lundi 16 juin 2025

Chorégies d’Orange 2008 Du 12 juillet au 5 août 2008

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Festival des Chorégies d’Orange

Du 12 juillet au 5 août 2008

Faust, de Gounod, Carmen de Bizet, Requiem de Verdi et Fauré

Cette année, sous le mur antique d’Orange, retour de deux opéras très aimés des publics français : Faust de Gounod (Marguerite, Inva Mula), Carmen de Bizet (Béatrice Uria-Monzon), dirigés par Michel Plasson, mis en scène par Nicolas Joël et Nadine Duffaut. Les musiques sur la mort et l’absence sont de Verdi et de Fauré.

Une incontournable référence-Hergé
« Ah ! je ris de me voir si belle en ce miroir », pardon « …si belle en ce théâtre », chantera une fois encore Bianca Castafiore , pardon, Inva Mula. « Voilà des régions qui vont être cruellement éprouvées », commentera le capitaine Haddock, pardon : « une fois encore, le théâtre antique sera charmé au sens latin du terme par une voix exceptionnelle. »…Air des bijoux en référence, on peut bien sourire, à l’entrée de l’édition 2008 des Chorégies, et introduire dans le rituel d’une tradition lyrico-romaine un rien d’irrévérence ? En notre époque où les pratiques culturelles se nourrissent de consultations chiffrées sur le terrain, pourquoi ne pas suggérer un sondage-minute pour les deux soirs de Faust, genre « connaissez-vous la référence Castafiore à l’opéra que vous venez écouter ? ». Et ventiler les réponses en faisant particulièrement attention aux tranches d’âge, ce qui aurait le mérite de mieux cerner la culture-tintin dans son rapport au goût pour l’opéra du XIXe français ( l’un des ressorts de l’adhésion « orangienne », d’âge en âge des Chorégies) et à sa « concurrence » avec l’art italien de la même époque.

Charles et Fanny
Donc, cette année, suivant l’immuabilité de la formule – 2 fois 2 opéras du très grand répertoire XIXe, avec adjonctions « concertantes » – , c‘est le retour des deux partitions très françaises, d’ailleurs en inégale modernité au moment historique de leur apparition. Faust de Gounod ( baptisé « Margarethe » dans sa version en terre allemande, pour ne pas oublier que « Faust » c’est avant tout, là-bas, le génie de Goethe), c’est 13 ans après ce qu’on abrévie en La Damnation (de Faust), un chef-d’œuvre de Berlioz fondé sur la même « histoire » mais davantage Suite de tableaux lyriques. Œuvre d’un compositeur qui vient de doubler le cap-quarantaine, ce Faust est immédiatement triomphal (au milieu du 2nd Empire, 1859), à la différence de la Carmen de Bizet (1875, lui-même à l’ultimité de sa courte vie, (quand commence la IIIe République). Mais Charles Gounod (1818-1893) n’est pas un auteur banal : les analystes de la biographie verraient même une superbe « forme en arche » entre une jeunesse vouée à la théologie et une vieillesse versant dans le mysticisme catholique, en tout cas consacrée à des œuvres religieuses bien éloignées de la…Sapho initiale, dès que Pauline Viardot sut « le détourner de la soutane ». Et il porta sans orgueil ni même vanité blessante le poids des honneurs artistiques et « citoyens » que lui décernèrent régimes et institutions. Quand le jeune Prix de Rome qu’il fut à 22 ans séjourna dans la Ville Eternelle, Charles y rencontra une certaine Madame Hensel, plus connue sous son nom de Hambourg dans Rome si peu déserte, Fanny Mendelssohn. Ils se firent réciproquement compliment de leurs dons musicaux exceptionnels – et pour Fanny, cela changeait des indifférences d’Allemagne misogyne ! Fanny fit connaître à Charles les beautés de la musique allemande « ancienne », sans doute lui parla-t-elle littérature, et pourquoi pas, de Marguerite et Faust ? Plus tard, Charles oscilla toujours entre deux postulations – comme disait alors Baudelaire -, l’ardeur mystique et la séduction charmeuse. Donc Faust, à mi-chemin du parcours de la vie : mais on a tout dit – en bien exalté par l’afflux de la grâce mélodique, en mal exaspéré par la pauvreté métaphysique d’une pâlichonne adaptation « faustienne » -, et en Orange, reste à goûter…le reste. De la solide qualité française, très certainement, avec Michel Plasson à la direction du Philharmonique de Radio-France, et Nicolas Joël à la mise en espace (ce n’est pas un vain mot, sous la verticale du Mur qui oblige aux glissements latéraux), une distribution en majorité tricolore, où brillent l’amatissimo Roberto Alagna, René Pape en Mephisto, et Marie-Nicole Lemieux en Dame Marthe, et le jeune Xavier Mas en Siebel….Marguerite y est la célèbre Albanaise Iva Mula-Tchako, qui brilla dans les concours internationaux (Enesco, Placido Domingo…), et que vous pourriez, si cela vous chante, retrouver dans le 5e Elément de Luc Besson.

