CD événement, critique. HANDEL : AGRIPPINA. DiDonato, Fagioli, Vistoli… (3 cd ERATO, 2019)

didonato-joyce-agrippina-fagioli-pisaroni-orlinski-vistoli-lemieux-maxim-EMELYANYCHEV-il-pomo-doro-cd-opera-cd-review-opera-concert-orchestre-classiquenews-gd-formatCD Ă©vĂ©nement, critique. HANDEL : AGRIPPINA. DiDonato, Fagioli, Vistoli… (3 cd ERATO, 2019). Pour portraiturer la figure de l’impĂ©ratrice Agrippine, Haendel et son librettiste Vincenzo Grimani n’écartent aucun des Ă©lĂ©ments de la riche biographie de Julie Agrippine, sĹ“ur de Caligula : la 4è Ă©pouse de Claude fait tout pour que le fils qu’elle a eu en premières noces d’Ahenobarbus, soit reconnu par l’empereur et lui succède : NĂ©ron, pourtant dissolu, dĂ©cadent – effeminato (comme Eliogabalo, et tel que le dĂ©peint aussi Monteverdi au siècle prĂ©cĂ©dent dans l’Incoronazione di Poppea), sera bien sacrĂ© divinitĂ© impĂ©riale (non sans faire assassiner sa mère au comble de l’ingratitude : qu’importe dira l’ambitieuse politique qui dĂ©clara « qu’importe qu’il me tue, s’il devient empereur »… ). Au moins Agrippine n’avait aucun faux espoir.

La prĂ©sente lecture suit les recommandations et recherches du musicologue David Vickers (qui signe la captivante et très documentĂ©e notice de prĂ©sentation – Ă©ditĂ©e en français), soucieux de restaurer l’unitĂ© et la cohĂ©rence de la version originelle de l’opĂ©ra, tel qu’il fut créé au Teatro Grimani di San Giovanni Grisostomo en 1709 Ă  Venise. L’action s’achève avec le mariage entre Ottone et Poppea ; s’il perd (fugacement) la main de la jeune beautĂ©, NĂ©ron gagne la fonction impĂ©riale : il est nommĂ© par Claude, empereur, Ă  la grande joie d’Agrippine… Ainsi, l’ambitieuse a triomphĂ© ; ses multiples manigances n’étaient pas vaines.
L’apport le plus crédible de la proposition est ici, la suite de ballet qui conclut l’action comme une apothéose, soit 5 danses dont la Passacaille finale, dérivées de la partition sur papier vénitien du précédent opéra Rodrigo.

 

 

Nouvelle lecture d’Agrippina sommet italien de Haendel (Venise, 1709)

JOYCE DIDONATO,  ambitieuse & impérieuse

 

 

 

La diversité des accents, nuances, instrumentaux et vocaux, expriment vertiges et scintillements des affetti, autant de passions humaines qui sont au cœur d’une partition surtout humaine et psychologique ; Haendel avant le Mozart de Lucio Silla, atteignant à une compréhension hallucinante du coeur, de l’âme, du désir ; l’incohérence et la contradiction, la manipulation et la faiblesse sont les codes ordinaires des machinations à l’œuvre ; même cynisme que chez Monteverdi dans l’Incoronazione di Poppea (opera de 1642 qui met en scène le même trio : Agrippine, Néron, Poppée), Haendel fustige en une urgence souvent électrique, embrasée, la complexité sadique des uns, l’ivresse maso des autres, en un labyrinthe proche de la folie, en une urgence aussi qu’expriment parfaitement la tenue de chaque chanteur et l’engagement des instrumentistes : ici Claude et Néron sont faibles ; seule Agrippine impose sa détermination virile (mais elle aussi se montre bien fragile comme le précise son grand air fantastique du II : « Pensieri, voi mi Tormenti » : la machiavélique se présente en proie fragile, en victime). D’ailleurs Haendel dessine surtout des individualités (plutôt que des types interchangeables d’un ouvrage à l’autre) ; il réussit là où Mozart en effet, à révéler les motivations réelles des êtres : pouvoir, désir, argent… pour y parvenir rien n’arrête l’ambition : Agrippine commande à Pallante qu’elle séduit d’assassiner Narcisso et Ottone… puis courtise Narcisso pour qu’il tue Pallante et Ottone (II).
Haendel invente littéralement des scènes mythiques indissociables de l’histoire même du genre opéra : le Baroque fabrique ici une scène promise à un grand avenir sur les planches, en particulier à l’âge romantique : comment ne pas songer à l’air des bijoux de Marguerite du Faust de Gounod, en écoutant « Vaghe perle », premier air qui dépeint la badine et légère Poppea, ici première coquette magnifique en sa vacuité profonde ?

Sur cet échiquier, où l’ambition et les manigances flirtent avec folie et désir de meurtre, triomphe évidemment Agrippine, parce qu’elle est sans scrupule ni morale, et pourtant hantée par l’échec, ainsi que le dévoile l’air sublime du II comme nous l’avons souligné (« Pensieri, voi mi tormentate ») : diva ardente et volubile, viscéralement ancrée dans la passion exacerbée, Joyce DiDonato souligne la louve et le dragon chez la mère de Néron, avec les moyens vocaux et l’implication organique, requis. C’est elle qui règne incontestablement dans cet enregistrement, comme l’indique du reste le visuel de couverture : Agrippina / Joyce très à l’aise, en majesté sur le trône.
A ses pieds, tous les hommes sont soumis : NĂ©ron, en fils dĂ©vouĂ© et tout occupĂ© Ă  conquĂ©rir Poppea (plutĂ´t que le pouvoir) – au miel bavard, lascif (impeccable Franco Fagioli cependant plus vocal que textuel) ; l’époux Claude (non moins crĂ©dible Luca Pisaroni) ; acide et parfois serrĂ©, l’Ottone de Orlinski vacille dans sa caractĂ©risation au regard de sa petite voix… le contre-tĂ©nor qui brille ici, reste le Narcisso de l’excellent Carlo Vistoli (dès son premier air au I : « Volo pronto »), voix claire, assurĂ©e, d’une santĂ© conquĂ©rante : il donne corps et Ă©paisseur Ă  l’affranchi de Claude, et aurait tout autant lui aussi sĂ©duit en NĂ©ron.
Junon de luxe, deus ex macchina, Marie-Nicole Lemieux qui célèbre en fin de drame, les amours (bientôt contrariés) de Poppea et Ottone, complète un cast plutôt fouillé et convaincant.
CLIC D'OR macaron 200Nos seules réserves vont à la Poppea de la soprano Elsa Benoît, aux vocalises trop imprécises, à l’incarnation pas assez trouble et suave ; et aussi à l’orchestre Il Pomo d’oro. Non que l’implication de l’excellent chef Maxim Emelyanychev ne déçoive, loin de là : articulé, fougueux, impétueux même ; mais il manque ostensiblement à sa direction, à son geste, l’élégance, la caresse des nuances voluptueuses que savait y disséminer avec grâce John Eliot Gardiner dans une précédente version, depuis inégalée. Parfois dur, dès l’ouverture, nerveux et sec, trop droit, Emelyanychev déploie une palette expressive moins nuancée et moins riche que son ainé britannique. Haendel exige le plus haut degré d’expressivité, comme de lâcher prise et de subtilité. Caractérisée et impérieuse, parce qu’elle exprime l’urgence de tempéraments possédés par leur désir, la lecture n’en reste pas moins très séduisante. Les nouvelles productions lyriques sont rares. Saluons Erato de nous proposer cette lecture baroque des plus intéressantes globalement. La production enrichit la discographie de l’ouvrage, l’un des mieux ficelés et des plus voluptueux de Haendel. C’est donc un CLIC de CLASSIQUENEWS de février 2020.

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CD événement, critique. HANDEL : AGRIPPINA. DiDonato, Fagioli, Vistoli… (3 cd ERATO, enregistrement réalisé en mai 2019)

HANDEL / HAENDEL : Agrippina (version originale de 1709)

Avec Joyce DiDonato, Carlo Vistoli, Franco Fagioli, Elsa Benoit, Luca Pisaroni, Jakub JĂłzef OrliĹ„ski, Marie-Nicole Lemieux…
Il Pomo d’Oro / Maxim Emelyanychev, direction – Enregistrement rĂ©alisĂ© en mai 2019 – 3 cd ERATO

LIRE aussi notre annonce présentation du coffret événement AGRIPPINA par Joyce DiDonato :
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-handel-joyce-didonato-chante-agrippina-de-handel-3-cd-erato-mai-2019/

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TEASER VIDEO
Handel: Agrippina – Joyce DiDonato, Franco Fagioli, Elsa Benoit, Luca Pisaroni, Jakub Józef Orliński…

 

 

 

 

 

 

Joyce DiDonato brings the roguish charm of Handel’s leading lady to life in this sensational recording of Agrippina, with Il Pomo d’Oro and their chief conductor Maxim Emelyanychev. Alongside Joyce is a magnificent cast of established and rising stars that includes Franco Fagioli, Elsa Benoit, Luca Pisaroni, Jakub JĂłzef OrliĹ„ski, and Marie-Nicole Lemieux. “Agrippina feels like the most modern drama,” Joyce DiDonato told The Observer. “The story unfolds like rolling news today. And I keep saying, â€This is genius. How did Handel know the human psyche so profoundly?’”

Discover / approfondir: https://w.lnk.to/agpLY

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LIRE aussi notre critique du cd Ă©vĂ©nement : SERSE de HAENDEL / Fagioli, Il Pomo d’Or / Maxim Emelyanychev

Handel fagioli serse haendel cd review critique cd par classiquenews opera baroque par classiquenews genaux aspromonte Serse-CoffretCD, critique. HANDEL / HAENDEL : Serse (1738) / Fagioli, Genaux (Emelyanychev, 2017 – 3 cd DG Deutsche Grammophon, 2017). Voilà une production présentée en concert (Versailles, novembre 2017) et conçue pour la vocalità de Franco Fagioli dans le rôle-titre (il rempile sur les traces du créateur du rôle (à Londres en 1738, Caffarelli, le castrat fétiche de Haendel) ; le contre-ténor argentin est porté, dès son air « « Ombra mai fu » », voire stimulé par un orchestre électrique et énergique, porté par un chef prêt à en découdre et qui de son clavecin, se lève pour mieux magnétiser les instrumentistes de l’ensemble sur instruments anciens, Il Pomo d’Oro : Maxim Emelyanychev. La fièvre instillée, canalisée par le chef était en soi, pendant les concerts, un spectacle total. Physiquement, en effets de mains et de pieds, accents de la tête et regards hallucinés, le maestro ne s’économise en rien.

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CD, Ă©vĂ©nement, annonce. HANDEL : Joyce DiDonato chante Agrippina de Handel (3 cd ERATO – mai 2019)

didonato-joyce-agrippina-fagioli-pisaroni-orlinski-vistoli-lemieux-maxim-EMELYANYCHEV-il-pomo-doro-cd-opera-cd-review-opera-concert-orchestre-classiquenews-gd-formatCD, Ă©vĂ©nement, annonce. HANDEL : Joyce DiDonato chante Agrippina de Handel (3 cd ERATO – mai 2019). EnregistrĂ©e en mai 2019, cette nouvelle lecture du premier chef d’œuvre absolu du jeune Haendel, alors finissant son tour d’Italie et Ă©tabli Ă  Venise (l’opĂ©ra Agrippina est créé au San Giovanni Grisostomo le 26 dĂ©c 1709), renouvelle notre connaissance de l’œuvre, un accomplissement pour le Saxon qui s’y montre fin connaisseur de l’opĂ©ra seria auquel il apporte sa science des mĂ©lodies suaves, de l’élĂ©gance et aussi de l’expressivitĂ© tragique et impĂ©rieuse (s’agissant du rĂ´le d’Agrippine, la mère autoritaire du jeune NĂ©ron). Pour l’une et l’autre, la version Ă©ditĂ©e par Erato rĂ©unit un superbe couple, caractĂ©risĂ©, fin, impliquĂ©, au verbe rageur : Joyce DiDonato en impĂ©riale dominatrice ; Franco Fagioli en Nerone, un rĂ´le que le contre-tĂ©nor argentin incarne Ă  merveille tant depuis son Eliogabalo de Cavalli (Palais Garnier, sep 2016 : lire notre compte rendu critique : http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-paris-palais-garnier-le-16-septembre-2016-cavalli-eliogabalo-recreation-franco-fagioli-leonardo-garcia-alarcon-direction-musicale-thomas-jolly-mise-en-scene-2/ ), son timbre acide et veloutĂ© Ă  la fois excelle Ă  exprimer l’essence des princes effĂ©minĂ©s, dĂ©cadents… soumis Ă  l’empire des sens, portraiturĂ©s avant Haendel par … Monteverdi (l’Incoronazione di Poppea).
En « fosse », Fagioli retrouve d’ailleurs, le pétaradant et très articulé Maxim Emelyanychev et son ensemble sur instruments d’époque, Il Pomo d’Oro : une phalange prête à en découdre pour exprimer tous les vertiges de la passion haendélienne… Contre-ténor, chef et instrumentistes avaient précédemment convaincu dans un Serse (1738), enregistré en 2017 pour DG : Lire ici notre critique du cd Serse par Franco Fagioli ( CLIC de CLASSIQUENEWS d’oct 2018 : http://www.classiquenews.com/cd-critique-handel-haendel-serse-1738-fagioli-genaux-emelyanychev-2017-3cd-deutsche-grammophon/ ).
Autour de ce couple promis Ă  devenir lĂ©gendaire, Erato regroupe un parterre idĂ©al qui joue lui aussi sur la finesse des caractĂ©risations de chaque profil : Elsa Benoit (suave et sobre Poppea), l’impeccable Narciso de Carlo Vistoli, comme l’Ottone de Jakub Jozef Orlinski, lequel ajoute son timbre acide et musical lui aussi pour cette prise en studio proche de l’idĂ©al. Après Monteverdi au siècle prĂ©cĂ©dent, et lui aussi phare de l’opĂ©ra vĂ©nitien, Haendel se hisse Ă  la plus haute marche de l’inspiration d’après l’AntiquitĂ© romaine : le cynisme et la passion embrasent tout ; rien n’arrĂŞte l’ivresse des hauteurs et du pouvoir ; s’il deviennent fous et inhumains, tous les candidats tentĂ©s par la toute puissance s’emballent au delĂ  de toute mesure ; chaque politique ici libĂ©rĂ©, peut exprimer sa soif de puissance, de gloire, de sĂ©duction. Et au sommet de la partition s’inscrit en lettres d’or et chant souverain, l’air accompagnato, très dĂ©veloppĂ©, incisif, hallucinĂ© de la prima donna barocca, Joyce DiDonato, au I : “ Pensieri, voi mi tormentate (de plus de 6 mn : un air essentiel dans la partition), dans laquelle la mère qui manipule, est hantĂ©e par ses propres craintes que tous ses stratagèmes n’Ă©chouent Ă  faire de son fils Nerone, l’empereur, successeur de Claude… TraversĂ©e par les spasmes et les visions d’une fragilitĂ© inconnue jusque lĂ , l’ambitieuse semble mesurer tout ce qu’elle peut perdre et tout ce qu’elle engage dans cette course au pouvoir. La vipère en chef voudrait nous faire croire qu’elle est pauvre victime. GĂ©nial Haendel ! Par sa cohĂ©rence et le relief ciselĂ© de chaque protagoniste de ce huis clos bien romain, s’impose dans la discographie. Grande critique Ă  venir dans le mag cd dvd livres de CLASSIQUENEWS

Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, HAENDEL, Ottone, 22 août 2019. Orchestre Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura.

Compte-rendu critique. Opéra. INNSBRUCK, HAENDEL, Ottone, 22 août 2019. Orchestre Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura. Après trois productions « jeune » d’un très haut niveau, cette nouvelle production d’Ottone déçoit un peu sur le plan scénique, mais révèle une belle galerie de chanteurs très prometteurs. En raison du mauvais temps… qui finalement était plutôt beau, le concert a dû se replier dans la nouvelle salle de la Hausmusik, à l’acoustique un peu sèche. Comme souvent, dans ces productions destinées aux lauréats du Concours Cesti, la mise en scène vise à l’efficacité et à la concentration dramatique avec une grande économie de moyens. Dans cet opéra superbe de Haendel, le premier composé pour le King’s Theater, saturé de considérations politiques, la lecture de l’actrice et metteuse en scène de théâtre Anna Magdalena Fitzi, est allée à l’essentiel, en gommant notamment les références au contexte politique (la conquête de l’Italie par un souverain allemand) ; exit ainsi les scènes spectaculaires et pittoresques de la bataille du premier acte, dans les jardins nocturnes au bord du Tibre, dans la prison, au second acte, ou la scène de la tempête du 3e.

 

 

Ottone en demi-teintes

 

 

Ottone 3152Les décors et les costumes sobres et élégants de Bettina Munzer renvoient davantage à un huis-clos presque abstrait et atemporel, une sorte d’hôtel lorgnant davantage vers un sommet de dirigeants du G7 que d’une confrontation entre souverains du Bas-Empire. À cela s’ajoutent trois figurants, un barman et deux policiers gardes du corps, qui accompagnent de leurs déplacements le déroulement plein de péripéties de l’intrigue. Sur scène, une simple bâtisse blanche à trois étages, dont le niveau inférieur est constitué d’arcades permettant d’entrevoir la circulation des personnages à l’arrière-plan de la scène ; quelques fauteuils sur le côté, une table au centre où le repas est servi, et l’arrivée des protagonistes avec leurs bagages, achèvent de planter le décor. Cette transposition efficace mais guère originale, aurait pu davantage fonctionner si la partition n’avait pas été autant amputée dans ses récitatifs, qui seuls, dans le dramma per musica des 17e et 18e siècles, permettent à l’action d’avancer. On perd ainsi en clarté et lisibilité ce qu’on gagne en concentration musicale, mais la cohérence de la dramaturgie s’en ressent.
Heureusement, sur scène, la distribution, extrêmement homogène, compense largement ces défauts de mécanique théâtrale. Dans le rôle-titre, la mezzo Marie Seidler incarne à merveille le souverain allemand, tiraillé entre l’optimisme de sa récente victoire militaire et l’incapacité manifeste à maîtriser ses affects. Voix sonore, d’une belle amplitude, à l’élocution irréprochable, la chanteuse allemande campe un souverain tour à tour langoureux (« Ritorna, o dolce amore ») et dépité (« Dopo l’orrore »), épris d’une Teofane qui ne le connaît qu’à travers un portrait. La princesse impériale, véritable moteur de l’intrigue, a les traits de la soprano française Mariamelle Lamagat, 3e prix au Concours Cesti 2018. Nous avions assisté à ce concours et sa prestation ne nous avait pas pleinement convaincu, malgré une voix solidement charpentée, mais qui privilégiait davantage la performance vocale que la clarté de l’élocution, défaut perceptible à nouveau dans cette production. En revanche, la jeune mezzo Valentina Stadler, en Gismonda, veuve du tyran Berengario, impressionne par sa puissance vocale et son autorité qu’elle manifeste dès son air d’entrée (« La speranza è giunta in porto »). En Matilda, sans doute le personnage le plus touchant de l’opéra, l’autre mezzo, bolivienne, Angelica Monje Torrez, est encore plus convaincante, par la chaleur et le moelleux de son timbre, et les multiples nuances qu’elle apporte dans le phrasé, tant dans la déclamation des récitatifs que dans les termes pathétiquement chargés des arias (« Diresti poi così » au premier acte, en est un exemple éloquent). Les deux autres voix masculines n’appellent que des éloges, aussi bien le contre-ténor espagnol Alberto Moguélez Rouco, voix fine et acidulée, mais non sans un abattage certain qui sied bien au personnage falot d’Adelberto (son chant émerveille dans les airs élégiaques : « Bel labbro » ou de colère : « Tu puoi straziarmi »), que la magnifique basse allemande Yannick Debus, corsaire qui ne révèlera qu’in fine son identité royale. Ses graves caverneux (« Al minacciar del vento »), sa diction impeccable (« No, non temere »), et sa présence très expressive sur scène, ont été l’une des révélations de cette soirée.
Dans la fosse (qui n’en est pas une, l’orchestre se situant au même niveau que les chanteurs), Fabrizio Ventura dirige sa phalange de La Chimera – bien réduite eu égard à l’orchestre opulent du King’s Theater – avec précision et intelligence, conférant un bel équilibre entre les voix et les instrumentistes.

 

 

 Ottone-innsbruck-handel-critique-opera-review-classiquenews

 

 

 

 

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Compte-rendu opĂ©ra. Innsbruck, Festwochen der Alten Musik, Georg Friedrich Haendel, Ottone, 22 aoĂ»t 2019. Marie Seidler (Ottone), Mariamielle Lamagat (Teofane), Valentina Stadler (Gismonda), Alberto MiguĂ©lez Rouco (Adelberto), Angelica Monje Torrez (Matilda), Yannick Debus (Emireno), Anna Magdalena Fitzi (mise en scène), Bettina Munzer (dĂ©cors et costumes), Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura (direction) – Illustrations : Mariamielle Lamagat © Rupert Larl / Marie Seidler, Alberto MiguĂ©lez Rouco© Rupert Larl.

 

 

 

 

Le CONCERT DE L’HOSTEL DIEU et MAX EMANUEL CENCIC, 11 juil 2019 (Wigmore Hall, UK)

LE CONCERT DE L’HOSTEL DIEU et MAX EMANUEL CENCIC en tournĂ©e. Le 11 juil 2019 Ă  Wigmore Hall. Franck Emmanuel COMTE poursuit sa formidable odyssĂ©e baroque avec ses instrumentistes du Concert de l’HOSTEL DIEU : après avoir publier un nouveau cd dĂ©diĂ© Ă  l’Ă©mulation crĂ©ative entre Porpora et Handel Ă  Londres dans les annĂ©es 1730, chef et musiciens Ĺ“uvrent en complicitĂ© avec le contre-tĂ©nor Max Emanuel Cencic dans un rĂ©cital inĂ©dit intitulĂ© “Orlando”, claire rĂ©fĂ©rence aux vertiges sentimentaux du chevalier Roland, en proie aux tourments et brĂ»lures de l’amour jaloux et de la folie naissante…

cencic-emanuel-porpora-arias-decca-cd-presentation-and-review-cd-critique-par-classiquenewsLe Concert de l’Hostel Dieu annonce  sa première collaboration avec Max Emanuel Cencic dans un programme conçu « sur mesure » pour le contre-ténor croate : « Orlando », un portrait en trois dimensions mis en musique par Handel, Vivaldi, Porpora, soit les plus grands maîtres de l’opera seria italien, à la fois virtuose et expressionniste. Le titre rappelle le livre à la fois futuriste et fantastique de Virginia Woolf dont le héros change de sexe à travers les âges… couleur trouble qui renvoie surtout au timbre si particulier du contre-ténor qui joue souvent à revêtir travestissements et figures de l’ambivalence…  Concerts au festival de Froville et au très select Wigmore Hall à Londres.

> Pour en savoir plus cliquez ICI

http://www.concert-hosteldieu.com/diffusion/baroque-et-18eme/orlando-recital-cencic/

7 juillet 2019

Festival de Froville (54)

11 juillet 2019

Wigmore Hall (UK)

 

 

PROGRAMME & PRÉSENTATION

Extraits d’opéra d’Antonio Vivaldi (Orlando furioso), Georg Friedrich Händel (Orlando furioso, Rinaldo) et Nicola Porpora (Angelica e Medoro). Orlando furioso est considéré comme le résumé et le joyau de toute la littérature épique. L’action de ce roman de chevalerie met en scène le héros Roland qui accomplit mille exploits. Imaginé par le poète de la Renaissance Ludovico Ariosto, dit l’Arioste, Orlando furioso a été écrit dans le dialecte de Ferrare puis adapté en toscan. L’action a pour toile de fond la guerre que mène Charlemagne contre les Sarrasins.

Deux siècles plus tard, le poème épique devient le point commun et une source d’inspiration majeure des trois « géants » du style baroque : Handel, Vivaldi et Porpora. Chacun compose un opéra sur le sujet. Agencé sur mesure pour les caractéristiques vocales et le charisme de Max Emanuel Cencic, le nouveau programme du Concert de l’Hostel Dieu a pour fil conducteur le personnage d’Orlando, ses actions romanesques, sa rencontre avec la guerrière Bradamante et la magicienne Alcina, ses élans amoureux, mais aussi sa folie… Un récital brillant et expressif à la hauteur du souffle épique du poème de l’Arioste et du talent du contre-ténor. Ici la passion amoureuse vainc le héros guerrier : sur l’échiquier sentimental ce dernier perd la raison…

 

 

 

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DERNIR CD : « DUEL »

duel-concert-de-l-hostel-dieu-franck-emmanuel-comte-giuseppina-bridelli-opera-cd-evenement-critique-cd-cd-review-opera-musique-classique-news-classiquenewsL’enregistrement paru chez Arcana/Outhere et qui gagne son relief musical de la confrontation entre les écritures lyriques de Porpora et de handel à Londres dans les années 1730, bénéficie de la complicité entre le somptueux et ardent mezzo de la jeune Giuseppina Bridelli et de Franck-Emmanuel Comte, et ses instrumentistes du Concert de L’Hostel Dieu. Le cd DUEL paru en avril 2019 a reçu le CLIC de CLASSIQUENEWS. Le programme Duel poursuit sa tournée après un concert au Händel-Festpiel de Halle il est aussi à Saint-Donat le 11 août pour la clôture du Festival Bach.

https://www.youtube.com/watch?v=5RWzXj5y6Nw

Duel: Porpora and Handel in London by Giuseppina Bridelli, Le Concert de l’Hostel Dieu & F-E Comte

 

 

LIRE notre critique du cd DUEL : Porpora versus Handel par Giuseppina Bridelli et Franck-Emanuel COMTE : Le Concert de l’HOSTEL DIEU

 

 

 

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TOUTES LES INFOS, LES DATES DES CONCERTS sur le site du CONCERT DE L’HOSTEL-DIEU

 

 

CONCERT DE L'HOSTEL DIEU : saison 2018 - 2019

 

 

CD événement, critique. DUEL : Porpora / Handel in London. Le Concert de l’Hostel Dieu / Giuseppina Bridelli / Franck-Emmanuel COMTE, direction (1 cd ARCANA, juin 2018)

duel-concert-de-l-hostel-dieu-franck-emmanuel-comte-giuseppina-bridelli-opera-cd-evenement-critique-cd-cd-review-opera-musique-classique-news-classiquenewsCD événement, critique. DUEL : Porpora / Handel in London. Le Concert de l’Hostel Dieu / Giuseppina Bridelli / Franck-Emmanuel COMTE, direction (1 cd ARCANA, juin 2018). Londres : 1733-1737. Les années 1730 marquent l’essor du seria italien à Londres. Au point que les spectateurs londoniens arbitrent une émulation inédite entre deux créateurs, d’un théâtre à l’autre, chacun selon ses ressources propres. Deux compositeurs, deux goûts, deux esthétiques… Porpora le napolitain, Haendel / Handel le Saxon présentent simultanément à Londres leurs ouvrages respectifs, dans un esprit défricheur et d’estime réciproque, dont témoignent leurs opéras « italiens », goûtés par l’élite et le public londoniens. La guerre n’aura pas lieu, d’ailleurs comme le rappelle les interprètes ici, elle n’eut jamais lieu.
« Stille amare », extrait du Tolomeo de Handel était très admiré de Porpora… dont les cantates opus 1 étaient bien connues et plutôt très appréciées de Haendel. Estime réciproque avérée vous disait-on. De fait, le geste de Franck-Emmanuel Comte, fondateur de son ensemble sur instruments historiques, Le Concert de l’Hostel Dieu, souligne la noblesse des écritures, surtout leur plasticité expressive et leur essence dramatique.

En choisissant la soliste Giuseppina Bridelli, la réalisation insiste aussi sur l’articulation saisissante du texte, dans ses éclaircissements vocaux propres : la jeune diva proposant même sa propre résolution des vocalises, selon le témoigne de contemporains qui au XVIIIè ont laissé des écrits sur le chant des castrats … napolitains évidemment, pour lesquels ont composé Porpora comme Handel (cf variations da capo et section B pour Scherza infida d’Ariodante de Handel : superbe révélation du programme).
En 1733, Handel qui règne sur la scène lyrique londonienne doit subir la concurrence de l’Opera of Nobility qui invite Porpora. Le Prince de Galles Frederick souhaite mettre à l’affiche les plus grands chanteurs d’alors Francesca Cuzzoni, Senesino, Antonio Montagnana, et bien sûr Farinelli, dans des pièces composées directement par les Italiens, surtout Napolitains… d’où Porpora. Dès lors une rivalité, souvent exacerbée par les medias de l’époque, s’impose aux deux compositeurs ; Handel allant même jusqu’à démontrer son ouverture stylistique en intégrant des ballets français, avec le concours de la ballerine vedette Marie Sallé (cf les ballets ici joués de l’acte II d’Ariodante).
PORPORA HANDEL concert hostel dieu bridelli opera italien classiquenewsDramatique et d’une étonnante sensibilité orchestrale, Handel varie ses effets comme dans Alcina (Sta nell’ircana pietrosa tana) où Ruggiero en chasseur hésitant (alors chanté par Carestini) brille par sa virtuosité technique, une flexibilité vocale dont Giuseppina Bridelli transmet le feu et l’énergie expressive. Assurent alors pour sa performance incarnée, habitée, les instrumentistes du Concert de l’Hostel Dieu. C’est pour le chef et l’orchestre un retour éloquent aux sources de l’opéra baroque, une manière de revisiter ce qu’ils connaissaient déjà, et qu’ils réinvestissent avec feu et vérité.

 
 
 

LONDRES, 1733…
Handel / Porpora : essor du verbe incarné
Giuseppina Bridelli et Le Concert de l’HOSTEL DIEU

 
 
 

Le grand succès de ses années pour Porpora demeure Polifemo (écrit simultanément à Ariodante de Handel) qui regroupe les divos et divas d’alors : Cuzzoni, Mantagnana, Farinelli, Senesino, Francesca Bertolli, Maria Segatti. Giuseppini Bridelli en chante l’air de Calypso, amoureuse éperdue et admiratrice lumineuse d’Ulysse dont elle raconte alors l’exploit sur le cyclope géant Polyphème (Il gioir qualor s’aspetta, plage 10). Tout l’art de la jeune mezzo sait y fusionner la chair agile, ductile de sa technique et la justesse de ses intonations, celles d’un chant clair et explicite, qui suit avec intelligence et variations de nuances, le sens du texte (l’attente et l’espérance alimentent l’ardeur du désir).
Mais l’échec global de la venue de Porpora à Londres tient aux limites de la langue italienne : les récitatifs fussent-ils aussi ciselés que ceux de David dans l’oratorio (unique) David e Bersabea, ne suffirent pas à convaincre l’audience londonienne, trop volage ; on sait avec quel talent Handel recompose totalement son style en adoptant des recitatifs plus courts et en anglais. Le sens du verbe incarné défendu par Giuseppina Bridelli, la souple ardeur du continuo comme sculpté, nerveux, mordant, bondissant par Franck-Emmanuel Comte réussissent pourtant une superbe scène amoureuse (David exprime son amour naissant pour Bethsabée qu’il rencontre alors). Entre émoi et ravissement, le travail sur le texte et les couleurs de l’orchestre témoignent d’une vision et d’une conception très fouillées de la part des instrumentistes et du chef du Concert d’Hostel Dieu.

CLIC_macaron_2014On ne cesse de pesner, du début à la fin de ce programme, qu’ils ont eu bien raison de revenir aux fondamentaux du Baroque lyrique, le théâtre à la fois linguistique et coloratoure de Handel. L’intonation poétique sert avant tout le sens de la situation dramatique et la direction du texte : la franchise du chef de ce point de vue, son efficacité et sa poésie soulignent aussi chez Handel comme chez Porpora, à travers les exemples que nous avons mis en avant, tout ce qui caractérise et distingue l’un par rapport à l’autre. Entre un Handel obligé au renouvellement, et un Porpora ductile, naturellement agile mais contraint lui aussi à une nouvelle exigence dramatique et vocale, nous tenons dans ce récital lyrique, une claire évocation d’un âge d’or du seria italien à Londres. Magistrale réalisation pour un sujet original, idéalement explicité. CLIC de CLASSIQUENEWS d’avril 2019.

 
 
 
 
 
 

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CD Ă©vĂ©nement, critique. DUEL : Porpora / Handel in London. Le Concert de l’Hostel Dieu / Giuseppina Bridelli / Franck-Emmanuel COMTE, direction (1 cd ARCANA, juin 2018) – CLIC de CLASSIQUENEWS du mois d’avril 2019.

 
 
 
 
 
 

LIRE AUSSI notre prĂ©sentation du cd DUEL / PORPORA vs HANDEL – Le Concert de l’Hostel Dieu / Giuseppina Bridelli / Franck-Emmanuel COMTE, direction (1 cd ARCANA, juin 2018)
https://www.classiquenews.com/cd-evenement-annonce-duel-porpora-and-handel-in-london-le-concert-de-lhostal-dieu-franck-emmanuel-comte-1cd-arcana-2018/

 
 
 
 
 
 

CD événement, annonce. DUEL, Porpora and Handel in London (Le Concert de l’HOSTEL DIEU, Franck Emmanuel Comte (1cd Arcana 2018)

duel-concert-de-l-hostel-dieu-franck-emmanuel-comte-giuseppina-bridelli-opera-cd-evenement-critique-cd-cd-review-opera-musique-classique-news-classiquenewsCD événement, annonce. DUEL, Porpora and Handel in London (Le Concert de l’HOSTEL DIEU, Franck Emmanuel Comte (1cd Arcana 2018). Dans les faits, la rivalité entre les compagnies d’opéra dirigées par Handel et Porpora à Londres (1734-1737) s’expose outrageusement. La réalité est autres, car sur le plan strictement musical, il est plus approprié de parler d’estime réciproque car chacun d’eux admirait la musique de l’autre. Leur rivalité produit des effets artistiques majeurs : les opéras nouveaux Ariodante de Handel et Polifemo de Porpora sont des sommets lyriques (même si le second est moins joué que le premier…). Les compositeurs rivalisent de trouvailles et de nouvelles formes pour renouveler le genre et séduire le public londonien. Chacun peut s’appuyer sur le talent des chanteurs de sa troupe dont les fameux castrats (Farinelli, Senesino, Carestini…).

