lundi 5 mai 2025

Georg Friedrich Haendel: Giulio Cesare in Egitto, 1724 Bruxelles, La Monnaie. Janvier/février 2008. Jacobs / Herrmann

A lire aussi

Giulio Cesare in Egitto
La Monnaie, janvier 2008

La production dirigée par René Jacobs et scénographiée par le couple Herrmann, a été créée au Nederlandse Opera d’Amsterdam en 2001. Les spectateurs du théâtre bruxellois retrouveront le duo des metteurs en scène Karl-Ernst & Ursel Herrmann, familiers du lieu depuis leur première production locale à l’invitation de Gérard Mortier, en 1982 dans une Clemenza di Tito de Mozart, particulièrement acclamée et pertinente, qui d’ailleurs reprise à Bruxelles puis Paris, a montré sa longévité moderne. Karl Ernst Herrmann avait jusqu’àlors travaillé comme scénographe avec Peter Stein, Claus Peymann ou encore Luc Bondy. Son sens de l’efficacité scénique et son imaginaire synthétique ont après La Clemenza, produit d’autres productions mémorables: de Mozart tout d’abord, La Finta Giardinera en 1986, Don Giovanni en 1987, Die Entführung aus dem Serail en 1989, Die Zauberflöte en 1990, puis d’autres mises en scène dans des répertoires très différents comme Turco in Italia de Rossini en 1996, Semele de Haendel ou encore Les Boréades de Rameau en 1999. Ils ont proposé aussi en 2000, Idomeneo et Così fan tutte à Salzbourg, mises en scène qui ont été à nouveau proposées l’année dernière lors du jubilé Mozart. La reprise à la Monnaie, au cours du mois de décembre 2007, de leur mise en scène de La Traviata (créée en 1987) a été là encore, un succès critique et public.

Giulio Cesare
version Bruxelles 2008
, regroupe de nombreux jeunes chanteurs comme la soprano Danielle de Niesse dans le rôle de Cleopatra, rôle dans lequel elle fit ses débuts européens à Amsterdam, Paris, au Festival de Glyndebourne (dvd) et qu’elle vient de chanter au Met et au Chicago Lyric Opera. Citons aussi l’autre Cleopatra, la soprano Sandrine Piau chantera le rôle pour la première fois. On doit déjà à l’artiste française quelques incarnations délectable comme Xerse de Haendel au dvd (TDK, sous la direction de Christophe Rousset), et dernièrement l’ange Gabriel dans la très recommandable version de Paul McCreesh dans La Création de Haydn (2 cd Archiv).

Immédiatement après sa présentation à la Monnaie, cette production sera donnée pour six représentations au Stadsschouwburg d’Amsterdam. Dans la fosse bruxelloise, l’excellent Freiburger Barockorchester, créé en 1987 retrouve un chef familier, René Jacobs (né en 1946). Placé sous la double direction de Gottfried von der Goltz et de la violoniste Petra Müllejans, l’orchestre invite régulièrement les chefs « extérieurs » tels Ivor Bolton, Philippe Herreweghe ou donc… René Jacobs à le diriger. Sous la baguette de ce dernier, le Freiburger Barockorchester a enregistré notamment Clemenza di Tito de Mozart, Orfeo ed Euridice de Gluck et Rinaldo, le Messiah de Haendel

Giulio Cesare par René Jacobs

L’opéra montre la maestrià acquise par Haendel en Italie, à Venise, à Rome, dans l’art lyrique italien. Son séjour en Italie dont témoigne des oeuvres maîtresses comme Agrippina ou La Resurezzione, montre à quelle perfection de métier, le jeune compositeur saxon était parvenu. En pleine période Sturm und Drang, Haendel se montre bouillonnant, d’une santé furieuse voire sauvage. Cette furià d’essence italienne caractérise ses premiers opéras londoniens dans le style italien: Giulio Cesare s’inscrit dans cette optique. Pour le public de Londres, le compositeur renforce la virtuosité, le divertissement, un caractère « superficiel » et brillant qui n’empêche pas aussi une ironie sousjacente. Mais il y a surtout la coloration émotionnelle spécifique apportée dans le portrait musical de chaque protagoniste: ainsi la lecture bruxelloise met en avant la ciselure et le raffinement de l’écriture psychologique reservée au personnage de Giulio Cesare, selon qu’il est chanté par une alto ou un contre-ténor… quand le rôle de Ptolémée connaît le phénomène inverse. En fonction des possibilités des « stars » que le musicien a convié pour sa création, les airs sont écrits, adaptés, réarrangés: déjà il s’agit comme dans les airs de Vivaldi pour ses chanteurs, de cette « haute-couture » dont a parlé le jeune Mozart, lorsque lui aussi composera après Haendel, ses premiers serias, en particulier Lucio Silla et Mitridate... Le célèbrissime castrat Senesino qui incarne alors Giulio Cesare offre ainsi une partie médiane très agile et virtuose, cependant sans audaces sur les bords extrêmes de la tessiture: les castrats capables de puissance et d’agilité n’avait pas une voix très étendue. De même, René Jacobs rappelle « pour Francesca Cuzzoni, créatrice du rôle de Cléopâtre, Haendel a composé très spécifiquement dans des tonalités diésées, ce qui nous permet presque d’affirmer que la majeur est la tonalité de Cléopâtre« .

