vendredi 29 mars 2024

4e festival des Pianissimes Saint Germain, Mont d’Or (69), du 5 au 14 juin 2009

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4e festival des Pianissimes
Saint Germain, au Mont d’Or (69), du 5 au 14 juin 2009

Dix concerts et spectacles, piano et musique de chambre : le romantisme dans tous ses états. Petit festival qui, un peu dessus des bords de Saône et en amont de Lyon, ne se consacre pas au seul clavier, et entend donner leur place légitime aux jeunes solistes ou chambristes sous le regard de prestigieux interprètes (P.Cassard, F.Chaplin, F.F.Guy). Cette année, par 10 concerts sur deux week-ends, on interrogera le romantisme allemand et européen.


Nous sommes l’univers entier

Et de quatre ! Les Pianissimes remontent un tant soit peu du bord de Saône, des cygnes patrouilleurs et du Centre Culturel de Neuville, pour regagner sur collines leur Domaine initial… Celui des Hautannes, à Saint-Germain-au-Mont-d’Or : un parc, des espaces conviviaux sous les grands arbres, une demeure XVIIIe, bref de quoi entrer en écoute acharnée quand il le faut– bien sûr -, mais aussi en conversation intermédiaire, voire en rêveries de promeneur solitaire, selon l’humeur. « Petit » festival certes, si on en considère la durée ou l’ampleur médiatique, mais justement avec ce qui parfois manque aux « grandes machines » d’été : une intimité, un centrage, un espace de réflexion « Entre moi et moi », comme le dit si bien le titre d’un maître-ouvrage de Georges Poulet, spécialiste du romantisme et du Temps. Et citant Diderot, qui eut en plein Sturm und Drang… français les intuitions les plus originales sur une conciliation possible en le moi et l’univers : « Mon ami, ne rétrécissons pas notre existence, ne circonscrivons point la sphère de nos jouissances. Nous sommes l’univers entier. » Mais aussi Jean-Jacques Rousseau, célèbre « romancier du moi qui surgit et de la conscience qui s’éveille au Temps », (dans sa barque au lac de Bienne ou après l’évanouissement de 1778), et le bien moins connu Lignac : « Ce qui se pense en moi se trouve quelquefois réduit au pur sens de l’existence : cela nous arrive dans cet état qu’on appelle en style familier : rêver à la Suisse…On est absorbé par un sentiment d’inertie qui renferme cependant celui de l’existence actuelle et numérique. »


L’ordre règne à Varsovie

En d’autres termes, les Pianissimes – ferventes des thématiques – abordent en 2009 « le romantisme dans tous ses états ». L’existence y sera « actuelle, musicale et numérique », des deux côtés du Fleuve-Rhin , donc en musique de chambre et piano… plutôt très allemande, non ? Certes, mais armons-nous d’un petit bémol français car si on regarde attentivement les programmes des 10 concerts, on s’aperçoit que « mis à part » le franco-polonais Chopin (on va y revenir), le romantisme de ce côté-c i du Rhin n‘est pas oublié, grâce à une Etude, la 114, ultima assoluta (en numérotation) d’Hélène de Montgeroult. Hélène qui ? Les lecteurs de classiquenews, entre autres, le savent bien, qui ont ici même appris que cette compositrice aristocrate ( grande oubliée de la musicologie « révolutionnaire et romantique » jusqu’aux travaux de résurrection menés à bien par Jérôme Dorival – éditions Symétrie -, puis au disque les pianistes Bruno Robilliard et Nicolas Stavy – HORTUS -) ne peut plus être négligée dans le paysage fin XVIIIe-début XIXe. L’une des intervenantes « pianissimes », Emmanuelle Swiercz, joint d’ailleurs cette 114 à des pièces – Etudes, tiens, et aussi Nocturnes, Fantaisie-Impromptu, et le 1er concerto en version quatuor, avec les jeunes Tercea – de Chopin. L’encore plus jeune Florian Noack prendra chez Chopin la 3e Sonate, et Romain Hervé les Polonaises « Militaire » et « Héroïque », et encore Philippe Guilhon-Herbert, la Polonaise-Fantaisie et la 4e Ballade, sans omettre Geoffroy Couteau – 4 Impromptus et la 1ère Ballade-, attendez, François Chaplin aussi (3 Nocturnes). Bon, nous dirons que la session romantique est franco(un peu)—polonaise(beaucoup), et on ne s’attardera pas sur le davantage de polonitude de Frédéric Chopin, auto-exilé à Paris, du temps que le maréchal-comte Horace Sebastiani, ministre de la Guerre chez Louis-Philippe, avait dit quelque énormité comme « L’ordre règne à Varsovie »….