Le nouvel enregistrement du Concert de l’Hostel Dieu, dirigé par Franck-Emmanuel Comte évoque les méandres et les apports d’une relation intellectuelle et artistique complexe : plus qu’un duel, l’équation Handel / Porpora précise une étonnante émulation qui a profité à l’expressivité du genre lyrique; les interprètes proposent plusieurs exemples éloquents de chaque style (restituant aussi la vocalisation d’époque dans les reprises) ; offrent un tour d’horizon éloquent et superbement caractérisé de l’art vocal et lyrique au début du XVIIIè dans le genre seria. Chef et instrumentistes s’associent au mezzo-soprano ductile, expressif, articulé de Giuseppina Bridelli qui relève les défis de partitions aussi intenses dramatiquement que virtuoses sur le plan technique. Prochaine grande critique dans le mag cd dvd livres de classiquenews.com

 

 

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Tracklisting :

George Frideric Handel (1685-1759)
1. Sta nell’ircana pietrosa tana – Alcina HWV 34 (London, 1735)
Nicola Porpora (1686-1768)
2. Nume che reggi ’l mare – Arianna in Naxo (London, 1733 )
3. Dolce è su queste alte mie logge a sera – David e Bersabea (London, 1734)
4. Fu del braccio onnipotente – David e Bersabea (London, 1734)
5-7. Ouverture – Polifemo (London, 1735)
8. A questa man verrĂ  – Calcante e Achille (London, 1735)
George Frideric Handel
9. Scherza infida – Ariodante HWV 33 (London, 1735)
Nicola Porpora
10. Il gioir qualor s’aspetta – Polifemo (London, 1735)
George Frideric Handel
11-14. Suite de ballet – Ariodante HWV 33
Nicola Porpora
15. Alza al soglio i guardi – Mitridate (London, 1736)
George Frideric Handel
16. Inumano fratel, barbara madre – Tolomeo HWV 25 (London, 1728)
17. Stille amare, giĂ  vi sento – Tolomeo HWV 25 (London, 1728)
18. Quando piomba improvvisa saetta – Catone in Utica HWV A7 (London, 1732)

 

 

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DUEL : PORPORA ET HANDEL À LONDRES
Giuseppina Bridelli, mezzo-soprano
LE CONCERT DE L’HOSTEL DIEU
Franck-Emmanuel Comte, direction
1 CD ARCANA – A 461 – 1 CD TT : 1h05mn

 

 

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LA VIDEO du cd DUEL

https://youtu.be/5RWzXj5y6Nw

 

 

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CONCERTS 2019
Duel, Handel vs Porpora :

Felicia Blumental International Festival, Tel Aviv (30 mars) I
Salle Molière, Lyon (7 avril) |
Handel Festival, Londres (8 avril) |
Handel-Festspiele, Halle (9 juin)
Festival Bach de Saint-Donat (11 août)

Folia : Theaterhaus, Stuttgart (2-3 juillet) |

Festival 1001 Notes en Limousin, Zenith de Limoges (20 juillet)
Sinfonia en Périgord, Périgueux (24 août)

 

 

+ d’infos sur le site du CONCERT DE L’HOSTEL DIEU

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LYON, Concert Hostel-Dieu: DUEL, Handel / Porpora.

Nicola_Antonio_PorporaLYON, CHD: DUEL, Handel / Porpora. 7 avril 2019. La Salle Molière à Lyon affiche un programme prometteur, dédié à l’opéra italien en Angleterre où s’affrontent deux compositeurs renommés de la scène lyrique. S’ils sont à Londres, redoutables rivaux, prêts à démontrer la virtuosité et l’expressivité juste de leur écriture respective, le plus italien des compositeurs germaniques du XVIIIè, le saxon Handel, et son contemporain le plus européen des compositeurs Napolitains, Porpora (portrait ci contre), s’associent dans ce récital à deux visages, mais grâce au geste du Concert de l’Hostel-Dieu, en une joute des plus apaisées.

 

 

Handel ou Porpora ?
LONDRES, temple de l’opéra italien….

 

 

LE CONCERT DE L'HOSTEL-DIEU : DUEL Porpora / Handel

 

 

haendel handel londres oratorio anglaisAinsi : « En janvier 1733, souhaitant contrer l’hégémonie haendélienne de la Royal Academy of music, un groupe d’investisseurs issu de la noblesse londonienne crée L’Opera of the Nobility, et choisissent le « maître des castrats », Nicolo Porpora, mentor des Farinelli, Senesino, Porporino. Les londoniens se passionnent depuis longtemps pour l’opéra italien, en particulier napolitain, et ses voix agiles, virtuoses, expressives, où la vocalise de plus en plus vite et de plus en plus aiguë, exprime vertiges et palpitation de l’âme humaine. Le public entre les deux théâtres, applaudit alors les plus grands ouvrages jamais composés dans l’histoire de l’opéra italien au XVIIIè dont le Polifemo de Porpora ou Ariodante d’Handel (portrait ci contre).
Soucieux de porter le chant expressif et tragique de la mezzo Giuseppina Bridelli, les instrumentistes du Concert de l’Hostel-Dieu ressuscitent ainsi les heures les plus intenses de l’opéra italien à Londres, dans les années 1730… Le programme est l’objet d’une tournée internationale et aussi d’un nouveau cd de l’ensemble (parution annoncée le 12 avril 2019.

 

 CONCERT DE L'HOSTEL DIEU : saison 2018 - 2019

 

 

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G.-F. Handel : arias et instrumentaux extraits des opéras Alcina, Ariodante, Tolomeo, Cantone in utica

N. Porpora : arias et ouvertures extraits des opéras Polifemo, Mitridate, Arianna in Naxo, David e Bersabea

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Giuseppina Bridelli, mezzo-soprano


Le Concert de l’Hostel Dieu,
Reynier Guerrero, premier violon
Franck-Emmanuel Comte, direction
 / Stefano Aresi, musicologue

 

 

PORPORA HANDEL concert hostel dieu bridelli opera italien classiquenews

 

 

 

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30 mars 2019
Felicia Blumental International Festival de Tel Aviv (Israël)

7 avril 2019
Salle Molière à Lyon (69)

8 avril 2019
London Handel Festival (UK)

12 avril 2019
Sortie du disque (Arcana/Outhere)

9 juin 2019
 : Händel-Festspiele à Halle (Allemagne)

11 août 2019
Festival Bach de Saint-Donat (26)

 

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Présentation et enjeux du programme DUEL : PORPORA vs HANDEL par le Concert de l’HOSTEL-DIEU. Franck-Emmanuel COMTE et les instrumentistes du Concert de l’Hostel-Dieu reviennent à leurs premières amours, l’éloquence dramatique de Haendel, présentée donc en concert avec la complicité de l’étonnante mezzo soprano italienne Giuseppina BRIDELLI, mais aussi en studio, puisque parallèlement à la tournée des concerts, musiciens et chefs ont enregistré le programme et sortent le disque prévu ce 12 avril 2019.
Les airs d’oratorios et d’opéra de Haendel lancent un défi à tout ensemble de musique baroque : il y faut de la précision, des nuances, un équilibre idéal entre voix et instruments, de la finesse expressive comme de la profondeur. Autant de qualités qui distinguent le génie de Haendel de tous les autres. C’est aussi pour Franck-Emmanuel Comte, le prolongement de son travail comme directeur du Concours de Froville dont la mission est l’émergence des jeunes chanteurs baroques. Lauréate du Concours, Giuseppina BRIDELLI retrouve ainsi les instrumentistes du CHD Concert de l’Hostel-Dieu et enregistre avec eux un premier disque Haendel qui sera suivi d’autres opus (dont le prochain avec la soprano Sophie Junker), car Haendel reste un pilier dans le répertoire de l’ensemble fondé par Franck-Emmanuel Comte.

VOCALITA et ORNEMENTS DE HAENDEL

handel-haendel-portrait-classiquenewsCe premier programme Haendel, au disque comme au concert permet de découvrir les qualités de la voix de la soliste (qu’il s’agisse d’airs fameux comme « Scherza infida » d’Ariodante) : voix longue et flexible, agile et colorée sur toute la tessiture, taillé pour des incarnations dramatiques, tragiques ou implorantes comme Haendel a su les concevoir. De quoi promettre un relecture du texte dans la subtilité et la sensibilité. Chanteuse et chef ont particulièrement travaillé sur les reprises des da capo pour certains airs dont la notation des vocalises a été notée depuis l’époque de Haendel : il s’agira de redécouvrir ainsi les ornements tels qu’ils auraient pu être réalisés du vivant de Haendel selon la technique de ses chanteurs.

 

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Plus d’infos sur le site du CHD Concert de l’HOSTEL-DIEU
http://www.concert-hosteldieu.com/diffusion/baroque-et-18eme/duel-porpora-handel/

VIDEO Handel versus Porpora
https://www.youtube.com/watch?v=HJy7jckJw18

 

 

CRITIQUE DU CD HANDEL PORPORA / DUEL – CLIC DE CLASSIQUENEWS

duel-concert-de-l-hostel-dieu-franck-emmanuel-comte-giuseppina-bridelli-opera-cd-evenement-critique-cd-cd-review-opera-musique-classique-news-classiquenewsCD événement, critique. DUEL : Porpora / Handel in London. Le Concert de l’Hostel Dieu / Giuseppina Bridelli / Franck-Emmanuel COMTE, direction (1 cd ARCANA, juin 2018). Londres : 1733-1737. Les années 1730 marquent l’essor du seria italien à Londres. Au point que les spectateurs londoniens arbitrent une émulation inédite entre deux créateurs, d’un théâtre à l’autre, chacun selon ses ressources propres. Deux compositeurs, deux goûts, deux esthétiques… Porpora le napolitain, Haendel / Handel le Saxon présentent simultanément à Londres leurs ouvrages respectifs, dans un esprit défricheur et d’estime réciproque, dont témoignent leurs opéras « italiens », goûtés par l’élite et le public londoniens. La guerre n’aura pas lieu, d’ailleurs comme le rappelle les interprètes ici, elle n’eut jamais lieu.
« Stille amare », extrait du Tolomeo de Handel Ă©tait très admirĂ© de Porpora… dont les cantates opus 1 Ă©taient bien connues et plutĂ´t très apprĂ©ciĂ©es de Haendel. Estime rĂ©ciproque avĂ©rĂ©e vous disait-on. De fait, le geste de Franck-Emmanuel Comte, fondateur de son ensemble sur instruments historiques, Le Concert de l’Hostel Dieu, souligne la noblesse des Ă©critures, surtout leur plasticitĂ© expressive et leur essence dramatique. LIRE notre critique complète DUEL / Handel, Porpora par Le Concert de l’HOSTEL-DIEU, Giuseppina Bridelli

CD, critique. HANDEL Atalanta, HWV35 (McGegan, 2005 – 2 cd Philharmonia Baroque)

Atalanta-web-cover cd critique cd review McGegan clic de classiquenewsCD, critique. HANDEL Atalanta, HWV35 (McGegan, 2005 – 2 cd Philharmonia Baroque). Quel rafraĂ®chissement stimulant apporte aujourd’hui le collectif rĂ©uni et portĂ© par le chef Nicholas McGegan, en Californie (Berkeley), lequel inspirant ses troupes outre-Atlantiques du Philharmonia Baroque (orchestre et chĹ“ur), s’ingĂ©nie Ă  dĂ©fendre une vision gorgĂ©e de verve et de franche sincĂ©ritĂ©, Ă  mille lieues des directions franco-françoises, souvent trop cĂ©rĂ©brales et corsetĂ©es qui ont oubliĂ©es depuis des dĂ©cennies de dictat en tous genres, l’esprit du Baroque : son caractère certes discursif mais surtout improvisĂ©. La libertĂ© du geste telle qu’elle est aujourd’hui dĂ©fendue par McGegan incarne une direction pour nous salutaire dans l’interprĂ©tation baroque, d’autant que depuis les annĂ©es 1990/2000, nombre de chefs autoproclamĂ©s experts en la matière, distille chacun un système et un type directionnel bien identifiable et parfaitement mĂ©canisĂ©. Faisant oubliĂ©, la caractère essentiel de la rĂ©volution baroqueuse dĂ©fendue depuis les annĂ©es 1970, l’audace, le risque, l’expressionnisme. A croire que l’intensitĂ© dĂ©fricheuse des Harnoncourt et Malgoire, puis Jacobs et Goebel, … est devenue lettre morte.

 

 

Nicholas McGegan :
le souffle nouveau, revivifiant du Baroque
venu de Californie

 

 

Rien de tel avec le Britannique McGegan qui grâce Ă  une politique avisĂ©e de publications discographiques, entretient la mĂ©moire de son approche avec un discernement et une activitĂ© constante que beaucoup peuvent lui envier. D’emblĂ©e, c’est la preuve de la vitalitĂ© du courant et de l’interprĂ©tation baroque en CALIFORNIE…
Voyez cette ATALANTA enregistrée à Berkeley (Californie), en septembre 2005.

haendel handel classiquenewsPASTORALE AMOUREUSE... La partition a Ă©tĂ© rarement jouĂ©e et cette rĂ©surrection complète, très historiĂ©e, fait tout le mĂ©rite du chef. Créée le 12 mai 1736 – avec feu d’artifice final, pour cĂ©lĂ©brer les noces du Prince de Galles et de la princesse Augusta de Saxe-Gotha, l’œuvre est ici enregistrĂ©e sur le vif et comme « chauffĂ©e », après une sĂ©rie de reprĂ©sentations scĂ©niques donnĂ©es auparavant au Göttingen Handel Festival. McGegan officie avec un instinct vĂ©ritable, une intuition de l’instant qui aiguise l’acuitĂ© des accents et rĂ©ussit la caractĂ©risation des personnages de cette Arcadie lyrique. SĂ©duire une beautĂ© glaçante est un dĂ©fi souvent relevĂ© qui honore d’autant mieux celui qui sort victorieux ; ainsi l’histoire lĂ©guĂ©e par la mythologie grecque, celle d’Atalante, qui au prĂ©alable dĂ©daigne les avances du beau MĂ©lĂ©agre (le frère de DĂ©janire), prĂ©fĂ©rant les plaisirs de la chasse aux dĂ©lices plus subtils de l’amour… Mais voilĂ , pendant la chasse du monstrueux sanglier de Calydon, Atalante et MĂ©lĂ©agre croisent leurs regards.
En maĂ®tre des passions humaines, chasseur / rĂ©vĂ©lateur du sentiment enfoui, HaĂ«ndel sait dĂ©velopper le vertige profond, en particulier celui qui inspire Ă  Atalante (très convaincante Dominique Labelle) son grand monologue du II (« â€Lassa! ch’io t’ho perduta »), oĂą la jeune chasseresse exprime son trouble et ses tiraillements car elle comprend qu’elle se ment Ă  elle-mĂŞme, foudroyĂ©e en vĂ©ritĂ© par le jeune MĂ©lĂ©agre. Il est vrai que face au MĂ©lĂ©agre, toute tendresse et sĂ©duction de la seconde soprano, Susanne RydĂ©n, tout cĹ“ur ne saurait demeurer de pierre… l’optimisme lumineux du timbre renforce l’attractivitĂ© du jeune guerrier.
Aux côtés des amoureux principaux, l’assemblée des bergers tel Aminta (excellent Michael Slattery) et son aimée Irene (superbe air, plein de juvénile ardeur : « Come alla tortorella », parfaite et sensuelle Cécile van de Sant) enrichit la partition d’une myriade d’émotions vraies dont Haendel a le secret.

CLIC_macaron_2014Le Philharmonia Baroque Orchestra démontre d’étonnantes affinités dans l’art d’ornementer et de caractériser, selon le souci de fluidité et d’éloquence, de dramastisme et d’élégance, souhaité manifestement par le chef. Voilà qui surclasse évidemment sa première approche de l’oeuvre de Haendel, qui remonte à 1984 avec une équipe bien moins engagée et ciselée.

 

 

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CD, critique. HANDEL Atalanta, HWV35 (McGegan, 2005 – 2 cd Philharmonia Baroque)

Distribution
Dominique Labelle, soprano
Susanne Ryden, soprano
Cecile van de Sant, mezzo-soprano
Michael Slattery, tenor
Philip Cutlip, baritone
Corey McKern, baritone
Philharmonia Chorale – Bruce Lamott, director
Philharmonia Baroque Orchestra
Nicholas McGegan, conductor
Philharmonia Baroque Productions™

Achetez ce cd édité par le label fondé par Nicholas McGEGAN
https://philharmonia.org/product/handel-atalanta-2/

 

 

 

HAENDEL / HANDEL : les Oratorios anglais, partie 2. Les ouvrages de la maturité : Solomon, Theodora, Jephtha

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423INTRODUCTION… A l’étĂ© 2016, Decca publie un coffret « The Great oratorios », somme discographique de 41 cd, regroupant 16 oratorios principaux du Saxon Georg Friedrich Handel / Haendel (1685-1759). MĂŞme incomplet car il ne s’agit pas d’une intĂ©grale (sont absents des ouvrages pourtant majeurs tels concernant la pĂ©riode prĂ©londonienne : Il Trionfo del Tempo e del Disinganno de 1737 ou la BrockesPassion de 1719 ; puis entre autres, le sublime Allegro, Il Penseroso ed il Moderato de 1740 ; Susanna de 1749,…), le coffret Decca The Great oratorios offre un focus idĂ©al sur une double thĂ©matique : la carrière passionnante de Handel hors de l’Europe continentale, après son sĂ©jour miraculeux en Italie, après ses nombreux engagements en terres germaniques… et aussi, un regard sur l’interprĂ©tation moderne, principalement celle des chefs anglais, des drames non scĂ©niques de Haendel, soit des annĂ©es 1970 avec Mackerras (1977) jusqu’aux plus rĂ©cents McCreesh et Minkowski… sans omettre les passionnants Hogwood, Pinnock, Christophers et Gardiner… Certes le geste de Neville Marriner (nĂ© en 1924), pionnier visionnaire en l’occurrence n’est pas prĂ©sent non plus (d’autant que Decca dĂ©tient ses gravures les plus intĂ©ressantes), mais la somme ainsi rééditĂ©e se rĂ©vèle passionnante. OpportunitĂ© pour CLASSIQUENEWS d’Ă©voquer pas Ă  pas, l’avancĂ©e de l’Ă©popĂ©e de Haendel Ă  Londres dans les annĂ©es 1740 et 1750 : un travail qui l’occupe Ă  la fin de sa vie jusqu’Ă  l’Ă©puiser.

handel-haendel-londres-london-vignette-dossier-haendel-2016-sur-classiquenewsL’inventivitĂ© du crĂ©ateur trouve en Angleterre un terreau fertile et parfois Ă©prouvant, pour inventer une nouvelle forme dramatique : opĂ©ra seria, masques ou odes, enfin surtout Ă  partir de 1733 (2ème version d‘Esther), en langue anglaise, l’oratorio spĂ©cifiquement britannique. OĂą toute scĂ©nographie absente, permet Ă  la seule Ă©criture vocale et musicale, d’exprimer tous les enjeux et ressorts dramatiques comme le parcours moral et le sens spirituel des ouvrages, d’autant que l’action y est souvent plus psychologique que spectaculaire. LIRE notre prĂ©sentation et introduction complète (Les Oratorios de Haendel, dossier spĂ©cial, partie 1).

 



HAENDEL / HANDEL : les Oratorios anglais, partie 2

Les ouvrages de la maturité : Solomon, Theodora, Jephtha

 

Dossier : Haendel Ă  Londres, les oratorios anglaisBilan interprĂ©tatif… A l’heure du bilan, l’Ă©coute rĂ©trospective souligne l’engagement palpitant des chefs Hogwood (1941-2014), Trevor Pinnock (nĂ© en 1946), Harry Christophers (nĂ© en 1953)…, douĂ©s d’un raffinement expressif de premier ordre, soucieux aussi de cohĂ©rence s’agissant des distributions de solistes. Le second cycle d’oratorios ici prĂ©sentĂ©s et critiquĂ©s, souligne le geste particulièrement convaincant de Paul McCreesh, nĂ© en 1960  (Solomon, Theodora… en 1999 et 2000) surclassant aisĂ©ment par sa suprĂŞme Ă©lĂ©gance et sa fine caractĂ©risation, les lectures d’un Gardiner, en comparaison trop lisse et vocalement dĂ©sĂ©quibrĂ©. Les derniers ouvrages contenus dans le coffret DECCA “The gréât oratorios” dĂ©voile Ă©galement l’évolution du dernier Handel, de moins en moins spectaculaire, mais progressivement mĂ©ditatif, intime, d’une rare intelligence psychologique, confirmant la profondeur spirituelle des drames anglais, aux cotĂ©s de l’écriture chorale, d’une remarquable Ă©loquence… Pour nous les deux chefs d’oeuvres absolus demeurent après Le Messie, …Solomon et Theodora (version McCreesh donc, perle du prĂ©sent coffret).

 

 

 

Solomon, mars 1749

haendel handel londres oratorio anglaisCréé en mars 1749 au Théâtre Royal Covent Garden de Londres, Solomon illustre un épisode poétique inspiré du Livre des Rois et des Antiquités de Flavius Joseph. Le livret est resté anonyme. Le choeur y est un personnage principal, au même titre que les autres héros; l’orchestre, particulièrement raffiné ; et pour colorer sa partition, Handel emprunte à nouveau à ses confrères, nombres de mélodies qui lui plaisent (Muffat, Telemann, Steffani). L’élégance et le raffinement de l’écriture entendent exprimer cet âge d’or d’une Antiquité légendaire et hautement morale que le règne géorgien du vivant de Handel ressuscite : aux oratorios de Handel, la mission d’en argumenter le rapprochement. Salomon, comme Alexandre et Hercule en France, offrant un modèle pour le Souverain ainsi célébré allusivement par le compositeur.

Acte I. Salomon le sage. L’ouvrage souligne la sagesse de Solomon qui trouve sa force dans sa foi en Dieu. Fortifié encore par les louanges du grand prêtre, Zadock, le jeune roi écoule des jours heureux avec son épouse, la fille de Pharaon.
Acte II. Le jugement de Salomon. Deux prostituées se querellent la maternité d’un même enfant. Contraste saisissant entre le récit des deux mères : la première tendre, la seconde, haineuse et vindicative. Solomon ordonne de couper en deux moitiés égales le bébé : la seconde femme, tout autant victorieuse et sauvage, révèle sa nature mauvaise et son action mensongère (n°19). Seule la vraie mère, soucieuse de la vie de son enfant, reste affligée, digne et douloureuse, prête à renoncer pour sauver l’enfant (n°20 : « Can I see my infant gor’d »). L’imposture étant dévoilée, Solomon chasse la 2ème femme : réconfortant la 1ère mère (duo sublime n°22 : « Thrice bleds’d be the King »…)…
Acte III : Louange monarchique. Salomon le sage chante son bonheur avec son épouse, célébré par Zadock : est ce bien la Judée ou l’Angleterre géorgienne que célèbre ici Handel ? Le choeur entonne un cycle d’airs contrapuntiques d’un souffle miraculeux, aussi exigeants que Israel en Egypte et Le Messie.

mc-creesh-oratorios-ahendel-Paul-McCreesh_0335_credit-Ben-Wrightoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423InterprĂ©tation. LE MIRACLE MCCREESH. En 1999, – prĂ©ludant au miracle de sa Theodora l’annĂ©e suivante (avec certains mĂŞmes solistes dont Susan Gritton ou Paul Agnew), au service d’une flexibilitĂ© souvent chorĂ©graphique, pleine de souple caractĂ©risation, le geste de Paul McCreesh et ses Gabrieli Consort & Pslayers excellent dans un drame hautement moral oĂą aux cĂ´tĂ©s de la plasticitĂ© aimable des choeurs, Ă©blouit une distribution très cohĂ©rente sur le plan expressif : la tendresse habitĂ©e de Susan Gritton (Reine de Sheba), la basse toute aussi onctueuse et si musicale de Peter Harvey (un Levite : sublime caractĂ©risation humaine pour ce rĂ´le de seconde importance mais capitale dans l’humanitĂ© du sujet, dès son premier air au I), sans omettre le Zadock de grande classe de Paul Agnew, comme le timbre Ă©gal, juvĂ©nile, Ă©clatant de la haute-contre Andras Scholl, au sommet de ses possibilitĂ©s vocales, pour la figure axiale de Solomon. Tout cela coule comme une langue naturelle, d’une Ă©lĂ©gance irrĂ©sistible : McCreesh Ă©gale la science ductile, la flexibilitĂ© souveraine, poĂ©tique et expressive de William Christie chez Rameau ou chez Handel (cf son magnifique Belshazzar rĂ©alisĂ© en 2012) : c’est dire la rĂ©ussite totale de cet enregistrement de 1999, suivi en 2000, d’une tout aussi somptueuse Theodora. 2 enregistrements qui sont des must pour comprendre la langue dramatique et poĂ©tique de Haendel dans le genre de l’oratorio anglais.

 

 

 

Theodora, mars 1750

Oratorio en 3 actes, d’une longueur significative, Theodora est créé au Théâtre Royal Covent Garden en mars 1750 et retrace l’épopée de la martyre chrétienne au début du IVè siècle. Le librettiste Thomas Morell s’inspire moins de la pièce de Pierre Corneille que reprend le roman moralisateur publié en 1687 par Robert Boyle. Trop psychologique, la partition suscita une nette réserve de la part des Londoniens. Car l’écriture se fait de plus profonde et épurée, expression croissante d’un mouvement intérieur de plus en plus serein et donc extatique où la martyre Theodora emporte avec elle, ceux qui l’entourent et l’admirent : Irène ; surtout le jeune romain Didymus -qui aime la jeune fille-, sur la voie du renoncement, du sacrifice et de la mort, car il s’est converti au christianisme et entend affirmer sa liberté de conscience tout en restant fidèle à Rome (ce que n’accepte pas l’autoritaire Préfet d’Antioche, Valens). Du médiocre texte de Thomas Morell, Handel observe avec un soin particulier le cheminement spirituel des âmes justes, sur lesquels les épreuves glissent, toutes absorbées par la réalisation de leur martyre final. Ce focus psychologique est le point central de l’évolution des oratorios de Haendel, certes capable de scènes collectives et spectaculaires, mais aussi concepteur de sublimes portraits intimes, d’une haute valeur morale.

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423mc-creesh-oratorios-ahendel-Paul-McCreesh_0335_credit-Ben-WrightInterprĂ©tation. Souffle d’une grande tendresse, le geste tout aussi vif et nerveux de McCreesh en 2000 rĂ©ussit mieux que Gardiner, la suprĂŞme vivacitĂ© du drame orchestral et l’incisive et très pĂ©nĂ©trante acuitĂ© psychologique ; dans la rĂ©alisation des Gabrieli Consort & Players, tout y est idĂ©al : le cynisme arrogant et expressif des romains paĂŻens (Valens – excellent baryton :Neal Davies, qui a l’ardeur des bourreaux ; le choeur des romains) ; l’inatteignable sĂ©rĂ©nitĂ© des chrĂ©tiens, d’une croyance extatique, ineffablement tendre : Theodora, Irene, Didymus, soit Susan Gritton, Susan Buckley, Robin Blaze). MĂŞme Septimus, l’ami de Didymus est superbement portraiturĂ© par le tĂ©nor Paul Agnew (dans son chant s’écoule tous les enchantements arcadiens : premier air n°6, « Descend, kind pity »…). Le tempĂ©rament de McCreesh signe l’un de ses meilleurs enregistrements haendĂ©liens par sa fougue, son articulation, et souvent un Ă©tat d’urgence dramatique, totalement absent chez le plus lisse Gardiner. D’autant qu’outre la relief chorĂ©graphique des intermèdes orchestraux, le chef sait aussi Ă©clairer la suprĂŞme Ă©lĂ©gance du Handel, compositeur Ă©rudit et lettrĂ©, poète sĂ©ducteur et esthète de premier plan. Cette vivacitĂ© rappelle Pinnock et Hogwood : le raffinement et l’imagination de McCreesh dans la caractĂ©risation de chaque profil et dans chaque situation suscitent une totale adhĂ©sion. Enregistrement majeur.

 

 

 

Jephtha, février 1752
L’ultime oratorio HWV 70 est créé le 26 février 1752 au Théâtre royal Covent Garden et démontre la dernière manière de Handel à Londres, soit 7 années avant sa mort. A la marge du choeur concluant l’acte II, le compositeur diminué et à bout de souffle, écrit : « incapable de continuer à cause de l’affaiblissement de la vue de mon oeil gauche ». De fait, après une période de repos total, mais de plus en plus aveugle, le compositeur achève tant bien que mal Jephtha et sombre dans la cécité, condamné à 66 ans, à cesser toute activité musicale. C’est un déchirement et une fin tragique qui s’accordent au sujet de son dernier oratorio… celui du renoncement et de l’adieu au monde. La composition a duré du 21 janvier au 30 août 1751. A nouveau, Handel réserve le rôle central de Jephtha au ténor John Beard.
Acte I. Zebul invite les Juifs à choisir son demi frère Jephtha pour les conduire à la victoire sur les Ammonites. Iphis, la fille de Jephtha promet à Hamor qu’elle l’épousera après la victoire de son père. Allégresse et ivresse collective emportent les Juifs et dans un élan d’enthousiasme irréfléchi, Jephtha promet au Seigneur que s’il gagne la bataille, il sacrifiera la première personne qu’il rencontre.
Acte II. Hélas, Iphis se prépare et accueille son père conquérant au son d’une gracieuse symphonie en sol (extraite d’Ariodante) : elle chante sa joie sur une gavotte. Le père invite sa fille à quitter aussitôt les lieux mais il est trop tard. Iphis se soumet au sacrifice cependant que le père résiste à sa promesse.
Acte III. Iphis fait ses adieux dans un air déchirant (« Farewell, ye limpide springs and floods »). Tel un Deus ex Machina, Thomas Morell réécrit l’action que Carrissimi avait rendu bouleversante : en accord avec Handel, un ange paraît et suspend l’arrêt divin si Iphis accepte de vouer sa vie à Dieu : elle aura la vie sauve. En liaison avec sa propre situation, le compositeur brosse un portrait éblouissant de la fille Iphis, insouciante et joyeuse au I, frappée par l’ordre divin au II, capable au III d’une gravité nouvelle et d’un renoncement admirables. Les auteurs semblent se soumettre aux lois impénétrables et insaisissables de la destinée.

 

gardiner-john-eliot-gardiner-maestro-handel-haendel-oratorio-cd-decca-coffret-review-critique-classiquenewsoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. Gardiner en 1989 signe l’un de ses premiers oratorios avec un soin particulier à l’orchestre : tout coule, tout se réalise sans cependant cette élégance détachée impériale qui fait de l’écriture haendélienne, l’expression d’une grâce aristocratique. La tenue des deux premiers solistes : Zebul et Jephthah restent conformes, un peu trop lisse : Stephen Varcoe et Nigel Robson. De sorte qu’en un regard global, la caractérisation n’atteint pas l’étonnante vivacité de ses ainés : Hogwood, Pinnock, Christophers ; ni même l’éloquence palpitante de McCreesh. Il y manque ce raffinement royal, cette élégance suprême résolvant le tragique et la tendresse que l’on peut souvent a contrario retrouver dans les meilleures versions de William Christie. Anne Sofie von Otter offre au rôle de Storge, sa gravité douloureuse et princière qui semble la distinguer comme étant la seule qui en véritable Cassandre, a l’intuition de l’horreur à venir… Lynne Dawson fait une Iphis rien que… gracieuse qui au moment de l’ultime sacrifice et renoncement du III manque sérieusement de profondeur et de vérité : pourtant Jephtah recueille le dernier sentiment du Handel anéanti et usé ; dans « Farewell… » n°34, grand air de suprême détachement, soliste et chef restent à la surface, d’une mesure jolie et … précieuse voire apprêtée / offrant une belle réalisation sans guère d’hallucinants vertiges. Il faut réécouter ici la profondeur poétique atteinte par Sir Neville Mariner, à rééditer chez … Decca.

 

 

 

 

Compléments…
Le Coffret Decca ajoute l’Ode Alexander’s Feast ou le pouvoir de la musique en l’honneur de Sainte Cécile, en deux parties, composée d’après Dryden (1697), et présentée en création à Londres au Théâtre Royal Covent garden en février 1736. Immédiatement, le public londonien applaudit cette ode, fière et princière allégorie, au souffle philosophique chantée en anglais (26 représentations de 1736 à 1755).
Partie 1. Selon Plutarque, Alexandre vainqueur de Darius, célèbre en présence de la belle Thaïs, sa victoire à Persepolis lors d’un grand et somptueux banquet : hymne à Zeus, à Bacchus, évocation de la mort de Darius, célébration des joies de l’amour et des plaisirs, grâce à la musique (incarné par le chantre Thimotée dont le chant suscite divers passions par son éloquente maîtrise).
Partie 2. Le ténor chante un air guerrier et la basse justifie l’acte des Grecs contre les Perses car ces derniers avaient incendié Athènes. Juste retour des choses. Alors qu’on célèbre la destruction de Persepolis, le choeur final compare le chant de Thimotée au pouvoir salvateur de la musique et de Sainte-Cécile. Handel n’organise pas son sujet en un drame cohérent comprenant personnages et situations dramatiques enchaînées. C’est une succession d’airs, duos et de choeurs exclamatifs, fortement expressifs, le plus souvent allègres.

