Production d’ouverture de la nouvelle saison lyrique 2009-2010 de l’Opéra de Tours, ce nouveau Titus mise en scène par Alain Garichot satisfait toutes nos attentes. Elel rétablit une partition longtemps tenue pour inaboutie (!). Voilà une heureuse réalisation qui montre avec finesse, tout l’inverse.
La valeur de la lecture s’appuie sur une très solide distribution vocale, offrant de chaque personnage de la fresque romaine, un portrait caractérisé, frappant de vérité: l’ultime seria de Mozart, composé au même moment que La Flûte enchantée pendant la dernière année de la vie du compositeur (1791), dépasse évidemment une stricte oeuvre de circonstance, produite pour le couronnement de l’Empereur Leopold II comme Roi de Bohème. Mozart qui a auparavant réalisé avec Da Ponte, le cycle génial des Noces, Don Giovanni et Cosi, trilogie du sublime lyrique, renouvelle sa maîtrise et recrée sur le mode seria, une nouvelle scène palpitante dont la très subtile alliance de la musique avec le texte de Mazzola, resserre l’expressivité et la sincérité psychologique des situations.
Dans la droite lignée de Métastase et de Racine (Bérénice), librettiste et compositeur, respecte l’intensité tragique du drame dont le noeud s’articule autour de la figure centrale de l’Empereur Titus.
C’est d’ailleurs ici l’aboutissement le plus éloquent de la philosophie des Lumières et ce Titus, redessiné par l’action de Mazzola et la musique de Mozart, brosse le modèle du prince éclairé et vertueux: homme de pouvoir décrit par Suétone, Titus réalise l’expérience d’un souverain transformé par la raison et l’humanisme. Sanguinaire et violent, il sait maîtriser ses passions (en renonçant pour Rome à son amour pour la reine de Judée, Bérénice); et tout en démasquant la félonie, la manipulation, la trahison fourbe de ses proches (dont son « ami » et confident Sextus lequel tente même de l’assassiner!), Titus, roi-philosophe, parvient à tout pardonner, démonstration de son éblouissante métamorphose morale, clémence illustre, ainsi que le titre de l’ouvrage le souligne.
Fidèle miroir de ce théâtre exemplaire, le dispositif conçu par Alain Garichot sait mesurer ses effets: déplacements simples des personnages sur un escalier à terrasses; à la façon des architectures à la fois grandiloquentes et austères d’Apia… L’incendie du Capitole, point d’orgue dramatique à la fin du I, offre le tableau d’une maquette immédiatement intelligible, prise dans les flammes. C’est l’image à la fois lumineuse et forte de l’antique grandeur de Rome, ici filtrée selon la tradition des tragédies de Racine (source de l’opéra mozartien), sous l’angle des passions humaines.
L’architecture en flamme, sous un éclairage de pénombre, distillant des éclats fantastiques entre ombre et lumière, n’illustre-t-elle pas en définitive, par résonance, le désarroi intérieur qui dévore et ronge le coeur des personnages abandonnés, démunis dans leurs passions destructrices?
Côté chanteurs justement, la distribution réunie par Jean-Yves Ossonce atteint l’excellence: aucun des soliste n’est en retrait, assurant une superbe cohérence dans la galerie des tempéraments vocaux.
Peu à peu les couples cimentés par l’amour se précisent: amour tendre et réciproque de Servilia et d’Annius; amour barbare qui produits ses ravages fascinants dans l’horreur (que Racine a tant aimé exprimer sur scène avant Mozart) entre Vitellia et Sextus. Aux côtés du lumineux Titus, le duo formé par Vitellia, princesse haineuse et manipulatrice, et de son amant trop soumis, Sextus, illustre la part terrifiante de deux êtres inféodés par leur passion.
Tout le plateau demeure continûment convaincant, en vérité et en sincérité émotionnelle. Autant d’exactitude qui éclaire sous un angle régénéré, le sens et les enjeux des confrontations, les véritables intentions qui font agir les caractères.