Les Schumann chez Metternich

Mais tout cela peut être aussi l’occasion de ne pas quitter des yeux et des oreilles le grand écran de l’Histoire, à laquelle les Romantiques n’ont jamais été indifférents, saisis qu’ils étaient – Allemands, Français, exilés, déjà « européens » comme Liszt – par la tragédie continentale commencée à la Révolution Française et « achevée » par la répression des mouvements de 1848-49 à Paris mais aussi en terre allemande. Napoléon, alias Buonaparte, qui avait le sens de la formule, ne l’avait-il pas dit, et il s’y connaissait : « La politique, c’est la tragédie aujourd’hui » ? Tiens, quand le duo du pianiste Philippe Guilhon-Herbert et de la soprano Orianne Moretti jouera son spectacle Clara-Robert, précédé d’une conférence de J.Philippe Guye sur Clara, vous songerez aux Variations sur le mariage, l’indépendance de la femme-artiste mais aussi les ondes de choc politiques dont le « Journal à 4 mains » tenu par le couple depuis le bonheur de 1840 jusqu’à la catastrophe de 1854 se fait l’écho. Jusque dans les contradictions les plus naïves : là où les Schumann se seront affirmés républicains (écouter les peu connues 4 Marches de 1849), une visite au Chancelier Metternich (Sainte Alliance, flicage universel, répression permanente) les laisse « exaltés, fortifiés, riches de minutes inoubliables ». Ou vous rechercherez les incohérences de Robert qui veut sa Clara grande artiste libre mais s’enchante de lui voir « éplucher les haricots » et surtout lui « inflige » nombre d’enfants tandis que leur Père compose (« please, don’t disturb, et que Clara fasse antichambre pour son tour de clavier !). Il est vrai aussi qu’avec cet Homme au double (Doppelgänger, ainsi qu’il s’était rebaptisé dans sa jeunesse) l’ « inquiétante étrangeté » du regard au miroir ne se déchiffre jamais hors d’émotion ambiguë … Donc entre Scènes d’enfants (l’adulte interroge l’enfant qu’il fut) , Quintette op.44 (« ça sent son Leipzig », disait Liszt avec une rapide méchanceté), 3e Sonate (« Concert sans orchestre », faillé de vertiges et de fuites) et presque sereines Romances, voici quelques facettes pour l’impossible autoportrait. Et bien sûr, dans l’intervalle, vous serez allés voir sur toile comment la cinéaste Helma Sanders-Brahms ( qui réalisa le mémorable Allemagne, Mère Blafarde…mais c’était il y a 30 ans, avec le temps parfois beaucoup s’en va…) se tire d’un face à face Clara-Robert (film « Clara », sortie en salles, le 13 mai 2009).


Des passeurs sur la Saône

Du côté de chez Franz (Schubert), il sera passionnant de « comparer » les visions pianistiques sur les deux Sonates ultimes, entre François Frédéric Guy l’architecte torrentueux, qui donnera à la D.959, « la plus beethovénienne de toutes », son écho dans la Waldstein, et Philippe Cassard, le compagnon des voyages éveillés en rêverie, dans la D.960 (précédée du Brahms crépusculaire des op.117 à 119). Mendelssohn passera en elfe sur les ailes d’un Capriccio Brillante, Liszt sera plutôt lamartinien, « harmoniste du soir » et contemplateur de Dieu dans la solitude. Et on ira chercher au-delà du post-romantisme les éclats modernistes d’Albeniz après le légendaire de 4 Contes du Russe Medtner. Bref ce « romantisme dans tous ses états » s’il ne peut à l’évidence se montrer complet devrait pourtant nous mettre dans tous nos états de vigilance, et d’accueil à des formulations originales, voire courageuses. Car le travail moins visible ou proclamé du Festival, c’est celui que l’ association organisatrice, Dièse, mène aussi par ses concerts sur le terrain du reste de la saison et notamment ses actions de sensibilisation des scolaires : il suffisait l’été dernier de voir comment Philippe Cassard emmenait en sa barque de passeur sur la Saône et de pédagogie à interface adulte-enfants toute une classe de collégiens pour comprendre ce que devrait être tout dialogue de vraie musique, loin d’esbroufe auto-satisfaite ou de paternalisme. C’est en tout cas l’intention de l’équipe « Pianissimes », regroupée sous le parrainage du « parfait romantique du clavier », François Chaplin : Catherine Alexandre, Jérôme Dorival, Olivier Bouley, et de tous ceux qui par leur bénévolat aident à faire vivre ce festival qui en 2009 anticipe sur l’été officiel et ainsi pourra mieux rassembler auditeurs – « anciens » ou nouveaux -, tous fervents.

Les Pianissimes, 4e édition. Du vendredi 5 juin au dimanche 14 juin 2009. 10 concerts et spectacles au Domaine des Hautannes, Saint Germain au Mont d’Or (69). Piano : F.Noack, E.Swiercz, F.F.Guy, R.Hervé, P.Guilhon-Herbert, G.Couteau, F.Chaplin. Violoncelle : A.Descharmes. Voix : O.Moretti. Trio Con Fuocco. Quatuors Tercea, Leonis. Beethoven, Schubert, Menelssohn, Schumann, Chopin, Liszt, Brahms, Albeniz, Medtner. Vendredi 5, 20h; samedi 6, 17 et 20h; dimanche 7, 16 et 19h; vendredi 12, 20h; samedi 13: 17 et 20h; dimanche 14 : 14 h (conférence), 16h et 19h. Information, réservation : T. 04 78 91 25 40 ; /www.lespianissimes.com

Illustration: Robert Schumann (DR)

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