Interprétation. Pourtant avec ses fabuleux Monteverdi Choir et les English Baroque Solists, Gardiner en 1988 réalise un soutien choral et orchestral très séduisant mais trop lisse et finalement d’une tenue mécanique peu caractérisée sur la durée. Les solistes sont plus intéressants, permettant d’exprimer aves justesse le sentiment et le caractère de chaque séquence : Donna Brown, Carolyne Watkinson, Stephen Vercoe… Pour autant l’engagement des interprètes manquent de souffle et d’urgence et l’on reste en attente d’une version plus mordante et vive.

 

 

gardiner-john-eliot-gardiner-maestro-handel-haendel-oratorio-cd-decca-coffret-review-critique-classiquenewsLe coffret ajoute aussi un oratorio de jeunesse, en anglais parmi les premiers essais : Acis & Galatea, HWV 49, masque en deux parties d’après le livret de John Gay, créé à Cannons en 1718… En 1978, soit l’une de ses premières lectures haendéliennes, Gardiner et ses English Baroque Soloists frappent un grand coup, d’une fraicheur de ton admirable, d’une vivacité expressive passionnante. D’une grâce purcelliennes, le masque est une savoureuse et suave pastorale où perce déjà le souffle des choeurs, surtout le solitude langoureuse de la brute Polyphème pour Galatea, qui écrase l’amant de la belle, Acis. La verve théâtrale, l’acuité du geste saisissent et convainquent totalement, assurant à ses débuts, la justesse poétique de Gardiner aux côtés duquel brillent la grâce et tendresse des solistes : Norma Burrowes, Anthony Rolfe Johnson, Willard White soit Galatea, Damon et Polyphemus. Superbe premier geste originel d’un Gardiner non encore « standardisé » (comme il tendra à l’être dans les années 1980 et 1990). La version, précédemment rééditée dans le coffret Archiv, analogue archives / ARCHIV Produktion / analogue stereo recordings (1959-1981) – 50 cd limited edition (parution de mai 2016) — LIRE notre présentation et critique 

LIRE aussi le volet 1 de notre grand dossier HAENDEL / HANDEL, les Oratorios 1/2

 

 

 

HAENDEL / HANDEL : Les oratorios (partie 1/2)

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423HAENDEL / HANDEL : les oratorios anglais, dossier spĂ©cial. A l’étĂ© 2016, Decca publie un coffret « The Great oratorios », somme discographique de 41 cd, regroupant 16 oratorios du Saxon Georg Friedrich Handel (1685-1759). L’occasion est trop belle pour classiquenews d’y complĂ©ter la rĂ©daction des critiques de chaque version choisie, par l’Ă©vocation de l’aventure exceptionnelle de Haendel Ă  Londres principalement oĂą il “invente” l’oratorio anglais. Le coffret Decca The Great oratorios offre un focus idĂ©al sur une double thĂ©matique : la carrière passionnante de Handel hors de l’Europe continentale, après son sĂ©jour miraculeux en Italie, après ses nombreux engagements en terres germaniques… et aussi, un regard sur l’interprĂ©tation moderne, principalement des chefs anglais, des drames non scĂ©niques de Haendel, soit des annĂ©es 1970 avec Charles Mackerras jusqu’aux plus rĂ©cents McCreesh et Minkowski… sans omettre les passionnants Hogwood, Pinnock, Christophers…

 

 

 

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haendel handel londres oratorio anglaisL’inventivitĂ© du crĂ©ateur trouve en Angleterre un terreau fertile et parfois Ă©prouvant, pour inventer une nouvelle forme dramatique : opĂ©ra seria, masque puis surtout en langue anglaise, l’oratorio spĂ©cifiquement britannique ; un genre que Purcell aurait pu lui aussi inventer… OĂą toute scĂ©nographie absente, permet Ă  la seule Ă©criture vocale et musicale, d’exprimer tous les enjeux et ressorts dramatiques comme le parcours moral et le sens spirituel des ouvrages, d’autant que l’action y est souvent plus psychologique que spectaculaire. C’est aussi une opportunitĂ© offerte de mesurer l’état de l’interprĂ©tation des Anglais principalement sur un sujet qui intĂ©resse leur propre histoire musicale. Certes le coffret comporte des actions de jeunesse, Acis et GalatĂ©e, surtout La Resurrezione, qui renvoient aux annĂ©es de formations et aux premiers essais dramatiques. Mais en regroupant les principaux oratorios anglais de 1739 Ă  1752, de Esther, Athalia et Saul, les premiers dĂ©cisifs, jusqu’aux « ultimes mystiques », Theodora et Jephta (1750 et 1752), sans omettre les drames allĂ©goriques et sacrĂ©s dont le diptyque majeur, Israel en Egypte et surtout le Messie (1739 et 1742), nous voici en prĂ©sence d’un monument de la ferveur dramatique qui compose un corpus aussi important esthĂ©tiquement et spirituellement que Les Passions et la Messe en si de JS Bach.

Face à ces prodiges proches de l’opéra mais dont les interprètes doivent aux côtés des ressorts expressifs, exprimer aussi le continuum spirituel et la cohérence interne de l’architecture, réussir l’alternance des choeurs méditatifs ou jubilatoires et le profil intimiste et individualisés des solistes, de nombreux chefs ici paraissent. Mackerras, orchestralement dépassé (continuo systématique et trop lisse); Gardiner surprésent et pas toujours très vigilant sur la cohérence de ses distributions solistes ; c’est surtout les surprenants et plus habités Christopher Hogwood, Harry Christopher, ou Trevor Pinnock (fabuleux Messie) qui surprennent par une vitalité nerveuse plus souvent finement caractérisée que Gardiner…
En profitant de la parution de ce coffret événement édité par Decca, CLASSIQUENEWS éclaire l’itinéraire de Haendel dans le genre de l’oratorio sacré, principalement à Londres (même si Le Messie, pierre angulaire de l’oeuvre est d’abord créé et applaudi, donc compris… à Dublin / c’est un peu comme DonGiovanni de Mozart, autre œuvre majeure lyrique, d’abord portée en triomphe à Prague, avant la conservatrice Vienne…). Après la présentation synthétique de chaque ouvrage présent dans le coffret, la Rédaction récapitule les qualités (et parfois les limites) de chaque lecture enregistrée.

 

 

HANDEL / HAENDEL Le SAXON en Angleterre…

handel haendel portrait vignette dossier handel haendel 2016 496px-George_Frideric_Handel_by_Balthasar_DennerHaendel (1685-1759) suit étroitement la destinée de son protecteur l’électeur de Hanovre dont il est depuis 1710, à 25 ans, Kapellmeister grâce à l’appui du diplomate et compositeur, récemment révélé par Cecilia Bartoli, Steffani. Quand l’Electeur devient le roi George Ier d’Angleterre, Handel rejoint l’Angleterre et Londres dès 1711. Après une tentative forcenée de développer l’opéra seria italien à Londres à travers l’Académie royale de musique qu’il dirige en 1719,- après un échec et une ruine financière, malgré la création d’une nouvelle équipe (Seconde Académie en 1728), Haendel doit bien se rendre à l’évidence que l’opéra italien n’a pas assez d’auditeurs convaincus parmi les londoniens. Il remet son tablier et entreprend une nouvelle aventure dans un genre nouveau : l’oratorio anglais. Dans la langue de Shakespeare, les oratorios ainsi nés à partir de 1739 bouleverse la vie musicale à Londres et dans le royaume : Haendel a désormais affiné une forme lyrique totalement convaincante et s’est taillé une reconnaissance jamais vue auparavant.

A travers l’oratorio peu à peu élaboré, Haendel soumet l’éclectisme géniale de son imagination à l’aulne de son exigence dramatique. Pas un emprunt ou une idée adoptée s’ils ne servent surtout l’efficacité de l’action, l’acuité et intensité de l’expression. Avant Londres et alors qu’il n’est que le jeune compositeur saxon à Rome, Haendel aborde le genre oratorio mais en… italien. Ainsi se succèdent Il trionfo del Tempo e del Disinganno, oratorio allégorique (Rome, juin 1707), surtout La Resurrezione (Rome, Palazzo Bonelli, avril 1708)… premier oratorio sacré alors dirigé par Corelli : le jeune Haendel y écrit comme à l’opéra, mais sans virtuosité gratuite, soignant l’expression d’une effusion hallucinée, victorieuse à l’énoncé de la Résurrection.

Divin mozartien : Christopher Hogwoodoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. Oratorio italien. Emblématique de la première génération des baroque dépoussiérant et réformateur sur instruments d’époque, Christopher Hogwood en 1982 dévoile la furie italienne du génie saxon du jeune Handel à Rome : sa Resurrezione offre une synthèse de tous les oratorios italiens baroques qui l’ont précédé. Orchestralement et sur des temps parfois plus lents que ceux choisis par les plus récents maestros (Minkowski plus que précipité), Hogwood cisèle la langue de Handel aussi virtuose que Vivaldi, aussi sensuelle et dramatique que les Vénitiens, autant agile et virtuose que les Napolitains. Instrumentalement, le chef visionnaire prend le temps d’approfondir, de colorer, d’instaurer un climat … que peu après lui sauront reprendre et prolonger. Vocalement : Ian Partridge fait un San Giovanni un peu en retrait bien que poétiquement très nuancé. Le couple Emma Kirkby / David Thomas contraste idéalement Ange et Lucifer avec un sens du texte captivant. Emue par l’exemple et la Passion du Sauveur, la Maddalena de la soprano Patrizia Kwella a la bonne et juste couleur d’une âme compatissante et doloriste mais sans vraie conviction, elle donne l’impression d’échapper aux enjeux véritables, spirituels et dramatiques de son superbe air n°22 : « Per me già di morire ». C’est le maillon faible de la distribution, soulignant un manque d’assise et de fermeté expressive tout autant perceptible dans son Esther à venir 3 années après cette Resurrezione (lire commentaire ci après).

Esther…
Les premiers oratorios en anglais remontent à l’année 1720 quand le compositeur croit encore au succès de l’opéra italien à Londres. Ainsi Esther d’après Racine, est créé à Londres en 1720 (remanié en 1732).
L’importance des choeurs est emblématique du genre à venir : Haendel l’a reprise de la musique de Moreau pour la tragédie de Racine où soli et choeurs alternent sur les paraphrases des Psaumes. Mais l’écriture de ses choeurs extatiques et poétiques, d’un souffle dramatique et spirituel nouveau, s’inspire surtout des Anthems Purcelliens. Le perse Assuérus (Xerxes) retient prisonnier les Juifs mais il épouse Esther en ignorant que la belle est israélite. Instance noire, Hamam envisage la perte des Juifs. Car le tuteur d’Esther, Mordecai refuse de lui rendre hommage. Lors du fameux banquet (Scène 6) Esther dévoile ses origines juives à son époux qui toujours amoureux la confirme, punit Hamam et reconnaît la dignité de Mordecai… La version de 1720 emprunte beaucoup aux airs déjà composés pour la BrockesPassion. Et les critiques reprochent dans cet oratorio des débuts, un déséquilibre dramatique entre la longueur de certains choeurs et la succession des airs solistes.

 

hogwood-christopher-582-594-une-actualite-classiquenews-coffret-oiseau-lyre-bach-vivaldi-mozart-haydnoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423InterprĂ©tation. En 1985, sur instruments d’époque, Christopher Hogwood signe une lecture ample dramatiquement, ciselĂ©e dans son dĂ©roulement instrumental avec comme toujours chez lui, une vive attention Ă  la caractĂ©risation du continuo selon les situations. Le chef rĂ©ussit dès l’ouverture Ă  insuffler une urgence palpitante Ă  l’orchestre, soulignant les enjeux Ă©motionnels de l’action Ă  venir. Le travail du maestro orchestralement atteint des sommets de fine coloration des airs, sachant Ă©viter bien des tunnels d’ennui si prĂ©sent chez les autres chefs trop peu initiĂ©s aux secrets des rĂ©citatifs… HĂ©las, la soprano certes fragile et très colorĂ©e de Patricia Kwella dans le rĂ´le d’Esther manque singulièrement d’assurance (justesse alĂ©atoire) ; faiblesse a contrario effacĂ©e chez son partenaire Anthony Rolfe Johnson dans le rĂ´le du Perse magnifique, Ă  l’âme amoureuse; magnifique duo extatique, des deux ĂŞtres unis par un lien irrĂ©vocable (N°13 : « Who calls my parting soul from death? », Handel imagine ce duo comme s’il Ă©tait chantĂ© simultanĂ©ment Ă  2 voix unies en un seul souffle) – sommet lumineux auquel s’oppose la couleur de l’air sombre et haineux d’Hamam (N°21: « How art thou fall’n from thy Height »… très assurĂ© David Thomas). La caractĂ©risation dramatique de chaque sĂ©quence, une Ă©tonnante plasticitĂ© expressive assurent cette version d’Hogwood, maĂ®tre des accents dramatiques (malgrĂ© le fil disparate de l’action dans ce premier oratorio prometteur mais inĂ©gal). Superbe tenue artistique.

 

 

Suivent après Esther, Deborah (1733), nouvelle pierre testée à l’époque où Haendel connaît les pires déboires artistiques et financiers dans le genre de l’opéra italien, en particulier dus à la concurrence de la troupe rivale, l’Opéra de la noblesse (et son champion invité depuis Naples en grande pompe et budget : Porpora, et le castrat vedette, Farinelli). Deborah ne fait pas partie du coffret Decca.

Athalia / Athalie (3ème oratorio anglais) d’après Racine encore (comme Esther), et créé à Oxford en juillet 1733, suscite un triomphe en partie grâce à la richesse des effectifs de la création, le souffle du drame, l’orchestration raffinée (cor, flûtes, archiluth…), surtout la fine caractérisation de chaque personnage d’une fresque tragique : la reine Athalia, souveraine d’Israel, a renié Jehova à la faveur du dieu Baal : c’était compter sans le seul survivant des crimes qu’elle a commandité pour assoir son pouvoir : le jeune Joas / Eliacin, que la femme du Grand Prêtre Joad, Josabeth protège et élève au Temple. A la fin de l’action, la souveraine indigne est renversée par le jeune juste Joas.

 

hogwood christopher oiseau lyre coffrets bach mozart haydn vivaldi critique presentation classiquenews mai 2015oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. Sur instruments anciens, et d’une vitalité dansante, véritablement enivrée, The Academy of Ancient Music et Christopher Hogwood en 1986 se montrent épatants d’un bout à l’autre (motricité habitée des cordes). C’est le choix du plateau qui convainc tout autant, servant le désir haendélien de caractérisation psychologique : l’angélique Emma Kirkby fait une Josabeth lumineuse et conquérante face à l’Athalie, puissante et au timbre plus épais et dramatique de Joan Sutherland, dont la couleur très lyrique, exprime le fossé entre les deux femmes. Contrastes très juste. Le Joad de James Bowman impose un standard de l’interprétation : la voix blanche, égale, dévibrée du haute-contre exprime directement le chant mystique, la voix divine incarnée, celle de la vérité.

haendel handel george-frideric-handel-1685-1759-german-composerSAUL, 1739. Saul affirme une première maturité lors de sa création au King’s Théâtre de Haymarket, en janvier 1739. D’après le livret de Charles Jennens, l’action musicale de Saul profite d’une genèse plus longue que d’habitude, avec des emprunts à ses ouvrages précédents (dont Agrippina, Faramondo ou La Resurrezione…) et aussi à d’autres compositeurs lui transmettant des idées mélodiques qu’il enrichit ensuite avec le génie que l’on sait (Urio, Telemann, Zachow, Kuhnau…). L’orchestration est encore plus riche et soignée que dans Athalia (comprenant trombones, trompettes, hautbois, flutes, bassons, harpe, théorbe…). L’ouvrage est porté en triomphe devant la Cour royale. Jennens, dilettante érudit campagnard que la renommée a décrit comme « vaniteux ridicule » a soigné le texte et son déroulement dramatique : le futur librettiste du Messie, affirme dans Saul, une intelligence indéniable. Relisant les Livres de Samuel, Jennens souligne les errances du jeune David, éprouvé par le vieux politique Saul, et surtout l’épisode fantastique, halluciné de la Sorcière, en fin de drame (acte III) où l’ombre de Samuel apprend au vieux jaloux Saul, sa mort prochaine ainsi que celle de son fils (l’ami de david), Jonathan… Là encore, Haendel exploite comme d’un opéra, tous les prétextes à fine caractérisation et situations contrastées, prenantes. Une trame amoureuse donne de la consistance aux figures bibliques : dont les jeunes femmes Michal, fille de Saul, amoureuse du jeune David, alors conquérant de Goliath; puis Merab, soeur de Jonathan, que Saul promet à David. Finalement marié à celle qu’il aime, Michal, David doit faire face à la jalousie croissante de Saul à son égard. Jusqu’à la bataille décisive, où David vainc Saul, Jonathan, et les Philistins.

 

gardiner john eliot maestro-gardiner_voyage-automne-versailles classiquenewsoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. Parfois un peu raide et sévère, John Eliot Gardiner en 1991 laisse un Saul qui manque souvent de profondeur et d’humanité, de souffle, de poésie (l’épisode de la sorcière au III est mis en déroute par un Samuel imprécis et à la justesse aléatoire…). Pourtant dans l’écriture de l’oratorio nous tenons là un sommet dramatique où Haendel libéré des conventions de l’opéra (aria da capo entre autres) invente une nouvelle langue lyrique ; le choeur omniprésent est un personnage à part entière,; s’y succèdent en un rythme dicté par l’urgence du drame, de courts arias sans reprises. Même l’opulence nouvelle de l’orchestre sonne creuse et droite. L’orchestre affecte la sonorité généreuse, flatteuse d’une belle mécanique, mais souvent dépourvue de toute intention poétique réelle : voilà qui distingue la richesse spirituelle et la vérité d’un Hogwood ou d’un Pinnock, comparés à la facilité plus artificielle de Gardiner. De fait, Saul n’est pas le meilleur oratorio de Gardiner. Seule Donna Brown (Merab) et Lynne Dawson (Michal) se distinguent ; le David de Derek Lee Ragin assène une intensité pincée, qui trépigne trop pour être le chant d’un héros sage et juste. Lecture imparfaite, surtout inaboutie.

 

Les drames sur des textes sacrés : Israel en Egypte et Le Messie.

Avant les derniers oratorios – le plus saisissants par leur architecture globale, dramatique et psychologique, Haendel gagne en maĂ®trise dans sa lecture et propre comprĂ©hension des textes sacrĂ©s : ainsi sont conçus, Israel in Egypt (Exodus) créé Ă  Londres, Haymarket, King’s Théâtre en avril 1739, puis The Messiah / Le Messie, Ă  Dublin en avril 1742 ; tous deux, ouvrages dĂ©cisifs, sur le livret de Charles Jennens.

haendel handel londres oratorio anglaisDans Israel en Egypte (1739), c’est l’unitĂ© et la profonde cohĂ©rence du drame qui saisit, auquel rĂ©pondent force et concision de l’écriture musicale. Haendel fait se succĂ©der d’abord l’Exode (partie 1), puis Le Cantique de MoĂŻse (partie 2) : le choeur est l’élĂ©ment principal, – peuple des hĂ©breux outragĂ©s, humiliĂ©s, martyrisĂ©s, qui fuit Pharaon par la traversĂ©e des eaux de la Mer rouge ; en une Ă©criture contrapuntique des plus flexibles et dramatiques, Haendel dĂ©montre la science Ă©pique de son style choral (Ă©galant ainsi Bach), atteignant des prodiges de caractĂ©risation pour les choristes, particulièrement sollicitĂ©s. Narratif, spectaculaire, le premier volet exprime la tĂ©nacitĂ© du peuple Ă©lu. Dans la seconde partie, d’après le Cantique de MoĂŻse, Haendel chante la justice et la puissance divine, misĂ©ricordieuse et protectrice, en particulier le sort rĂ©servĂ© aux Egyptiens submergĂ©s et finalement vaincus… entre proclamation et Ă©vocation spectaculaires, prière et hymnes spirituels, d’une grande Ă©nergie mystique, les choeurs et arias affirment la maĂ®trise du compositeur dont la force du message s’appuie sur un orchestre et un choeur Ă  la fois, dĂ©taillĂ© et flamboyant. Ici c’est surtout l’inspiration sacrĂ©e des airs qui s’impose car les voix solistes n’incarnent pas de figures individuelles mais la conviction et la passion de sentiments partagĂ©s, produits par chaque situation Ă©voquĂ©e.

 

gardiner-john-eliot-gardiner-maestro-handel-haendel-oratorio-cd-decca-coffret-review-critique-classiquenewsoratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. En 1995, Gardiner convainc surtout par ses choeurs bouillonnants d’expressivité cohérente et finement caractérisée, doublé par un orchestre des plus évocateurs (N°4 : He spake the word… ; étonnant N°25a: « The people shall hear », grave et d’un lugubre, désespéré, de surcroît le plus long des choeurs : plus de 7mn)… l’excellent Monteverdi Choir fait montre d’une plasticité profonde, d’une force intérieure aux accents dramatiques souvent irrésistibles; on reste cependant plus réservé sur le choix des solistes souvent peu justes, et trop lisses (duet n°24: alto/ténor: JP Kenny, totalement absent et désimpliqué / Philip Salmon.

 

haendel handel classiquenewsLE MESSIE, 1742. Le Messie évoque le succès de Haendel, hors de Londres, en particulier à Dublin, répondant à l’invitation du Lord Lieutenant d’Irlande : créé en avril 1742, Le Messie suscite un triomphe immense (près de 700 spectateurs dès sa création). A Londres, les spectateurs furent plus réservés, hostiles mêmes, choqués d’écouter des textes sacrés au théâtre. Il fallut attendre 1750 pour que Le Messie s’impose à Londres quand Handel, reprenant la vocation altruiste de ses concerts, imagina de le donner au Foundling Hospital au profit des nécessiteux de Londres. Enrichie de hautbois et de bassons, la partition devait connaître une faveur croissante au point d’être jouée devant une salle comble, chaque année. Dans la première partie, les Prophètes annoncent l’arrivée du Messie, sauveur, lumière du monde en une succession d’airs, hymnes, prières d’une joie éperdue… tandis que le choeur, plus inspiré et mystique que précédemment, en exprimant son omnipotence, glorifie Dieu. La seconde partie s’interroge sur le sens de la Passion ; puis la troisième et courte dernière partie, se concentre surtout sur le sens de la Résurrection. Elégantissime, inspiré, plein d’espoir et de tendresse lumineuse, Haendel à la différence des Passions de Bach, plus âpre (Saint-Jean) ou déploratif (Saint-Matthieu) explore une ferveur des plus étincelantes où les promesses du pardon envoûtent l’auditeur à force de nobles et très humaines prières. Architecte inspiré, il sait ciseler la délicate modénature entre choeurs méditatifs, airs solos, parure orchestrale de plus en plus raffinée et inspirée.

 

pinnock maestro trevor-pinnock_2704847boratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423EBLOUISSANT TREVOR PINNOCK. En 1988, Trevor Pinnock et ses musiciens de l’English Concert séduisent immédiatement par un sens miraculeux du texte : caractérisation fluide et étonnamment nuancée de l’orchestre, surtout élégance, fluidité et naturel du ténor au sommet de ses possibilités vocales et expressives, le légendaire Howard Crook dans l’un de ses emplois les mieux chantants. Son entrée, récitatif accompagné puis air, sont d’une irrésistible intensité, effusion et narration tendre et habitée par la noblesse du livret de Jennens. En comparaison, Gardiner au même moment ennuierait presque par une sonorité plus lisse, ronde, donc plus prévisible. Eblouissante, d’une virtuosité flexible et toujours nuancée, si proche du texte Arleen Auger éblouit elle aussi (N°16, Rejoyce greatly, daughter of Zion… illuminé par son timbre évident). Même couleur brillante et instinct irréprochable pour la haute contre Michael Chance (noblesse et certitude aérienne d’une fluidité liquide du n°13 : « Thou art gone up on high. »… Reconnaissons que la sûreté des solistes réunis autour de lui par Trevor Pinnock laisse pantois ; rien à voir avec les solistes plus incertains de Gardiner, presque dix ans plus tard.

 

 

 

 

DERNIERS ORATORIOS : 1743-1750
Les derniers oratorios. VĂ©ritables opĂ©ras sacrĂ©s (sauf les deux mythologiques : SĂ©mĂ©lĂ© et Hercules), les derniers ouvrages anglais de Haendel sont des drames de plus en plus intĂ©rieurs oĂą brillent grâce aux contrastes rĂ©alisĂ©s des choeurs – vrais personnages collectifs ou force morale faisant commentaire, le profil pur et hautement moral des protagonistes comme le relief dramatiquement efficace et magistralement colorĂ© de l’orchestre.

handel_london haendel a londres hanovre square rooms concerts of handel in londonSAMSON, février 1743. Composé en 1741 et finalement prêt au moment où le compositeur crée son Messie à Dublin, Samson est mis de côté pour Londres. Sur un livret de Milton, l’oratorio reprend le canevas du drame biblique laissé depuis Saul (1739). Créé au Théâtre Royal Covent Garden de Londres, l’ouvrage de Handel s’intéresse surtout à la fin de la vie de Samson : quand le héros juif ayant révélé à Dalila le secret de sa force, donc sa faillibilité, est l’esclave des Philistins, victime de la haine collective, ne désirant plus que la mort. Au début, il doit divertir le peuple au moment de la fête de Dagon… L’oeuvre est plus psychologique que dramatique. Et c’est la puissance et le surtout le raffinement de la musique qui en exprime la subtile métamorphose intérieure (ouverture brillante avec cors). L’homme trahi se reconstruit peu à peu, en particulier par la conscience reconquise de sa force supérieure grâce à la brutalité du géant Harapha dont il partage la puissance… mais dans son cas, plus avisée, plus affûtée. C’est cette conscience qui lui permet ensuite de détruire les Philistins sous les ruines de leur temple. Admirateur des tragédies antiques grecques, Milton invente telle une figure prophétique, la coryphée Micah, voix solitaire détachée du choeur et doublée par lui, qui commente l’action et jalonne l’élévation spirituelle et morale de Samson, vrai héros vertueux, qui a ressuscité de lui-même. Handel recycle nombre des motifs de Telemann, Legrenzi, Carissimi et surtout de l’opéra Numitore de Porta, écouté en 1720… Novateur, le compositeur réserve le rôle titre de Samson au ténor John Beard, quand la tradition lyrique préférait jusque là un castrat.

 

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423christophers-harry-handel-oratorio-haendel-oratorios-harry-christophers-1266926603-article-0Interprétation. Ductile et expressive, d’une nervosité intérieure (absente chez Gardiner), l’approche de Harry Christophers en 1999, saisit par son activité instrumentale, un sens de la caractérisation musicale qui donne vie à chaque jalon de l’itinéraire d’un Samson en plein doute (N°17 : « Why does the God of Israel sleep ? » admirablement flexible); de fait, le chef a trouvé un superbe ténor : Thomas Randle, d’une noblesse virile et tendre, dont le nerf reste constant. Tandis que le soprano souple et sombre de Catherine Wyn Rogers fait une Micah pleine de compassion et de tendresse admirative pour le héros en pleine transformation : c’est elle la seconde protagoniste par l’importance de ses airs et la force expressive. Encore une fois la fine équipe anglaise réunis par Harry Christophers séduit par son approche très fine et raffinée, essentiellement vivante, du drame Haendélien.

 

 

 

Les Oratorios sur un sujet mythologique
(SEMELE, février 1744 / HERCULES, janvier 1745 )

 

 

 

 

SEMELE, février 1744

handel-haendel-portrait-582-grand-portrait-handel-haendelSur un prétexte mythologique, sujet à de somptueux effets dramatiques (le dévoilement final de Jupiter à la face d’une trop naïve amoureuse, l’insouciante et écervelée Sémélé qui en meurt évidemment), l’oratorio Sémélé est par sa construction en scène fortement caractérisées (et la faible présence des choeurs), l’un de plus proches de l’opéra. Composé en juin 1743, la partition réutilise le livret ancien de Congreve (1706). La jalouse Junon, que Jupiter trompe sans vergogne se venge de Sémélé, nouvelle conquête du Dieu des dieux, en la poussant jusqu’à prier Zeus d’apparaître donc dans toute sa glorieuse majesté, éblouissante… quitte à en être réduite en cendres (air de Sémélé n°50). Ici peu de choeur, mais une action concentrée sur le sémillant badinage des acteurs, tous unis pour perdre la pauvre beauté, trop vaniteuse pour discerner le danger que sa soif d’immortalité suscite directement. La fantaisie poétique (figure du Sommeil Somnus), la tendresse comique, shakespearienne d’un Handel proche de Purcell, enchantèrent le public dès la création le 10 février 1744 au Théâtre royal de Covent Garden à Londres…

 

 

Interprétation. John Nelson réunit en 1993, la crème des chanteurs lyriques anglo-saxons offrant à la comédie mythologique de Handel des tempéraments opératiques d’une présence indéniable : Samuel Ramey (Somnus), le ténor John Aller (Jupiter), surtout Sylvia McNair (Iris), Marilyn Horne (bavarde et suractive Junon), et dans le rôle-titre, la superdiva, lolita aux caprices légendaires, l’impossible mais ici si virtuose et sensuelle, Kathleen Battle. osons dire que son absence totale de profondeur colle parfaitement à la figure de l’écervelée vaniteuse… L’English Chamber Orchestra grâce au chef s’est allégé et veille particulièrement à caractériser chaque séquence d’une lecture admirablement séduisante. De sorte que sans décor ni machinerie, Sémélé déploie ses habits de vrai opéra. Les accrocs aux sonorités mordantes, âpres des cordes en boyaux, passeront leur chemin.

 

 

 

 

 

 

 

HERCULES, janvier 1745

handel-haendel-portrait-vignette-carre-handel-380Après Sémélé, Haendel aborde l’Antiquité et la mythologie mais alors que Sémélé est une comédie, épinglant l’insouciante fatale d’une écervelée passablement vaniteuse, Hercules, en serait le pendant tragique, sombre voire terrifiant. Car ici d’après Ovide et Sophocle, Handel fait créer au King’s Théâtre de Haymarket le 5 janvier 1745, -  juste avant son génial Belshazzar, un épisode de la vie d’Hercule qui est son ultime : Nessus, centaure qui aimait Déjanire, se venger très cruellement quand la belle a préféré l’amour d’Hercule. Il fait croire à la traitresse qu’une tunique tâchée de son sang lui permettra de reconquérir l’amour de son amant auquel elle prête une idylle avec la captive Iole. En vérité, la tunique que revêt Hercule est empoisonnée et le héros meurt dans d’atroces souffrances en maudissant Déjanire. Tout l’opéra est concentré sur le profil de Déjanire qui demeure l’un des rôles dramatiques et tragiques pour mezzo, continûment passionnant. Le doute, la lolie, la jalousie haineuse et destructrice, l’aveuglement total qui passionne Déjanire au point de ne plus discerner la réalité, sont magistralement exprimés : l’amoureuse hystérique et criminelle finit hantée par les furies.

Libéré des conventions de l’opéra avec décors, donc du da capo, Handel affectionne une forme lyrique libre, épousant chaque séquence émotionnelle, selon les personnages et leurs situations. Malgré ses qualités, l’opéra ainsi déguisé Hercules fut boudé par le public qui attendait un drame sacré moral et spirituel, au lieu de quoi, Handel lui servit une tragédie de la jalousie, opéra maquillé en drame profane. L’échec fut bien compris : Handel délaissa définitivement les sujets mythologique pour revenir aux figures édifiantes en particulier féminines (Theodora, Jephtha).

 

 

minkowski marcInterprĂ©tation. De toute Ă©vidence, Marc Minkowski fait du Minkowski. Aucune profondeur mais une attention vive aux contrastes et effets dramatiques ; d’oĂą la sensation continue d’un geste embrasĂ©, parfois sec, mais oĂą fait cruellement dĂ©faut, la vĂ©ritĂ©. Le rĂ´le-titre est emblĂ©matique : superbe personnage de baryton basse pourtant, Gidon Saks aborde le profil de Hercules avec un panache linĂ©aire, absent de nuances intĂ©rieurs (III, scène 2 : « O Jove!). Dommage. Plus raffinĂ© dans l’expressivitĂ© ardente, et les inflexions mĂ©ditatives : Lychas de David Daniels, et surtout le très hĂ©roĂŻque Hyllus – fils d’Hercule, du tĂ©nor Richard Croft (palpitant, inscrit dans l’urgence : « « Let not famĂ© the timings spread » / expression de l’amour filial sincère de Hyllus pour son père). Velours colorĂ© au diapason d’une folie de plus en plus hystĂ©rique et haineuse (vis Ă  vis de Iole), la DĂ©janire de Von Otter ne manque pas d’intensitĂ©, mais il manque une certaine profondeur hallucinĂ©e, due certainement aux tempi parfois prĂ©cipitĂ©s du chef emballĂ© par sa fougue (Episode de folie du III : « Where shall I fly? », vaste rĂ©cit accompagnĂ© Ă  la gravitĂ© pourtant racinienne). Plus juste et d’une vĂ©ritĂ© proche du texte, la très dĂ©licate et si musicale Iole de Lynne Dawson (« My breast with tender pity swells »…), qui dans l’air le plus long du III, exprime ce sentiment humain de compassion, contrastant avec la violence barbare des Ă©pisodes qui l’environnent. Le nerf est bien prĂ©sent, offrant une belle caractĂ©risation mais pour DĂ©janire (trop lĂ©gère pour un rĂ´le noir?), et un Hercules trop brut tempère l’enthousiasme face Ă  une version qui cible souvent le clinquant, mais qui comportent des instants très justes (grâce Ă  la tenue des solistes : dernier duo amoureux et victorieux Hyllus/Iole, Croft/Dawson).

