mercredi 7 mai 2025

Compte-rendu, opéra. Anvers, Opéra, le 23 mars 2014. Haendel : Agrippina. Mariage Clément / Stefano Montanari

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Compte-rendu, opéra. Anvers, Opéra, le 23 mars 2014. Georg Friedrich Haendel : Agrippina. Mariame Clément (mise en scène). Stefano Montanari (direction musicale). Créé au Teatro San Crisostomo de Venise en 1709, Agrippina est le premier triomphe scénique de Georg Friedrich Haendel, à tel point qu’il fut joué vingt-sept soirées d’affilée. Un succès inhabituel, même à l’époque. Ce qui est plus étonnant avec cet ouvrage, c’est que la partition contienne tant d’éléments susceptibles de procurer du plaisir à l’auditeur d’aujourd’hui. A commencer par son livret, écrit par le noble Vincenzo Grimani, cardinal de Naples, protecteur de Haendel et propriétaire du San Crisostomo.

 

 

 

Agrippina anvers clement tim mead

 

 

 

handel-haendel-portrait-classiquenewsAvec toute la fantaisie théâtrale du XVIIIe siècle, le cardinal-poète transforme en fantaisie joyeuse l’histoire de l’ignoble Agrippine, qui avait épousé en troisième noces l’empereur Claude, puis empoisonné son mari pour mettre sur le trône son fils Néron. Mal lui en prit puisqu’elle fut tuée à son tour par le tyran ingrat. Ces faits sinistres deviennent sur la scène une comédie licencieuse dans laquelle le souverain et ses deux jeunes rivaux – Néron et Otton – se disputent outre le pouvoir, l’amour de la belle Poppée. L’attirante jeune femme, assiégée de toutes parts, fait de son mieux pour tenir en respect ses soupirants, les renfermant à tours de rôle dans des placards. Agrippine, de son côté, manœuvre ses propres amants pour mettre son fils sur le trône et supprimer les concurrents. En fin de compte, ses intrigues seront dévoilées mais, dans un dernier sursaut, elle réussira à redresser la situation : Néron aura la couronne, Otton sa chère Poppée, tandis que Claude restera les mains vides. Dans l’intrigue théâtrale, comme on le voit, la politique disparaît au profit d’un jeu érotique auquel s’ajoutait, pour les contemporains, la satire des puissants. A Venise, en 1709, tout le monde reconnaissait, sous les vêtements de l’orgueilleux empereur Claude, le pape Clément XI, ennemi du cardinal Grimani et compromis dans les querelles pour la succession impériale entre les Habsbourg et les Bourbons.

Signataires de plusieurs mises en scène à l’Opéra de Flandre, Mariame Clément dresse un parallèle entre l’univers de la Rome antique et celui des soap operas américains des années 80, Dallas et Dynasty en tête. Avec un aplomb ravageur, la française applique à toute chose le second degré et l’ironie, au point que lui reprocher son mauvais goût est la complimenter. Tous les personnages sont insincères, vénaux et brutaux, à l’image des figures mythiques des séries précitées. Mais la représentation fait mouche et, malgré sa longueur, captive l’auditeur le plus difficile à dérider, comme l’attestent les rires accompagnant de nombreuses scènes, telle celle où Agrippina – nymphomane en plus de tous ses autres défauts – se retrouve à essuyer la semence de Pallante et de son fils sur sa jupe… en éjaculateurs précoces qu’ils sont !

Le point fort de la soirée reste toutefois l’exécution musicale avec une distribution bien choisie qui surmonte les difficultés inhumaines de la partition. La mezzo suédoise Ann Hallenberg s’impose comme une Agrippine intrigante, ici accroc au sexe et à l’alcool, et sait se montrer irrésistible dans la pure comédie autant que dans la déclamation tragique, avec sa voix impérieuse et sombre. « Ogni vento » est son triomphe, tout comme le finale, lorsque l’impératrice, ayant enfin installé son fils sur le trône, remâche un arrière-goût d’inachevé. Malgré un italien insuffisant, la soprano russe Dilyara Idrisova incarne une Poppea fraîche et rusée, à la voix ductile, qui se déjoue des pièges d’une ligne de chant fort capricieuse. Elle n’éprouve aucun mal à envoûter l’Ottone svelte du contre-ténor britannique Tim Mead dont le timbre magnifique, la projection sûre et le style impeccable conviennent idéalement à l’univers de Haendel. La basse hongroise Balint Szabo souligne à merveille le ridicule du personnage de Claudio, empereur léger et imbu de lui-même, qu’il joue et chante avec beaucoup d’ironie, tandis que le timbre et la silhouette assez androgynes de la mezzo croate Renata Pokupic conviennent parfaitement à Nerone, ici adolescent veule (et incestueux) sans cesse pendu aux jupes de sa mère. Enfin, Jake Arditti (Narciso) et Toby Girling (Pallante) montrent tout leur talent dans des rôles certes secondaires, mais que le compositeur a gratifiés de beaux airs assez développés.

A la tête de l’Orchestre philharmonique de l’Opéra de Flandre, le chef italien Stefano Montanari fait mousser la partition du Caro Sassone avec une réjouissante décontraction. Les récitatifs et les airs s’enchaînent sans répit, assurant à la représentation un rythme vif qui rend parfaitement justice à l’incroyable diversité de l’écriture musicale.

 
 
 

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Anvers, Opéra, le 23 mars 2014. Georg Friedrich Haendel : Agrippina. Mise en scène : Mariame Clément. Décors & costumes : Julia Hansen. Lumières : Bernd Purkrabek. Avec Ann Hallenberg (Agrippina), Renata Pokupic (Nerone), Dilyara Idrisova (Poppea), Balint Szabo (Claudio), Tim Mead (Ottone), Jake Arditti (Narcisso), Toby Girling (Pallante). Orchestre philharmonique et Chœur de l’Opéra de Flandre.  Direction musicale : Stefano Montanari. Illustration © Annemie Augustijns

 
 

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