Yves Saelens campe un Titus attentif parfois véhément (lors de sa confrontation avec son « assassin » présumé, Sextus, au II). L’interprète sait être humain car l’homme et l’empereur se mêlent ici avec d’autant plus d’acuité que le Souverain sait tout de ses proches, il en connaît chaque sentiment caché et s’il les soumet à l’épreuve de la question, c’est pour mieux éprouver leur loyauté apparente. Titus en définitive tire les ficelles, en feignant l’ignorance. Quand il demande à Sextus, son « ami », les raisons qui l’ont conduit à vouloir l’assassiner, l’Empereur sait lui pardonner (divine et surhumaine clémence)… car Sextus par amour ne dénonce par la culpabilité de Vitellia, sa bien-aimée, laquelle par ambition souhaite le trône (et la tête de Titus). Titus pardonne à celui qui voulut le tuer car Sextus n’a pas dénoncé celle qui est à l’origine du complot. Or on sait qu’historiquement Titus avait validé une loi contre la délation. Le ténor relève le défi de chacun de ses airs. Il réussit un portrait juste, ni trop lisse (ce qui est souvent le cas des productions lyriques avec les autres emplois mozartiens de ténor tels Don Ottavio dans Don Giovanni ou Idomeneo…), ni trop ampoulé comme le voudrait le poids de sa charge: voix souple, puissante, timbrée, le rôle-titre peut briller par son aplomb vocal et scénique, par sa solitude humaine aussi qui le rend si touchant. C’est un juge parmi les hommes.
Instance maléfique, la Vitellia de la japonaise Rié Hamada s’affirme d’air en air, permettant aux spectateurs de suivre la courbe émotionnelle du personnage qui dans l’action éprouve les sentiments les plus opposés, étapes de sa métamorphose: haine et manipulation comme nous l’avons dit, d’une femme ambitieuse qui se croit dépossédée et n’aspire qu’à la revanche. Puis coeur embrasé par la tendresse, submergé par un pur sentiment de compassion face à la loyauté indéfectible de celui qui l’aime, Sextus, dans son grand air de bascule au II, où la cantatrice chante la révélation qui la terrasse alors (lors d’un dialogue éblouissant avec le cor de basset).
Même prestation remarquable de finesse et d’engagement pour les deux rôles d’Annius (autorité vocale de Salomé Haller) et de de Sextus (timbre charnel et expressif de Anna Destraël)…
Rares les productions à nous offrir une tel équilibre vocal. Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce prend ses marques, soulignant la couleur jubilatoire des bois, la fluidité agissante des cordes. S’il dirige l’oeuvre pour la première fois, le chef mozartien dévoile une connaissance scrupuleuse de la partition, jouant constamment sur la légèreté et la clarté des pupitres, tout en soignant le rapport voix et orchestre, avec une évidente maîtrise. La réussite est totale et l’ultime seria de Mozart y gagne une nouvelle reconnaissance qui tarde, ailleurs, à venir. Voilà qui inaugure la nouvelle saison lyrique 2009-2010 de l’Opéra de Tours, sous les meilleurs auspices. L’opéra La Clémence de Titus par Jean-Yves Ossonce occupe l’affiche de Tours, les 9, 11 et 13 octobre 2009.
Prochaines productions attendues: Capuletti e Montecchi de Vincenzo Bellini (avec le Roméo de Karine Deshayes, à partir du 26 février 2010), puis Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, à partir du 26 mars 2010, enfin Tosca avec Nicola Beller-Carbone, du 21 au 27 avril 2010.
Tours. Opéra, le 7 octobre 2009. W.A. Mozart
(1756-1791): La Clémence de Titus. Opéra seria en deux actes
sur un livret de Caterino Mazzola
d’après Metastasio et Bérénice de Racine. Créé le 6 septembre 1791 au
Nationaltheater à Prague. Tito : Yves Saelens. Vitellia : Rié Hamada.
Sesto : Anna Destraël. Servillia : Caroline Mutel. Annio : Salomé
Haller. Publio : François Harismendy. Orchestre Symphonique Région
Centre-Tours. Choeur de l’Opéra de Tours. Jean-Yves Ossonce, direction.
Alain Garichot, mise en scène.
Illustrations: La Clémence de Titus à l’Opéra de Tours © F.Berthon 2009. Anna Destraël (Sextus). Caroline Mutel (Servilia), Yves Saelens (Titus) et Salomé Haller (Annius). Anna Destraël (Sextus) et Rié Hamada (Vitellia).