 

 

 

 

 

 

BELSHAZZAR, mars 1745

handel-haendel-londres-london-vignette-dossier-haendel-2016-sur-classiquenewsEn mars 1745, Handel présente son nouvel oratorio au Haymarket de Londres, sûr de son écriture orchestralement et fabuleusement raffinée. Le choeur et les instruments conduisent magistralement l’action (cf dans l’acte II, la Symphonie en urgence ouvrant la scène du banquet de Belshazzar : sentiment panique et aussi couleur cynique et barbare pour dépeindre l’arrogance déplacée des Babyloniens). Dans le cas de Belshazzar, Handel fait comme Wagner dans l’élaboration de la Tétralogie : il interrompt l’écriture de Belshazzar après la fin du second acte, pour écrire le souffle héroïque et tragique d’Hercules ; le compositeur reprendra Belshazzar et son troisième et dernier acte, quand il recevra la fin du livret de Charles Jennens.
Bien que magistral par la diversité des portraits vocaux (Nitocris, Belshazzar, Daniel soit la tendresse maternelle / le cynisme et la cruauté juvéniles / la sagesse mystique), exigeant des choeurs, une articulation inouïe ; d’un équilibre dramatique efficace sans temps morts, Belshazzar passe quasi inaperçu à Londres, en raison d’une saison trop riche, défendue par un Handel génial et boulimique, difficile ainsi à suivre dans cette saison 1745.

De la part de Charles Jennens, c’est assurément l’un des oratorios les mieux écrits sur le plan dramatique, vrai drame lyrique sacré qui saisit par la force des choeurs (prodigieux de diversité expressive : tour à tour : Babyloniens arrogants et haineux ; hébreux, humiliés, désespérés ou fervents ; mais aussi Perses agressifs et bientôt, sous la conduite de Cyrus, victorieux des babyloniens), le profil des héros : certes la juvénilité perverse et bornée donc fatale du jeune Belshazzar ; surtout les deux âmes spirituellement « amoureuses » : Nitocris, mère aimante qui reste animée par la quête de rédemption en faveur de son fils perdu mais aimé ; surtout le prophète Daniel, d’une autorité vocale supérieure, essentiellement spirituelle : son monde contraste avec les vilainies bassement terrestres de l’action continue.

Handel_Belshazzar_William ChristieDans un rĂ©cent enregistrement, William Christie et ses Arts Florissants ont dĂ©montrĂ© le gĂ©nie expressif et poĂ©tique du Handel des annĂ©es 1745/1746 : douĂ© d’une intelligence introspective rare (l’amour de Nitocris dont le regard sur le dĂ©roulement de l’action est le fil conducteur de l’oratorio qui est donc accompli Ă  travers les yeux d’une mère – superbe premier air d’ouverture : « Thou, God most high »- ; mĂŞme comprĂ©hension superlative de l’élĂ©vation spirituel voire mystique de Daniel : les 2 caractères y sont prodigieusement rĂ©alisĂ©s). LIRE notre critique de Belshazzar par William Christie (enregistrĂ© en 2012, paru en 2013) / VOIR notre reportage vidĂ©o exclusif de Belshazzar par William Christie.

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Interprétation. Comme dans son fabuleux Messie de 1988, Trevor Pinnock poursuit une compréhension profonde des enjeux psychiques et spirituels du drame haendélien grâce à un geste très articulé et ciselé, en un continuum orchestral très nuancé… Soucieux de la caractérisation la plus juste et la plus intime des personnages, Pinnock réserve le superbe rôle de Nitocris, mère aimante et compassionelle à sa soprano favorite (déjà présente dans son Messie) : Arleen Auger (sobriété exemplaire et tendre vérité de son second grand air : N°37 « Regard, oh son… », acte II)) ; Anthony Rolfe Johnson souligne l’incisive barbarie de Belshazzar, son ignorance de toute sagesse ; James Bowman rend Daniel, vibrant et habité par ses visions. Sans atteindre la grâce mystique, le raffinement spirituel réalisé par William Christie dans son approche de l’oratorio, Trevor Pinnock lui ouvrait déjà la voie par son attention à l’extrême sensibilité humaine de l’écriture.

 

 

Judas Maccabaeus, 1747

Hogarth,_William_-_Portrait_of_a_Man_-_Google_Art_ProjectLe HWV 63 est créé à Londres au Théâtre royal de Covent Garden, le 1er avril 1747. La partition suit le livret de Thomas Morell et en liaison avec le contexte politico-religieux de l’époque célèbre la victoire du Comte de Cumberland contre les jacobites. Avec les oratorios Joshua, Alexander Balus, il s’agit aux côtés de l’Occasionna Oratorio, d’une tétralogie sacrée particulièrement guerrière et militante, grâce à laquelle Handel reconquiert son public après l’échec de ses opéras italiens de 1745. Contrairement à Saul, Samson, ou Belshazzar (génial mais nous l’avons vu, ignoré purement et simplement par l’audience), Judas est une oeuvre complaisante, répondant opportunément à une commande qui doit célébrer et exalter la fibre patriotique, Handel n’hésitant pas à alléger même le profil psychologique des protagonistes, singulièrement légers. Dans l’acte I, les Juifs pleurent leur chef Mattathias récemment décédé.Son fils, Simon est sollicité pour désigner un nouveau leader : il nomme son frère Judas. De fait ce dernier, inspiré par la Paix, exhorte les Juifs à reprendre les armes pour assurer leur liberté. Au II, la fière énergie des Juifs menés par Judas est mise à mal par Antiochus et ses armées, mais dans le III, les prêtres israélites louent le courage de Judas Maccabaeus et sa victoire à Capharsalama. Judas Maccabaeus est une vaste cantate de guerre, emportée finalement par un allant victorieux.

 

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423mackerras charles maestro handel haendelInterprétation. Représentatif de la fin des années 1970, où la nervosité dépoussiérée des orchestres sur instruments anciens n’a pas encore tout explorer, le geste précis certes de Mackerrras en 1977, à la tête des modernes instrumentistes de l’English Chamber orchestra, a bien du mal sur la durée à nous tirer d’une assommante torpeur : les choeurs comme les récitatifs souffrent d’une mécanique monolithique (continuo savonné et lisse), sans guère de caractérisation. Seules les superbes solistes, surtout féminins (Felicity Palmer et Janet Baker en respectivement une femme israélite et un homme israélite), saisissant par leur sens du texte et des enjeux dramatiques, principalement guerriers.

 

HAENDEL / HANDEL : les Oratorios anglais, partie I
A venir, la seconde partie de notre grand dossier Les Oratorios de Haendel Handel, partie II :

 

Entre autres, les drames bibliques :
Solomon, mars 1749
Theodora, mars 1750
Jephtha, février 1752

 

CONSULTER la Partie 2 de notre grand dossier Les Oratorios de Handel 

Conception du dossier Haendel : les oratorios... Benjamin Ballifh, Camille de Joyeuse  avec Elvire James et Lucas Irom

 

 

 

 

 

 

 

 

Coffret cd événement, annonce : HANDEL, The great oratorios (Decca 41 cd)

oratorios the great oratorios coffret beox review critique cd classiquenews 41 cd deccaCvr-00028948301423Coffret cd Ă©vĂ©nement, annonce : HANDEL, The great oratorios (Decca 41 cd). Decca cĂ©lèbre le gĂ©nie du Haendel londonien qui après avoir tentĂ© (vainement) d’affirmer l’opĂ©ra seria italien, invente l’oratorio en langue anglaise. Sobre (en rouge avec fine quadrature jaune/or), le coffret de 41 cd regroupe 16 opus ou oratorios qui retracent chacun les jalons de la formidable aventure de l’opĂ©ra anglais version Handel : le Saxon en devenant plus britannique que les londoniens, abandonne toute ambition lyrique en italien, et invente un nouveau genre, l’oratorio anglais. Pour dĂ©fendre son Ă©criture, les chefs Sir John Eliot Gardiner, Trevor Pinnock, Christopher Hogwood, Marc Minkowski et Harry Christophers. Avec entre autres les oratorios :  La Resurrezione, La Messe du Couronnement, Acis et GalatĂ©e, Judas MacchabĂ©e, Salomon, Saul, Israel en Egypte, incarnĂ©s par les solistes Emma Kirkby, Joan Sutherland, Anne Sofie von Otter, Andreas Scholl, Anthony Rolfe Johnson, Arleen Auger. Soit plusieurs gĂ©nĂ©rations d’interprètes, relevant ou non de la pratique baroqueuse, historiquement informĂ©e. Mais jouer des instruments d’Ă©poque ne fait pas tout : car comme Ă ’opĂ©ra, l’Ă©criture handĂ©lienne, parmi les plus dramatiques qui soient, exige des voix Ă  tempĂ©raments, de vĂ©ritables personnalitĂ©s vocales…

haendel handel georg-friedrich-haendel_1_jpg_240x240_crop_upscale_q9530 ANS D’INTERPRETATION BAROQUE… L’éventail interprĂ©tatif est vaste et rend compte de plusieurs dĂ©cennies de styles variĂ©s selon les nationalitĂ©s du chef et des musiciens. Judas Maccabaeus est le plus ancien enregistrement : 1977, -sous la direction de Charles Mackerras (avec la crème du chant anglais dont Felicity Palmer, Janet Baker, John Shirley Quirck) et l’ECO English Chamber Orchestra, sur instruments modernes. Lui succèdent par ordre chronologique de rĂ©alisation : Acis et GalatĂ©e (1978); La Resurrezione (1982), Esther (1985), Athalia (1986), le Messie et Alexander’s Feast (1988), Jephtha (1989), Saul et Belshazzar (1991), Semele (1993), Israel in Egypt, Coronation Anthems (1995), Solomon (1999), Theodora (2000), enfin Hercules (2002), donc le plus rĂ©cent, par Les Musiciens du Louvre et Marc Minkowski (avec Paul Groves, Anne Sofie von Otter…). Pour chacun, le style oratorien ne doit rien sacrifier Ă  l’éloquence du drame, ni Ă  la fièvre Ă©pique, sans omettre Ă©videmment le souffle de la prière spirituelle voire mystique.  Les plus engagĂ©s en nombre de rĂ©alisations sont ici Hogwood, Pinnock et surtout Gardiner.

 

 

Parution : début juillet 2016. Prochaine critique complète du coffret HANDEL / The great oratorios 41 cd Decca, à venir dans le mag cd de classiquenews.com

En savoir plus sur http://www.clubdeutschegrammophon.com/albums/handel-the-great-oratorios/#DiPUlsYVkgjVIRWQ.99

Haendel : Bellezza contre le temps et la désillusion

nattier-haendel-handel-portrait-jean-marc-nattier-portrait-of-francis-greville,-baron-brooke,-later-1st-earl-of-warwick-(1719-1773)France Musique. Mercredi 6 juillet 2016, 22h. Handel : Il trionfo del tempo e del disinganno. Le jeune Haendel romain, vedette du festival d’Aix 2016. L’oratorio en deux parties que le jeune Haendel – âgĂ© de 22 ans, livre en Italie en 1707 est une personnalitĂ© europĂ©enne venu Ă  Rome enrichir sa propre expĂ©rience et aussi dĂ©montrer combien il maĂ®trise au dĂ©but du XVIIIè, la langue sensuelle et conquĂ©rante de la Contre RĂ©forme. Sur le livret du Cardinal Benedetto Pamphili, Il Trionfo est une succession d’airs Ă©lectriques, exigeant des solistes une habilitĂ© virtuose exceptionnelle, entre expressivitĂ© dramatique, et subtilitĂ© d’intonation. Soit de vrais chanteurs d’opĂ©ras. C’est une annonce directe de ce que fera le gĂ©nie saxon, plus tard Ă  Londres, après avoir Ă©chouĂ© Ă  affirmer son mĂ©tier dans le genre de l’opĂ©ra sedia : Il trionfo dĂ©signe cet oratorio anglais bientĂ´t Ă  naĂ®tre et remarquablement dĂ©ployĂ© dès la fin des annĂ©es 1730. Mais ici, Ă  Rome, le jeune compositeur apprend et perfectionne sa langue dramatique et poĂ©tique.

 

 

haendel handel classiquenewsBEAUTE / BELLEZZA s’enivre d’elle mĂŞme… 4 personnages allĂ©gories se confrontent, exprimant les diverses Ă©lans et dĂ©sirs de l’âme humaine; Bellezza (beautĂ©), Piacere (Plaisir), Disinganno (dĂ©sillusion) et Tempo (Temps), tous imposent Ă  l’homme les limites et les mirages d’une vie d’insouciance ; sans conscience ni morale, sans valeurs ni sagesse, une vie humaine est vaine, creuse, fĂ»t-elle belle, hĂ©doniste. Le temps rattrape vite les Ă©lans du plaisir. Tout n’a qu’un temps et passe et s’efface. L’appel est lancĂ© : l’âme doit ĂŞtre responsable. Ainsi la BeautĂ© s’enivre d’elle-mĂŞme… Si le sujet est sĂ©rieux et hautement moral, la forme musicale Ă©poustoufle par son raffinement, sa suprĂŞme Ă©lĂ©gance, l’invention des mĂ©lodies, la finesse et la subtilitĂ© de la langue orchestrale. Jamais le gĂ©nie haendĂ©lien n’aura Ă©tĂ© aussi imaginatif, contrastĂ©, sensuel et nerveux : le compositeur rĂ©utilisera d’ailleurs nombre de ses airs dans ses opĂ©ras futurs. Aix propose une version mise en scène par le polonais dĂ©jantĂ©, souvent provocateur, en tout cas dĂ©calĂ©, Krzysztof Warlikowski. La distribution elle suscite une adhĂ©sion immĂ©diate :

Bellezza : Sabine Devieilhe*
Piacere : Franco Fagioli
Disinganno : Sara Mingardo
Tempo : Michael Spyres

Tous sont conduits par Emmanuelle Haim, à la tête de son ensemble Le Concert d’Astrée.

 

 

 

A l’affiche du festival d’Aix 2016 : les 1er, 4, 6, 9, 12 et 14 juillet 2016 / Théâtre de l’Archevêché, 22h. VISITER le site du festival d’Aix en Provence 2016

 

 

logo_france_musique_DETOUREDIFFUSION : en direct sur France Musique et France 2, le 6 juillet 2016 Ă  22h. Voici l’un des temps forts du festival d’Aix en Provence 2016, et non sans raison mais de façon confidentiel, la place du Baroque Ă  Aix. Il reste dommage que les grands crĂ©ateurs baroques lyriques, français ou italiens aient depuis des dĂ©cennies – depuis la direction de Bernard Foccroule prĂ©cisĂ©ment, quittĂ© le plateau de l’ArchevĂŞchĂ©. On se souvient des Orfeo ou Dido qui avaient pourtant enchantĂ© les soirs Ă©toilĂ©s du festival. Qu’en sera-t-il avec le nouveau directeur Pierre Audi ?

 

 

Illustration : évocation du jeune Haendel / Handel à Rome / Portrait de jeune homme Baron Brooke par Nattier (DR)

 

Nouvel Alcina à Genève

Haendel handel oratorio opera baroqueGenève, Gd Théâtre.Haendel : Alcina. 15-29 fĂ©vrier 2016. Le Grand Théâtre de Genève (en rĂ©alitĂ© le cadre intimiste du théâtre de bois de l’OpĂ©ra des Nations) accueille une nouvelle production d’Alcina de Haendel, chef d’oeuvre absolu inspirĂ© de la poĂ©sie noire et tragique de L’Arioste, oĂą la passion amoureuse conduit chevaliers et magiciennes aux bords de la folie solitaire, destructrice. Chacun ici fait l’expĂ©rience de l’impuissance, mĂŞme l’enchanteresse Alcina qui malgrĂ© ses pouvoirs, n’est pas la souveraine manipulatrice que l’on pourrait croire : son empire est celui de l’artifice et de l’illusion et gare au moment oĂą en un Ă©clair de pleine conscience, les masques tombent et la magicienne mesure la rĂ©alitĂ© dĂ©risoire de son pouvoir. Avant les Armide et les MĂ©dĂ©e de la pĂ©riode des Lumières et des Romantiques, Haendel s’intĂ©resse au personnage central d’Alcina dont il fait une figure de femme surtout humaine, troublante, attachante, et formidablement dĂ©chirante. Peu Ă  peu, la magicienne humanisĂ©, sombre dans le noir de l’amertume, la rancoeur sourde d’une âme blessĂ©e, dĂ©truite, dĂ©vastĂ©e. Car Renaud qu’elle aime et qu’elle a ensorcelĂ© pour qu’il l’aime en retour, en reprenant ses esprits (grâce Ă  ses amis chevaliers et Ă  sa première compagne venue le recherche : Bradamante), comprend qu’il a Ă©tĂ© trompĂ© ; il n’aime pas Alcina et le lui fait savoir sans mĂ©nagement. Terrible et effrayant, l’abĂ®me qui se prĂ©sente alors Ă  la souveraine impuissante. Qui n’a pas su se faire aimer pour elle mĂŞme. Qui se fait aimer par magie. Mais pour si peu de temps. Les airs d’Alcina sont d’une effrayante et captivante vĂ©ritĂ© : ils mettent peu Ă  peu Ă  nu, l’âme dĂ©chirĂ©e et soumise de la magicienne. Remarquable de subtile effusion, d’une vĂ©ritĂ© inouĂŻe Ă  son Ă©poque, l’Ă©criture de Haendel, en vĂ©ritable mĂ©decin des âmes, grand connaisseur du sentiment humain, Ă©blouit par l’Ă©lĂ©gance d’une action fantastique qui se montre cruellement humaine.

 

 

 

boutonreservationGenève, Opéra des Nations
Haendel : Alcina 8 représentations
Les 15,17,19,21, 23, 25,27 et 29 février 2016
Nouvelle production
Leonardo Garcia Alarcon, direction
David Bösch, mise en scène
Avec Nicole Cabell, Monica Bacelli, Siobhan Stagg, Kristina Hammarström, Michael Adams… L’OpĂ©ra des Nations
La Cappella Mediterranea (continuo)

Dramma per musica en 3 actes de Georg Friedrich Haendel.
Livret anonyme d’après celui d’Antonio Fanzaglia pour l’opéra L’Isola d’Alcina de Riccardo Broschi, lui-même inspiré de l’Orlando furioso de L’Arioste.
Créé le 16 avril 1735 à Londres, au Covent Garden Theatre.

Chanté en italien avec surtitres en anglais et français 
Billets de Fr. 44.- à Fr. 199.- / Location dès le 31 août 2015 à 10h

 

 

ConfĂ©rence de prĂ©sentation de l’opĂ©ra Alcina
Mercredi 10 fĂ©vrier 2016, 18h15 au Théâtre de l’EspĂ©rance
Diffusion sur Espace 2, samedi 2 avril 2016, 20h.

 

 

 

CD. Compte rendu critique. Handel / Haendel : Partenope, 1730. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Teresa Iervolino… Il Pomo d’Oro. Riccardo Minasi, direction.

Handel-Haendel-partenope-erato-il-pomo-d-oro-riccardo-Minasi-gauvin-jaroussky-barath-cd-review-critique-CLIC-CLASSIQUENEWS-novembre-2015-JAROUSSKY---Haendel-Partenope---Gauvin-AinsleyCD. Compte rendu critique. Handel / Haendel : Partenope, 1730. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Teresa Iervolino… Il Pomo d’Oro. Riccardo Minasi, direction (3 cd Erato). Après une première pĂ©riode au King’s Theatre, assez chaotique (1719-1728), conclu par le dĂ©part de la troupe de chanteurs italiens pourtant stupĂ©fiante (dont le castrat vedette Senesino, et les prime donne Francesca Cuzzoni et Faustina Bordoni), tous retournant Ă  Venise pour ne jamais plus remettre les pieds Ă  Londres, Haendel rĂ©ussit un tour de force en convaincant les nobles anglais, soutiens de l’entreprise lyrique (Royal Academy of Music) de le reconduire pour 5 annĂ©es, Ă  partir de janvier 1729 afin de lui offrir un confort de travail et le moyen de construire dans la durĂ©e, une vraie programmation d’opĂ©ra italien Ă  Londres : après avoir en vain sensibilisĂ© Farinelli pour participer Ă  sa nouvelle Ă©quipe, Haendel regroupe de nouvelles personnalitĂ©s chantantes, vrais tempĂ©raments autant chanteurs qu’acteurs, mais de nouveaux solistes : Francesca Bertolli, contralto (Armindo), la soprano Anna Maria Strada del Po (Partenope), Antonio Bernacchi (castrat : Arsace), Antonio Margherita Merighi (Rosmira)… Ainsi naĂ®t le chef d’oeuvre mĂ©sestimĂ© aujourd’hui, Partenope, créé le 24 fĂ©vrier 1730 au King’s Theatre. L’enjeu est de taille pour le compositeur qui vient d’essuyer un premier revers avec son premier ouvrage composĂ© pour la nouvelle Ă©quipe Lotario (créé en dĂ©cembre 1729 et vite mis au placard au regard de son peu de succès).
L’enregistrement dirigĂ© par Riccardo Minasi, directeur musical si sĂ©duisant de l’excellent ensemble Il Pomo d’Oro (un titre : la Pomme d’or, en rĂ©fĂ©rence au chef d’oeuvre absolu signĂ© par Cesti pour la Cour d’Innsbruck au XVIIè) a le mĂ©rite d’exprimer ce nouveau feu bouillonnant d’un Haendel quinquagĂ©naire, plein d’entrain, dont l’objectif est au dĂ©but d’un nouveau cycle musical oĂą il peut enfin travailler en sĂ©curitĂ© comme salariĂ© de la Royal Academy, la reconquĂŞte d’une forte audience amatrice d’opĂ©ra seria.
CLIC_macaron_2014Partenope malgrĂ© son titre qui fait rĂ©fĂ©rence Ă  la fondation de la ville de Naples a très peu Ă  voir avec la Fable mythologique propres aux aventures d’Ulysse de retour Ă  Ithaque (l’une des sirènes qui souhaitait le charmer, se jette dans la mer et Ă©choue sur le rivage de la futur Naples donnant son nom Ă  la fière citĂ©) : ici, le librettiste, membre de l’Arcadia romaine, acadĂ©mie poĂ©tique : Silvio Stampiglia dans le sillon des poètes pessimistes et satiriques tel le VĂ©nitien Busenello (esprit libertin volontiers cynique et sensuel), transpose l’intrigue napolitaine dans un théâtre sentimental, vĂ©ritable marivaudage avant l’heure oĂą la reine Partenope est le centre des attentions de trois soupirants : Arsace, prince de Corinthe et favori en titre ; Armindo, prince de Rhodes, trop timide pour titiller la curiositĂ© de la Souveraine bien qu’elle ne soit pas insensible Ă  son charme tendrement viril ; enfin, Emilio (seul tĂ©nor), prince de Cumes qui est finalement humiliĂ© en Ă©tant dĂ©fait lors d’une bataille expĂ©ditive. L’arrivĂ©e de Rosmira, ancienne maĂ®tresse d’Arsace, devenu ici jeune armĂ©nien Eurimène, bouscoule les positions de cet Ă©chiquier amoureux : Ă  son contact (entre haine vengeresse et regain amoureux), Arsace se rend compte qu’il est toujours Ă©pris de Rosmira ; les deux finiront par s’avouer leur indĂ©fectible lien et Partenope convolera finalement avec le jeune Armindo.
Haendel regorge d’inventive inspiration pour exprimer surtout les vertiges Ă©motionnels nĂ©s du choc entre le favori en titre (Arsace) et la passion contradictoire Ă  son Ă©gard de son ex : Rosmira, passionnant personnage, cĹ“ur racinien Ă  l’opĂ©ra dont chaque air, comme c’est le cas d’Arsace, accumule en les nuançant, chaque jalon sentimental Ă  travers les 3 actes d’un drame surtout psychologique. La partition du dernier acte est la plus emblĂ©matique de cette vision intimiste des passions humaines, oĂą s’affirme le gĂ©nie de Haendel apte Ă  concilier drame et tourments intĂ©rieurs.
Le cast rĂ©unit ici est exemplaire, d’autant que la caractĂ©risation subtile dĂ©fendue par l’ensemble de Riccardo Minasi apporte un raffinement Ă©lĂ©gantissime qui s’inscrit dans le sillon d’un William Christie, pilier de l’interprĂ©tation haendĂ©lienne : c’est dire le style et la tenue ainsi dĂ©fendus. Aucun des airs, aucun des Ă©pisodes ne faiblit et chaque sĂ©quence, prise comme unitĂ© singulière, est spĂ©cifiquement conçue comme le reflet prĂ©cis d’un nouveau sentiment, surgissant Ă  un moment clĂ© de la situation concernĂ©e.
L’enchaĂ®nement des premières sĂ©quences de l’acte III rĂ©vèle ce travail superlatif rĂ©alisĂ© par les interprètes, chanteurs et instrumentistes :
VĂ©ritable dĂ©fi et sommet de contrastes oĂą elle s’adresse Ă  ses deux soupirants chacun suscitant un sentiment prĂ©cisĂ©ment contraire : tendresse pour Armindo ; nouvelle haine pour Arsace : l’air “Spera e godi, oh mio tesoro” (cd3, plage7) impose l’excellente Partenope de Karina Gauvin, aux vertiges passionnels contrastĂ©s, dont la flexibilitĂ© Ă  passer d’un sentiment l’autre, d’autant plus qu’elle respecte l’articulation projetĂ©e du texte, confirme son Ă©loquente incarnation d’une souveraine toujours fière et digne, vraie arbitre de la situation sentimentale.
Dans son air hĂ©roĂŻque et de sagesse, “la speme ti consoli” (plage9), le (seul) tĂ©nor du plateau, John Mark Ainsley confirme une belle endurance vocale, combinant Ă©lĂ©gance et espĂ©rance.

Il Pomo d’oro restitue la passion palpitante du Haendel le mieux conquĂ©rant Ă  Londres d’une nouvelle audience pour l’opĂ©ra italien

Feu haendélien des années 1730

antiquite-deesse-grece-renaissance-athena-294Parfaitement employĂ© au regard de son caractère et de son format vocal, le contre tĂ©nor Philippe Jaroussky compose un Arsace totalement convaincant dont chaque air nuance le tempĂ©rament Ă©pris d’un amant officiel (favori de Partenope) rattrapĂ© par son premier amour (pour Rosmira) ; chacun des tableaux qui rĂ©vèlent peu Ă  peu sa lente implosion intĂ©rieure, Ă©claire l’inclination naturelle de son caractère pour la tendresse : langueur murmurĂ©e, douceur extatique idĂ©ale pour sa voix peu puissante qui tient la note dans le medium riche et onctueux pour “Ch’io parta” (plage11), climat de langueur et de renoncement d’une âme atteinte magnifiquement approfondie encore dans la suite des plages 16 et 17 (“Ma quai note di mesti lamenti“), c’est Ă  dire le tableau du sommeil oĂą Ă©blouit la juste coloration instrumentale – flĂ»te, thĂ©orbe, cordes : vĂ©ritable palpitation introspective d’une grave sincĂ©ritĂ©, … notons l’exceptionnelle profondeur du geste du chef et de ses instrumentistes dans l’expression de cette mise en sommeil qui marque une pause sereine dans un tempĂŞte affective Ă©reintante.
Lui donne la rĂ©plique, la non moins nuancĂ©e Rosmira de la mezzo italienne Teresa Iervolino, aux graves droits et affirmĂ©s qui toujours proche du texte exprime parfaitement l’agitation et les vertiges contradictoires d’une amoureuse en reconquĂŞte (plage 13 : superbe air “Quel volto mi piace“) qui malgrĂ© son ressentiment, n’espère qu’une chose, retrouver l’amour d’Arsace. Le violon solo agile et subtile y exprime prĂ©cisĂ©ment l’Ă©moi et la panique Ă©motionnelle d’une âme tiraillĂ©e entre vengeance et tendresse pour celui qui l’a quittĂ© mais qu’elle aime toujours : la mezzo affirme contrĂ´le et de superbes couleurs : elle est parfaite dans le rĂ´le travesti de Rosmira / Eurimène.
On reste moins convaincu par l’approche de la soprano Emöke Barath, certes dotĂ©e d’un joli timbre mais qui chantonne et papillonne sans consistance, sans vraiment comprendre le caractère de son personnage (douceur tendre d’Armindo, futur Ă©poux de Partenope).
Ses rĂ©serves mises Ă  part, voilĂ  donc ce Haendel palpitant, extatique, rĂŞveur, exaltĂ©, passionnĂ©, vrai poète dramaturge dans un excellent coffret, dĂ©fendu avec une passion raffinĂ©e par un collectif très attentif au feu haendĂ©lien, si typique au dĂ©but des annĂ©es 1730 Ă  Londres. Aujourd’hui, les intĂ©grales d’opĂ©ras sont rares : alors ne boudons pas notre plaisir. CLIC de classiquenews de novembre 2015.

 

 

 

 

Handel-Haendel-partenope-erato-il-pomo-d-oro-riccardo-Minasi-gauvin-jaroussky-barath-cd-review-critique-CLIC-CLASSIQUENEWS-novembre-2015-JAROUSSKY---Haendel-Partenope---Gauvin-AinsleyCD. Compte rendu critique. Handel / Haendel : Partenope, 1730. Karina Gauvin, Philippe Jaroussky, Teresa Iervolino… Il Pomo d’Oro. Riccardo Minasi, direction (3 cd Erato). Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă  Lonigo, Italie, en fĂ©vrier 2015 – 3 cd ERATO, 0825646090075 – CLIC de classiquenews de novembre 2015

INTERNET. Theodora de Haendel par William Christie

arte_logo_2013Internet. “Theodora” de Haendel, vendredi  16 octobre, 20h, en direct du Théâtre des Champs ElysĂ©es sur ARTE Concert ; Ă  voir depuis le lien suivant, en direct puis pendant plusieurs mois :

http://concert.arte.tv/fr/theodora-de-haendel-au-theatre-des-champs-elysees

 

L’oratorio mis en scène, sera diffusĂ© Ă  l’antenne d’Arte, courant 2016. Nouvelle production dirigĂ©e par William Christie et Les Arts Florissants. Avec Philippe Jaroussky et Katherine Watson… dans les deux rĂ´les principaux, Dydimus et Theodora, amants chrĂ©tiens, unis jusque dans la mort…

William Christie,  direction
Stephen Langridge,  mise en scène
Philippe Giraudeau,  chorégraphie
Alison Chitty,  décors et costumes
Fabrice Kebour,  lumières

Katherine Watson, Theodora
Stéphanie d’Oustrac, Irène
Philippe Jaroussky, Dydime
Kresimir Spicer, Septime
Callum Thorpe, Valens

Orchestre et Chœur Les Arts Florissants

 

LIRE notre présentation complète de l’oratorio Theodora de Haendel par William Christie, grand spécialiste de Haendel et connaisseur de l’oratorio Theodora.

 

 

William Christie rejoue Theodora de HaendelParis, TCE. Theodora de Haendel par William Christie. 10-20 octobre 2015. 5 dates événements (10,13,16,18,20 octobre) pour le sommet spirituel de Haendel par son interprète le mieux inspiré. Grand retour (d’autant plus attendu) de Wiliam Christie (fondateur des Arts Florissants et créateur récent du festival enchanteur à Thiré en Vendée, “Dans les jardins de William Christie”, – chaque dernière semaine d’août). “Bill” connaît Haendel comme personne : il en fait respirer les moindres nuances, sachant caractériser comme peu avant lui, chaque profil psychologique, chaque situation dramatique. Un récent album dédié aux musiques funèbres de Haendel pour son amie et protectrice, la Reine Caroline (édité par le label des Arts Florissants) a encore confirmé les affinités du chef avec la lyre hautement mystique du saxon. Ses derniers oratorios dont Theodora (1750) illustrent une maîtrise rare dans l’art expressif et lyrique sans déploiement théâtral… émotions, enjeux et action étant seulement portés par les élans et vertiges du chant, solistique ou choral.
L’ouvrage d’une durée indicative de 2h, est le seul oratorio de Haendel, d’après l’histoire chrétienne : Theodora est une martyre chrétienne du IVè siècle, incarnant avec une rare réussite la plénitude fervente et la certitude spirituelle du croyant. Sa passion entraîne avec elle son fiancé Didymus : aucune épreuve y compris la mort ne peut entraver la croyance et l’espérance intérieures qui portent la vierge martyre. EN LIRE +

 

 

William Christie reprend Theodora de Haendel

William Christie rejoue Theodora de HaendelParis, TCE. Theodora de Haendel par William Christie. 10-20 octobre 2015. 5 dates Ă©vĂ©nements (10,13,16,18,20 octobre) pour le sommet spirituel de Haendel par son interprète le mieux inspirĂ©. Grand retour (d’autant plus attendu) de Wiliam Christie (fondateur des Arts Florissants et crĂ©ateur rĂ©cent du festival enchanteur Ă  ThirĂ© en VendĂ©e, “Dans les jardins de William Christie”, – chaque dernière semaine d’aoĂ»t). “Bill” connaĂ®t Haendel comme personne : il en fait respirer les moindres nuances, sachant caractĂ©riser comme peu avant lui, chaque profil psychologique, chaque situation dramatique. Un rĂ©cent album dĂ©diĂ© aux musiques funèbres de Haendel pour son amie et protectrice, la Reine Caroline (Ă©ditĂ© par le label des Arts Florissants) a encore confirmĂ© les affinitĂ©s du chef avec la lyre hautement mystique du saxon. Ses derniers oratorios dont Theodora (1750) illustrent une maĂ®trise rare dans l’art expressif et lyrique sans dĂ©ploiement théâtral… Ă©motions, enjeux et action Ă©tant seulement portĂ©s par les Ă©lans et vertiges du chant, solistique ou choral.
L’ouvrage d’une durĂ©e indicative de 2h, est le seul oratorio de Haendel, d’après l’histoire chrĂ©tienne : Theodora est une martyre chrĂ©tienne du IVè siècle, incarnant avec une rare rĂ©ussite la plĂ©nitude fervente et la certitude spirituelle du croyant. Sa passion entraĂ®ne avec elle son fiancĂ© Didymus : aucune Ă©preuve y compris la mort ne peut entraver la croyance et l’espĂ©rance intĂ©rieures qui portent la vierge martyre.

