CRITIQUE, concert. Paris, Philharmonie, le 31 mai 2022. R. STRAUSS (concert II) : Macbeth, Ein Heldenleben – Une vie de hĂ©ros / Gewandhausorchester Leipzig – Andris Nelsons – Retour du letton Andris Nelsons Ă la Philharmonie, lĂ mĂȘme oĂč le maestro vedette actuelle du label Deutsche grammophon, a dirigĂ© les Wiener Philharmoniker (Beethoven) ou le Boston Symphony Orchestra (Mahler), dont il est directeur musical comme câest le cas du Gewandhausorchester Leipzig (comme avant lui un certain Artur Nikkisch).
Le programme de la soirĂ©e est copieusement orchestral. Et Nelsons, fĂ©dĂ©rant le collectif de Leipzig offre une approche gĂ©nĂ©reuse, somptueusement contrastĂ©e, soulignant chez Richard Strauss, sa flamme dramatique, ses audaces parfois dĂ©lirantes, avec un panache particuliĂšrement Ă©laborĂ©. Lâopus 23, Macbeth, (2Ăš version créée en 1892) concentre toute le fougue et la transe dramatique du jeune Strauss dâavant les premiers opĂ©ras, ses formidables ressources expressives nettement audibles dans lâesthĂ©tique des contrastes exacerbĂ©s et cette rugositĂ© brucknĂ©rienne dĂšs les premiĂšres mesures, qui confĂšre Ă lâesprit gĂ©nĂ©ral lâidĂ©e dâune fiĂšvre dĂ©moniaque habitant lâĂąme maudite du hĂ©ros Shakespearien : Ă©ruptif et acĂ©rĂ©s, Ă©nergiques et fĂ©dĂ©rĂ©s, chef et orchestre prĂ©parent et construisent en rĂ©alitĂ© lâĂ©lĂ©vation lumineuse finale, le triomphe de Macduff, comme le fruit dâune gradation progressive oĂč le magma et la grande forge orchestrale se dĂ©cantent Ă mesure du dĂ©roulement, vers une apothĂ©ose allĂ©gĂ©e, Ă©thĂ©rĂ©e, aux couleurs diaphanes, dâautant mieux polie que lâamorce et le dĂ©veloppement central sont incandescents, contrastĂ©s, partie constituante du chaudron orchestral en son plein bouillonnement furioso.
Andris Nelsons joue Richard Strauss Ă la Philharmonie
Volupté et vertiges du Gewandhausorchester Leipzig
Une mĂȘme incandescence porte la Suite orchestrale extraite de lâopĂ©ra Der RosenKavalier / Le Chevalier Ă la rose dans un bain de voluptĂ© presque indĂ©cente tant lâhĂ©donisme extĂ©riorisĂ©e des pupitres sâaffranchissent de toute retenue, dans la plasticitĂ© des timbres, dans le scintillement des cordes, jusquâĂ lâĂ©noncĂ© du thĂšme final, celui du trio Quinquin, La MarĂ©chale, Sophie dont Andris Nelson, amoureusement, tire avec une douceur murmurĂ©e, le fil mĂ©lodique jusquâĂ la rupture, soulignant combien Strauss est le maĂźtre incontestable des arcs thĂ©matiques grandiose, Ă©perdus, dâun souffle infini qui appelle lâextase dans le renoncement. Aux flamboiements exposĂ©s, maĂźtrisĂ©s de lâorchestre rĂ©pondent la prĂ©cision et lâengagement du chef qui sait aussi sonner psychologique.
La piĂšce de consistance de ce second concert du Gewandhauss orchester Leipzig Ă la Philharmonie est « Ein Heldenleben / Une vie de hĂ©ros », opus 40, aboutissement dâune dĂ©cennie fabuleuse au terme de laquelle Strauss Ă©difie cette cathĂ©drale sonore grandiose, Ă©pique, flamboyante qui le rend apte en mars 1899⊠pour lâopĂ©ra. Conçu pour le Concertgebouw dâAmsterdam, la partition amplifie les ressources de lâorchestre LisztĂ©en et wagnĂ©rien, dans des proportions, des dialogues, des vertiges contrastĂ©s qui re dessinent jusquâĂ la spatialitĂ© de lâorchestre ; Strauss nâ a rien Ă envier du vortex wagnĂ©rien tant les tableaux sonores suspendus et comme en lĂ©vitation, atteignent une plĂ©nitude orchestrale inĂ©dite.
