CD critique. HAYDN : Symphonies parisiennes 84 et 86. Stabat Mater (Le Concert de la Loge, J Chauvin, 2 cd ApartĂ© – nov 2019). On ne cessera jamais assez de louer lâapport dĂ©cisif des instruments dâĂ©poque et de la pratique historique dans la rĂ©estimation actuelle du rĂ©pertoire classique et prĂ©romantique. En 1781, le Paris des LumiĂšres, prĂ© rĂ©volutionnaire bouillonne dâune ardeur musicale inĂ©dite, notamment au Concert Spirituel, salle symphonique et aussi de musique sacrĂ©e comme en tĂ©moigne le programme dĂ©fendue ici par Le Concert de la Loge : les symphonies ultimes du cycle parisien de Haydn, n°84 DiscrĂšte et n°86 Capricieuse affirment une nervositĂ© toute Ă©lĂ©gante, emblĂ©matique de lâĂ©quilibre et de la facĂ©tie haydnienne, auxquels le Stabat Mater, moins connu, apporte une ampleur sacrĂ©e remarquablement Ă©laborĂ©e ; ainsi, Haydn supplante dans le genre lâĆuvre de PergolĂšse (créée en France en 1753), depuis lors incontournable dans les programmes des concerts parisiens. AmorcĂ© par la voix tendre du tĂ©nor, le Stabat version Haydn colore le style Empfindsamkeit dâune finesse toute viennoise, Ă la fois grave et raffinĂ©e dans laquelle la recherche de couleur affirme une ferveur rayonnante. En 1781, soit 20 ans avant lâoratorio La CrĂ©ation, Haydn dĂ©montre une maĂźtrise absolue dans lâexpression de la douleur christique et mariale. La rĂ©vĂ©lation auprĂšs des parisiens indique clairement lâintuition visionnaire du tĂ©nor Jospeh Legros, directeur du Concert Spirituel depuis 1777.
Bel effet de commencer par la sombre DiscrĂšte, prĂ©lude idĂ©ale Ă la piĂ©tĂ© pudique, dĂ©licatement inaugurĂ©e du Stabat. La partition dĂ©ploie le superbe timbre de lâalto AdĂšle Charvet (plage 1 cd1 : « O quam tristis »), sommet de cette sublimation classique de la douleur (oĂč perce lâalliance somptueusement lacrymale des bassons / hautbois). Tant dâexcellence dans la retenue du sentiment de compassion doit beaucoup Ă la palette poĂ©tique de CPE Bach dont les oratorios dĂ©jĂ recueillaient toute la riche tradition des sepolcri, genre typiquement viennois oĂč la ferveur doloriste des sujets sâintensifiaient en une pudeur dâun raffinement inouĂŻ.
La Symphonie n°86 est un creuset dâinvention mĂ©lodique, câest elle qui retient surtout lâattention du coffret double; rĂ©vĂ©lant toute la puissance du rĂ© majeur sous le masque aimable de la distinction, une puissance parfois martiale que revendiquent les 2 trompettes et les timbales (bien exposĂ©es). Lâinvention de Haydn sây concentre dans le mouvement lent en sol majeur, dont le titre « Capriccio. Largo » indique une libertĂ© formelle inĂ©dite bien dans lâesprit dâun auteur souvent imprĂ©visible et qui assume de superbes audaces harmoniques. Aucune baisse de tension ni dâinspiration dans le Menuet (Allegretto) qui suit, aussi vaste dans le catalogue des symphonies de Haydn, quâil est subtilement troussĂ© (impertinence rustique du trio). Le martĂšlement du Finale (Allegro con spirito) rĂ©affirme Ă la fois la maĂźtrise de la forme sonate et lâimpĂ©tuositĂ© dâune Ă©criture inventive qui ne sâenferme dans aucun canevas mĂ©canique.
NuancĂ©e, prĂ©cise, souple et aĂ©rĂ©e, lâapproche du Concert de la Loge restitue toute la fine parure classique (et ses Ă©quilibres sonores) dâun Haydn ici plus expĂ©rimental que conforme. Dont lâĂ©lĂ©gance inscrit clairement tout le cycle des 3 piĂšces, dans cette subtilitĂ© toute parisienne. Superbe programme.
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CD critique. HAYDN : Symphonies parisiennes 84 et 86. Stabat Mater (Le Concert de la Loge, J Chauvin, 2 cd ApartĂ© – nov 2019)