 

 

 

L’oratorio anglais selon Haendel

En 1750, Haendel accomplit une forme remarquablement raffinĂ© de l’oratorio anglais

 

Les chĹ“urs sont magnifiquement Ă©crits : chrĂ©tiens puissamment contrapuntiques et d’une sĂ©duction rare – spirituelle et d’une ineffable Ă©lan mystique en rĂ©sonance avec le parcours fervent de l’hĂ©roĂŻne ; Romains paĂŻens non moins engagĂ©s, mais d’une simplicitĂ© homorythmique pourtant très orchestrĂ©e.
Le profil des personnalitĂ©s montre le travail de Haendel pour caractĂ©riser avec beaucoup de finesse chacun des protagonistes : tant de subtilitĂ© dans le traitement des personnages dĂ©montre l’humanitĂ© qui inspire Haendel, son humanisme compatissant Ă  la douleur des ĂŞtres, Ă  la souffrance des âmes Ă©prouvĂ©es sur l’autel de l’intolĂ©rance. Au delĂ  de la lĂ©gende chrĂ©tienne, Haendel s’intĂ©resse Ă  la tragĂ©die des justes, sacrifiĂ©s par la machine de la barbarie.

 

 

synopsis

Haendel handel oratorio opera baroqueActe I. Pour fĂŞter l’anniversaire de l’Empereur DioclĂ©tien, le prĂ©fet romain d’Antioche Valens ordonne que le peuple sacrifie Ă  Jupiter. Pourtant le jeune officier romain Didymus s’oppose Ă  cette tyrannie religieuse : lui-mĂŞme converti secrĂŞtement au christinianisme milite pour la libertĂ© de conscience. La jeune noble Theodora dĂ©fie l’autoritĂ© romaine : elle est arrĂŞtĂ©e pour ĂŞtre prostituer dans le temple de VĂ©nus. DĂ©jĂ , l’âme languissante de Theodora, habitĂ©e par la mort de dĂ©livrance, se recommande aux anges (scène 5). Didymus jure de la libĂ©rer.
Acte II. Didymus rĂ©ussit Ă  revoir Theodora dans sa loge (grâce Ă  l’acceptation de Septimus), cependant que la suivante de la jeune prisonnière, Irène, prie pour son salut. Didymus propose Ă  Theodora de revĂŞtir son armure pour s’Ă©chapper pendant que le jeune homme, qui l’aime et qui est prĂŞt Ă  mourir, prendra sa place.
Acte III. Theodora libĂ©rĂ©e exprime le seul air gracieux presque insouciant dans une succession de lamentations langoureuses. Mais Didymus a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  mort. Theodora pour sauver le jeune homme se livre Ă  Valens.Le dernier chĹ“ur des chrĂ©tiens cĂ©lèbrent l’abnĂ©gation et la courage des deux chrĂ©tiens marchant Ă  leur supplice.

 

 

boutonreservationParis, TCE. Theodora de Haendel par William Christie. 10, 13, 16, 18, 20 octobre 2015. 5 dates événements. Mise en scène : Stephen Langridge. Oratorio en trois actes créé en 1750, Livret de Thomas Morell.

 

William Christie  direction
Stephen Langridge  mise en scène
Philippe Giraudeau  chorégraphie
Alison Chitty  décors et costumes
Fabrice Kebour  lumières

Katherine Watson Theodora
Stéphanie d’Oustrac Irène
Philippe Jaroussky Dydime
Kresimir Spicer Septime
Callum Thorpe Valens

Orchestre et Chœur Les Arts Florissants

 

 

William Christie vous ouvre les portes de ses jardins enchantĂ©s15 ans après son enregistrement lĂ©gendaire, William Christie reprend Theodora avec l’intense caractĂ©risation qui lui est propre : le chef fondateur des Arts Florissants s’entoure d’une nouvelle distribution vocale dont l’excellente soprano Katherine Watson dans le rĂ´le titre, cependant que StĂ©phanie d’Oustrac prĂŞte son somptueux timbre âpre et chaud au personnage d’Irène (la suivante de la jeune noble Theodora), Philippe Jaroussky chante la partie du jeune officier romain converti, Didymus (premier emploi dans un oratorio anglais pour le chanteur français), et que la basse Callum Thorpe (laurĂ©at du Jardin des Voix 2013) incarne l’implacable gouverneur d’Antioche, bourreau des deux fiancĂ©s chrĂ©tiens, Valens.

 

 

handel-haendel-portrait-grand-formatContexte. Avec Theodora, oratorio de l’indĂ©fectible ferveur de la vierge martyre, Haendel perfectionne encore sa maĂ®trise dans le genre dont il s’est le champion inatteignable : l’oratorio anglais. Après le succès de l’oratorio Judas Maccabaeus de 1746, Haendel renoue avec le succès Ă  Londres dans le genre de l’oratorio. En 1749, le compositeur surenchĂ©rit dans l’excellence et toujours en langue anglaise, avec deux nouveaux accomplissements : Solomon et Susanna. Theodora de 1750 marque avec Jephta de 1752, un sommet de son inspiration sur un livret rĂ©digĂ© par le rĂ©vĂ©rend Thomas Morell (recommandĂ© par le prince de Galles). On ne saurait insister sur la couleur spĂ©cifique dans le genre de l’oratorio anglais de Theodora, unique drame inspirĂ© de la passion chrĂ©tienne. Morell s’inspire du drame de Corneille (ThĂ©odore, vierge et martyre de 1646) dont il puise ce souffle poĂ©tique souvent irrĂ©sistible. On ne saurait insister sur la justesse poĂ©tique et la profonde cohĂ©rence de l’oeuvre : l’ouverture en sol mineur affirme la tonalitĂ© dĂ©sormais associĂ©e Ă  Theodora, sa foi inextinguible et indestructible, laquelle conclut aussi la partition.

 

 

christie-william-les-arts-florissants-3-cd-critique-review--handel-theodora-erato-cd-reference-clic-de-classiquenews-compte-rendu-critiqueCD. Handel : Theodora, 1750. William Christie, Les Arts Florissants (3 cd Erato). EnregistrĂ© Ă  Paris Ă  l’Ircam en mai 2000, la version de Bill de l’oratorio oriental de Handel (l’action se dĂ©roule Ă  Antioche) captive de bout en bout grâce Ă  un travail spĂ©cifique sur la caractĂ©risation dramatique de l’action : situations et protagonistes gagnent un relief revivifiĂ© dans un cycle continu qui frappe par sa cohĂ©rence et son souffle. William Christie a poursuivi son exploration du théâtre de Handel : ses rĂ©centes lectures de Belshaazar puis des Musiques pour la reine Caroline (2 titres Ă©ditĂ©s en 2014 et 2015, sous le nouveau label des Arts Florissants) ont confirmĂ© la profonde comprĂ©hension du chef, fondateur des Arts Florissants, de l’écriture haendĂ©lienne. Ici prĂ©valent l’intensitĂ© spirituelle, surtout le parcours Ă©motionnel du couple des martyrs chrĂ©tiens, Theodora et son fiancĂ© Didymus, jeune officier romain converti au christianisme. Toujours plus contraints, les chrĂ©tiens renforcent leur certitude et leur croyance. EprouvĂ©s, humiliĂ©s, inquiĂ©tĂ©s (par l’inflexible et furieux Valens), les deux Ă©lus savent garder leur conviction en une droiture intĂ©rieure saisissante que la musique exprime directement. L’importance des chĹ“urs, chrĂ©tiens et romains, remarquablement Ă©crits, souligne l’ampleur spirituelle souhaitĂ©e par Handel. Erato réédite le coffret de 3 cd Ă  l’occasion de la nouvelle lecture de Theodora par William Christie en octobre 2015. Sophie Daneman dans le rĂ´le titre signe l’un de ses derniers rĂ´les parmi les plus habitĂ©s. Dès son premier air  : “Fond; flatt’ring world, adieu!” la soprano exprime le caractère Ă  la fois Ă©thĂ©rĂ© et abandonnĂ© une inĂ©luctable mort sacrificielle d’une Theodora, totalement embrasĂ©e par son destin qui la voue au martyre.En Dydimus, Daniel Taylor a des aigus faciles et un medium bien assurĂ© : le contre tĂ©nor (Ă  l’origine le rĂ´le fut confiĂ© au castrat alto Gaetano Guadagni affirme la certitude du jeune officier romain converti. Le Septimus de Richard Croft gagne un relief lui aussi finement caractĂ©risĂ© grâce Ă  sa tessiture de tĂ©nor tendre : le chanteur exprime la sensibilitĂ© d’un romain qui sait ĂŞtre permĂ©able Ă  la conversion de Didymus. L’Irène de Juliette Galstian fait valoir un timbre plus neutre, moins nuancĂ© et flexible que Sophie Daneman. Emblème d’une direction articulĂ©e et claire, le geste de William Christie sait rĂ©aliser cette texture pointilliste de l’orchestre, Ă  la fois parfaitement dĂ©taillĂ©e, et tout autant d’une onctuositĂ© flexible et chaude qui convoque l’Ă©popĂ©e et la transfiguration spirituelle. Bill semble nous rappeler combien le tempĂ©rament de Haendel mĂŞme en eaux sacrĂ©es et oratoriennes, demeure viscĂ©ralement sensuel, d’un esthĂ©tisme aristocratique, raffinĂ©, chaleureux, toujours onctueux. Flamboyant, spirituel. Du très grand Haendel, rĂ©vĂ©lĂ©, magnifiĂ© par un interprète princier.

 

 

 

William Christie relit Theodora de Haendel

William Christie rejoue Theodora de HaendelParis, TCE. Theodora de Haendel par William Christie. 10-20 octobre 2015. 5 dates Ă©vĂ©nements (10,13,16,18,20 octobre) pour le sommet spirituel de Haendel par son interprète le mieux inspirĂ©. Grand retour (d’autant plus attendu) de Wiliam Christie (fondateur des Arts Florissants et crĂ©ateur rĂ©cent du festival enchanteur Ă  ThirĂ© en VendĂ©e, “Dans les jardins de William Christie”, – chaque dernière semaine d’aoĂ»t). “Bill” connaĂ®t Haendel comme personne : il en fait respirer les moindres nuances, sachant caractĂ©riser comme peu avant lui, chaque profil psychologique, chaque situation dramatique. Un rĂ©cent album dĂ©diĂ© aux musiques funèbres de Haendel pour son amie et protectrice, la Reine Caroline (Ă©ditĂ© par le label des Arts Florissants) a encore confirmĂ© les affinitĂ©s du chef avec la lyre hautement mystique du saxon. Ses derniers oratorios dont Theodora (1750) illustrent une maĂ®trise rare dans l’art expressif et lyrique sans dĂ©ploiement théâtral… Ă©motions, enjeux et action Ă©tant seulement portĂ©s par les Ă©lans et vertiges du chant, solistique ou choral.
L’ouvrage d’une durĂ©e indicative de 2h, est le seul oratorio de Haendel, d’après l’histoire chrĂ©tienne : Theodora est une martyre chrĂ©tienne du IVè siècle, incarnant avec une rare rĂ©ussite la plĂ©nitude fervente et la certitude spirituelle du croyant. Sa passion entraĂ®ne avec elle son fiancĂ© Didymus : aucune Ă©preuve y compris la mort ne peut entraver la croyance et l’espĂ©rance intĂ©rieures qui portent la vierge martyre.

 

 

 

L’oratorio anglais selon Haendel

En 1750, Haendel accomplit une forme remarquablement raffinĂ© de l’oratorio anglais

 

Les chĹ“urs sont magnifiquement Ă©crits : chrĂ©tiens puissamment contrapuntiques et d’une sĂ©duction rare – spirituelle et d’une ineffable Ă©lan mystique en rĂ©sonance avec le parcours fervent de l’hĂ©roĂŻne ; Romains paĂŻens non moins engagĂ©s, mais d’une simplicitĂ© homorythmique pourtant très orchestrĂ©e.
Le profil des personnalitĂ©s montre le travail de Haendel pour caractĂ©riser avec beaucoup de finesse chacun des protagonistes : tant de subtilitĂ© dans le traitement des personnages dĂ©montre l’humanitĂ© qui inspire Haendel, son humanisme compatissant Ă  la douleur des ĂŞtres, Ă  la souffrance des âmes Ă©prouvĂ©es sur l’autel de l’intolĂ©rance. Au delĂ  de la lĂ©gende chrĂ©tienne, Haendel s’intĂ©resse Ă  la tragĂ©die des justes, sacrifiĂ©s par la machine de la barbarie.

 

 

synopsis

Haendel handel oratorio opera baroqueActe I. Pour fĂŞter l’anniversaire de l’Empereur DioclĂ©tien, le prĂ©fet romain d’Antioche Valens ordonne que le peuple sacrifie Ă  Jupiter. Pourtant le jeune officier romain Didymus s’oppose Ă  cette tyrannie religieuse : lui-mĂŞme converti secrĂŞtement au christinianisme milite pour la libertĂ© de conscience. La jeune noble Theodora dĂ©fie l’autoritĂ© romaine : elle est arrĂŞtĂ©e pour ĂŞtre prostituer dans le temple de VĂ©nus. DĂ©jĂ , l’âme languissante de Theodora, habitĂ©e par la mort de dĂ©livrance, se recommande aux anges (scène 5). Didymus jure de la libĂ©rer.
Acte II. Didymus rĂ©ussit Ă  revoir Theodora dans sa loge (grâce Ă  l’acceptation de Septimus), cependant que la suivante de la jeune prisonnière, Irène, prie pour son salut. Didymus propose Ă  Theodora de revĂŞtir son armure pour s’Ă©chapper pendant que le jeune homme, qui l’aime et qui est prĂŞt Ă  mourir, prendra sa place.
Acte III. Theodora libĂ©rĂ©e exprime le seul air gracieux presque insouciant dans une succession de lamentations langoureuses. Mais Didymus a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  mort. Theodora pour sauver le jeune homme se livre Ă  Valens.Le dernier chĹ“ur des chrĂ©tiens cĂ©lèbrent l’abnĂ©gation et la courage des deux chrĂ©tiens marchant Ă  leur supplice.

 

 

boutonreservationParis, TCE. Theodora de Haendel par William Christie. 10, 13, 16, 18, 20 octobre 2015. 5 dates événements. Mise en scène : Stephen Langridge. Oratorio en trois actes créé en 1750, Livret de Thomas Morell.

 

William Christie  direction
Stephen Langridge  mise en scène
Philippe Giraudeau  chorégraphie
Alison Chitty  décors et costumes
Fabrice Kebour  lumières

Katherine Watson Theodora
Stéphanie d’Oustrac Irène
Philippe Jaroussky Dydime
Kresimir Spicer Septime
Callum Thorpe Valens

Orchestre et Chœur Les Arts Florissants

 

 

William Christie vous ouvre les portes de ses jardins enchantĂ©s15 ans après son enregistrement lĂ©gendaire, William Christie reprend Theodora avec l’intense caractĂ©risation qui lui est propre : le chef fondateur des Arts Florissants s’entoure d’une nouvelle distribution vocale dont l’excellente soprano Katherine Watson dans le rĂ´le titre, cependant que StĂ©phanie d’Oustrac prĂŞte son somptueux timbre âpre et chaud au personnage d’Irène (la suivante de la jeune noble Theodora), Philippe Jaroussky chante la partie du jeune officier romain converti, Didymus (premier emploi dans un oratorio anglais pour le chanteur français), et que la basse Callum Thorpe (laurĂ©at du Jardin des Voix 2013) incarne l’implacable gouverneur d’Antioche, bourreau des deux fiancĂ©s chrĂ©tiens, Valens.

 

 

handel-haendel-portrait-grand-formatContexte. Avec Theodora, oratorio de l’indĂ©fectible ferveur de la vierge martyre, Haendel perfectionne encore sa maĂ®trise dans le genre dont il s’est le champion inatteignable : l’oratorio anglais. Après le succès de l’oratorio Judas Maccabaeus de 1746, Haendel renoue avec le succès Ă  Londres dans le genre de l’oratorio. En 1749, le compositeur surenchĂ©rit dans l’excellence et toujours en langue anglaise, avec deux nouveaux accomplissements : Solomon et Susanna. Theodora de 1750 marque avec Jephta de 1752, un sommet de son inspiration sur un livret rĂ©digĂ© par le rĂ©vĂ©rend Thomas Morell (recommandĂ© par le prince de Galles). On ne saurait insister sur la couleur spĂ©cifique dans le genre de l’oratorio anglais de Theodora, unique drame inspirĂ© de la passion chrĂ©tienne. Morell s’inspire du drame de Corneille (ThĂ©odore, vierge et martyre de 1646) dont il puise ce souffle poĂ©tique souvent irrĂ©sistible. On ne saurait insister sur la justesse poĂ©tique et la profonde cohĂ©rence de l’oeuvre : l’ouverture en sol mineur affirme la tonalitĂ© dĂ©sormais associĂ©e Ă  Theodora, sa foi inextinguible et indestructible, laquelle conclut aussi la partition.

 

 

christie-william-les-arts-florissants-3-cd-critique-review--handel-theodora-erato-cd-reference-clic-de-classiquenews-compte-rendu-critiqueCD. Handel : Theodora, 1750. William Christie, Les Arts Florissants (3 cd Erato). EnregistrĂ© Ă  Paris Ă  l’Ircam en mai 2000, la version de Bill de l’oratorio oriental de Handel (l’action se dĂ©roule Ă  Antioche) captive de bout en bout grâce Ă  un travail spĂ©cifique sur la caractĂ©risation dramatique de l’action : situations et protagonistes gagnent un relief revivifiĂ© dans un cycle continu qui frappe par sa cohĂ©rence et son souffle. William Christie a poursuivi son exploration du théâtre de Handel : ses rĂ©centes lectures de Belshaazar puis des Musiques pour la reine Caroline (2 titres Ă©ditĂ©s en 2014 et 2015, sous le nouveau label des Arts Florissants) ont confirmĂ© la profonde comprĂ©hension du chef, fondateur des Arts Florissants, de l’écriture haendĂ©lienne. Ici prĂ©valent l’intensitĂ© spirituelle, surtout le parcours Ă©motionnel du couple des martyrs chrĂ©tiens, Theodora et son fiancĂ© Didymus, jeune officier romain converti au christianisme. Toujours plus contraints, les chrĂ©tiens renforcent leur certitude et leur croyance. EprouvĂ©s, humiliĂ©s, inquiĂ©tĂ©s (par l’inflexible et furieux Valens), les deux Ă©lus savent garder leur conviction en une droiture intĂ©rieure saisissante que la musique exprime directement. L’importance des chĹ“urs, chrĂ©tiens et romains, remarquablement Ă©crits, souligne l’ampleur spirituelle souhaitĂ©e par Handel. Erato réédite le coffret de 3 cd Ă  l’occasion de la nouvelle lecture de Theodora par William Christie en octobre 2015. Sophie Daneman dans le rĂ´le titre signe l’un de ses derniers rĂ´les parmi les plus habitĂ©s. Dès son premier air  : “Fond; flatt’ring world, adieu!” la soprano exprime le caractère Ă  la fois Ă©thĂ©rĂ© et abandonnĂ© une inĂ©luctable mort sacrificielle d’une Theodora, totalement embrasĂ©e par son destin qui la voue au martyre.En Dydimus, Daniel Taylor a des aigus faciles et un medium bien assurĂ© : le contre tĂ©nor (Ă  l’origine le rĂ´le fut confiĂ© au castrat alto Gaetano Guadagni affirme la certitude du jeune officier romain converti. Le Septimus de Richard Croft gagne un relief lui aussi finement caractĂ©risĂ© grâce Ă  sa tessiture de tĂ©nor tendre : le chanteur exprime la sensibilitĂ© d’un romain qui sait ĂŞtre permĂ©able Ă  la conversion de Didymus. L’Irène de Juliette Galstian fait valoir un timbre plus neutre, moins nuancĂ© et flexible que Sophie Daneman. Emblème d’une direction articulĂ©e et claire, le geste de William Christie sait rĂ©aliser cette texture pointilliste de l’orchestre, Ă  la fois parfaitement dĂ©taillĂ©e, et tout autant d’une onctuositĂ© flexible et chaude qui convoque l’Ă©popĂ©e et la transfiguration spirituelle. Bill semble nous rappeler combien le tempĂ©rament de Haendel mĂŞme en eaux sacrĂ©es et oratoriennes, demeure viscĂ©ralement sensuel, d’un esthĂ©tisme aristocratique, raffinĂ©, chaleureux, toujours onctueux. Flamboyant, spirituel. Du très grand Haendel, rĂ©vĂ©lĂ©, magnifiĂ© par un interprète princier.

 

 

 

Compte rendu, opéra. Halle (Allemagne). Festival Händel. Le 5 juin 2015. Haendel / Handel : Lucio Silla. Romelia Lichtenstein, Antigone Papoulkas … Enrico Onofri, direction. Stephen Lawless, mise en scène.

HAENDEL CLASSIQUENEWS handel_-_fr_gesellschaftLe cœur de l’Allemagne est le creuset de la musique baroque. Des villes comme Eisenach, Magdeburg, Leipzig et Halle ont porté dans leur sein les plus grands compositeurs de la génération 1680 et même d’autres tels que Reichardt qui a contribué au Sturm und drang. A la convergence des villes, Halle est un centre intellectuel méconnu mais passionnant. Surtout évoquée dans les programmations par le célèbre Georg Friedrich Händel, la ville qui le vit naître et grandir est le siège d’un des plus grands festivals consacrés au compositeur du Messie. Sise dans sa maison natale, la Fondation Händel regroupe à la fois un musée, des éditions musicales et scientifiques, un centre de recherche, deux salles de concert et de conférences, un musée d’instruments musicaux. La belle « Maison jaune » de Halle est aussi un charmant lieu de rencontre avant les concerts qui ont lieu dans toute la ville. Pendant quasiment tout un mois,  Halle et sa région rayonnent à l’unisson de « vaillants Halle-lujahs ! ».

 

 

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Lucio Silla de Haendel au festival de Halle 2015
HALLE-LUJAH !
LA CADUTA DEGLI DEI

Faire revenir un des opéras privés de Händel est un pari. Comme dans tout pari, le risque n’est pas dans le hasard de la mise mais dans le moment et les numéros sur lesquels ont parie. En effet Lucio Silla est l’un des rares opéras de Händel qui ne bénéficie pas vraiment de la sollicitude publique. Ce mystérieux opus lyrique est vraisemblablement une commande du richissime Lord Burlington (aucun lien avec la marque de chaussettes !) et a été dédiée étonnamment au duc d’Aumont, ambassadeur du déclinant roi Louis XIV à Londres. En 1713, la Guerre de Succession d’Espagne faisait encore rage et le Roi-Soleil vivait un crépuscule plus que terni par quasiment 15 ans de conflit et des catastrophes naturelles.  Il est étonnant d’ailleurs, que le livret, portant sur un des tyrans les plus sanguinaires de Rome, puisse être sans ambigüité pour le monarque Bourbon. Quoi qu’il en soit, Lucio Silla demeure un ouvrage teinté d’ombres.

Et pourtant, l’œuvre est d’une richesse passionnante. La palette Händelienne est active dans toutes les mises en situation dramatiques, elle devient parfois beaucoup plus proche de l’école lyrique Hambourgeoise que de l’arcadisme italien.  Nous remarquons notamment l’efficacité des récits et des airs d’une inventivité géniale.

onofri-enrico-maestro-Ce Lucio Silla, histoire politique et mouvementée a déjà une intrigue d’une noirceur suffisante pour ajouter des gags à la Visconti dans Les Damnés. La mise-en-scène de Stephen Lawless est une lecture au papier calque sur l’intrigue, nous sommes déçus du manque de parti pris, du défaut d’appropriation  de l’histoire pour lui donner des nouveaux reliefs, pourtant présents tant dans le livret que dans la musique.  On dirait que Stephen Lawless manquait d’imagination et s’est contenté de construire une vision cinématographique, une glose ennuyeuse avec des clins d’œil aux dictatures… un résultat qui ne laisse pas un souvenir impérissable. Et pourtant l’affiche était belle.  La palme définitivement revient à l’extraordinaire Enrico Onofri ! Avec une souplesse et une hardiesse formidable, il engage cette partition dans une réalisation subtile, équilibrée et débordante de nuances.  Il réussit à galvaniser l’excellent Händelfestspielorchester Halle et nous offre une véritable recréation que nous espérons, un jour en CD plus qu’en DVD.

Côté voix c’est bien plus inégal malheureusement. Le Silla caricaturé par Filippo Mineccia qui demeure dans son registre sans apporter plus de plaisir ni de surprises. La voix est agile, techniquement correcte, mais sans plus. Peut-être qu’avec une autre mise-en-scène, Filippo Mineccia aurait pu nous offrir toute l’étendue d’une voix qui semble receler des promesses. Aux antipodes, l’extraordinaire Metella de Romelia Lichtenstein est une merveille à chaque note.  Cette magnifique interprète est purement formidable dans l’émotion, dans la puissance et les nuances. Elle nous offre des très beaux moments d’art lyrique et nous la plaçons sans hésiter dans le panthéon des grandes Händeliennes avec Ann Hallenberg, Rosemary Joshua, Renée Fleming et Sarah Connolly.

 

 

Papoulkas-Antigone-02

 

 

Mais le plus décevant, c’est Jeffrey Kim en Lepido.  Nous découvrons ici ce sopraniste d’ascendance coréenne.  Raide dans l’interprétation vocale et dramatique, son timbre est métallique et sans réel intérêt. Nous sommes surpris par l’emphase exagérée de ses ornements et de son émission, c’est contreproductif tant pour la partition que pour le drame. Dans la même veine, les soprani Ines Lex et Eva Bauchmüller n’ont pas réussi a émouvoir avec simplicité. C’est aussi le cas de la basse Ulrich Burdack. Cependant, dans le rôle de Claudio, la splendide Antigone Papoulkas (- NDLR : mezzo munichoise ; portrait ci contre -), a émerveillé nos sens avec ses coloratures et un sens réel du théâtre et de la musique. Son « Senti bel idol moi » d’anthologie, malgré un vibrato parfois un peu trop présent, rend le personnage de Claudio très attachant.

Halle est une fête, un lieu de toutes les surprises, malgré un pari risqué, le risque valait largement la peine, Lucio Silla est revenu des limbes et, on l’espère restera désormais parmi nous !

Lucio Silla de Haendel au Festival Halle 2015
Lucio Silla – Filippo Mineccia – contreténor
Metella – Romelia Lichtenstein – soprano
Lepido – Jeffrey Kim – contreténor (sopraniste)
Flavia – Ines Lex – soprano
Claudio – Antigone Papoulkas – mezzo-soprano
Celia – Eva Bauchmüller – soprano
Scabro / Il dio di guerra – Ulrich Burdack – basse
Mise-en-scène – Stephen Lawless
Décors et costumes – Franck Philip Schlößmann
Vidéo – Anke Tornow
Dramaturgie – André Meyer

Händelfestspielorchester Halle
Dir. Enrico Onofri

Compte rendu, opéra. Halle (Allemagne). Festival Händel. Le 5 juin 2015.  Haendel / Handel : Lucio Silla. Romelia Lichtenstein, Antigone Papoulkas … Enrico Onofri, direction. Stephen Lawless, mise en scène.

 

 

Alcina de Haendel depuis Aix 2015

Bruxelles : Tamerlano et AlcinaARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dès 22h10. En différé d’Aix en Provence, voici le grand opéra sedia façon Haendel : Alcina créé en 1735 au Covent Garden de Londres, soit en pleine esthétique rococo. Un soin raffiné dans les airs, un sens dramatique puissant soulignant la force envoûtante du drame à la fois fantastique, onirique et tragique, toujours intensément psychologique qui étreint les pauvres cœurs des amants éprouvés. Inspiré par L’Arioste et son labyrinthe des sentiments contrariés, démunis, impuissants et donc en souffrance, Alcina renoue avec les magiciennes amoureuses déjà abordées dans les opéras antérieurs : Rinaldo, Teseo, Amadigi. Ici, bien avant l’Armide dans Reanud de Sacchini (1783 : chef d’oeuvre post gauchiste sous le règne de Louis XVI à l’époque des Lumières où Armide désespère, se déchire entre haine et amour à l’endroit du beau Renaud), ici, Alcina sous les doigts de l’orfèvre enchanteur Haendel, atteint plusieurs sommets de l’alanguissement impuissant voire suicidaire ; ses airs sont les plus poignants (Ah mio cor, au II ; puis Mi restano le lagrime au III) : plaintes déchirantes d’une amoureuse mise à nu que l’écriture précise et souple, profonde et juste de Haendel rend préfiguratrice des grandes héroïnes mozartiennes et même romantiques. En cela, Alcina annonce dans l’oeuvre haendélien, Rodelinda, et même les gouffres amères de Cleopatra prisonnière. Dans le rôle de Roger, le fier castrat Carestini, divino vedette de l’écurie Haendel à Londres, assure les virtuosités aimables mais non moins profondes d’un guerrier délicat. Quand Bradamante (pour voix d’alto car la fiancée de Ruggiero/Roger est travestie en homme) est le troisième pilier du trio vedette : détermination, virilité même, autant de qualités qui percent si peu chez Roger (c’est d’ailleurs pour cela que le tendre lascif, un rien soumis, se laisse séduire par la magicienne).

Jamais Haendel ne fut mieux inspiré qu’en s’inspirant de L’Arioste

Alcina : jeu de dupes, puissante illusion

Superbe allégorie de la confusion et des vertiges de l’amour, Alcina demeure le meilleur seria de Haendel, surclassant même Orlando de 1733 (Lire notre critique du cd Orlando de Haendel par René Jacobs), et son Ariodante, également créé en 1735 au Covent Garden, mais avant Alcina. La géographie émotionnelle qu’y peint Haendel montre sa fine connaissance du coeur humain, de la folie et des passions dérisoires. C’est évidemment un écho fraternel à l’Orlando furioso de Vivaldi (1714 : Lire notre critique du cd Orlando Furioso de Vivaldi; Lire aussi notre critique du dvd Orlando Furioso de Vivaldi par Jean-Christophe Spinosi, 2011 : et aussi notre compte rendu critique de la production d’Orlando Furioso de Vivaldi par Spinosi à l’Opéra de Nice).

Haendel, handel MessieAprès Vivaldi – dont il faudra bien un jour rĂ©habiliter dĂ©finitivement le gĂ©nie dramatique et lyrique sur les scènes d’opĂ©ra, peu de compositeurs ont Ă©tĂ© aussi bien inspirĂ©s que Haendel d’après le manège enchantĂ© et amer dessinĂ© par L’Arioste. Alcina qui puise son sujet te ses dĂ©veloppements magiques dans l’Orlando Furioso justement (chants VI,VII et VIII) plonge en pleine exacerbation onirique et cynique du dĂ©sir et de l’amour. Roger se perd dans une rĂ©alitĂ© qui vacille, face Ă  Alcina, face Ă  Bradamnte – qu’il prend pour Alcina dĂ©guisĂ©e… Mais la plus grande victime dans ce jeu d’envoĂ»tements factices et d’enchantements cruels demeure la magicienne elle-mĂŞme qui amoureuse, perd tous ses pouvoirs quand elle est dĂ©masquĂ©e : rien ne peut s’opposer au dĂ©part de Roger/Ruggiero quand il dĂ©cide de quitter l’île magique. Ainsi la fĂ©e manipulatrice Alcina, et sa soue Morgana, vraie double hypnotique et mystĂ©rieux, doivent fuir honteusement en fin d’action, et le palais d’Alicia comme celui d’Armide (voir les opĂ©ras de Lully ou de Jommelli, s’écroule comme la fin d’une puissante illusion). L’Arioste aime Ă  tromper ses hĂ©ros car le propre de l’amour sont les illusions dans lesquelles le coeur amoureux se complaĂ®t Ă  se perdre… Si le plateau des solistes se rĂ©vèle Ă  la hauteur des enjeux et des situations conçus par Haendel, le spectacle peut ĂŞtre total. De fait la prĂ©sence dans le cast aixois de Patricia Petibon en Alcina et de Anna Prohaska en Morgana promet bien des moments … magiques ? On reste plus rĂ©servĂ© sur le Ruggiero de P. Jaroussky dont l’usure de la voix rĂ©cente et le maniĂ©risme croissant devraient dĂ©cevoir ou tout au moins rĂ©duire la profondeur trouble et contradictoire du personnage de Roger. Quoiqu’il en soit, Ă  ne pas manquer.

