samedi 24 mai 2025

André Cardinal Destouches, Callirhoé (1712)Résurrection discographique d’un génie de l’opéra

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Le label Glossa fait paraître un enregistrement d’un opéra d’André
Cardinal Destouches, Callirhoé. Résurrection remarquable qui dévoile le
style d’un compositeur d’opéra, entre Lully et Rameau.

Aux côtés de Collasse, Desmarets, Campra, Mouret ou Gervais, Destouches incarne après le dernier opéra de leur maître, Lully (Armide, 1686), et avant le premier opéra révolutionnaire et scandaleux de Rameau (Hippolyte et Aricie,
1733), la vitalité de la scène lyrique française. Or l’intéressé qui
consacra quasiment toute sa carrière musicale à l’opéra, fut de son
vivant, célébré et applaudi. En choisissant de ressusciter sa Callirhoé,
Hervé Niquet et les musiciens du Concert Spirituel ne dévoilent pas
seulement le génie d’un très grand compositeur, ils restituent aussi un
maillon essentiel dans l’évolution de l’opéra, entre la mort de Louis
XIV et les premières années du règne de Louis XV.
Destouches a connu
très tôt la magie du voyage, raccompagnant les ambassadeurs de Siam
jusqu’en leur contrée aussi lointaine qu’exotique. Il fut ensuite
militaire dans les armées de Louis XIV, témoin du Siège de Namur.
L’homme devient même mondain, proche d’Antoine de Grimaldi, futur
prince de Monaco. Mais sa passion de la musique oriente ses choix de
vie. Il sera musicien.
Le compositeur parfait ses armes auprès de Campra qu’il accompagne dans le succès de L’Europe Galante: il écrit trois airs pour l’opéra-ballet (1703). Le Roi applaudit Issé,
pastorale héroïque (1697) et lui reconnaît du talent en le gratifiant
d’une bourse de deux cents louis. Dix ans après la mort de Lully,
Destouches fait figure désormais de continuateur, éclairé et
talentueux. C’est la génération montante. Nommé par Louis XIV,
inspecteur de l’Opéra en 1713, le compositeur reprend son opéra, Callirhoé. L’ouvrage reste le plus applaudi du musicien. C’est l’oeuvre d’un auteur officiel, reconnu par le pouvoir.

En
maître de la dramaturgie et de la cohérence psychologique, Destouches
affine avec son librettiste Roy, la part du couple des amants
Callirhoé/Agénor (dont l’amour partagé, force insolente, brave les ordres
divins), la figure du prêtre amoureux malheureux de la jeune femme,
Corésus, surtout les auteurs favorisent la place du choeur, renouant
ainsi avec la tragédie grecque, laquelle reste le modèle de la grande
machine française.
Avec Callirhoé, Destouches accompagne les
évolutions de la tragédie lyrique vers Rameau : déjà, s’affirme cette
inclinaison à la suavité et à la tendresse, présente dans l’opulence de
l’orchestre, dans la conception des caractères dont ici, la vertu peut
sauver des situations les plus funèbres : Callirhoé et son amant,
Agénor sont prêts à mourir; Corésus accomplit son destin vertueux en
s’immolant lui-même. Vision idyllique qui unit le destin des nations à
la vertu de quelques personnalités. Et dans la musique, la part du
divertissement qui gonfle sa voilure, en particulier dans les tableaux
du Quatrième Acte, prélude au flamboiement à venir de Rameau.
C’est
un tableau de Fragonard qui offre une illustration idéale au propos de
Destouches : dans son sacrifice de Corésus (Corésus et Callirhoé), le peintre qui présente
dans l’imposante toile du musée du Louvre, son morceau de réception à
l’Académie royale de Peinture, en 1765, soit près de cinquante ans après l’oeuvre de Destouches, développe un langage semblable. Héroïsme
des attitudes et extrémisme des expressions sont compensés par le
gonflement sensuel des étoffes et des drapés, la séduction des
épidermes, l’enveloppe caressante des nuages de fumée produits par les
autels du temple. Aucun doute, à quelques années de distance, nous
sommes bien dans le même sillon de sensibilité. Courbes et contre
courbes, chatoiement chromatique de la palette, contrastes du
clair-obscur, inclinaisons sentimentales : autant de qualités
plastiques propres à l’esthétisme Louis XV.

Approfondir

Lire notre entretien avec Benoît Dratwicki, responsable de la programmation artistique au Centre de musique baroque de Versailles

Lire notre critique du livre-disque Callirhoé de Destouches édité par le label Glossa.
Créée le 27 décembre 1712, Callirhoé subjugue aujourd’hui par la
tendresse et le sensualisme de sa musique, son dramatisme serré et
dense, efficace et direct, son orchestre fourni, l’équilibre des
ingrédients qui composent après Lully, la réussite et l’attrait d’une
tragédie lyrique : un prologue qui flatte le souverain, « le plus grand
des héros »…

Lire notre biographie d’André Cardinal Destouches (1672-1749)

Illustrations
Une du dossier : Largillière, portrait d’un gentilhomme inconnu (DR)
Fragonard, Corésus et Callirhoé (Paris, musée du Louvre)
Largillière, portrait d’un gentilhomme inconnu (DR)

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