Longtemps, Offenbach rêvait de monter un opéra fantastique. Les fées du Rhin, Fantasio sont des premiers essais, encore sous-évalués et dès leur création, honteusement critiqués. La genèse des Contes d’Hoffmann est lente et souvent reportée. Le compositeur ne verra jamais la création, il meurt pendant les répétitions, laissant une partition pas totalement achevée.
Comprendre l’oeuvre: rupture ou continuité?
Retracer le catalogue des oeuvres composées par le plus grand amuseur du Second Empire, laisse perplexe quant à la signification de son dernier opus, de surcroît sur un sujet tragique. Les Contes d’Hoffmann, ouvrage par ailleurs laissé inachevé, sans ordre et sans construction clairement énoncés ni résolus, serait-il un aboutissement ou un dernier avatar sans lien avec les oeuvres précédentes?
On dit que l’oeuvre serait une manière de rachat orchestré par l’auteur des bouffonneries séditieuses un tantinet scrabreuses. Une sorte de sauve conduit pour l’éternité critique, une oeuvre d’excuse qui lui aurait permis, hélas presque trop tard, car il est mort avant d’achever son projet, de gagner le panthéon des grands auteurs en traitant in extremis, le grand genre, celui de l’opéra tragique et fantastique. Est-ce lui rendre justice?
En fait, l’oeuvre s’inscrit bien dans la continuité d’un style et d’une personnalité dont l’idéal artistique semble trouver avec Hoffmann, une manifestation parfaite. En maints endroits, il s’agirait même d’y relever la résurgence de souvenirs personnels liés à la carrière du compositeur.
Ainsi le premier tableau, bruyant, qui met en avant la foule et l’agitation de la taverne, évoque les débuts du jeune musicien quand il tentait de percer dans les auberges et les bistrots de Cologne. D’ailleurs, l’Allemagne dont il est question dans le texte de Barbier, est celle du jeune Jacques/Jacob avant de rejoindre la France en 1833, à 14 ans. Dans les salons bourgeois de la Monarchie de Juillet, Offenbach qui veut percer comme violoncelliste virtuose, traîne derrière lui, une réputation diabolique malgré lui car sa mise rappelle étonnamment celle des héros de E.T.A. Hoffmann: sombre et perçant, emporté et expressif.
Offenbach, subjugué par la veine fantastique
Le compositeur est contemporain de la création à l’Odéon, de la pièce de Barbier et Carré, « Les Contes d’Hoffmann », en mars 1851. Le fantastique et le caractère tragique le bouleversent certainement car ils correspondent à ce qui lui est cher. D’ailleurs, absorbé par la création de son propre théâtre, Les Bouffes-Parisiens, passage Choiseul, il monte en 1857, « Les Trois baisers du diable », opérette fantastique d’après le Freischütz et Robert le Diable. En composant la musique, Offenbach se rapproche de ce qu’il réalisera pleinement dans Hoffmann: le fantastique.
Après le succès d’Orfée aux enfers (1858), son rêve est d’accéder à la scène de l’Opéra-Comique. « Barkouf », écrit avec Eugène Scribe (librettiste adulé de La Dame Blanche et de Fra Diavolo), est emporté dans une cabale retentissante qui veut effacer le triomphe d’Orphée. Fort à propos, l’Opéra Impérial de Vienne lui commande « Die Rheinnixen », les Filles du Rhin, qui se déroule au XVI ème siècle, et dans lequel les sombres lueurs du fantastiques ne sont pas absentes. Créé en 1864, l’ouvrage ne comporte pas, a contrario des oeuvres comiques du maître, de scènes parlées, comme Hoffmann. Mais hélas, la partition ne convainc pas mais le thème de son ouverture qui évoque le choeur des esprits du Rhin sera réutilisé pour la Barcarolle des Contes d’Hoffmann.
A Paris, Offenbach semble néanmoins s’affirmer grâce à l’accueil réservé à son « Robinson Crusoé » (1867), et à Vert-Vert (1869).
Hoffmann, l’oeuvre d’un mourant
Avec la chute du Second Empire et le trouble politique qui suit, enfin l’avènement de la III ème République, Offenbach se maintient artistiquement mais le milieu parisien ne l’entend pas ainsi qui veut lui faire payer le succès du « Bouffon Impérial ». Ainsi quand il propose en 1872, « Fantasio » d’après Musset, une nouvelle cabale emporte son chef-d’oeuvre. Dégoûté, le compositeur s’éloigne de l’Opéra-Comique: il lui semble revivre l’échec et l’amertume de « Barkouf » dix années auparavant.
Pourtant les années qui suivent se montrent plus clémentes. D’après un texte de Victorien Sardou qui s’inspire d’E.T.A. Hoffmann, Le Roi Carotte triomphe à la Gaîté Lyrique dont Offenbach devient directeur en juin 1873. Il le restera deux années pendant lesquelles il fait représenter Jeanne d’Arc de Gounod sur un livret de Barbier. Ce dernier est alors sollicité par le compositeur d’Orphée aux Enfers pour reprendre l’idée d’adapter à l’opéra, Les Contes d’Hoffmann. Mais Offenbach qui a dû quitter ses fonctions à la Gaîté a convaincu Albert Vizentini, son successeur de l’intérêt de l’ouvrage. L’opéra est à l’affiche de la saison 1877-1878, et le compositeur s’engage à rendre sa copie. Hélas, nouvelles déconvenues, la Gaîté n’a plus les moyens financiers pour monter l’oeuvre d’Offenbach. Et le compositeur fait entendre plusieurs scènes de son nouvel opéra, quasi achevé, dans son propre appartement, boulevard des Capucines. L’audition porte ses fruits. L’Opéra de Vienne retient l’ouvrage et Carvalho, directeur de l’Opéra-Comique depuis 1876, réserve aussi la création de l’opéra à Paris. Pour la création parisienne, Offenbach très malade, travaille à l’achèvement de son oeuvre. On sait que les défaillances techniques de la poupée Olympia renvoie aux souffrances personnelles qui l’accablent pendant la gestation de l’ouvrage. En août 1880, il s’en ouvre à sa fille dans une lettre célèbre: « Le ressort de la poupée articulée se détraque maintenant à la moindre fatigue ». Les répétitions commencent le 11 septembre 1880. L’auteur meurt le 5 octobre sans pouvoir assister comme il l’espérait à la création de son chef-d’oeuvre. Le fils du compositeur, Auguste, aidé d’Ernest Guiraud, chargé par la famille de terminer la partition, accompagnent les répétitions. On sait à présent que l’ouvrage laissé par Offenbach était quasiment abouti, mais seule l’orchestration était fragmentaire. La création a lieu le 10 février 1881 à l’Opéra-Comique dans une version révisée par Carvalho : les rôles de la Muse et de Nicklausse qui ne formaient qu’un seul personnage, sont séparés et chantés par deux interprètes différents. Pire, l’acte de Venise a été tout bonnement censuré. Il faudra que les parisiens patientent jusqu’en 1911 pour l’écouter.
Le succès est triomphal et la 100 ème est atteinte dès le mois de décembre suivant, avant que l’Opéra de Vienne ne sombre dans les flammes, empêchant une carrière plus prestigieuse encore. Entre Paris et Vienne, l’opéra d’Offenbach a fait son entrée par la grande porte.
Illustrations
Fussli, le cauchemard (DR)
Goya, le rêve du poète (DR)