Macbeth et « Ein Heldenleben » / Une vie de hĂ©ros font dĂ©jĂ la rĂ©ussite du coffret Strauss enregistrĂ© par Nelsons pour DG (cd4, enregistrĂ© en mai 2021 avec les mĂȘmes instrumentistes de Leipzig – coffret cd CLIC de CLASSIQUENEWS) ; un bain de voluptĂ© de timbres lĂ encore, de sĂ©quences symphoniques serties comme des joyaux auxquels le chef apporte une sensibilitĂ© particuliĂšre pour les effets transcendants des contrastes (dĂ©flagration des tutti, silences abyssaux, pianissimi arachnĂ©ens Ă©vanescents) : la vision, le geste, la conception Ă©quilibrent lâopulence comme lâĂ©loquence instrumentale. Les amateurs de sensualitĂ© sonore sont servis ; tout en privilĂ©giant la rondeur et la lisibilitĂ© des lignes mĂ©lodiques, Nelsons Ă©tire le ruban texturĂ© Ă la limite de la tenue, ciselant et caressant comme peu le miroitant tapis orchestral.
Sâil nâĂ©tait le prĂ©texte narratif trĂšs prĂ©cis des 5 parties, trĂšs prĂ©cisĂ©ment identifiĂ©es, la rĂ©alisation quâen donne le Gewandhausorchester Leipzig rĂ©ussit des prodiges de beautĂ©s sonores, de fait entre la sincĂ©ritĂ© de Mozart et la puissance de Wagner. Strauss, voie mĂ©diane entre les deux gĂ©ants, sâingĂ©nie Ă perfectionner un nouveau langage pour lâorchestre oĂč lâintelligence des tutti comme le caprice fantaisiste et comme ivre des parties solistes (violon solo pour lâĂ©vocation de lâĂȘtre aimĂ© par le hĂ©ros / versatilitĂ© et humeur elle aussi vascillante, miroitante, glissandi taquins et en duo avec lâamoureuse clarinette, de « La compagne du hĂ©ros » au 3) affirme une maĂźtrise totale de lâĂ©criture comme de lâorchestration. La Bataille explosive du 4 (tant admirĂ©e de Romain Rolland), rugit dans de somptueuses convulsions avant que le thĂšme de lâamour (clĂ© de la partition) de fait, nâimpose sa loi sidĂ©rale.
La fougue des cuivres, la fabuleuse clarinette, et le basson, le jeu alternĂ© des cordes jouent avec les multiples citations straussiennes de la partie 5 (Des helden friedenswerke /« Les Ćuvres de paix du hĂ©ros ») – autocitations crĂąnement assumĂ©es qui donnent le vertige par leur plĂ©nitude suggestive, leur mordant poĂ©tique.
On est saisi du dĂ©but Ă la fin par la tension, le miracle dâun legato orchestral superbe et caressant, la souplesse voluptueuse que chef et instrumentistes cultivent sans pause. Quâil sâagisse ou non dâune excroissance autobiographique hypertrophiant le culte de lâArtiste, Nelsons, fĂ©dĂ©rateur et sĂ©ducteur, rappelle combien la partition de 1899, est un sommet de lâĂ©criture orchestrale, lâune de ses plus flamboyantes voire dĂ©lirantes odyssĂ©es instrumentales. Un rĂ©gal magistralement rĂ©alisĂ©. A retrouver dans le coffret STRAUSS dĂ©diĂ© par Andris Nelsons et ses deux orchestres de Lepizig et Boston pour Deutsche Grammophon, paru en mai 2022 (CLIC de classiquenews).
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CRITIQUE, concert. Paris, Philharmonie, le 31 mai 2022. R. STRAUSS (concert II) : Macbeth, Ein Heldenleben – Une vie de hĂ©ros / Gewandhausorchester Leipzig – Andris Nelsons
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LIRE aussi notre critique du coffret RICHARD STRAUSS / Andris Nelsons – Boston Symphonique Orch / GewandhausOrchester Leipzig – CLIC de CLASSIQUENEWS (mai 2022) :
CRITIQUE CD, coffret Ă©vĂ©nement, critique. R. STRAUSS / NELSONS (7 cd DG Deutsche Grammophon) â 2 orchestres : Boston Symphony Orchestra, Gewandhausorchester Leipzig ; 1 chef :  Andris Nelsons font ici la valeur de ce coffret  « Alliance », dĂ©diĂ© aux oeuvres symphoniques majeures de Richard Strauss. Outre la vivacitĂ© Ă©nergique du maestro, câest aussi lâopportunitĂ© de comparer les qualitĂ©s de chacune des deux phalanges dont il est directeur musical.
Chaque orchestre rĂ©alise 3 programmes Straussiens â puis ce « retrouve en cd 7, dans la premiĂšre de « Festliches PrĂ€ludium » (Festive Prelude, pour orgue et orchestre : soliste, Olivier Latry), â ample fresque orchestrale jouĂ©e par les 2 formations rĂ©unies en nov 2019 (Boston), point fort de ce projet interorchestral et aussi, point de dĂ©part du cycle Straussien entre Boston et Leipzig.