L’art de « varier « l’orchestre

Aux côtés des chanteurs, l’orchestre de Haendel doit aussi « varier » et « remplir » l’espace de la salle: « Dans Giulio Cesare, il y a une scène – la dite scène du Parnasse – dans laquelle un orchestre joue sur scène tandis que Cléopâtre se produit dans une petite pièce de théâtre. Haendel a composé cette scène pour des instruments « anciens », qui ne faisaient déjà plus partie d’un orchestre habituel de l’époque, comme la viole de gambe ou la harpe par exemple. Le fait que ces instruments accompagnent une musique de scène, m’a incité à également y faire appel pour le continuo. J’ai parfois modifié très légèrement l’orchestration de Haendel, bien que ce soit à peine perceptible : par moments et dans l’esprit de l’époque, les flûtes traversières doublent d’autres parties, parfois les hautbois, à d’autres moments, les violons.  » Si Haendel compose son opéra entre 1724 et 1724, révise ensuite son opéra pour ses reprises en 1725 puis 1730, René Jacobs reste pour Bruxelles, fidèle à la version créée en 1724. Pour fluidifier et renforcer la tension ryhtmique de l’oeuvre, le chef a raccourci la trame originelle: « Il faut faire des coupures ! Des huit chanteurs, six chantent des arias et nous avons laissé tomber une aria pour chacun des six. Ensuite, nous avons fait des coupures dans les récitatifs, entre autres, parce qu’il fallait s’en tenir au scénario de cette production (Amsterdam, 2001). D’ailleurs, certaines coupures reposent sur de très belles idées, comme celle de supprimer le grand récitatif dans lequel Ptolémée est assassiné et de mettre en scène l’assassinat dans la partie instrumentale qui suit. J’ai déjà monté une autre œuvre de Haendel, Semele, avec les Herrmann, à Berlin. Donc, je connais leur style et je crois que je me sentirai très vite à l’aise dans cette production ! « .

Cesare selon les Herrmann: gestuelle et da capos

Comme pour toutes leurs productions d’opéra, Ursel et Karl-Ernst travaillent en binome dans une optique organique, particulièrement exigeante car l’un apporte à l’autre, une vision critique et formule des propositions qui peuvent s’avérer décisives dans la démarche particulière sur le geste et l’attitude des corps, élément souvent fondamental et emlématique de leur démarche. Le mouvement corporel signifie autant que le chant. « L’attitude traduit toujours l’état d’esprit du personnage, elle doit être motivée. » La ligne et la silhouette des figures chantantes sont d’autant plus signifiantes qu’elles expriment sur un décor relativement discret. La recherche du sens concerne aussi la reprise des da capo: « Souvent, c’est très difficile, parce qu’ils sont issus des conventions de l’époque. Le metteur en scène d’aujourd’hui est tenu de les définir et de les interpréter. Ce n’est pas une tâche aisée, notamment parce que ce type d’aria est une forme dérivée de la rhétorique. Quelqu’un exprime ses idées ou sentiments, suivent alors des variantes, questions, variations et objections, pour en revenir finalement à confirmer ce qui était énoncé au départ. Mais mis en texte et en musique, cela n’apparaît plus aussi clairement.  » L’apport des Hermmann se réalise dans la perception des da capo dont il envisage un surcroît de sens et donc l’approfondissement de l’évolution psychologique des personnages: « Dans Giulio Cesare, il y a un seul cas où la partie B apporte quelque chose de tout à fait nouveau : c’est le largo de la première aria de Sesto, qui est très éloigné de la partie A, le da capo. Dans ses œuvres ultérieures, comme Semele, Handel a nettement plus accentué les différences entre partie A et partie B. Là, il allait contre les conventions, tandis qu’ici, toutes les arias obéissent plus ou moins au même schéma formel. Il en va de même chez Mozart. Dans ses œuvres de jeunesse, lui aussi est resté fidèle aux conventions, dans Mitridate par exemple. » Contre l’héroïsme cynique souvent de mise dans notre perception actuelle du théâtre baroque, les Herrmann souligne combien dans Giulio Cesare, la courbe des climats psychologiques est justement contrastée: Haendel y dépeint en de confondants vertiges, le basculement fugace, la versatilité émotionnelles de tous ses héros: chacun, y compris Cesare, est capable de désespoir et d’angoisse fulgurante. Haendel ne reproduit plus des types vocaux et musicaux, mais brosse des portraits individuels, loin des caricatures dont on parle souvent à l’encontre du genre conventionnel de l’opera seria.

Illustrations
Sir Lawrence Alma Tadema (1836-1912): Joseph, 1874 (DR). Tepidarium, 1881 (DR)
John Collier: les servantes à la cour de Pharaon, 1883 (DR)
David Roberts: le grand portique à Philae (DR)

Derniers articles

CRITIQUE, récital lyrique. ANDORRE, Parc Central, le 3 mai 2025. Anna NETREBKO (soprano), Serena Malfi (mezzo), Pavel Nebolsin (piano)

C’est sous une serre lumineuse, baignée des derniers rayons du crépuscule andorran, qu’Anna Netrebko a ouvert la 3ème édition...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img