au marché,… il ira même jusqu’à identifier près de 3.000 motifs musicaux liés à la langue tchèque…
Le compositeur s’intéresse aussi à la psychologie qui est à son époque une science encore neuve. Tout cela explique le foisonnement dense et inédit de son style: un travail qui apporte au genre opéra un souffle nouveau, puissant et original. Jenufa (créé à Brno en 1904; applaudi à Prague en 1916) lui apporte tardivement la notoriété dont il a toujours rêvé: à 62 ans, il peut enfin vivre comme compositeur et être salué pour ses oeuvres, en particulier théâtrales: Katia Kabanova, La Petite Renarde Rusée, L’Affaire Makropoulos, De la maison des morts (1930)
La metteuse en scène Katharina Talbach explique le fondements de sa vision sur l’oeuvre: un regard qui joue des proportions multiples, entre vision des animaux sur les hommes et vice versa, entre le microcosme et le monde humain.

La diversité des lectures (des chanteurs, du chef, du décorateur comme du scénographe) compose tout l’intérêt du film, sans épuiser la richesse profonde de l’oeuvre. La Petite Renarde Rusée est bien une oeuvre majeure du XXème siècle dont nous mesurons seulement maintenant la portée universelle et poétique. Captivant.

Illustration: Janacek (DR)

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