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arte_logo_2013ARTE. Alcina de Haendel, vendredi 10 juillet 2015, dès 22h10. En différé d’Aix en Provence.
DIRECTION MUSICALE : ANDREA MARCON
MISE EN SCĂNE : KATIE MITCHELL

ALCINA : PATRICIA PETIBON,
RUGGIERO: PHILIPPE JAROUSSKY,
MORGANA : ANNA PROHASKA,
BRADAMANTE : KATARINA BRADĂŤC
ORCHESTRE : FREIBURGER BAROCKORCHESTER

Compte rendu, opéra. Paris. Théâtre des Champs Elysées, le 14 février 2015. Haendel : Hercules. Alice Coote, Elizabeth Watts, Matthew Rose… The English Concert, choeur et orchestre. Harry Bicket, direction.

ImmaculĂ©e prestation de The English Concert au Théâtre des Champs ElysĂ©es dans l’oratorio de Haendel, Hercules. Le cĂ©lèbre choeur et orchestre de musique ancienne est joint par une distribution de solistes Ă  la hauteur de l’ensemble et de la musique, avec Alice Coote en chef de file dans le rĂ´le de Dejanira et Matthew Rose dans le rĂ´le-titre.

 

Oratorio mythique

Bruxelles : Tamerlano et AlcinaLe livret de Hercules par Thomas Broughton s’inspire des Trachiniae de Sophocle et du 9ème livre des MĂ©tamorphoses d’Ovide. Plus qu’un vĂ©ritable opĂ©ra, il s’agĂ®t d’un oratorio conçu pour ĂŞtre reprĂ©sentĂ© sur scène et le seul de Haendel Ă  s’inspirer de la mythologie. CrĂ©e dans l’annĂ©e productive de 1745 (deux mois avant Belshazzar), il fut jouĂ© notamment au bicentenaire de la naissance du compositeur en 1885 (!) bien avant sa vĂ©ritable rĂ©surrection et rĂ©habilitation au XXème siècle. L’œuvre raconte l’histoire de Dejanira, femme d’Hercule se croyant veuve, et sa descente morale et homicide ultime d’Hercule Ă  cause d’une jalousie aveuglante. Voulant se rĂ©concilier avec Hercule après une crise de jalousie, Dejanira lui offre une tunique aux pouvoirs magiques censĂ©e rallumer la flamme de leur amour mais qui finit par le tuer, Ă©tant empoissonnĂ© en vĂ©ritĂ©. PrĂ©texte spectaculaire pour mettre en musique tout un Ă©ventail de sentiments, surtout pour Dejanira qui n’a pas moins de six airs !

La mezzo-soprano Anglaise Alice Coote se donne complètement et musicalement et thĂ©atralement (grâce Ă  une mise en espace, modeste, mais efficace), dans le rĂ´le complexe de Dejanira. Pas de caricature ni de grotesque chez la chanteuse, sa caractĂ©risation rayonne d’une sincĂ©ritĂ© qui ranime les affects typiques visitĂ©s dans chacun de ses airs. Dès son premier « The world , when day’s career is run », nous sommes ensorcelĂ©s par la beautĂ© de l’expression, par le mĂ©lange si naturel de gravitĂ© et lĂ©gèretĂ© et par un art chromatique saisissant.

Au deuxième acte, elle rĂ©gale l’audience avec l’air le plus sarcastique de l’opus de Haendel « Resing thy club » oĂą elle insulte sa virilitĂ© comme on aimait bien le faire dans l’antiquitĂ©… Un dĂ©licieux andante moqueur aux vocalises graves vivement rĂ©compensĂ© par le public. Comme dans sa grande scène de folie vers la fin de l’oratorio, « Where shall I fly ? » de 143 mesures oĂą l’auditoire devient fou devant une telle dĂ©monstration d’art lyrique, de brio et d’expression, inondant la salle d’applaudissements et des bravos. La soprano de la partition, Elizabeth Watts dans le rĂ´le d’Iole, secondaire, Ă©veille autant des passions avec ses airs. Remarquons en particulier son dernier « My breast with tender pity swells » avec violon obligato, un sommet d’Ă©motion, mi-mystĂ©rieux, mi-bucolique, d’une beautĂ© larmoyante, touchante, splendide. Cet air montre d’ailleurs l’influence chez Haendel du compositeur vĂ©nitien mĂ©connu Agostino Steffani, notamment en ce qui concerne le tissu et le dĂ©veloppement orchestral. L’Hercules (en anglais, langue de l’oratorio) de la basse Matthew Rose fait preuve comme on l’espĂ©rait d’une voix colossale, et surtout d’une implication théâtrale adaptĂ©e aux circonstances (nous avons un souvenir Ă  la fois monstrueux et brillant de son Roi Enrico VIII dans l’Anna Bolena l’Ă©tĂ© dernier Ă  Bordeaux – lire notre critique Anna Bolena Ă  l’opĂ©ra de Bordeaux, en mai 2014). Nous sommes totalement convaincus du calme qui semble dĂ©sormais l’habiter, et remarquons la coloratura impressionnante et virtuose de ses airs, tout en gardant nos rĂ©serves vis-Ă -vis de l’excès hasardeux de vibrato.

Le tĂ©nor James Gilchrist dans le rĂ´le de Hyllus a des morceaux plaisants et flatteurs. Si nous aimons la qualitĂ© de son style, la prestation inĂ©gale, parfois mĂŞme lors du mĂŞme air dĂ©concerte. Si le timbre paraĂ®t charmant, nous aurions prĂ©fĂ©rĂ© plus de dynamisme. Le contretĂ©nor Ruppert Enticknap en Lichas, a un timbre plutĂ´t expressif, chose rare chez les contretĂ©nors. Il a un je ne sais quoi de tendre et de touchant, et une belle articulation de la langue. Le choeur de The English Concert est sans aucun doute l’un des protagonistes du concert ! Un tout petit peu moins diversifiĂ© que le choeur dans Belshazzar, il commente l’action et augmente ou insiste sur les affects exprimĂ©s lors des airs. La prestation est ravissante et Ă©difiante Ă  la fois. Le choeur est peut-ĂŞtre le personnage le plus dynamique, dans les thèmes comme dans le chant. Des vĂ©ritables spĂ©cialistes tour Ă  tour furieux, solennels, charmants, virtuoses… causant des frissons en permanence !

Et l’orchestre ? Un peu Ă©conome par rapport Ă  d’autres oratorios, la performance de The English Concert sous la direction de Harry Bicket est un rĂ©el bonheur, avec un dosage parfait de brio sautillant baroque et de tension comme de profondeur. Le vif entrain des cordes demeure tout Ă  fait impressionnant. La journĂ©e de l’amour conventionnel (et conventionnĂ©!) cĂ©lĂ©brĂ©e au Théâtre des Champs ElysĂ©es avec un Hercules en toute grandeur et tout honneur.

Haendel : Israel en Egypte, Israel in Egypt (Roy Goodman, 2014, 2 cd Etcetera)

handel-roy-goodman-israel-in-egypt-etcetera-2-cdCD, compte rendu critique. Haendel : Israel en Egypte, Israel in Egypt (Roy Goodman, 2014, 2 cd Etcetera). Une impression de dĂ©part se prĂ©cise immĂ©diatement : la matière râpeuse souvent rugueuse de l’orchestre dès le dĂ©but laisse prĂ©voir un dramatisme Ă  la fois resserrĂ© et prĂ©cis, avare en Ă©chappĂ©e extatique et contemplative comme le rĂ©alise autrement William Christie sur le mĂŞme sujet haendĂ©lien. Action et rĂ©flexion, voilĂ  les deux composantes poĂ©tiques de l’oratorio de Haendel. Roy Goodman semble avoir tranchĂ© pour la retenue parfois extrĂŞme… La relative austĂ©ritĂ© douloureuse convient au sens mĂŞme de la fable biblique concernĂ©e : les IraĂ©liens en Egypte ayant Ă©prouvĂ© les Ă©vĂ©nements les plus Ă©prouvants de leur histoire. Les tempi ralentis et l’articulation retenue du chĹ“ur dès le dĂ©but affirment une lecture plus introspective que rĂ©ellement dramatique. Il est vrai que la première partie (ici la musique exalte le tombeau des pleurs sur la mort de Joseph) est d’abord une ample et spectaculaire dĂ©ploration collective… le chĹ“ur endeuillĂ© pleure la chute des grands et donc souligne la vanitĂ© des gloires terrestres : pourtant il faut d’urgence se reporter Ă  l’accomplissement des Arts Florissants saisissants ambassadeurs des FunĂ©railles pour la Reine Caroline l’amie et protectrice de Haendel (cd rĂ©cemment paru aux Ă©ditions Les Arts Florissants) ; car Haendel a repris du cycle pour Caroline, les mĂŞmes paroles et les mĂŞmes inflexions d’un pathĂ©tique irrĂ©sistible : How is the mightly fall’n ! (comme le puissant est tombĂ© !)

Entre méditation et action

Mais ici Ă  force de ralentir, le mordant du verbe se dilue et l’exclamation paniquĂ©e retombe sans muscles. Pourtant la section de glorification qui compose l’apothĂ©ose des bienfaits de Joseph ne manque pas de grandeur ni de solennitĂ©. De mĂŞme l’introduction instrumentale du Quatuor : ” the righteous shall be had in everlasting remembrance …” / le juste sera Ă©ternellement gardĂ© dans la mĂ©moire…, manque d’ampleur, de chair : il sonne Ă©triquĂ©. Les solistes paraissent souvent extĂ©nuĂ©s, et le chĹ“ur Ă  la peine. La direction de Roy Goodman reste sage.
Et puis dans la troisième partie (Le cantique de MoĂŻse), la tension de ce concert live portant peu Ă  peu ses bĂ©nĂ©fices, instrumentistes, choristes et solistes soudainement se lâchent davantage, offrant dans la tenue mĂ©ditative et de rĂ©flexion, une caractĂ©risation qui manquait jusque lĂ . Les grands chĹ“urs fuguĂ©s qui semble rĂ©capituler toute la charge spirituelle accumulĂ©e, prennent acte de la prĂ©sence divine, cultivent enfin un souffle Ă©pique que l’on attendait. Dans son air exaltĂ©, le tĂ©nor James Gilchrist trouve le ton d’une juste implication, idem pour tous les solistes de cette partie dont le soprano 1 (Julia Doyle) qui tout en louant la puissance divine, sait aussi Ă©voquer les miracles de la DivinitĂ© gĂ©nĂ©reuse et protectrice pour le peuple Ă©lu. Autant la première partie (Lamentation après la mort de Joseph) est marquĂ©e par l’affliction mĂ©dusĂ©e, statique, autant la dernière partie, Ă©voquant MoĂŻse, redouble d’Ă©pisodes et sĂ©quences très dramatiques, portĂ©s par un engagement palpitant des interprètes : superbe chĹ“ur The people shall hear…, Handel et son librettiste n’hĂ©sitent pas Ă  prĂ©cipiter l’action : la noyade des troupes de Pharaon est “emportĂ©e” en quelques mesures par un rĂ©citatif dramatique allouĂ© au tĂ©nor mais surlignĂ© ensuite par un chĹ“ur solennel et doxologique. Le Handel majestueux et narratif s’exprime idĂ©alement dans la dernière sĂ©quence associant le soprano et le chĹ“ur dans une cĂ©lĂ©bration collective, Ă©lan irrĂ©pressible après l’affirmation de l’anĂ©antissement des cavaliers de Pharaon dans les eaux vengeresses.

Roy Goodman formĂ© par Gardiner Ă  l’Ă©cole de Haendel, trouve finalement le ton juste entre fine caractĂ©risation et profondeur mĂ©ditative de la fresque biblique. Entre enseignement mĂ©ditatif et drame narratif, le chef gagne en cours de performance Ă  ĂŞtre Ă©coutĂ©. Si Lamentation et Exode peinent parfois, la combinaison des troupes rĂ©unies sous sa direction s’Ă©lectrise surtout dans la dernière partie (Cantique de MoĂŻse). L’Ă©coute est d’autant plus profitable qu’il s’agit ici de la version de la crĂ©ation (1739) oĂą de facto le compositeur, convaincu par son matĂ©riau prĂ©cĂ©dent, recycle la totalitĂ© de son Anthem pour les funĂ©railles de sa protectrice la Reine Caroline (1737). Pas facile de rĂ©ussir la première partie toute voilĂ©e par le deuil et la dĂ©solation. Dans sa globalitĂ©, le travail du chĹ“ur omniprĂ©sent, l’assiduitĂ© des solistes qui se bonifient en cours de cycle, le chef au dĂ©but timorĂ©, puis de plus en plus convaincant, composent une très honnĂŞte lecture de l’un des oratorios anglais de Haendel parmi les plus originaux et profonds, Ă©crits Ă  Londres.

Handel : Israel in Egypt (version originale 1739). Julia Doyle, Maria Valdmaa, David Allsopp, James Gilchrist, Roderick Williams, Peter Harvey. Nederlands Kmaerkoor. Le Concert Lorrain. Roy Goodman, direction. Enregistré en septembre 2014 à Brême,lors du festival Musikfest. 2 cd Etcetera KTC 1517.

Festival Haendel Ă  Bruxelles : Tamerlano et Alcina

handel-haendel-portrait-classiquenews-582-507-homepage-coup-de-coeur-de-classiquenews-Alcina-Tamerlano-janvier-et-fevrier-2015Bruxelles, La Monnaie : Handel : Tamerlano, Alcina. 27janvier > 8 fĂ©vrier 2015. Festival Handel Ă  La monnaie de Bruxelles en ce dĂ©but d’annĂ©e 2015 : La Monnaie ouvre l’annĂ©e nouvelle en programmant deux ouvrages majeurs du sĂ©jour de Haendel Ă  Londres, sĂ©jour marquĂ© par sa propre conception du seria italien adaptĂ© pour l’audience londonienne…  Avec Tamerlano opĂ©ra en 3 actes créé au King’s Teater de Londres en octobre 1724, Haendel offre une leçon de grandeur tragique, portant le seria italien vers un accomplissement dramatique et mĂ©lodique jaamis entendu auparavant ; le raffinement de l’orchestre, la beautĂ© des airs qui rendent hommage aux profils Ă©prouvĂ©s font les dĂ©lices d’une partition très intense qui comporte de nombreux instants irrĂ©sistibles : au cĹ“ur du drame, la figure noble de Bajazet, tenu prisonnier par Tamerlano : ce dernier souhaite Ă©pouser la fille de Bajazet, Asteria qui aime Andronico. Tamerlano souhaite Ă©changer la libertĂ© du père contre le cĹ“ur de la fille. Mais c’est compter sans la grandeur d’âme du prince emprisonnĂ© qui se suicide en un tableau sombre mĂ©morable. Face Ă  cet acte de courage et d’abnĂ©gation (rester inflexible contre l’odieux chantage), Tamerlano renonce Ă  Asteria (qui peut Ă©pouser son aimĂ©) et se rapproche d’Irène, qu’il avait un temps Ă©carter…

 

 

 

festival Haendel Ă  Bruxelles

La lyre tragique et amoureuse de Haendel
De Tamerlano et Alcina

 

 

 

Haendel, handel MessieAprès la grandeur tragique du sublime Tamerlano, Haendel aborde le pathĂ©tique et la folie amoureuse inspirĂ©e par Roland furieux de L’Arioste : ainsi Alcina, créé Ă  Covent Garden en Avril 1735, soit plus de 10 ans après Tamerlano, s’intĂ©resse Ă  la magie impuissante de l’enchanteresse Alcina, qui sur son Ă®le et malgrĂ© ses sortilèges, ne peut s’assurer l’amour du chevalier Ruggiero (Ă  la crĂ©ation chantĂ© par le castrat Carestini). HĂ©ritage des opĂ©ras vĂ©nitiens du siècle prĂ©cĂ©dent (Cavalli), Haendel met en scène aussi les intrigues secondaires oĂą paraissent des rĂ´les travestis, comme celui de Bradamante, qui en dĂ©barquant sur l’Ă®le d’Alcina, se dĂ©guise en homme et devenant Ricciardo, suscite l’amour de la sĹ“ur d’Alcina, Morgana. Fidèle au théâtres des passions Ă©prouvĂ©es de L’Arioste, l’amour est un poison qui rĂ©alise un labyrinthe vertigineux oĂą se perdent les cĹ“urs sensibles.
Les proches de Ruggiero le rappellent Ă  son devoir et son premier amour (pour Bradamante) tandis que la magicienne Alcina, terrassĂ© par un amour sincère, en a perdu tous ses pouvoirs : elle est dĂ©munie et vaincue. L’amour vainc tout, selon l’adage baroque. Ce n’est pas ce nouvel opĂ©ra foisonnant de Haendel qui le contestera.

Bruxelles, Festival Haendel Ă  La Monnaie

Tamerlano
Les 27,29,31 janvier, 4,6,8 février 2015
avec Dumaux, Ovenden, KarthaĂĽser, Galou, Hallenberg, N. Berg

Alcina
Les 28,30 janvier, puis 1er,3,5,7 février 2015
avec Piau, Beaumont, Noldus, Puertolas, briot, Behle, Furlanetto

Les Talens lyriques
Christophe Rousset, direction
Pierre Audi, mise en scène

 

 

 

CD. Haendel : Messiah, Le Messie (HaĂŻm, 2013, 2 cd Erato)

haendel handel messiah le messie jennens  cd Erato emmnauelle haim 2 cd erato compte rendu critique classiquenewsCD. Haendel : Le Messie (HaĂŻm, 2013, 2 cd Erato). Le Messie s’appuie sur le livret de Charles Jennens qui sĂ©lectionne des pages de l’Ancien et du Nouveau testament, soulignant la nature divine et miraculeuse de JĂ©sus, les prophĂ©ties Ă©noncĂ©es dans l’Ancien testament, s’accomplissant bien dans le Nouveau. Pourtant pas de drame tragique Ă©voquant la Passion et le Sacrifice ni la RĂ©surrection après la mort, mais comme un oratorio, la lumière de la croyance, la ferveur de la foi et de l’espĂ©rance qui trouvent dans les images musicales, toujours dramatiques – c’est lĂ  le gĂ©nie lyrique et théâtral de Haendel-, l’accomplissement attendu. Au dĂ©but des annĂ©es 1740 – la partition a Ă©tĂ© “expĂ©diĂ©e” en peu de temps (3 semaines seulement) Ă  la fin de l’Ă©tĂ© 1741 (Jennens se plaindra du manque d’inspiration musicale, d’une indignitĂ© patente au regard de l’Ă©lĂ©vation du livret, en particulier vis Ă  vis de l’ouverture…), le compositeur affirme pourtant sa maturitĂ©, rĂ©ussissant dans le langage de l’oratorio, une Ă©vocation pleine de souffle et d’emportements (mesurĂ©s cependant) qui passe par l’engagement des chĹ“urs (très prĂ©sents, acteurs principaux dans cette fresque contemplative plus que narrative), et oĂą les airs solistes dĂ©veloppent les sentiments d’admiration, de certitude fervente, d’Ă©panouissement… créé en 1742 Ă  Dublin, puis en 1743 à  Londres, Le Messie ne suscita pas ce triomphe escomptĂ© par Jennens. Trop mĂ©ditatif, pas assez draamtique et spectaculaire comme Samson, Le Messie fut moins apprĂ©ciĂ© par sa nature immĂ©diatement oratorienne.

De fait, Emmanuelle HaĂŻm semble prendre littĂ©ralement Ă  la lettre le mode poĂ©tique mais statique des Ă©pisodes : la cohĂ©sion et la sonoritĂ© souveraine du choeur, la plĂ©nitude ronde et bondissante du Concert d’AstrĂ©e montrent indiscutablement combien Haendel a trouvĂ© – depuis les pionniers : Christie et Malgoire-, des interprètes inspirĂ©s, convaincants ; les solistes de cette version sont diversement impliquĂ©s : le plus engagĂ© et expressif reste la basse Christopher Purves, et aussi le contre tĂ©nor ou alto : Tim Mead (qui faisait aussi la valeur du rĂ©cent programme des Arts Florissants dĂ©diĂ© aux musique haendĂ©liennes pour la Reine Caroline, 1 cd Les Arts Florissants, William Christie Éditions). Plus lisse, la vocalitĂ© sans aspĂ©ritĂ©s donc souvent distante de Lucy Crowe, ou l’impassible tĂ©nor Andrew Staples. Pour autant prenons nous bien en compte la progression dramaturgique du cycle scindĂ© en trois parties : ProphĂ©ties (Annonciation, NativitĂ©) ; Passion (RĂ©surrection puis Ascension) ; RĂ©demption et salut de l’âme chrĂ©tienne compatissante… Ce n’est qu’au cours de la dĂ©cennie suivante, dans les annĂ©es 1750 que Le Messie s’imposa et fut vĂ©ritablement apprĂ©ciĂ©, quand Haendel le donna chaque CarĂŞme Ă  Covent Garden dans la chapelle de sa propre fondation pour les jeunes enfants dĂ©munis et abandonnĂ©s, du Foundling Hospital Ă  Londres. Il pouvait s’appuyer a lors sur le talent de son castrat favori, l’alto Gaetano Guadagni.

Contrairement Ă  William Christie son ancien mentor dont elle assurait le continuo, Emmanuelle HaĂŻm s’en tient Ă  un juste milieu, ni trop expressif ni trop neutre ; une voie mĂ©diane, très (trop?) british et politically correct. D’ailleurs les artisans de cette production (membres du chĹ“ur, solistes et instrumentistes) sont majoritairement britanniques. William Christie a tranchĂ© depuis longtemps : particulièrement soucieux de l’intelligibilitĂ© textuel – le livret de Jennens y gagne un surcroĂ®t d’Ă©loquence dramatique-, le directeur fondateur des Arts Florissants sait aussi caractĂ©riser comme peu, l’essence théâtrale de la musique haendĂ©lienne. Car ici, mĂŞme en terres sacrĂ©es, l’opĂ©ra n’est jamais loin d’une sĂ©quence mĂŞme si elle s’identifie constamment Ă  l’oratorio.
Plus dĂ©concertantes chez HaĂŻm… les tournures de fin de phrases et les variations dans la rĂ©solution des ornements, ou la grille flottante et mobile des tempi (chĹ“ur Hallelujah !, plage 21)… ces effets inĂ©dits tournent parfois au maniĂ©risme hors sujet qui contredit l’Ă©lĂ©gance naturelle comme le goĂ»t si Ă©quilibrĂ©, haendĂ©liens.

En final qu’avons nous ? Une sonoritĂ© sĂ©duisante, des solistes appliquĂ©s mais souvent peu habitĂ©s (sauf Mead et Purves), un lĂ©chĂ© oratorien qui reste de bon aloi : la puissante théâtralitĂ© contenue dans la partition de Haendel en sort-elle vraiment gagnante ?

Haendel (1685-1759) : Messiah HWV 56. Lucy Crowe, Tim Mead, Andrew Staples, Christopher Purves, ChĹ“ur et orchestre du Concert d’AstrĂ©e (David Bates, chef de choeur). Emmanuelle HaĂŻm, direction (2 cd Erato RĂ©f. 0825646240555. Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă  Lille, en dĂ©cembre 2013).

CD. Handel : Music for Queen Caroline (1 cd Les Arts Florissants, William Christie, 2013)

William Christie dĂ©voile la veine funĂ©raire de HaendelCD. Handel : Music for Queen Caroline (1 cd Les Arts Florissants, William Christie, 2013). Pour son second disque Handel Ă©ditĂ© sous son propre label discographique, William Christie grand spĂ©cialiste de Handel, dĂ©voile un cycle d’une sincĂ©ritĂ© inĂ©dite Ă  laquelle le chef fondateur des Arts Florissants apporte son expĂ©rience des oratorios et des opĂ©ras. Ici le geste n’a jamais semblĂ© plus Ă©conome, fin, mesurĂ© ; il articule le sens et les images du sublime texte des FunĂ©railles de la Souveraine dĂ©cĂ©dĂ©e en 1737 (Funeral Anthem for Queen Caroline HWV 264) en un travail subtil et profond sur la prosodie et la dĂ©clamation, littĂ©ralement prodigieux : il tĂ©moigne aussi avec une sincĂ©ritĂ© inĂ©dite, de l’amitiĂ© exceptionnelle qui unissait le musicien Ă  sa protectrice la Reine Caroline.

De prime abord, le coloris particulier de l’orchestre se distingue dès le dĂ©but du HWV 260 Coronation Anthem pour le roi Georges II) : mĂ©lange habile de raffinement pastoral et majestueux (William Christie dose astucieusmeent hautbois et trompettes) crĂ©ant le cadre  d’une cĂ©rĂ©monie de rĂ©jouissance qu’aucune entrave malgrĂ© le dĂ©corum requis, ne vient alourdir ni emplomber : c’est solennel sans ĂŞtre compassĂ© ; vivant et naturel mais toujours recueilli. Le chĹ“ur est d’une cohĂ©rence festive et affĂ»tĂ©e, Ă  l’articulation souple, naturelle et lumineuse, celle des Arts Florissants, rĂ©fĂ©rence chez Handel depuis 30 ans Ă  prĂ©sent, grâce Ă  la ferveur de leur chef fondateur William Christie. Ferveur attendrie de vrais bergers presque alanguis du 2 (Exceeding glad shall he be of thy salvation…) : en fait ce sont les croyants sereins, presque transfigurĂ©s par la grâce qui leur est faite par l’obtention de leur salut : tout tend ici vers la lumière croissante (et l’Ă©lĂ©vation d’une bienheureuse humanitĂ© resplendissante de joie partagĂ©e, celle du couronnement d’un ĂŞtre irradiĂ© lui aussi par la bienveillance du Seigneur).” Bill ” rĂ©vèle ce gĂ©nie poĂ©tique de Handel capable de transformer un Ă©vĂ©nement dynastique en exaltation poĂ©tique, en cohĂ©sion fraternelle et fervente dont la sincĂ©ritĂ© nous touche immĂ©diatement.

Plus cĂ©rĂ©moniel encore sur le papier, le Te Deum HWV 280 auquel William Christie sait pourtant prĂ©server l’enveloppe intimiste et remarquablement individualisĂ©e de l’expression.
La Reine Caroline (Queen Caroline, Caroline d’Ansbach) ne fut pas seulement une protectrice avisĂ©e, au goĂ»t sĂ»r, bienveillante pour le compositeur officiel d’alors : Handel. Elle fut surtout une proche et une amie, relation exceptionnelle qui relie l’artiste et le politique en un regard commun, une sensibilitĂ© singulière et profonde, vĂ©cue en miroir par deux âmes esthètes et exigeantes.  Le programme de ce disque nous dit cette entente remarquable qui renforce la qualitĂ© de la souveraine, femme de goĂ»t et de lettres, Ă  la sensibilitĂ© rare qui entretient une correspondance avec Leibniz… Evidemment Handel devait beaucoup l’admirer.
CLIC D'OR macaron 200Cela s’entend Ă©videmment dans les pièces rassemblĂ©es par William Christie dans ce second disque Handel (le prĂ©cĂ©dent Belshazzar avait mĂŞme inaugurĂ© la collection discographique nouvelle, coffret Belshazzar 2012, Ă©galement “CLIC de classiquenews). Ici les qualitĂ©s du continuo fervent et d’une souplesse Ă©lĂ©gante se distingue spĂ©cifiquement (second Ă©pisode du Te Deum oĂą le clair tĂ©nor de Sean Clayton et la basse de Lisandro Abadie articulent l’hymne admiratif du texte pour le Christ). Ce Te Deum dĂ©ploie Ă  l’orchestre un tapis instrumental subtilement caractĂ©risĂ© oĂą chaque voix soliste s’inscrit avec  la prĂ©cision et l’Ă©clat d’un gemme : William Christie en fait une châsse brillante par le raffinement de son travail d’orfèvrerie. L’ensemble Ă©blouit par sa lumière intĂ©rieure partagĂ©e par les 3 solistes masculins, le chĹ“ur et surtout l’orchestre d’une vivacitĂ© attendrie, majestueuse, Ă©clatante. ÉvĂ©nement politique oblige, le Te Deum est un acte collectif oĂą la prière individuelle qui s’incarne dans la voix des solistes exprime surtout la ferveur tendre des commanditaires (très belle prière de Vouchsafe O Lord… dont le timbre pur et inspirĂ© du contre tĂ©nor Tim Mead semble concentrer le sentiment de bĂ©atitude intime). LĂ  encore un hommage rendu par Haendel Ă  ses patrons, Ă  sa remarquable protectrice Caroline.

 

 

 

SincĂ©ritĂ© du Handel funèbre…

 

Le clou du programme demeure Ă©videmment, l’instant d’ample dĂ©ploration funèbre du Funeral Anthem pour la Reine Caroline (HWV 264) : la retenue et le recueillement intĂ©rieur distillĂ©s par le fondateur des Arts Florissants soulignent la profondeur accablĂ©e de la partition handĂ©lienne. Tout y est subtilement Ă©noncĂ© au diapason de la pudeur et d’un sentiment sincèrement recueilli, celui d’un musicien qui a perdu son amie. L’excellente prise de son, restituant et la rĂ©sonance de l’Ă©glise et la prĂ©cision fruitĂ©e et ronde des instruments accordĂ©s aux voix du chĹ“ur, renforce l’impact Ă©motionnel de cette spectaculaire rĂ©flexion sur le mort. C’est un momento mori traversĂ© de visions hautement théâtrales propre Ă  l’esthĂ©tique baroque, mais aussi enrichi de sublimes et fulgurants accents Ă©motionnels. La prouesse des choristes n’est pas mince : les spectateurs auditeurs des concerts de la tournĂ©e (dont la salle Pleyel en novembre 2013) ont pu le mesurer jusque dans le placement des chanteurs : Bill mĂ©lange chaque voix, dĂ©cloisonnant le son par pupitre, opĂ©rant un scintillement inĂ©dit des timbres oĂą chaque chanteur dĂ©fend sa partie en soliste.

Handel-Queen-caroline-funeral-anthem-1737-Les-Arts-Florissants-William-Christie-1-cd-Douglas-keneddy-au-concert-nouvelle-inedite-les-arts-florissants-william-christie-1-cdUn travail prodigieux sur l’articulation et la projection du texte choral. L’individualisation et la cohĂ©sion font la force de cette lecture, Ă  la fois lamentation collective et acte de tendresse personnelle. La grandeur et la sincĂ©ritĂ© s’y dĂ©ploient avec une grâce et une plĂ©nitude peu commune (section finale du chĹ“ur initial The ways of Zion do mourn… oĂą pèse le ressentiment partagĂ© du deuil sur le mot “sikh / soupire”). Le refrain choral  “How are the mighty fall’n!” Ă©noncĂ© Ă  trois reprises (et Ă  chaque fois de façon difĂ©rente) comme un motif obsessionnel et terrifiant, incarne comme un cri Ă  peine couvert, l’effroi de la mort : voix Ă©perdues, dĂ©munies auxquelles rĂ©pondent les cordes amères et comme paniquĂ©es (quel art de la part de William Christie) ; deux registres se cĂ´toient alors : la volontĂ© de recul face Ă  la douleur profonde (solennitĂ© et grandeur du premier chĹ“ur), et le dĂ©sespoir franc, immaĂ®trisĂ© (expression sans masque d’un deuil atroce) : soit l’Ă©quivalent du transi et du gisant lĂ©guĂ©s par la statuaire de la Renaissance. Les textes intercalĂ©s regrettent la noblesse de celle qui est trĂ©passĂ©e, brossant un portrait d’une douceur inĂ©dite jusque lĂ  pour une musique funèbre (plage 15 : When the ear heard her...) ; autant de pudeur Ă©vocatrice ne peut s’expliquer sans l’attachement du compositeur Ă  sa protectrice. L’enchaĂ®nement avec le chĹ“ur de dĂ©ploration n’en est que plus violent. Le geste du chef et la rĂ©alisation des interprètes produisent une fresque saisissante par son humanitĂ©, sa retenue, son Ă©lĂ©gance, tout en soulignant la progression tĂ©nue du plan poĂ©tique : solennitĂ©, affliction dĂ©sespĂ©rĂ©e puis dithyrambe attendri, enfin bĂ©atitude et apothĂ©ose pour la dĂ©funte Caroline.
Jouant constamment entre la grandeur et la sincĂ©ritĂ©, l’effroi et la pudeur, William Christie rĂ©ussit le dramatisme et la profondeur d’un programme qu’on aurait estimĂ© de l’extĂ©rieur : cĂ©rĂ©moniel et convenu. Il n’en est rien grâce Ă  l’approfondissement très fin d’un chef articulĂ©, vĂ©ritable alchimiste du verbe dĂ©clamatif, introspectif, murmurĂ© (raffinement ciselĂ© de la coupe linguistique et du continuo enveloppant de l’Ă©pisode – plage 19-, oĂą tout bascule de l’affliction Ă  la certitude nouvelle et lumineuse : The righteous shall be had / Le juste sera tenu…). Alors se dessine concrètement l’Ă©clat de l’apothĂ©ose (And the wise shall shine…). Wiliam Christie confirme indiscutablement ses affinitĂ©s avec les champs handĂ©liens, sachant toujours prĂ©server la justesse du geste, la profondeur et la cohĂ©rence de l’intonation dans une musique qui sans lui, sonnerait ailleurs creuse et grandoliquente (dernier soupir murmurĂ© de la conclusion conçue comme une dernière nouvelle aurore plutĂ´t qu’une cĂ©lĂ©bration appuyĂ©e). Soulignons l’excellence des choristes des Arts Florissants, cĹ“ur ardent, Ă  l’intensitĂ© collective d’une bouleversante sincĂ©ritĂ©. VoilĂ  une maĂ®trise et une maturitĂ© grâce auxquelles ce Handel aussi juste partage avec son contemporain JS Bach, la mĂŞme profondeur, une mĂŞme irrĂ©sistible vĂ©ritĂ©.

