CD, compte rendu critique. Valer Sabadus : Caldara (1 cd Sony classical, 2015). Et de deux : après son précédent album édité par Sony classical également (dédié à Gluck), Valer Sabadus surprend et convainc en soulignant le génie d’un compositeur oublié : Antonio Caldara, né vénitien (circa 1670), chanteur à Saint-Marc où il est élève de Legrenzi, devient compositeur d’oratorios et d’opéras, en particulier à la fin de sa vie, à la Cour de Vienne comme vice-kapellmeister, fonction très honorifique et particulièrement convoitée (obtenue finalement en 1717 quand Fux succède à Ziani au poste de Kapellmeister) ; jusqu’en 1736 (quand il meurt le 28 décembre précisément), Caldara incarne le style impérial viennois, son raffinement et sa séduction virtuose très italienne. Lyre caldarienne… Le récital met en lumière l’art lyrique, celui très raffiné du quinquagénaire, qui avant sa nomination à la Cour impériale de Vienne, a travaillé pour les Cours prestigieuses d’Europe : duc de Mantoue (Charles Ferdinand de Gonzague, 1699-1707), patriciens de Rome (Ottoboni, Ruspoli… c’est à Rome en 1711 qu’il épouse la contralto Caterina Petrolli)), sans omettre l’archiduc Charles de Habsbourg, frère de l’Empereur Joseph Ier…
Instruments solistes. Trait marquant, le récital offre une place privilégiée aux instruments solistes, en liaison avec la manière de Caldara, très sensible aux instruments au format proche de la voix (luths, seul ou à deux), et surtout, instrument vedette ici, le psaltérion très présent dans les deux airs les plus longs extraits de Sedecia et de Isaia, sans omettre le dernier air de David Umiliato, 1731 (« Ti daro laude, o Dio », dernière plage 16) où s’exprime et croît une sagesse politique nouvelle qui annonce les opéras des Lumières. Le psaltérion y évoque évidemment la harpe de David, chantre royal, ici en plaine action de grâce. L’orchestre de la Cour impériale intègre alors des solistes renommés pour le luth, le psaltérion (cithare sur table)-, mais aussi le violoncelle, comme en témoigne l’énergique et subtile Concerto da camera… Caldara à Vienne assure aussi l’éducation musicale des membres de la famille impériale. L’ensemble sus instruments ancien Nuovo Aspetto fait preuve d’une égale subtilité dans l’expressivité et l’intonation des séquences instrumentales, assurant de fait une bonne part de la réussite de l’album.
Concernant la tenue vocale du contre ténor Valer Sabadus, l’audace assumée dans le choix délicat des airs sélectionnés, finement mis en parallèle avec la personnalité des instruments solistes confirme le tempérament du chanteur :
Se distingue en particulier, l’étonnante plasticité de la voix appelée à exprimer et à transfigurer les longs airs de déploration des âmes blessées (cf. aria: « Ahi! Come quella un tempo città », extrait de Sedecia, 1732) de plus de 8 m, où les arabesques vocales introspectives en dialogue avec le psaltérion, exacerbent et transcendent la lamentation de Jérémie à propos de la destruction de Jérusalem.
Avec deux luths,rétablissant une balance d’époque proche de l’intime, l’air « Ah se toccasse a me », (plage 7, extrait d’Il Giuoco del quadriglio, 1734) :impose l’âpreté du timbre, aux résonances dans l’aigu qui expriment l’hypersensibilité d’une âme saisie elle aussi ; en l’occurrence, celle d’une joueuse de carte, qui espère voir le roi. Une œuvre purement circonstancielle qui cependant gagne une sensibilité d’écriture remarquablement poétique malgré son sujet imposé.
Le programme rappelle ainsi la très grande finesse instrumentale d’un Caldara qui annonce par son sens de la caractérisation intérieure de chaque situation et la sobriété dramatique du chant, le grand Haendel (pour lequel la source italienne, romaine et vénitienne détermine définitivement la vocation opératique) : ainsi le prélude et air extraits de Tirsi e Nigella de 1726 (avec flûte et chalumeau) : l’air port la plainte digne et pudique, d’un caractère pastoral, de la nymphe Nigella enivrée, langoureuse où le doux gazouillis des bois se mêle à la voix de la jeune femme vivant au bord de l’onde et qui exprime dans un style purement galant, la tristesse d’être écartée (plages 8 et 9).
Le second air ambitieux (ici sur un livret de Zeno, le réformateur de l’opéra au début du XVIIIè), est une vraie scène dramatique où règne également le psaltérion (miroir lumineux voire solaire mais purement instrumental du cœur humain) : « Reggimi, o tu, che sola » ; c’est une autre première mondiale, extrait de l’oratorio Le Profezie evangeliche di Isaia, 1723) : chant proche du texte, mordante articulation, aigus chaleureux, voire savoureux impose toujours la justesse d’un interprète très séduisant par l’unicité de son timbre, par l’originalité de son répertoire, par la combinaison voix, instruments obligés finement développée dans un récital qui dédié au compositeur vénitien Caldara, génie entre les deux siècles, XVIIè et XVIIIè, est très réussi.
CD, compte rendu critique. Valer Sabadus : Caldara (1 cd Sony classical, 2015).
Enregistrement réalisé en juillet 2015 à Cologne.