Compte rendu, opéra. Paris. Opéra Bastille, le 31 janvier 2015. Richard Strauss : Ariadne auf Naxos. Reprise réussie… Ariane à Naxos réintègre la maison parisienne dans la mise en scène de Laurent Pelly en plein hiver 2015. L’humour froid de la production contraste heureusement avec la chaleur puissante de la partition, en l’occurrence honorée par les performances remarquables de l’excellente distribution engagée. L’Opéra Bastille accueille le chef Michael Schonwandt pour la direction musicale de l’Orchestre maison. Une soirée riche en talents et en émotion, malgré le pragmatisme indolent de la production.
Théâtre lyrique en profondeur et légèreté
Ariane à Naxos / Ariadne auf Naxos est présentée dans sa deuxième version datant de 1916. C’est à dire, la version « définitive » de R. Strauss et de son librettiste fétiche Hugo von Hofmannsthal. Un opéra qui en vérité traite le sujet de l’opéra, 30 ans avant le Capriccio du compositeur ! Un opéra avec un opéra à l’intérieur, la rencontre de Mozart et d’un Wagner dans la plume de Strauss, qui en fait une de ses œuvres les plus personnelles. Il y a ici un prologue et un opéra. Dans le premier, un jeune compositeur embauché par le plus riche viennois du XVIIIe siècle pour produire son opéra seria « Ariane », se voit tourmenté par les caprices impétueux de son mécène qui lui impose de plus en plus de contraintes. La troupe de théâtre comique du mécène doit désormais intégrer l’opéra seria et jouer la comédie au même temps qu’a lieu la tragédie d’Ariane : les genres se mêlent avec délices et subtilité. L’opéra qui succède est le résultat de cette (més)aventure ! Divos et divas confrontés, un compositeur qui tombe presque dans le désespoir, la comédienne débordante de légèreté qui finit par montrer sa touchante humanité, la tragédienne frivole qui finit par toucher ses camarades et l’auditoire par sa larmoyante sincérité. Le théâtre dans le théâtre straussien, ou l’heureux mélange de gravité métaphysique et de finesse formelle.
Laurent Pelly paraît surtout insister sur l’aspect comique de l’œuvre. Il respecte la partition au pied de la lettre et ne se soucie pas beaucoup de créer une réelle et profonde filiation artistique entre le prologue et l’opéra, mis à part les costumes de Chantal Thomas qui se distinguent, et un certain aspect anti-esthétique et bétonné des décors, impressionnants mais pas très flatteurs,. Le salon viennois du prologue se limite à un vaste espace ouvert et bétonné avec quelques meubles et chandeliers. L’île de Naxos dans l’opéra est une île déserte, aussi bétonnée (!), ravagée par une sorte de catastrophe environnementale, mais plutôt créative en vérité. Le travail d’acteur est là et il est beau, mais il y a un léger déséquilibre entre les personnages comiques et les tragiques, ces derniers quelque peu en retrait. Soit des spécificités pas toujours alléchantes pour le parti pris scénique, mais heureusement percent quelques rares instants de poésie dans les lumières de Joël Adam.
L’œuvre fait appel à une grande distribution et à un orchestre « réduit » (par rapport à l’époque de sa création et les habitudes du compositeur). Le Compositeur de Sophie Koch est tout simplement irrésistible. Elle domine le prologue avec la force tranquille de son chant davantage touchant, faisant preuve d’un legato et d’un sustenuto sublime, divin. Ses effluves lyriques palpitantes et fiévreuses marqueront pour longtemps la mémoire et le cœur d’une salle ébahie par la sincérité et l’excellence de sa prestation. L’opéra qui suit le prologue voit la participation fabuleuse de la troupe comique, avec les performances particulièrement brillantes des chanteurs épatants : Edwin Crossley-Mercer et Cyrille Dubois (en Arlequin et Brighella respectivement). La musique qu’ils chantent flatte leurs instruments et en l’occurrence ils caressent et chatouillent l’ouïe (mais aussi les yeux!). La chef de file de la troupe comique est Zerbinetta, interprétée par une Daniella Fally à souhait ! Outre sa beauté plastique indéniable, son piquant, sa sensualité, la cantatrice campe avec maestria et personnalité son air de bravoure « Grossmächtige Prinzessin », un des morceaux pour soprano coloratura les plus virtuoses de tout le répertoire ! Elle reçoit en l’occurrence les premiers applaudissements de la soirée, bien mérités.
De son côté, Karita Mattila est une Ariane de rêve. Sa seule présence est magnétique, elle a ce je ne sais quoi, mi-mélancolique mi-furieux, des grandes divas d’antan. Elle a toujours la grande voix que doivent avoir les grandes divas. Elle fait preuve d’un aigu rayonnant dans « Ein schönes war » et d’un épaisseur wagnérien dans « Es gibt ein Reich ». Le ténor Klaus Florian Vogt est son partenaire dans le rôle du Ténor ou Dionysos. S’il captive la vue avec un physique en rien négligeable, nous sommes surtout impressionnés par sa diction, par une certaine innocence inattendue dans son chant, et particulièrement par la voix mixte dont il fait preuve par des moments à la tessiture redoutable. Remarquons également le trio des nymphes d’Olga Seliverstova, Agata Schmidt et Ruzan Mantashyan, dont la performance vocale a été merveilleuse (dommage que la mise en scène les mettent si peu en valeur).
Et l’Orchestre de l’Opéra National de Paris ? La lecture de Michael Schonwandt paraît s’accorder à l’idée du respect littéral de l’opus, or, au niveau musical cela fonctionne beaucoup mieux qu’au niveau théâtral. En vérité, la baguette de Schonwandt est sensible et nuancée, l’orchestre se voit chambriste et lyrique selon les besoins, l’équilibre n’est jamais compromis. La performance des cors et des bois est l’une des plus belles de la soirée. Un rêve de théâtre lyrique à la beauté profonde et certaine. Voici donc un spectacle en reprise, très vivement recommandé malgré nos quelques réserves. A voir absolument à l’Opéra Bastille les 6, 9, 12 et 17 février 2015.