 

 

 

Handel : Music for Queen Caroline. The King shall rejoice, Coronation anthem HWV 260. Te Deum in D Major “Queen Caroline”, HWV 280. The Ways of Zion Do Mourn “Funeral Anthem for Queen Caroline”, HWV 264. Tim Mead, Sean Clayton, Lisandro Abadie. Les Arts Florissants. William Christie, direction. DurĂ©e : 1h12mn. EnregistrĂ© Ă  Paris, en novembre 2013.  1 cd Les Arts Florissants, William Christie Éditions. DurĂ©e 1h12mn.

Handel-Queen-caroline-funeral-anthem-1737-Les-Arts-Florissants-William-Christie-1-cd-Douglas-keneddy-au-concert-nouvelle-inedite-les-arts-florissants-william-christie-1-cdAu concert / At the concert… Un texte inĂ©dit par Douglas Kennedy. Comme Ă  son habitude, le nouveau label de William Christie Ă©dite aussi en complĂ©ment du cd, une nouvelle inĂ©dite commandĂ©e Ă  un Ă©crivain. Avec Music for Queen Caroline, l’Ă©diteur publie en un livret spĂ©cifique Au concert de Douglas Kennedy : Ă  New York, une amĂ©ricaine et son compagnon assiste au concert des Arts Florissants (mĂŞme programme que le cd). L’hĂ©roĂŻne de ce court texte remarquablement Ă©crit, Ă©voque sa vie, ses relations amoureuses, sa situation intime, ses parents dont le souvenir se confond avec la musique funèbre de Haendel. Passionnant. L’un des meilleurs textes Ă©ditĂ©s aux cĂ´tĂ©s de ceux prĂ©cĂ©dents signĂ©s RenĂ© de Ceccaty (CD “Mantova” : Livres IV,V,VI de Monteverdi), Jean Echenoz (A Babylone – Belshazzar de Handel)…

 

 

Entretien avec Benoît Babel, directeur musical de Zaïs. Jouer Rameau et Haendel.

babel-benoit-zais-rameau-handel-ENTRETIEN avec Benoît Babel, directeur musical de Zaïs. Jouer Rameau et Haendel. Avec son ensemble sur instruments d’époque, baptisé Zaïs en hommage au génie raméllien, le claveciniste Benoît Babel vient de publier chez Paraty, un programme discographique réjouissant : enchaînant Concertos pour orgue de Handel et transpositions d’après Rameau. La vitalité exquise, le sens du drame, le festival des saveurs instrumentales servies comme un buffet de combinaisons rares font les délices d’une réalisation superlative, d’autant plus bienvenue pour l’année Rameau 2014. Mais mettre en regard Haendel et Rameau, deux génies contemporains de la musique baroque n’est pas si anodin que cela. Explications. Entretien avec Benoît Babel, directeur musical de Zaïs.

 

 

En jouant les deux compositeurs qu’avez vous souhaitĂ© exprimer comme singularitĂ©s respectives ? 

Ce qui est curieux avec Handel et Rameau, c’est que leur musique diffĂ©rente de prime abord se complète parfaitement. Handel a cette spontanĂ©itĂ©, ce naturel et cette fluiditĂ© qui font penser Ă  l’Italie. Rameau a pour lui la lĂ©gèretĂ©, ce cĂ´tĂ© spirituel, humoristique mais jamais naĂŻf. Mais ces deux gĂ©nies ont en commun une incroyable maĂ®trise de leur art.
Avec Paul Goussot, titulaire de l’orgue de Ste-Croix, nous avons souhaitĂ© composer un programme le plus vivant possible. Nous avons pour cela utilisĂ© deux « disciplines » que Rameau et Handel eux mĂŞme ont beaucoup pratiquĂ©es : l’improvisation et la rĂ©-Ă©criture.
Handel, dans ses concertos, laisse Ă  l’organiste d’immenses possibilitĂ©s de crĂ©ation par des mentions « ad libitum ». Notre enregistrement compte au moins quatre grandes parties improvisĂ©es : trois au sein des concertos et Ă©galement une ouverture en trois mouvements, ce qui est assez rare au disque. C’est d’ailleurs une joie immense pour l’ensemble ZaĂŻs de dĂ©couvrir chaque fois que nous donnons ce programme les nouvelles trouvailles de Paul. C’est très inspirant pour nous.
babel-bonit-zais-582-concert-maestro-rameau-handelLa dĂ©marche de rĂ©-Ă©criture et elle aussi très historique. Tous les opĂ©ras de Rameau contiennent des pièces rĂ©-Ă©crites, adaptĂ©es pour l’occasion. Paul Goussot a passĂ© des mois entiers Ă  inventer des parties de violon, alto, hautbois, bassons … Ă  partir de la version en trio de Rameau. Il a ainsi créé une conversation constante entre l’orgue et les parties d’orchestre. Un immense travail ! C’Ă©tait notre manière Ă  nous de cĂ©lĂ©brer l’annĂ©e Rameau en montrant que la pratique de la musique ancienne passe aussi par des expĂ©riences et que l’on peut de cette façon continuer Ă  faire vivre ce rĂ©pertoire et Ă  le renouveler.

 

 

 

Réécriture, improvisation…

 

A propos de Rameau, que diriez vous en quelques mots pour définir son génie particulier au regard des oeuvres jouées ?

Rameau est pour moi le meilleur ambassadeur de la musique française du XVIIIème siècle et de l’esprit des Lumières. Bien que sa musique soit souvent intellectuellement complexe et virtuose, jamais elle ne contraint l’auditeur Ă  une concentration extrĂŞme pour se laisser toucher par les affects. C’est ce que Rameau lui mĂŞme appelait « cacher l’art par l’art ». Sa musique mĂ©rite d’ĂŞtre jouĂ©e et dĂ©fendue. Je crois que, comme pour tout notre rĂ©pertoire de musique ancienne, mĂŞme après des siècles, cette musique parle directement Ă  l’auditeur du XXIème siècle. C’est une musique sincère, honnĂŞte, dans le sens oĂą elle invite directement l’auditeur Ă  entrer dans son jeu, dans ses Ă©motions. Pas besoin de distance, elle est faite pour que chacun la vive en soit.

Quels sont les caractères distinctifs de votre ensemble Zaïs et en quoi ce programme met il en avant ses qualités propres ? 

Tous les musiciens se sont Ă©normĂ©ment investis dans ce projet. Ils m’ont fait confiance et chacun a apportĂ© le meilleur de ce qu’il pouvait faire. Je leur en suis extrĂŞmement reconnaissant. Beaucoup ne me connaissaient pas ou n’avaient encore jamais jouĂ© avec moi. C’est une rĂ©ussite collective. Pourtant les obstacles ne manquaient pas. Jouer avec un grand orgue, se fondre dans sa justesse et donner vie Ă  ces transcriptions de Rameau … tout cela constituait des dĂ©fis Ă©normes ! Je pense que nous proposons dans ce CD quelque chose de vraiment original et singulier. Chacun pourra juger, mais nous sommes fiers de ce que nous proposons. Beaucoup de travail nous attend encore, l’aventure ne fait que commencer ! Propos recueillis par Alexandre Pham. Illustrations : ©ecliptique/Laurent Thion.

 

 

LIRE aussi notre critique complète du cd Rameau & Handel par l’ensemble Zaïs et Benoît Babel : CLIC de classiquenews de septembre 2014.

 

 

DOM BEDOS Rameau handel orgue PARATY visuel_cd_handelrameau_reelCD. Rameau, Handel : Concertos pour orgue, Pièces pour clavecin… (Zaïs, Paul Goussot, Paraty, 2013). Attention, programme remarquablement audacieux. Et sur le plan interprétatif : quelle fulgurance dans un jeu à la fois noble, généreux et aussi percutant voire d’une mordante énergie ! Sans réserve, voici le cd que nous attendions pour l’année Rameau 2014 : d’une plénitude enthousiasmante et par le choix de son programme, dans les œuvres retenues et transcrites, l’expression la plus sincère et la plus directe de cette furie musicale, doublée d’élégance propre au génie raméllien : l’affinité des interprètes (instrumentises de l’ensemble Zaïs et organiste) avec le compositeur est totale et aussi d’une inventive audace comme l’atteste l’intelligence des transcriptions proposée s’agissant des Pièces de Rameau, originellement pour clavecin et transférées ici à l’orgue.

CLIC D'OR macaron 200D’abord au service du premier Concerto pour orgue de Haendel (HWV 309), la gravité (couleurs sombres d’un lugubre solennel grâce aux bassons vrombissants) de l’Adagio & organo ad libitum captive dès le début ; la précision mordante, -pulsionnellement  pertinente de l’Allegro qui suit montre à quel point la musicalité rayonnante de l’ensemble Zaïs (Benoît Babel, direction) sait s’affirmer avec une exceptionnelle volupté assurée, complice à chaque mesure de l’orgue bordelais, royal, et même impérial dans sa démesure réellement impressionnante. De ce fait, la cohérence et l’équilibre dans la prise de son, résolvant l’ampleur réverbérante de l’orgue avec le relief des instrumentistes est exceptionnellement réussie. Outre sa justesse artistique convaincante, le programme satisfait donc aussi sur le plan de sa réalisation technique, préservant une balance idéale malgré la disparité des instruments en jeu. Un exemple même de naturel et de prise de son vivante. Bravo aux ingénieurs du son!

ECOUTER quelques extraits de l’ensemble ZaĂŻs en concert

 

Teseo de Haendel (Londres 1713)

haendel_handel_costume_portraitFrance Musique. Haendel : Teseo. Dimanche 13 juillet 2014, 20h.  D’après ThĂ©sĂ©e de Quinault et Lully (1675), Teseo de Handel entend renouer avec la concision tragique de l’opĂ©ra français hĂ©ritĂ© du Grand Siècle. Créé en 1713 au Théâtre de la Reine de Heymarket, sur le livret de Nicola Haym, Teseo est le troisième ouvrage londonien de Haendel : ThĂ©sĂ©e et la belle Agilea suscitent les foudres haineux de l’inflexible et terrifiante magicienne MĂ©dĂ©e… En 5 actes, respectant ainsi la tradition du cadre français, Teseo recueille les fruits triomphants de Rinaldo et remporte un Ă©gal succès auprès des londoniens. Haym concentre la tension dramatique sur le couple AeglĂ©/ThĂ©sĂ©e, mis Ă  mal par la jalousie de MĂ©dĂ©e et les avances d’EgĂ©e (Ă©pris d’AeglĂ©).La figure de MĂ©dĂ©e, irascible mais impuissante amoureuse, s’exprime dans des airs bouleversants qui en font la vraie hĂ©roĂŻne de l’ouvrage : puissante dĂ©itĂ© vouĂ©e au Mal mais femme dĂ©munie quand paraĂ®t celui qu’elle aime en pure perte  : ThĂ©sĂ©e. Son caractère annonce l’humanitĂ© Ă  vif d’Alcina et d’Orlando. L’orchestre dĂ©ploie une riche orchestration (très nombreux airs avec hautbois obligĂ© et violoncelle solo pour l’un deux). PrĂ©cis et dramatique, le chef Federico Maria Sardelli poursuit son exploration de la lyre haendĂ©lienne Ă  Londres, l’une des plus flamboyantes, avant l’essor des oratorios anglais.

Georg Friedrich Haendel
1685 – 1759

Teseo
Dramma tragico per musica en 5 actes.
Créé le 10 janvier 1713au Queen’s Theatre de Haymarket.
Livret de Nicola Haym, d’après Thésée de Philippe Quinault

Teseo : Lucia Cirillo, mezzo-soprano
Medea : Gaëlle Arquez, soprano
Agilea : Emmanuelle de Negri, soprano
Arcane : Damien Guillon, contre-ténor
Clizia : Francesca Boncompagni, soprano
Egeo : Delphine Galou, contralto

Ensemble Modo Antiquo
Federico Maria Sardelli, direction

France Musique. Haendel : Teseo. Dimanche 13 juillet 2014, 20h. Enregistré le 4 juillet à Beaune.  

Approfondir :  Haendel sur classiquenews

Haendel Ă  Londres (1710-1759)

Haendel et les castrats

Haendel, l’aventure lyrique : les opĂ©ras pas Ă  pas

Teseo : le Thésée de Haendel

CD. Haendel : Orlando (Archiv, René Jacobs, 2013).

Orlando rene jacobs archiv-CDCD. Haendel : Orlando (RenĂ© Jacobs, 2013). HĂ©ros aux pieds d’argile. Avant nos Batman,  Spiderman,  Hulk ou Superman…. autant de vertueux sauveurs dont le cinĂ©ma ne cesse de dĂ©voiler les fĂŞlures sous la… cuirasse, les figures de l’opĂ©ra ont elles aussi le teint pâle car sous le muscle et l’ambition se cachent des ĂŞtres de sang,  inquiets, fragiles d’une nouvelle humanitĂ© tendre et faillible. Ainsi Hercule chez Lully,  Dardanus chez Rameau, surtout Orlando de Haendel… avant Siegfried de Wagner, hĂ©ros trop naĂŻf et si manipulable. Sur les traces de la source littĂ©raire celle transmise par L’Arioste au dĂ©but du XVIème siècle et qui inspire aussi Vivaldi,  voici le paladin fier vainqueur des sarasins,  en prise aux vertiges de l’amour, combattant si frĂŞle face Ă  la toute puissance d’Eros. Un chevalier dĂ©risoire en somme, confrontĂ© au dragon du dĂ©sir. …

Mais impuissant et rongĂ© par la jalousie le pauvre hĂ©ros s’effondre dans la folie. Que ne peut-il pourtant fier conquĂ©rant inflĂ©chir le coeur de la belle asiatique Angelica qui n’a d’yeux que pour son Medoro. En un effet de miroir subtil, Haendel construit le personnage symĂ©trique mais fĂ©minin de Dorinda, tel le contrepoint fraternel des vertiges et souffrances du coeur : elle aime Orlando qui n’a d’yeux que pour la belle AngĂ©lique.

Passionanntes Angelica et Dorinda

La musique exprime le souffle des héros impuissants, la toute puissance de l’amour, sait pourtant s’alanguir en vagues et déferlantes pastorales (l’orchestre est somptueux en poésie et teintes du bocages), annonce comme Rameau quand il nous parle d’amour (Les Indes Galantes), cet essor futur du sentiment, nuançant en bien des points les figures un rien compassées et mécaniques du séria napolitains.  Gorgé d’une saine vitalité, René Jacobs séduit immédiatement par sa frénésie dramatique qui sait caractériser les personnages et les situations. C’est nerveux parfois secs et tranchant mais toujours vif et exalté. Christie reste indépassable par le sentiment et l’alanguissement.

Car seule faiblesse de l’enregistrement le contre-tĂ©nor en couverture : Bejun Mehta a certes une projection fluide et claire mais le style aguicheur et fleuri Ă  l’excès manque singulièrement de simplicitĂ© et de naturel. A force de vouloir en dĂ©montrer, le chanteur rate son incarnation et demeure rien que maniĂ©rĂ© : un contresens qui lui est fatal. A contrario de sa contreperformance, les chanteuses sont… superlatives, en particulier, l’Angelica de Sophie Karthäuser (qui allie la grâce mozartienne Ă  la prĂ©cision de ses vocalises) et la soprano vedette de l’écurie Jacobs depuis des lustres, l’irradiante et diamantine Sunhae Im, d’une fraĂ®cheur juvĂ©nile et tendre capable d’expressivitĂ© ardente et naturelle : un modèle d’élocation dramatique qui rééclaire le rĂ´le de Dorinda, en fait bien cette sĹ“ur en douleur de l’impuissant Paladin devenu fou. L’orchestre fiĂ©vreux, bondissant redouble de nuances et dynamiques : voilĂ  un chef qui comprend sans cependant en exprimer les teintes mordorĂ©es voire tĂ©nĂ©bristes (Ă©couter ici Christie), le roman de l’Arioste entre l’illusion de l’amour, la sincĂ©ritĂ© du cĹ“ur, la folie de la jalousie : de fait, l’orlando de Haendel est contemporain du choc orchestrĂ© par Rameau son contemporain (Hippolyte et Aricie, 1733), et de 20 ans plus tardif que les sommets lyriques prĂ©cĂ©dents signĂ©s Vivald Ă  Venise…  Aucun doute cet Orlando – rĂ©serve Ă©mise au chanteur dans le rĂ´le-titre, est Ă  classer parmi les meilleures rĂ©ussites de la discographie dĂ©jĂ  riche. Avec un chanteur plus simple en tĂŞte d’affiche, la lecture aurait dĂ©crochĂ© le « CLIC ». Avec le rĂ©cent Belshazzar de William Christie (et ses chĹ“urs des Arts Florissants rien moins qu’inouĂŻs), Haendel dĂ©ploie Ă  nouveau ici sous la baguette acĂ©rĂ©e, vive du gantois Jacobs, son irrĂ©sistible invention lyrique. Coffret très très recommandable.

Haendel (1685 – 1759) : Orlando, 1733. Bejun Mehta, Sophie Karthäuser, Kristina Hammarström, Sunhae Im, Konstantin Wolff… B’Rock Orchestra. RenĂ© Jacobs, direction. Enregistrement rĂ©alisĂ© au Concertgebouw de Bruges Ă  l’étĂ© 2013. 2 cd ARCHIV Produktion 0289 479 2199 8

CD. Haendel : Tamerlano (Cencic, Gauvin, Ainsley… Minasi, 2013)

Haendel handel _TAMERLANO_Naive Ainsley gauvin cencicCD. Haendel : Tamerlano (Cencic, Gauvin, Ainsley… Minasi, 2013)… Plus ciselĂ©s et mordants, plus inventifs et renouvelĂ©s que Curtis par exemple, Riccardo Minasi et les instrumentistes d’Il pomo d’oro convainquent musicalement : leur caractĂ©risation du drame sombre voire hautement tragique de Tamerlano (1724) reste souvent saisissante (attĂ©nuation murmurĂ©e constamment souple, proche en cela du texte, colorant idĂ©alement les caractères de chaque personnages selon la situation. Jamais le continuo des recitatifs ne s’enlise : il suit l’arc tendu du verbe et accuse le relief ou les vertiges des oppositions, confrontations, manipulations entre les personnages : un père (Bajazet) et sa fille (Asteria), proies impuissantes de la cruautĂ© la plus abjecte incarnĂ© par le repoussant Tamerlano qui en fait n’est pas le hĂ©ros de l’opĂ©ra,… plutĂ´t un faire valoir du rĂ´le immense de Bajazet, prince noir mais noble et digne… qui prĂ©fère la morsure du poison et la dĂ©livrance finale qu’il promet, plutĂ´t que vivre l’Ă©tat d’humiliation et d’asservissement qu’aime cultiver contre lui et sa fille, l’ignoble Tamerlano.

Tamerlano chambriste, essentiellement vocal

CLIC D'OR macaron 200Contrairement au visuel de couverture ce n’est ni Tamerlano et son interprète qui se hissent au sommet de la rĂ©alisation : mais plutĂ´t l’excellent Bajazet de John Mark Ainsley : prince noble et d’une grandeur morale admirable, attendrie encore par ce lien filial et tĂ©nue (ici très bien exprimĂ©) qui le rattache Ă  sa fille, double de souffrance Ă  ses cĂ´tĂ©s (très honnĂŞte Karine Gauvin dans un rĂ´le fĂ©minin riche en couleurs crĂ©pusculaires lui aussi). Rien Ă  dire non plus au fiancĂ© d’Asteria, l’Andronico de Cencic : vivant, palpitant, toujours hautement engagĂ© lui aussi. La version est intensĂ©ment vocale donc dramatiquement proche du théâtre cornĂ©lien, oĂą l’Ă©quilibre instruments et chant se rĂ©vèle idĂ©al. La comprĂ©hension du chef saisit par son intelligence, et la qualitĂ© globalement engageante des solistes dĂ©fend superbement l’opĂ©ra haendĂ©lien. Excellente surprise.

Georg Friederich Haendel (1685-1759): Tamerlano, HWV 18 (1731 version). Avec Xavier Sabata (Tamerlano), Max Emanuel Cenčić (Andronico), John Mark Ainsley (Bajazet), Karina Gauvin (Asteria), Ruxandra Donose (Irene), Pavel Kudinov (Leone). Il pomo d’oro. Riccardo Minasi, direction. Enregistré en Italie, en avril 2013.  3cd Naïve V 5373.

Le Messie de Haendel

Haendel, handel Messielogo_france2_2014Télé. France 2. Haendel : Le Messie. Jeudi 17 avril 2014, 00h30. Oratorio atypique. Le Messie est un collage de textes bibliques évoquant la figure du Christ, de sa naissance à sa résurrection. L’ouvrage de Haendel se prête aux visions scéniques les plus démesurées; celle d’Oleg Kulik, l’artiste russe qui a conçu une spacialisation saisissante des Vêpres de la Vierge de Monteverdi est à riche en références, suggestive et très rythmée. Un support idéal pour l’élévation spirituelle de la musique ? A chacun de juger.L’oratorio miraculeux. La partition au titre salvateur est l’un des chefs d’oeuvre de la musique sacrée baroque et aussi dans la vie de Haendel, la source d’un renouvellement puissant, l’étape qui scelle après un cycle d’échecs dans le genre de l’opéra seria (dont le dernier Deidamia montre combien le théâtre italien ne plaît plus au public londonien), un nouvel essor musical. Il s’est tourné vers l’oratorio en langue anglaise: l’avenir est là. Son librettiste habituel, l’aristocrate anglican assez conservateur, Charls Jennens, sélectionne une série d’épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament afin de concevoir une trame autour du Messie. Haendel pourtant affecté par ses revers cuisants sur la scène lyrique, mais toujours en quête d’un jaillissement nouveau de l’inspiration pour conquérir une nouvelle audience, compose la partition du Messie du 22 août au 14 septembre 1741.

Gloire dublinoise

C’est pourtant en Irlande que le musicien baroque redore son blason et retrouve une gloire jusque là émoussée. A Dublin, le compositeur trouve un accueil plus chaleureux qu’à Londres; il y organise aussitôt une série de répétitions. Le Messie est créé dans la cité dublinoise le 13 avril 1742. Dès la première très applaudie, les auditeurs admiratifs (700 billets vendus immédiatement) louent le “sublime, la grandeur, la tendresse” d’une partition parmi les meilleures du compositeur. Au regard de ce premier triomphe, Haendel organise à Dublin également, une seconde représentation le 3 juin.

Malédiction londonienne

Raphael_christ_resurrection Le_Messie_HaendelTrès engagé pour reprendre son poste de premier compositeur dans la capitale anglaise, Haendel entend reconquérir le public britannique, en particulier ces bourgeois bigots plus curieux de drames sacrés que les aristocrates qui avaient au début soutenu ses opéras seria. Le concert du 23 mars 1743 à Covent Garden est demi succès: Haendel est ébranlé, d’autant que Charles Jennens, son librettiste semble s’étonner de la musique qu’il ne trouve pas à son goût. L’affaire devient une catastrophe personnelle, et Haendel qui souhaitait redorer sa gloire, est traîné plus bas que dans ses pires cauchemars: il fait une attaque cérébrale. Incroyable ténacité du génie: deux années plus tard, Haendel fait programmer son oeuvre en 1745, avec d’ultimes aménagements… réglés par Jennens. A force d’opiniâtreté, le compositeur impose ses oratorios en langue anglaise, suffisamment pour s’offrir un Rembrandt en 1750 et payer l’orgue de la chapelle du Foundling Hospital (destiné à l’éducation des jeunes orphelins).D’ailleurs, jusqu’à sa mort, le compositeur fera donner chaque année au Foundling Hospital, une représentation de son Messie, dont les bénéfices renflouent les caisses de la noble et charitable institution londonienne. Vertueux Haendel qui en recevant, sait aussi redonner…

france2-logo_2013France 2, « Au clair de la lune »: Le Messie, oratorio en 3 parties de Georg Friedrich Haendel (orchestration de Mozart). Le Jeudi 17 avril à 00h30. Durée : 2h13mn. Réalisé par : Denis Caïozzi. Enregistré au Théâtre du Châtelet en 2011. Orchestre philarmonique de Radio France Chœur du Châtelet. Direction musicale : Hartmut Haenchen. Mise en scène, conception visuelle et costumes : Oleg Kulik

Soprano : Christina Landshamer 
Mezzo-soprano : Anna Stéphany
Ténor : Tilman Lichdi
Basse : Darren Jeffery

Danseur soliste du ballet de Mariinski : Andrei Ivanov Récitant : Michel Serres

 

Compte-rendu : Paris. OpĂ©ra National de Paris (Palais Garnier), le 23 mai 2013. Haendel : Giulio Cesare in Egitto. Lawrence Zazzo, Sandrine Piau, … Concert d’AstrĂ©e. Emmanuelle HaĂŻm, direction. Laurent Pelly, mise en scène.

haendel_portrait_perruqueL’OpĂ©ra National de Paris accueille l’Orchestre et Choeur du Concert d’AstrĂ©e dirigĂ© par Emmanuelle HaĂŻm, pour la reprise de leur production de Giulio Cesare de Haendel de 2011 dans la mise en scène signĂ©e Laurent Pelly.

Giulio Cesare a une place spĂ©ciale dans la production lyrique du Caro Sassone. Il s’agĂ®t de l’un des plus riches exemples de caractĂ©risation musicale dans tout le rĂ©pertoire. La partition est une des plus somptueuses et originales de la plume du compositeur. L’Ă©criture vocale est virtuose, d’une abondance mĂ©lodique enivrante. Le Concert d’AstrĂ©e sous la sĂ©vère et prĂ©cise d’Emmanuelle HaĂŻm se rĂ©vèle très convaincant (effet de la rbague d’aisance contagieuse …). Non seulement il soutien les chanteurs avec maestria, mais se distingue aussi de façon surprenante Ă  plusieurs moments de la ptte eprise : les musiciens et leur chef reprennent la production dĂ©jĂ  vue avec plusrĂ©sentation, et non seulement lors des intermèdes purement instrumentaux. L’orchestre se montre dramatique, noble et maestoso pendant les airs de CornĂ©lie, d’une dignitĂ© royale et d’un entrain presque romantique lors de l’air de Sextus “L’angue offeso mai riposa”, parfois agitĂ©, parfois larmoyant, toujours excellent. Les ritournelles sont d’un entrain souvent singulier et les solos de flĂ»te, violon et cor, vraiment impressionnants. 

Un éventail brillant de sentiments

 

Comme la distribution des chanteurs d’ailleurs. Si le livret peut paraĂ®tre risible, les chanteurs sont très engagĂ©s et donnent vie aux personnages avec les moyens dont ils disposent. Dans ce sens les rĂ´les de CĂ©sar et de ClĂ©opâtre, tenus par Lawrence Zazzo et Sandrine Piau respectivement, sont les vedettes incontestables, pourtant accompagnĂ©s d’une Ă©quipe de grande qualitĂ©. Le Jules CĂ©sar de Lawrence Zazzo est progressif. Si au tout dĂ©but, il semble plutĂ´t affectĂ© voire superflu, au cours des 4 heures de spectacle, il arrive Ă  dessiner un portrait fantastique et complexe du hĂ©ros romain, qui, malgrĂ© l’abondance mĂ©lodique, n’a pas la musique la plus individuelle de l’oeuvre. Il est ainsi le hĂ©ros Ă  la coloratura parfaite et savoureuse. Ses moments les plus intenses sont les rĂ©citatifs accompagnĂ©s, mais le souvenir plus vif que nous avons de sa prestation est sans doute son Ă©nergie et cet investissement indiscutable dans ses vocalises pleines de caractère et sa musicalitĂ©. L’interprète se rĂ©vèle mĂŞme irrĂ©sistible dans son court air guerrier Ă  la fin du 2e acte “Alla’po dell’armi”.

Sandrine Piau est une ClĂ©opâtre encore plus irrĂ©sistible! Sa prestation est piquante Ă  l’extrĂŞme. Tous ses airs chatouillent et caressent les oreilles. De plus, sa silhouette s’accorde parfaitement au personnage sĂ©ducteur. Son air du 2e acte : “V’adoro pupille” avec un orchestre des muses sur scène et l’un des sommets esthĂ©tiques et Ă©rotiques de l’oeuvre. Mais nous avons droit lors du mĂŞme acte Ă  un autre sommet de beautĂ© cette fois-ci presque spirituelle lors de son air “Se pietĂ  di me non senti” qui n’est pas sans rappeler Bach. Également investie dans les  duos, la soprano rĂ©ussit tout autant son air de bravoure Ă  la fin de l’opĂ©ra :  ”Da tempeste il legno infrango” est la cĂ©rise de virtuositĂ© sur le dĂ©licieux gâteau d’une performance indiscutable.

Le personnage le plus dramatique, CornĂ©lie, est vivement dĂ©fendu  par la mezzo-soprano Verduhi Abrahamyan (nous avons toujours des excellents souvenirs de sa NĂ©ris dans la Medea de Cherubini ainsi que de sa Pauline dans la Dame de Piques de Tchaikovsky). Elle est noble et fière dans sa souffrance et le duo final du 1er acte : “Son nata a lagrimar”,  est magnifique : il suscite une vague de forts applaudissements et des bravos justifies.  Le Sextus de Katherine Deshayes paraĂ®t malheureusement en retrait. Son personnage n’a que des airs de vengeance (Ă  l’exception du duo d’adieux avec CornĂ©lie), et ils sont tous dans sa tessiture. Ce qui aura pu ĂŞtre une excellente occasion pour elle n’est qu’une interprĂ©tation correcte mais peu mĂ©morable. Christophe Dumaux dans le rĂ´le de PtolomĂ©e est, au contraire, un chanteur que nous avons du mal Ă  oublier (excellent Disenganno dans Il Trionfo de fĂ©vrier 2013).  VirtuositĂ© vocale, sincère investissement, avec un sens aigu du théâtre, font de lui un mĂ©chant plutĂ´t attirant!  Paul Gay et Dominique Visse sont tous les deux excellents en Achillas et NirĂ©nus respectivement, d’ailleurs comme Jean-Gabriel Saint-Martin dans le rĂ´le de Curio (beau Guglielmo dans CosĂ­ fan Tutte Ă  Saint Quentin en avril 2013).

La mise en scène de Laurent Pelly n’est pas pour tous les goĂ»ts, mais elle ne nuit pas Ă   l’oeuvre. Au contraire, sa transposition de l’action dans un MusĂ©e du Caire imaginĂ© est plutĂ´t sympathique.  Comme le fait qu’il intègre le 18e siècle dans sa vision. Dans ce sens, le concert des muses habillĂ©es en costumes baroques avec divers clins d’oeil Ă  la Rome antique (le choeur des bustes entre autres!) affirment une belle humeur et une imagination plutĂ´t libĂ©rĂ©e. La reprise de la production est au final un festival pour tous les sens et l’Ă©ventail des sentiments et d’affects est certainement prĂ©sentĂ© avec candeur et noblesse. Au final, une production recommandable Ă  voir et Ă©couter au Palais Garnier, encore le 31 mai ainsi que les 4, 6, 9, 11, 14, 16 et 18 juin 2013.

Haendel : Agrippina

haendel_handel_costume_portraitFrance Musique, samedi 28 dĂ©cembre 2013, 19h. Haendel : Agrippina, 1709. Harry Bicket, direction (Lieceu). En 1709, Haendel achève son sĂ©jour italien: le jeune homme de 24 ans, est plus italien qu’aucun autre saxon: Ă  Rome, Florence et surtout Venise, temple de l’art lyrique oĂą Monteverdi a rĂ©inventĂ© l’opĂ©ra un siècle auparavant, Haendel apprend et maĂ®trise la langue de l’opĂ©ra… Agrippina incarne sa maestriĂ … Pour nous aucune version enregistrĂ©e n’Ă©gale la fièvre, l’Ă©conomie, l’intensitĂ© dramatique et le feu vocal de la production enregistrĂ©e par John Eliot Gardiner chez Philips…

Haendel: Agrippina, 1709.

Samedi 28 décembre 2013, 19h

 

A partir de 1710, Haendel tente un pari fou: imposer Ă  l’audience londonienne, l’opĂ©ra italien. L’engouement pour le genre venu du continent l’emporte totalement, lui insufflant mĂŞme de sĂ©vères faillites. Les chef d’oeuvres sont nombreux (Rinaldo, Giulio Cesare, Ariodante, Alcina). Pourtant, le compositeur sĂ©vèrement concurrencĂ©, doit se renouveler. Mais tenace, Haendel, toujours en rapport avec la dramaturgie musicale, rĂ©invente un autre genre: l’oratorio.

L’enfant de Halle
InitiĂ© Ă  l’orgue par Zachow Ă  Halle, sa ville natale, le jeune Haendel ne tarde pas Ă  devenir son assistant organiste en 1697, Ă  12 ans.
Mais le jeune instrumentiste rejoint Hambourg en 1703 (18 ans) oĂą il fait partie de l’Orchestre de l’OpĂ©ra du MarchĂ© aux oies, alors dirigĂ© par Keiser. Dans la fosse, oĂą il est violoniste puis claveciniste, Haendel Ă©coute, apprend, mĂ©dite l’exemple des compositeurs dont il joue les oeuvres. Très vite, il y prĂ©sente ses premiers opĂ©ras: Almira, Nero (1705), puis Florinda et Dafne.
Or point de salut ni d’accomplissement d’un talent ambitieux sans l’apprentissage italien. En 1706, Haendel s’embarque pour la terre des Caccini, Monteverdi, Cavalli, Cesti: les crĂ©ateurs du genre opĂ©ra. D’ailleurs, l’opĂ©ra italien est unanimement apprĂ©ciĂ© par toutes les cours d’Europe. En connaisseur, le jeune homme se rend dans les deux foyers historiques de l’OpĂ©ra italien. Il y laisse une oeuvre personnelle remarquable qui en dit long malgrĂ© sa courte expĂ©rience, sur l’ambition qui l’anime et la maĂ®trise dĂ©jĂ  atteinte.

