vendredi 29 mars 2024

Venise. Basilique des Frari, le 12 mai 2011. De Saint-Sulpice à la Madeleine: motets romantiques français. Gounod, Saint-Saëns, Delibes, Dubois, Massenet, Paladilhe, Chausson… Hervé Niquet, direction

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Voici l’un des meilleurs concerts écoutés à Venise parmi ceux déjà nombreux présentés par le Palazzetto Bru Zane. A la nouveauté du lieu investi (la Basilique des Frari, nouvel écrin choisi en 2011) répond la tenue superlative des interprètes… et la découverte d’un répertoire oublié, légitimement réhabilité.

Piété romantique à Paris

Au chef, Hervé Niquet, revient le mérite d’exhumer une sélection de pièces « saint-sulpiciennes » dont il sait retrouver les nuances, l’élocution juste, la profondeur qui n’exclut ni la suavité ni la tendresse… Certes « De Saint-Sulpice à la Madeleine » (titre du présent programme), tous les motets sont marqués du sceau de la solennité voire du colossal (quels autres temples de la ferveur parisienne transmettent un tel sens de la monumentalité que le vaisseau de la Madeleine?).
Mais ce soir, le sens de la grandeur ne signifie pas lourdeur ni grandiloquence. Au contraire c’est un travail sur la couleur, l’équilibre des pupitres, la finesse et la précision des plans étagés (instruments, solistes, chœur…): le chef fait triompher une palette superlative de nuances et d’effets millimétrés, si rares dans ce répertoire.

Dubois réhabilité

Aux côtés de Chausson, Gounod, Massenet, Paladhile, Saint-Saëns, et même Delibes (d’une sensualité presque orientale), Thédore Dubois (1837-1924) fait figure de compositeur essentiel: le concert devrait marquer les bénéfices d’une vraie réhabilitation en cours… Dubois se devait d’être présent dans un programme dédié à la liturgie parisienne « Du Second Empire à la Troisième République« : l’élève si doué d’Ambroise Thomas (classe de composition au Conservatoire), Premier Prix de Rome en 1861, écrit nombre de pièces sacrées occupant le poste d’organiste à la Madeleine de 1877 à 1896, avant d’être nommé directeur du Conservatoire, jusqu’à sa mort en 1905. Sa manière se distingue: écriture aérienne, mélodie irrésistible, chant « opératique » immédiatement prenant, d’une facilité évidente, et pourtant jamais creuse… Il ne donne jamais dans le dégoulinant ni le kitsch. C’est du travail d’orfèvre, admirablement composé qui met en avant les voix et les instruments, puis leur entente majeure, avec le choeur. On pense constamment à des finales d’opéras dont il s’agirait de marquer un temps fort de l’action: Dubois sait calibrer ses effets avec une science évidente de la gradation expressive. La soirée, en proposant pas moins de 6 pièces, dont deux partitions de musique purement instrumentale (méditation-prière et andante religioso) selon le goût de l’époque et les effectifs si appréciés alors dans les salons de la capitale, est un festival Dubois; les oeuvres sollicitant tout l’effectif, en particulier les deux solistes (Benedicat vobis) et le choeur, et les deux airs pour baryton (Tantum ergo et Ave verum n°7, avec choeur et instruments dont la harpe) dévoilent l’étendue d’une écriture sensible, à la fois franche et sincère, magnifiquement écrite sans fioriture ni dilution. Suscitant un réel impact auprès de l’auditoire par des mélodies si délectables, Dubois à l’âge baroque aurait été l’un des compositeurs majeurs de la Contre-Réforme: ses oeuvres touchent, saisissent jusqu’à la jubilation extatique. Il est vrai que la couleur spécifique qu’apporte la harpe (en dialogue avec les cordes, violon, violoncelle…) et l’orgue, entre angélisme et pureté paradisiaque, enrichit encore la palette sonore. L’adéquation avec le tableau du Titien (la célèbre pala l’Assunta) en fond de concert est immédiate: en maître de la couleur, le peintre vénitien convainc; même constat chez un Dubois très sûr de ses possibilités: à la fois architecte et aussi brillant coloriste.
En suivant à la lettre l’esprit de défrichement du Palazzetto, les interprètes apportent d’indiscutables bénéfices. Saluons ainsi le Choeur de la Radio Flamande, concentré et naturellement articulé ; auxquels se joignent deux solistes de premier plan: la mezzo Marie Kalinine, au timbre ample, d’une couleur assurément slave (vibrato et opulence du timbre à l’appui) qui s’accorde idéalement à la harpe, au violoncelle (remarquable Luc Tooten)… Palmes égales pour le jeune baryton suisse, Benoît Capt, idéalement articulé: timbre racé, diction claire, détachée, puissante sans appui, d’une musicalité flexible et naturelle, style sans emphase (clé gagnante pour interpréter ce répertoire).

De Gounod à Chausson, Delibes à Dubois: un festival de motets méconnus

Revenons au chef: attention subtile au verbe (prononciation du latin à la française), et surtout intelligence spatiale qui sait, apport souvent magique, jouer avec l’acoustique remarquable de la Basilique des Frari : réécoutez Chausson, Gounod, Saint-Saëns, et donc l’injustement méconnu Dubois devant L’Assunta du Titien restera pour beaucoup des nombreux spectateurs présents, une expérience unique. Dubois et Titien: la combinaison est surprenante. Elle se révèle saisissante pendant le concert aux Frari. C’est cela la magie du Festival présenté à Venise par le Palazzetto Bru Zane.
L’enregistrement des œuvres sacrées de Saint-Saëns est édité par le Palazzetto chez Glossa (même chef même chœur: « Camille Saint-Saëns et le Prix de Rome », sélection de pièces sacrées, 2 cd Glossa). L’enregistrement de ce programme de motets « De Saint-Sulpice à la Madeleine » comprenant en particulier les Motets de Dubois, est annoncé courant 2012/2013. Enfin, Théodore Dubois sera l’une des figures à l’honneur dans la prochaine saison musicale 2011-2012 du Palazzetto Bru Zane Centre de musique romantique française: voilà annoncés de nouveaux festivals de musique assurant découvertes et défrichement, désormais incontournables à Venise.

Le festival Du Second se poursuit jusqu’au 5 juin 2011. Autres temps forts parmi de nombreux concerts: le 4 juin 2011, Scuola Grande di San Rocco: Rêverie et caprice (Berlioz, Lalo, Franck: La Chambre Philharmonique, Emmanuel Krivine, direction. Jean-Guilhen Queyras, violoncelle); le 5 juin 2011 à 17h, Palazzetto Bru Zane: Scènes d’opéras de Joncières, Lalo, Mermet (Natacha Constantin, soprano. Valerio Contaldo, ténor… Stéphane Jamin, pianoforte).

Venise. Basilique des Frari, le 12 mai 2011. De Saint-Sulpice à la
Madeleine
: motets romantiques français. Gounod, Saint-Saëns, Delibes,
Dubois, Massenet, Paladilhe, Chausson… Choeur de la Radio Flamande,
instrumentistes du Brussels Philharmonic. Hervé Niquet, direction.

Illustrations: © M.Crosera

Toutes les infos, les réservations en ligne, dates, lieux et programmes précis sur le site du Centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane:

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