lundi 5 mai 2025

Richard Wagner,Tristan und Isolde (1865).

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Alors qu’il a rédigé tous les poèmes des opéras du Ring, – son œuvre monumentale-, et qu’il compose la musique de Siegfried, Wagner, interrompt le chantier en cours, et s’immerge dans la matière de Tristan en 1857.

Les épisodes de la vie de Wagner impriment à l’œuvre musicale une direction inattendue. Il y a ses démêlés sentimentaux qui en fait un mari malheureux et un admirateur frustré. Sa femme Minna est une étrangère. Il vient de rencontrer Mathilde Wiesendonk dont il tombe éperdument amoureux, mais la femme idéale, fantasmée, sublimée, sera aussi une quête inaccessible car elle est mariée. Cependant, sur les poèmes qu’elle a rédigés, Wagner compose les Wesendonk lieder dont le terreau sombre et contemplatif se rapproche de la couleur générale de Tristan. Vertiges d’un cœur en désir, malédiction aussi du créateur accablé par le poids des épreuves… Tristan cristalise une période de crise intense. Œuvre et vie se confondent.

Wagner découvre aussi Schopenhauer dont les idées confirment ses intuitions artistiques et lui insufflent un regain d’énergie, d’ordre mystique : l’impossibilité concrète du monde terrestre se résout dans la mort qui en absorbe les confits et les souffrances. Retourner au néant, c’est retrouver une conscience du non–être salvateur, un état d’accomplissement qui délivre des affres de l’existence. De fait, le Tristan de Wagner cristallise la sublimation d’un amour absolu enfin trouvé, dont les thèmes de la rencontre et de la première fusion sont les éléments primordiaux ; mais Tristan est aussi l’expression de l’impossibilité à réaliser et à accomplir pleinement cet essor amoureux. L’accomplissement de l’être aimant est un défi irréalisable. L’œuvre dessine une vaste aspiration au non-être. Il s’achève nécessairement dans l’élévation progressive vers la mort, dissolution salvatrice qui résout les contradictions douloureuses de la vie réelle. Ce que Tristan et Iseult désirent, se réalisera ailleurs, hors de ce monde. Au terme des épreuves qui relèvent d’une initiation et d’une préparation à la mort, Isolde expire au comble du bonheur.

Langueur des amants, vertiges de la conscience qui souffre, pleine aspiration à « la mort-délivrance » : l’opéra de Wagner développe l’extase sensuelle et mystique que l’amour fusionnel suscite chez les amants. C’est une nuit de conscience partagée, éphémère mais capitale, une vision qui est un comble romantique car la mort y est vécue comme seule issue, comme nécessaire résolution au drame qui s’est noué. Quand les amants se reconnaissent l’un à l’autre, l’obscurité étend son aile sur deux âmes éreintées. La nuit, l’amour, la mort, autant de thèmes magistralement contenus dans les Hymnes à la Nuit de Novalis, et que Wagner exprime grâce à une musique continue qui en est le parfum le plus venimeux. Il y a l’histoire de Tristan, trame romantique exemplaire ; il y a surtout la partition : un déferlement symphonique continu d’une puissante fascination inédite, composée après la rédaction du poème, entre 1857 et 1859. Wagner gagne même Venise pour y composer le deuxième acte.

L’accord de Tristan porte ce climat de langueur irrésolue dans le lequel les amants se consument inexorablement. A mesure que leur serment d’amour s’émancipe, la conscience de son essence irréalisable, s’affirme. Voilà pourquoi, l’harmonie y est comme suspendue, irrésolue elle-aussi : Wagner choisit d’étendre à l’infini cet amour extatique. Monde flottant, monde de la nuit et de la métamorphose au terme de laquelle les deux âmes s’évanouiront.
L’œuvre est créée à Munich en 1865. La musique occidentale devait prendre un nouvel essor. Dès lors la brèche était ouverte, il appartenait à Wagner/Tristan de remodeler en profondeur l’avenir de l’opéra et de la musique en général : le poison allait se répandre, envoûtant les plus grands musiciens jusqu’à Debussy, et son hypnotique Pelléas et Mélisande, autre monde flottant (1902), dont la musique est une résonance de l’extase wagnérienne.

Dvdthèque
Lire aussi notre critique du dvd paru chez Bel Air classiques, Tristant und Isolde, dans la version d’Olivier Py et Armin Jordan, présenté à l’Opéra de Genève en avril 2005.
Olivier Py est
fasciné par l’ouvrage de Wagner, dès l’âge de 15 ans. Il y reste
captivé par le spectacle d’une femme chantant sa joie ineffable sur le
corps inanimé de celui qui l’aimait. C’est l’importance du sentiment de
joie, joie mystique qui traversant les trois actes, qui demeure la
fascination la plus puissante de l’opéra. La mort comme nous l’avons
dit, n’y est pas abordée d’une façon tragique mais bien comme une
délivrance à laquelle les deux amants se préparent. Pour le metteur en
scène, Tristan pose la question fondamentale, formulée par Rilke : « comment mourir de sa mort ? ».
Wagner
offre à ce questionnement, une réponse envoûtante dont la musique est
le moteur essentiel. Non plus musique descriptive mais expression brute
de la psyché : la musique est devenue pensée en action.

La
production filmée au théâtre de Genève reste l’une des réalisations les
plus abouties du travail d’Olivier Py : esthétique, poétique, violente.
La présence de la nuit, perceptible dans chaque option d’éclairage,
accentuée par les plans de la caméra d’Andy Sommer, y est décuplée.
Nuit d’extase, nuit des révélations. Ce Tristan est une expérience
musicale et visuelle exceptionnelle. Transféré à l’écran, l’opéra vit
un nouveau cycle qui ne trahit en rien la fascination des
représentations scéniques.
Ne manquez pas non plus en complément de
l’opéra, le documentaire dans lequel Olivier Py explique sa perception
de l’œuvre : une œuvre dangereuse autant que fascinante.

Illustration
Richard Wagner, portrait
Klimt, le Baiser de Don Juan

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