mardi 6 mai 2025

Paris. Maison de la culture du Japon à Paris. Susumu Yoshida: Sumidagawa (2007), opéra Nô, création parisienne. Le 4 avril 2008

A lire aussi

Après Gérard Marais, Richard Dubelski, Bernard Cavanna, Susumu Yoshida est depuis deux ans, le compositeur en résidence au Centre de création musicale de la Scène nationale de Quimper (ou Théâtre de Cornouaille). Né en 1947 à Tokyo, il a suivi au Cnsmd de Paris, l’enseignement d’Olivier Messiaen, Betsy Jolas, Ivo Malec. « Sumidagawa » (la rivière Sumida), son troisième opéra, s’inspire d’une pièce du XVème siècle de Motomasa Kanze. Le livret issu du théâtre No, a déjà été porté (et avec quel éclat chambriste et tragique) par Benjamin Britten dans Curlew River.

Le passeur de la rivière Sumida croise la route d’une femme folle, qui erre, désespérée, après avoir perdu le fils qui lui a été ravi. Où est-il? Le trouvera-t-elle un jour? Sa quête l’absorbe totalement, quitte à lui faire perdre la raison… Peut-on se libérer de sa propre angoisse? Peut-on renaître à soi-même en dépit d’une tragédie implacable? C’est bien le destin de cette « dépossédée » qui conduit l’intrigue… fuite en avant ou parcours ritualisé?

Un passeur chamane

Le passeur devient guide et aussi initiateur d’une quête à la fois spirituelle et surnaturelle où la mère voit son fils ressuscité, reconnaît l’enfant mort… Réalité, cauchemar, rêve éveillé… l’opéra est aussi un rituel qui mêle subtilement les thèmes et le déploiement des cérémonies chamaniques et bouddhiques. Comme un récit qui défile à mesure que se déroule un emaki traditionnel de l’époque Edo (XVIIème siècle), l’action chantée en japonais, se déploie inéluctablement, suivant le fil psychologique des deux personnages qui évoluent tout au long de leur confrontation. Si la femme folle paraît emmurée dans sa folie tragique (en fin d’opéra, est-elle réellement « sauvée »?), le portrait du passeur (admirable Armando Noguera) se métamorphose ainsi peu à peu: au début, observateur froid, un rien critique et cynique, des personnes qu’il transporte, l’homme se fond dans la destinée de la femme, lui témoigne de la compassion, souhaite l’aider à se sortir de sa folie étouffante… Le baryton argentin, à l’articulation mesurée et timbrée nous montre après son non moins passionnant Maharal dans Le Golem de John Casken (présentée à l’Opéra de Nantes en novembre 2006), l’étendue de ses capacités scéniques et vocales. Sa tenue, son jeu, sa mesure, sa présence rayonnent. Aucun doute, le jeune chanteur a l’étoffe d’un grand.

Minimalisme suggestif
L’intensité de l’opéra tient à son resserrement minimaliste, à l’économie suggestive du jeu instrumental du Quatuor de percussions « Rhizome », qui tisse tout au long de l’oeuvre un réseau d’indices et d’énigmes sonores d’une précision millimétrée et pénétrante. Marimbas, xylophones, timbales, grosse caisse: toute la palette de la métamorphose qui saisit le passeur, se déploie en plis et replis de la gamme musicale. Entre chanteurs et musiciens, la fusion est totale: c’est d’ailleurs Rhizome qui a commandité la partition au compositeur. La représentation se réalise comme un diptyque: à l’action ritualisée, mise à distance, entre les personnages, entre les interprètes et le public, répond une seconde partie qui est la répétition de la première mais en style « direct », sans recul, à l’occidentale, avec frottements et fusion croissante du couple. Le travail des deux acteurs-chanteurs, maniant l’économie et l’intensité avec un exceptionnel équilibre, est captivant. Karen Wierzba affirme une présence scénique tout aussi indiscutable que son partenaire.

D’intimiste et anecdotique, l’action devient hypnose, miroir des plus grands mythes, portés sur la scène. La question de la transcendance, de l’identité, de l’amour compassionnel comme de la survie à une catastrophe, c’est à dire de la possibilité salvatrice du renoncement qui permet de « faire son deuil », est au centre d’un spectacle à la fois replié et jaillissant. Le titre seul donne la clé: »Sumidagawa« : la rivière Sumida; comme une onde qui toujours passe, la vie doit s’écouler et continuer. Après la mort et le deuil, il y a donc la vie et la renaissance. A demi mots, Sumidagawa nous parle de tout cela. Avec pudeur et intensité. Le destin de la femme folle, grâce à l’action du passeur, n’est donc pas scellé. Magistral.

Paris. Maison de la culture du Japon. Le 4 avril 2008. Susumu Yoshida: Sumidagawa opéra Nô (2007). D’après la pièce de Nô Sumidagawa de Kanze Motomasa. Création mondiale, Théâtre de Cornouaille à Quimper, le 8 novembre 2007. Avec Karen Wierzba (la femme folle, soprano), Armando Noguera (le passeur, baryton). Les Percussions Rhizome. Mise en scène: Michel Rostain.

Crédits photographiques: © Caroline Ablain (DR)

Derniers articles

OPÉRA ROYAL DE VERSAILLES. RAMEAU : Les Fêtes de Ramire, jeu 22 mai 2025. Apolline Raï-Westphal, David Tricou, … La Chapelle Harmonique, Valentin Tournet

Récemment le festival d’Aix (2024) a réalisé une reconstruction plus ou moins réussie du fameux Samson opéra envisagé à...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img