La méthadone de Nietszche

Comme dans Polyeucte de Corneille, un jour Friedrich Nietzsche s’écria : « Je sais, je crois, je vois, je suis désabusé ! » Et abjurant sa religion wagnérienne, il se prit à lui fournir une méthadone claire comme de l’eau de roche française : la Carmen de Bizet. Mais aussitôt de préciser à un correspondant de 1888 : « Vous ne devez pas prendre au sérieux ce que je dis de Bizet, aussi vrai que je suis, Bizet n’entre mille fois pas en ligne de compte pour moi. Mais comme antithèse ironique contre Wagner, il produit un grand effet. » Passent les (anti)philosophes, anciens ou nouveaux, les amours sans frein et les désamours parano, les effets de modes et les tsunami posthumes : reste Carmen (1875), génialement théâtrale – au sens total de ce terme -, musicalement décapante, solaire apparition de l’amour fou bousculant les hypocrisies bienséantes (« un dévergondage », disait une certaine critique) et précipitant les héros dans le gouffre du tragique. Bizet aussi, dans les derniers mois de sa vie, chancelle en désespoir et retraite suicidaire, avant de succomber à une crise cardiaque et de connaître la revanche d’un triomphe… posthume venu d’abord de représentations autrichiennes. La mort l’avait ainsi saisi à l’âge de Purcell et presque celui de Mozart…A ses funérailles, Gounod fut l’un des porteurs du cercueil…Carmen elle, c’est la vie insolente, même si l’amour-liberté est aussi rencontre de la mort : il faut pour « être » Carmen, alliance de grandeur, de beauté, de gravité. A Orange, ce sera une nouvelle fois Béatrice Uria-Monzon, qui est tout cela, et avec ses partenaires – un Don José qui aborde le rôle, Marcelo Alvarez, la jeune Croate Ermonela Jaho, l’Escamillo de Angel Odena…- sera placée sous la direction musicale de Michel Plasson (Orchestre de la Suisse Romande) et scénique de Nadine Duffaut.

Le croyant et l’agnostique

Pour les concerts qui « célèbrent » la mort, on ne saurait imaginer contraste plus romantique et même baroque, entre les Requiem de Verdi et Fauré. L’illustre (musicien) Italien écrivit le sien en 1873, pour célébrer la mémoire du plus illustre littérateur de son époque, le poète et romancier Manzoni : à 60 ans, le compositeur -(déjà)- fétiche de ses compatriotes, sorte de héros national d’une Unité dont il aura été l’un des symboles, n’a plus rien à prouver en dramaturgie, et applique à la cérémonie de la mort tant et si masochistement aimée des catholiques son génie d’architecte et de coloriste émotionnel. C’est le jeune chef Ossète Tugan Sokhiev (Toulouse-Capitole…) qui conduit son Orchestre français, avec trois solistes italiens – dont l’un est aussi pop-star en son pays, et un bulgare. Gabriel Fauré, lui, était « non croyant et sceptique », mais en 1888, interrogé par la mort de ses parents, par l’absence de tous ceux qui ont disparu. La crainte panique et le cinémascope du châtiment infernal sont bannis de son univers – pas de Dies Irae, bien sûr – , et cèdent la place à une méditation « mezzo voce », à une lumière, à une « prière tendre ». Ici, le chef américain Jonathan Schiffmann, paraissant à Orange pour la première fois, comme Tugan Sokhiev, conduit son Orchestre Avignon-Provence, et les solistes Amel Brahim-Djelloul et Thomas Dolié.

Festival des Chorégies d’Orange, Théâtre Antique. Samedi 12 et mardi 15 juillet 2008, 21h45 (Bizet) ; samedi 19 , 22h) ( Verdi) ; samedi 26, 21h30 (Fauré) ; samedi 2 et mardi 5 août (Gounod). Lundi 14 juillet, 22h : projection sur écran géant de Werther (Massenet), enregistré en 2005. Georges Bizet (1838-1875), Carmen ; Charles Gounod( 1818-1893), Faust ; Giuseppe Verdi (1813-1901), Requiem ; Gabriel Fauré ( 1845-1924), Requiem. Renseignements et réservations : T. 04 90 34 24 24 et www.choregies.com

Illustrations: Portraits de Gounod puis Verdi; ambiance flamenco par Gillet (DR)
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