Gustave Charpentier
Louise, 1900
Paris, Opéra Bastille
Du 27 mars au 19 avril 2007
Louise est une « roman musical » et non un opéra. La distinction indiquerait-elle la volonté de Charpentier de s’éloigner du genre « noble » et héroïque »? Voudrait-il convoquer, dans le sillon tracé par Au Bonheur des dames, le roman d’Emile Zola, tout un monde parisien oublié, laissé pour compte? Voudrait-il se mesurer aux créations des compositeurs italiens qui de leur côté à la même époque, succombent à la sensibilité vériste, celle qui met en scène non plus des dieux mais de petites gens, domestiques, paysans, ouvriers, prolétariens, écartés jusque là dans l’imaginaire lyrique?
La partition créée à l’Opéra-Comique, le 2 février 1900 suscita un succès immédiat en particulier parce que dans la salle, un public jusque là absent ou toléré, se voyait sur la scène : le père de Louise est un ouvrier laborieux pour lequel le bonheur est la douceur du foyer familial. Travail, conscience, sacrifice. Point de loisir ici. Charpentier, militant, engagé socialement, redéfinit le genre lyrique. Il achète sur ses fonds propres de nombreux billets et les distribue aux petites gens afin qu’ils assistent au spectacle qui les concerne.
Paris, « véritable personnage »
Certes il y a cet amour libre entre Louise et Julien, icônes d’un romantisme usé qui désire vivre ses rêves mais est inéluctablement rattrapé par la dureté du temps, et l’inéluctable cynisme de l’histoire: pas de poésie ni d’espoir pour les amants libres qui ne rentrent pas dans le moule des parents. A ce titre, la relation la plus violente de l’opéra est celle qui oppose Louise à son père. La jeune femme veut « aimer » : mais ici, la force de son amour a valeur de rébellion. Aimer signifie paresser, activité condamnable qui en fait une fille perdue, à l’immorale ambition.
Louise, une amoureuse révolutionnaire
Louis s’éveille à l’amour. Elle porte en elle le sentiment pur, intact des premiers émois. Mais son aspiration au bonheur sentimental est aussi politique. Car la jeune femme, fille d’un prolétaire, aspire à un avenir qui n’appartient pas à sa classe.
La jeune fille incarne le désir et la volonté tuée de la classe ouvrière, sacrifiée, soumise au terme de la Commune. D’ailleurs, Charpentier qui réside à Montmartre, situe l’action sur la Butte où furent assassinés les derniers partisans du soulèvement social. Sous chaque pas de Louise, s’élève le souvenir des esclaves insoumis, cycliquement sacrifiés mais jamais étouffés. Au moment de la Commune, Charpentier est âgé de 11 ans: il réside alors à Lille. Revenant après les événements parisiens, à Montmartre, il est légitime de penser qu’il en garde un souvenir qui réactive ses aspirations à l’évolution de la société. Finalement, Louise cristallise la voix d’un peuple écarté qui réclame sa participation à l’essor social. Paris, lieu sacrificiel, lieu chargé des souvenirs terribles, lui imposera sa propre loi, d’une glaçante cruauté. Pas d’horizon ni d’issue pour cette Juliette des temps modernes.
Louise à l’Opéra Bastille
Dans la nouvelle production mise en scène par André Engel, à qui l’on doit sur la même scène, « K » de Philippe Manoury (2001) et Cardillac de Paul Hindemith (2005), l’action de Louise se déroule dans un décor (de Nicky Rieti) qui cite le métro parisien. Réalisme de la rue, esprit du pavé, ombre des révoltes sociales antibourgeoises, Louise est l’oeuvre libertaire et séditieuse d’un compositeur qui voulait modifier l’ordre social.
Que penser de la production parisienne? Louise fut l’un des spectacles les plus applaudis à l’Opéra-Comique, quand la salle parisienne était aussi populaire que l’Opéra Garnier.
Son orchestration orfèvrée, plutôt wagnérisante, le livret affûté et toujours moderne de Charpentier soi-même militent pour un ouvrage à redécouvrir… et réévaluer d’urgence. Le souffle des préludes symphoniques ressuscite le Paris 1900. La capitale n’étant pas ici un fond de carte postale mais un personnage à part entière. La mise en scène d’André Engel souligne la présence continue de la ville industrielle, son métro (station Montmartre), ses toits de zincs (déjà vus dans l’opéra de Paul Hindemith qu’Engel a aussi mis en scène, Cardillac) et aussi ses mouvements de foule, parfaitement orchestrés.
Mireille Delunsch incarne une Louise amoureuse palpitante, parfois mise à mal dans les aigus du rôle, mais constamment convaincante, en particulier dans ses confrontations avec son père (José Van Dam, plus dramatique que vocal, usure de la voix oblige).
Pareil engagement pour le Julien de Paul Groves, au français proche de l’idéal. De son côté, Sylvain Cambreling fait sonner l’orchestre avec une énergie et une ampleur symphonique qui déborde parfois le roman musical de Charpentier. Mais la puissance de l’expression l’emporte indiscutablement. Une réussite.
Radio
France Musique diffuse Louise de Gustave Charpentier, le 5 mai 2007 à 19h
Illustration
Edouard Manet, Berthe Morisot (DR)