A Florence, le jeune musicien Ă©crit Rodrigo (1707); A Venise, Agrippina (1709), première oeuvre d’une Ă©tourdissante maestriĂ . A 24 ans, le jeune homme est plus italien qu’aucun autre auteur lyrique. Sa langue est italienne. Et davantage que la perfection de la musique, il a contractĂ© le virus du drame.

De retour en Allemagne en 1709, Haendel se fixe Ă  Londres dès 1710. Le jeune homme de 25 ans s’apprĂŞte Ă  acclimater l’opĂ©ra italien dans un pays qui applaudit le genre du masque, idĂ©alement perfectionnĂ© par Purcell, qui plus est, en langue anglaise quand l’Ă©tranger Haendel souhaite monter des productions dans la langue de Monteverdi. Son entreprise paraĂ®t risquĂ©e voire dĂ©raisonnable. Comment imposer un genre de spectacle auprès d’un public qui n’a jamais clairement manifestĂ© son engouement?

Londres, 1711: Rinaldo

Rinaldo en 1711 est un coup d’Ă©clat spectaculaire qui impose immĂ©diatement le musicien dans son pays d’adoption. Les productions s’enchaĂ®nent avec plus ou moins de succès, d’autant plus difficiles ou improbables après le triomphe de Rinaldo. Ainsi, Il Pastor Fido (1712), Teseo (1713) d’après la tragĂ©die lyrique en cinq actes de Lully et Quinault; Silla (1713), Amadigi (1715) qui marque une Ă©criture renouvelĂ©e Ă  l’Ă©chelle d’un orchestre de plus en plus participatif, inventif, colorĂ©.

1719, directeur du King’s theatre

ConsĂ©cration: Haendel est nommĂ© directeur musical de l’AcadĂ©mie Royale de musique installĂ©e au King’s Theatre. Haendel dispose d’un lieu flambant neuf qui vient d’ĂŞtre inaugurĂ© en 1720. Le compositeur recrute les plus belles voix en vogue pour son Radamisto (1720). Suivent plusieurs ouvrages moins spectaculaires: Muzio Scevola (1721) opĂ©ra collectif composĂ© avec Bononcini qui rejoint l’AcadĂ©mie Royale comme membre permanent en 1720, et Amadei. Seul l’Acte III serait de Haendel; Floridante (1721) dont on regrette l’incohĂ©rence du livret; Ottone (1723), très classique voire conventionnel; Flavio (1723) au texte lui aussi peu approfondi. Cependant, peu Ă  peu, le gĂ©nie de Haendel gagne l’estime du milieu musical, l’admiration d’un public fidĂ©lisĂ© mais exigent. L’art et la maĂ®trise de Haendel se concentrent sur le flamboiement de la musique qui tout en respectant la faveur gĂ©nĂ©rale pour les acrobaties vocales distillĂ©es par castrats et prima donna, sait ne pas cĂ©der Ă  la tyrannie capricieuse des chanteurs, surtout si l’action dramatique doit en pâtir.

Giulio Cesare, 1724

Haendel expĂ©rimente toujours. En cela, Giulio Cesare indique une nouvelle direction pour le spectaculaire: orchestre de fosse Ă©toffĂ©, et mĂŞme orchestre sur scène. Tamerlano (1724) enchaĂ®ne les rĂ©citatifs accompagnĂ©s, aboutissant Ă  la fameuse scène du suicide, composĂ©e d’une succession d’arias et de rĂ©citatifs. En maĂ®tre de la tension et de la progression dramatique, le feu d’un Haendel passionnel et palpitant, s’impose indiscutablement. Rodelinda (1725) poursuit la veine expressionniste.Saison 1725/1726
Le King’s theatre est devenu une scène incontournable de la vie musicale londonienne. Haendel a rĂ©ussi son pari. D’autant que pour animer les dĂ©bats, voire le chahut dans la salle, le public aime s’opposer, soutenant Bononcini contre Haendel, surtout, applaudir Ă  tout rompre, la soprano vedette Faustina Bordoni contre la Cuzzoni. Joutes artistiques, clivages passionnĂ©s entre les partis d’un public conquis, montrent la ferveur de l’opĂ©ra Ă  l’Ă©poque de Haendel lequel est fait citoyen anglais en fĂ©vrier 1726.
Scipione (1726), Alessandro (1726) qui fit chanter les deux sopranos rivales, Admeto (1727), Riccardo Primo (1727), Siroe et Tolomeo (1728) prolongent le style de l’opĂ©ra seria selon un système Ă  prĂ©sent fonctionnel. MalgrĂ© les succès remportĂ©s, l’AcadĂ©mie Royale ferme ses portes en 1728.La Seconde AcadĂ©mie Royale
Haendel qui n’a jamais baissĂ© les bras, poursuit l’aventure de l’opĂ©ra italien avec l’impresario Heidegger. Les deux hommes produisent de nouveaux spectacles au King’s theatre mais Ă  leur compte. Le compositeur gagne l’Italie pour recruter de nouveaux chanteurs. Lotario (1729) qui est un Ă©chec amer; Partenope (1730) comprenant intrigue comique et Ă©vocation spectaculaire d’une bataille; Poro (1731), Ezio (1732, plus faible), Sosarme (1732, plus inventif), surtout Orlando (1733, l’annĂ©e oĂą Rameau crĂ©e Ă  Paris, son Hippolyte et Aricie), qui comprend la première mesure Ă  5/8, entre autres dans l’Ă©vocation de la folie du hĂ©ros, imposent davantage la maturation critique de Haendel sur l’ouvrage lyrique.

Partition personnelle: Ariodante et Alcina
Face Ă  la rivalitĂ© d’un nouveau théâtre, the “Opera of the Nobility”, Heidegger rompt sa collaboration avec Haendel, lequel s’obstine, loin du King’s theatre laissĂ© Ă  ses rivaux, sur la scène du théâtre de Lincoln’s Inn fields. HĂ©las son Arianna (1734) ne parvient pas Ă  sĂ©duire le public.

Ariodante marque son grand retour, sur la scène du Covent Garden en 1735, grâce entre autre au ballet d’influence française qui lui permait de compter sur le talent de la danseuse Ă©toile Marie SallĂ©. Après Ariodante, Alcina, reproduit le mĂŞme climat d’enchantement hypnotique grâce Ă  l’expression de la passion parfaitement maĂ®trisĂ©e. Pourtant, ni Atalanta (1736), Arminio (1737), Giutisnio (1737) ne parviennent pas Ă  relever l’entreprise de Haendel. Pire, les ouvrages montrent une inspiration qui tourne en rond. De mĂŞme pour Berenice, Faramondo (1738). Exception faite de Serse (1738) admirable seria renouvelĂ© sous les feux d’une veine comique inĂ©dite. Imeneo (1740) puis Deidamia (1741) tentent de nouveaux registres expressifs, Ă  la marge du pur seria, “opĂ©rette”, comĂ©die ironique et sentimentale, les partitions montrent l’ampleur d’un genre lyrique qui dès lors, a Ă©puisĂ© ses ressources.L’oratorio, un genre d’avenir
Haendel se tourne alors vers une autre forme théâtrale, non scĂ©nique, l’oratorio. Ainsi paraissent, Samson (1743), Semele (1744), Hercules (1745), surtout Jephtha (1752), composĂ©e Ă  l’Ă©poque de la Querelle des Bouffons Ă  Paris. Haendel y montre tout l’Ă©clat d’une Ă©criture revivifiĂ©e. L’absence d’un cadre scĂ©nique obligĂ©, la mise Ă  distance des “stars” du chant, plus soucieux d’effets que de cohĂ©rence scènique et de vedettariat, libèrent le compositeur des conventions stĂ©rilisantes du genre seria. De fait, ses oratorios ont souvent plus de puissance et de souffle que ses opĂ©ras antĂ©rieurs, grâce Ă  l’inspiration des airs, la conviction du choeur, le sens Ă©vocatoire  du rĂ©cit dramatique. Le public ne s’y est pas trompĂ©, qui immĂ©diatement acclame en Haendel, l’un de ses plus grands compositeurs.

Sur les partitions de ses oratorios, Haendel a notĂ© des remarques et effets scĂ©niques: preuve que dramaturge exigeant, il n’a cessĂ© de prĂ©server l’unitĂ© et la progression de l’action.

Illustrations
Haendel (DR)

 

Compte rendu : Paris. Salle Pleyel, le 14 mai 2013. Haendel : Agrippina. Alex Penda, Sunhae Im, Bejun Mehta… RenĂ© Jacobs, direction.

haendelRenĂ© Jacobs est de retour Ă  la Salle Pleyel après son glorieux Trionfo de fĂ©vrier dernier. Il dirige ce soir l’Akademie fĂĽr Alte Musik Berlin pour une version de concert d’Agrippina de Haendel. La distribution de choc compte le contre-tĂ©nor Bejun Mehta dans le rĂ´le d’Ottone et les sopranos Alex Penda et Sunhae Im, incarnant respectivement Agrippina et Poppea. Agrippina de Haendel est une Ĺ“uvre caractĂ©ristique. CrĂ©e en 1709 Ă  Venise, il est le seul opĂ©ra de Haendel Ă  avoir un livret original. Il est Ă©crit par le commandeur de la musique et propriĂ©taire du théâtre oĂą il sera crĂ©e, le cardinal Vincenzo Grimani. Le rĂ©cit profondĂ©ment amoral dĂ©passe la tradition classique de l’opera seria thĂ©orisĂ©e par Metastasio et Zeno. C’est une comĂ©die douce-amère plus proche du théâtre vĂ©nitien. Un autre trait particulier est l’abondance d’airs (plus de 30!) et le traitement parodique et allĂ©gorique des très nombreux morceaux empruntĂ©s. La profondeur et les complexitĂ©s derrière la fructueuse collaboration entre le compositeur et le librettiste sont Ă©videntes sur le plan musical ; RenĂ© Jacobs donne de claires explications musicologiques dans le riche livret reproduit ce soir et qui vaut le programme de la soirĂ©e.

 

 

La baguette magique de René Jacobs

 

Comme d’habitude la direction de RenĂ© Jacobs instaure une mise en espace des chanteurs (et mĂŞme des trompettes!). Le chef exploite au maximum tout le potentiel expressif de l’orchestre. Les musiciens de l’Akademie fĂĽr Alte musique sont clairement investis et leur jeu est tout Ă  fait maestoso. Sous la baguette stricte de Jacobs, ils s’expriment avec maestria ; tranchants et touchants dans le seul rĂ©citatif accompagnĂ©, d’une vivacitĂ© rafraĂ®chissante lors des chĹ“urs, parfois agitĂ©s, parfois brillants, toujours plaisants. Le continuo particulièrement rĂ©ussi. La cohĂ©sion et la complicitĂ© de l’ensemble est Ă  saluer. Il s’accorde tranquillement, mais avec personnalitĂ©, aux chanteurs, vĂ©ritables protagonistes de l’Ĺ“uvre de Haendel.

Dans ce sens, RenĂ© Jacobs rĂ©unit un plateau remarquable, presqu’identique Ă  la distribution de son enregistrement studio. Tous sont complètement engagĂ©s, jusqu’au plus secondaire des rĂ´les ; ils orbitent autour d’Alex Penda dans le rĂ´le-titre, Sunhae Im en Poppea et Bejun Mehta en Ottone. Les sopranos aux caractères contrastants chantent exactement la mĂŞme quantitĂ© de musique ; elles ont les morceaux les plus redoutables et virtuoses.

Une Agrippina pas comme les autres…

Alex Penda est une Agrippina incroyable. Son personnage complexe souvent dĂ©testable, prend vie dans son interprĂ©tation qui bouleverse. Sa prĂ©sence sur scène est imposante et son excellent jeu d’actrice rehausse l’attrait de sa prestation. La cantatrice rĂ©ussit Ă  se dĂ©marquer de l’orchestre dans les airs dansants, maĂ®trise parfaitement une ligne vocale très tendue, a une agilitĂ© et une dynamique impressionnantes. Saluons en particulier l’aria di lamento au 2e acte « Pensieri », monologue dramatique et vĂ©ritable tour de force pour la soprano qui fait preuve d’un souffle incroyable, d’une expression Ă  la fois hĂ©roĂŻque et tourmentĂ©e.

Sunhae Im incarne le rĂ´le de Poppea. Seule revenante du Trionfo de fĂ©vrier dernier, c’est la chanteuse fĂ©tiche de Jacobs, avec raisons. Si son rĂ´le est moins complexe dramatiquement que celui d’Agrippina, il est plus virtuose et dĂ©monstratif. Sunhae Im est tellement investie et ravissante dans le personnage qu’il nous est impossible de ne pas ĂŞtre complètement sĂ©duits ni de sympathiser avec Poppea, mĂŞme s’il s’agĂ®t en vĂ©ritĂ© d’une femme dangereuse et voluptueuse. Dès son air d’entrĂ©e, « Vaghe perle, eletti fiori » elle impressionne par sa large tessiture et ses dons respiratoires. Dans tous ses morceaux qui suivent, la soprano est l’incarnation d’une virtuositĂ© pĂ©tillante et savoureuse. Elle est coquette, charmante, Ă©blouissante, et ce pendant qu’elle visite la stratosphère avec ses vocalises et arpèges balsamiques. Son aria di furore Ă  la fin du premier acte « Se giunge un dispetto » est sans doute un sommet de virtuositĂ© de l’Ĺ“uvre. Dans un style concertant, Sunhae Im dĂ©montre le contrĂ´le exquis et la longueur surprenante de son souffle : la performance est inoubliable.

Le contre-tĂ©nor Bejun Behta est Ottone, le plus Ă©lĂ©giaque et sympathique des personnages. Son chant, d’une beautĂ© veloutĂ©e confirme sa prestance. Il paraĂ®t habitĂ© par son rĂ´le et le reprĂ©sente ainsi avec une sincĂ©ritĂ© et un investissement Ă©motionnel très touchant. Il chante le seul rĂ©citatif accompagnĂ© pathĂ©tique et saisissant Ă  l’extrĂŞme, et puis son aria di lamento « Voi che udite il moi lamento », d’une beautĂ© douloureuse et angoissante.
Le rĂ´le de Nerone est assurĂ© par la mezzo-soprano Jennifer Rivera. Si elle fait preuve d’agilitĂ©, son Nerone reste fatiguĂ©. Sa performance va crescendo et notamment vers la fin de la prĂ©sentation nous la trouvons plus gaiement impliquĂ©e. Marcos Fink dans le rĂ´le de Claudio est, lui, très engagĂ© depuis son entrĂ©e. Excellent comĂ©dien, il fait preuve aussi d’une voix puissante, Ă  la belle couleur. Il a une tessiture ample comme sa voix et passe facilement, de la sĂ©duction au ridicule comme le requiert son personnage. Son air du 2e acte « Cade il mondo » est impressionnant par la virtuositĂ© comme par la caractĂ©risation.

Les rĂ´les secondaires, requĂ©rant moins de virtuositĂ© interprĂ©tative, sont pourtant chantĂ©s avec brio. Christian Senn est un Pallante Ă  la voix puissante qui se projette très bien dans la salle. Il gère aisĂ©ment le canto di sbalzo difficile qu’exige son rĂ´le. Dominique Visse est, quant Ă  lui, un Narciso agile, avec des dons de comĂ©dien toujours irrĂ©sistibles. Le jeune baryton Gyula Orendt dans le rĂ´le de Lesbo ne chante qu’une ariette mais nous le trouvons prometteur, sa performance Ă©tant plein d’esprit et sa voix virile.

Nous sortons de la Salle Pleyel Ă©merveillĂ©s par le travail de RenĂ© Jacobs. PortĂ©s par l’Ă©nergie du maestro, les musiciens de l’Akademie fĂĽr Alte Musik Berlin comme les chanteurs mettent leurs talents au service de l’art lyrique pour notre plus grand bonheur. Ils montrent ensemble comment l’opĂ©ra de Haendel, créé il y a plus de 300 ans est toujours d’actualitĂ©. Superbe rĂ©ussite collective.

Paris. Salle Pleyel, le 14 mai 2013. Agrippina, dramma per musica de Georg Friedrich Haendel (version de concert). Alex Penda, Sunhae Im, Bejun Mehta… Akademie fĂĽr Alte Musik Berlin. RenĂ© Jacobs, direction.

VIDEO : Belshazzar de Handel par Les Arts Florissants et William Christie, double cd événement

William Christie au sommet ! William Christie au sommet !
Le 22 octobre 2013, William Christie et Les Arts Florissants publient leur premier cd Ă©ditĂ© par leur propre label (Éditions Les Arts Florissants William Christie) : Belshazzar de Handel, oratorio flamboyant, mystique et dramatique en 2 cd et un texte inĂ©dit commandĂ© pour l’occasion Ă  Jean Echenoz … Choeur jubilatoire, solistes embrasĂ©s, orchestre d’une Ă©lĂ©gance irrĂ©sisitible, le double coffret est un coup de coeur CLASSIQUENEWS.COM. Entre finesse psychologique et forte caractĂ©risation des situations et des protagonistes, William Christie confirme en octobre 2013, ses affinitĂ©s avec le dramatisme handĂ©lien…

CD. Handel : Belshazzar. William Christie (3 cd, 2012)

CLIC D'OR macaron 200CD. Handel : Belshazzar. William Christie (3 cd, 2012)   …   Pour William Christie, le choix d’aborder Belshazzar (King’s Theatre, Haymarket 1745) comme première oeuvre inaugurant son nouveau label discographique, n’est  pas fortuit. Dans la quĂŞte de perfectionnement de l’oratorio dramatique anglais (prolongement naturel de l’opĂ©ra), Belshazzar incarne un sommet dans le catalogue  HandĂ©lien, tant par la richesse et le raffinement de sa musique que la construction dramatique du livret de Jennens. Le geste très subtilement caractĂ©risĂ© de Bill (William Christie) recueille ici des annĂ©es de pratique handĂ©lienne (comme il Ă©blouit littĂ©ralement dans l’interprĂ©tation de Rameau) et plus concrètement, l’enregistrement de ce Belshazzar anthologique profite Ă©videmment de la tournĂ©e des concerts (dĂ©cembre 2012) qui ont prĂ©cĂ©dĂ© les prises en studio.

 

 

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Flamboyant Belshazzar de William Christie

critique

 

 

Handel_Belshazzar_William ChristieLe chef et fondateur des Arts Florissants exprime le souffle mystique des prĂ©ceptes de Daniel, la souffrance si humaine – et donc bouleversante-, de Nitocris, la mère de Belshazzar, comme la juvĂ©nilitĂ© animale et aveugle de Belshazzar ; portĂ©s par une telle vision, les protagonistes rĂ©alisent une très fine caractĂ©risation de chaque profil individuel.
C’est aussi un très intelligente restitution des situations du drame (solistes sortant du choeur agissant avec les autres choristes ainsi qu’avec les protagonistes ; duos rares si enivrants (dont le sommet bouleversant entre Nitocris et son fils Ă  la fin du I) ; raccourcis fulgurants telle la mort de Belshazzar sur le champs de guerre contre Cyrus le perse … ” expĂ©diĂ©e ” en quelques mesures). Tout cela ajoute du corps et un souffle souverain, de nature Ă©pique au drame spirituel.

Mieux les choeurs n’ont jamais Ă©tĂ© plus animĂ©s, vivants, imprĂ©cateurs ou acteurs enivrĂ©s, guerriers, ou captifs persĂ©cutĂ©s, tour Ă  tour, babyloniens, perses ou juifs selon les tableaux. De ce point de vue, les chanteurs des Arts Florissants n’ont jamais semblĂ© plus inspirĂ©s et mieux chantants, portĂ©s par la force des images et le sens spirituels du texte. HallucinĂ©s ce sont les juifs qui implorent les Babyloniens de ne pas commettre des actes blasphĂ©matoires (Recall, O King, 18b) en un souffle dĂ©clamatoire Ă  la fois grandiose et sincère (ampleur incantatoire de Try grandsire trembled…); puis au dĂ©but du II, une mĂŞme aisance dans l’articulation collective, entre Ă©lĂ©gance et humanitĂ© suscite l’enthousiasme. Les sopranos se surpassent dans un angĂ©lisme fluide (plage 8 : quatre sections enchaĂ®nĂ©s, quand les eaux de l’Euphrate se retirent) et acte contrastĂ© assumĂ©, ce sont les Babyloniens, enivrĂ©s, indĂ©cents qui commettent l’irrĂ©parable Ă  l’occasion du festin spectaculaire (plage 10) : l’attention au texte, la libertĂ© du geste vocal expriment l’intense dramatisme de la situation chorale ; le peuple de Belshazzar saisit par sa vulgaritĂ© dĂ©cadente, sa laideur morale, son dĂ©hanchĂ© provocateur. Du très grand art et de la part de William Christie, une vision gĂ©niale sur l’articulation du texte.
Le feu et l’implication de l’orchestre sous la conduite du chef restituent l’arrière fond historique qu’apporte Jennens au livre de Daniel, source centrale de l’oratorio. Autour du roi fĂ©lon, se pressent les agissements de ses ennemis : le perse Cyrus qui assiège la citĂ©, Gobrias, noble assyrien, père inconsolable car Belshazzar a tuĂ© son fils…  Le collectif des juifs, captifs Ă  Babylone, aide Cyrus Ă  dĂ©tourner l’Euphrate pour pĂ©nĂ©trer dans la ville et tuer le jeune fou … (c’est la raison pour laquelle Belshazzar mort, Cyrus est acclamĂ© comme un libĂ©rateur).
Trois tempĂ©rament se distingue au sein d’un plateau très cohĂ©rent. Le choix de Iestyn Davies dans le rĂ´le du prophète Daniel est des plus judicieux : l’ample legato d’une couleur diaphane et abstraite exprime la force atemporelle et divine d’un ĂŞtre dĂ©tachĂ© de l’action guerrière, qui inspire Ă  l’auditeur comme Ă  Nitocris, cette certitude admirable, cette puissante aspiration vers le sublime mystique : du grand art. Torche vivante, tendre et affligĂ©e, sur une corde tendue d’une juste Ă©motivitĂ©, la soprano Rosemary Joshua qui est familière du rĂ´le (elle l’a chantĂ© Ă  Aix en Provence sous la direction de Jacobs) offre un portrait ardent et très fin lui aussi de Nitocris. Quant Ă  Belshazzar, la fougue primitive, son aveuglement animal, que rĂ©ussit Ă  trouver et dĂ©velopper le jeune tĂ©nor Allan Clayton, il est lui aussi prodigieux. Sa juvĂ©nilitĂ© sincère nous le rend touchant. Un comble.

GĂ©nie dramatique, Handel suit et sublime l’Ă©popĂ©e biblique (en particulier le Livre de Daniel), avec un sens du drame prophĂ©tique, mĂŞlant sentiment du miracle et horreur absolue, frĂ©nĂ©sie guerrière et barbare, irrĂ©sistible Ă©lĂ©vation spirituelle : l’Ă©cart des registres poĂ©tiques est saisissant pour ne pas dire vertigineux. Certains passages purement orchestraux insistent encore sur la tension poĂ©tique d’un traitement particulièrement intelligent de l’histoire : le mouvement panique Ă  la cour de Belshazzar exigeant vainement que lui soient expliquĂ©s l’apparition magique de la main (pendant le festin oĂą il a bu du vin dans les coupes provenant du temple de JĂ©rusalem) et ses inscriptions mystĂ©rieuses (que Daniel est seul Ă  dĂ©crypter).  Dans un intermède orchestral bouillonnant de vaine frĂ©nĂ©sie, Handel imagine alors le dĂ©chaĂ®nement inutile des faux mages et des sages impuissants, vaste parabole de la solitude, de la vanitĂ© et de la folie du jeune roi. La fièvre instrumentale qui anime alors la partition est bien celle de l’opĂ©ra.
L’unitĂ© comme la perfection de l’architecture d’une oeuvre clĂ© sont d’autant mieux manifestes que pour l’enregistrement un travail critique sur les 3 versions (1745, 1751, 1758) a Ă©tĂ© menĂ© Ă  terme, offrant un modèle nouveau de caractĂ©risation handĂ©lienne. Aucun doute, ce Belshazzar est la nouvelle rĂ©fĂ©rence de l’oeuvre. Bravo maestro. Les Arts Florissants rĂ©ussissent haut la main, leur premier opus inaugurant le nouveau label créé par William Christie : on attend avec impatience le prochain volume, dĂ©diĂ© au dernier spectacle Le Jardin de Monsieur Rameau, regroupant les 6 jeunes talents du dernier Jardin des Voix, acadĂ©mie vocale baroque biennale des Arts Florissants (promotion formĂ©e Ă  Caen en fĂ©vrier 2013).

 

 

A Babylone par Jean Echenoz

 

Handel_Belshazzar_William ChristiePorteur d’un projet culturel aux regards multiples, William Christie s’intĂ©resse aujourd’hui au dialogues des arts, c’est pourquoi le nouveau label qu’il a fondĂ© exprime aussi une vision dynamique et critique des sujets abordĂ©s. En demandant Ă  l’Ă©crivain Jean Echenoz (auteur d’un remarquable livre sur Ravel rĂ©cemment) un texte inĂ©dit sur Belshazzar, le chef musicologue orchestre un remarquable dĂ©bat, ouvert, pluridisciplinaire qui suscite une prometteuse aimantation des disciplines artistiques. Dans “ A Babylone “, brĂŞve littĂ©raire qui se lit comme une nouvelle, Jean Echenoz suit les traces d’un voyageur historique dans la citĂ© lĂ©gendaire celles d’HĂ©rodote manifestement impressionnĂ© par ce qu’il y voit, ce qu’il y dĂ©couvre, sans vraiment comprendre le sens cachĂ© des us et coutumes des Babyloniens (problème de langue probablement). Les tĂ©moignages antiques (Echenoz croise les propos et rĂ©cits de HĂ©rodote donc, son fil conducteur, avec les Ă©crits de CtĂ©sias de Cnide, Strabon, XĂ©nophon…), Ă©voque alors la fière mĂ©gapole orientale (7 fois plus grande que l’actuelle Paris), suractive et florissante, traversĂ©e par l’Euphrate qu’ont domestiquĂ© les reines SĂ©miramis et Nitocris, quand les rois babyloniens Ă©taient eux, soit effĂ©minĂ©s et passifs (Sardanaple) soit comme Belshazzar, juvĂ©niles et fĂ©lins, fous et arrogants. Le lecteur apprend beaucoup de ce texte condensĂ© au fort pouvoir suggestif : l’acheminement des matières premières sur des bateaux recyclĂ©s, la culture extensive du palmier, … c’est un autre chant bĂ©nĂ©fique qui entre en rĂ©sonance avec l’oratorio de Handel en lui apportant un Ă©cho littĂ©raire complĂ©mentaire, aussi imagĂ© que documentĂ©. Jean Echenoz joue aussi de l’amplification fantasmatique des tĂ©moignages qui superposĂ©s, ajoutĂ©s en strates depuis les origines, ont gonflĂ©, sciemment ou naĂŻvement, la rĂ©alitĂ© de la mythique Babylone. Quand la lĂ©gende submerge l’histoire … Dans ce portrait flamboyant de la ville, l’essayiste historien Ă©pingle l’arrogance du peuple oriental, que l’histoire de Belshazzar, telle qu’elle prend forme dans l’oratorio de Handel, synthĂ©tise : grandeur et … dĂ©cadence.

Tout cela compose un coffret éditorialement et esthétiquement abouti ; musicalement indiscutable.

 

 

Handel : Belshazzar, 1745. Les Arts Florissants. William Christie, direction. 3 cd, 1 texte inĂ©dit de Jean Echenoz : ” A Babylone “. Les Arts Florissants Editions. Parution : le 22 octobre 2013.

 

 

REPORTAGE VIDEO : visionner notre grand reportage vidĂ©o rĂ©alisĂ© au moment de l’enregistrement de Belshazzar de Handel par Les Arts Florissants et William Christie, en dĂ©cembre 2012 (Levallois)

 

 

 

Compte-rendu, concert. Paris, TCE, William Christie,Rameau, Handel, le 27 septembre 2013

Paris, TCE. Vendredi 27 septembre 2013 : récital Rameau et Haendel. Orchestre of The Age of Enlightenments. William Christie, direction

 

Compte rendu, concert. Pour ce concert au mariage prometteur Rameau/Handel, ” Bill ” (William Christie) retrouve une partenaire familière depuis 1991, soit 20 ans de complicitĂ© : la soprano Sandrine Piau. Non sans une certaine nostalgie chevillĂ©e au corps et qui distille une discrète mais prĂ©sente Ă©motion, tous deux abordent les deux gĂ©nies des annĂ©es 1730 en Europe : frĂ©nĂ©sie rythmique, clartĂ© irrĂ©sistible de Rameau ; sensualitĂ© Ă©lĂ©gante de Handel, avec l’Orchestre of The Age of Enlightenments qui a soufflĂ© ses 27 ans d’activitĂ© en 2013.
Dans la première partie, s’agissant de Rameau, de Castor et Pollux, l’opĂ©ra le plus jouĂ© au XVIIIè dès sa crĂ©ation en 1737, jusqu’aux Paladins, oeuvre de maturitĂ© (1760), l’Ă©ventail est large : voici une annonce de l’annĂ©e Rameau 2014, très gĂ©nĂ©reuse : un avant-goĂ»t qui montre combien jouer Rameau et rĂ©ussir son interprĂ©tation restent des dĂ©fis car il n’est pas donnĂ© Ă  tous les chefs de relever comme ici les multiples obstacles.  William Christie a enregistrĂ© Castor et Pollux en 1993 avec le tempĂ©rament et la grâce qui restent une rĂ©fĂ©rence dans la discographie. Le concert au TCE confirme combien le fondateur des Arts Florissants reste inĂ©galĂ© chez Rameau comme dans Handel. Rappelons que William Christie sort sous son propre label Les Arts Florissants & William Christie Ă©ditions, l’oratorio Belshazzar, le 22 octobre 2013. Concernant Rameau en 2014, Bill dirigera PlatĂ©e Ă  l’OpĂ©ra de Vienne puis Ă  l’OpĂ©ra Comique et Ă  New York, en fĂ©vrier, mars et avril 2014.

 
 

Rameau d’un raffinement ineffable

direction affĂ»tĂ©e et Ă©lĂ©gante d’un Christie poète

 

Christie_William_dirigeant_rameau_faceNervositĂ© et clartĂ©, et mĂŞme hargne guerrière propre aux deux frères hĂ©roĂŻques (Pollux descend aux enfers pour ressusciter Castor qui devait y demeurer Ă©ternellement), dramatisme Ă©ruptif qui foudroie, un sens de la vitalitĂ© rythmique (comme dans Dardanus : Dukas l’avait soulignĂ© en plus de l’audace des couleurs et de l’orchestration admirĂ©es par Berlioz) : sous la direction d’un Bill affĂ»tĂ© et conquĂ©rant, voici pour l’ouverture de Castor et Pollux, un superbe lever de rideau d’un Ă©clat trempĂ© dans une Ă©nergie enivrĂ©e et tragique, aĂ©rienne et Ă©pique irrĂ©sistible.
Ce qui suit ne dĂ©ment notre impression première : le geste est incisif et mordant, d’une griserie lĂ©gère prĂŞte Ă  mordre dans les airs pour les Athlètes (percutante vitalitĂ© du IIIème air qui n’hĂ©site pas Ă  exposer les bois, hautbois et bassons) ; les bruits de guerre (comme dans Dardanus version 1744) sont un Ă©pisode dramatique fracassant avec des cuivres pĂ©taradants, explosifs, gorgĂ©s de fière solennitĂ©, … avant ce ” gravement ” qui s’Ă©mancipe lentement comme une aurore ; en vĂ©ritĂ©, c’est une magnifique entrĂ©e en matière pour l’air ” Tristes apprĂŞts, pâles flambeaux ” : plainte d’une dignitĂ© dĂ©sespĂ©rĂ©e de TĂ©laĂŻre qui se lamente auprès de Pollux … aigus parfois difficiles, ligne incertaine mais quelle exquise fragilitĂ©. Sandrine Piau montre quelle musicienne fine et raffinĂ©e elle demeure.
Le sommeil de Dardanus est baignĂ© de tendre intimitĂ©, un rayon de soleil après Castor et Pollux colorĂ© de funèbres prĂ©monitions ; le menuet qui suit est d’une pudeur et retenue admirables.

L’Ă©clectisme de Rameau est stupĂ©fiant ; la sĂ©lection des morceaux choisis ce soir le prouve encore. Quel rĂ©veil dĂ©licieux avec « Règne avec moi, Bacchus », extrait d’AnacrĂ©on, d’une ivresse toute bachique, d’une sensualitĂ© dyonisiaque libĂ©rĂ©es, elle aussi conquĂ©rantes … les aigus tendus de la soprano empĂŞchent cependant de goĂ»ter la fraĂ®cheur badine de cette hymne d’une suavitĂ© acrobatique … L’Orchestre sous la baguette aĂ©rienne de William Christie exprime la lĂ©gèretĂ© des Ă©lĂ©ments qui semble en effet soulever la soliste.
Autre dĂ©fis pour les musiciens et le chef : les  Tambourins 1 & 2, extraits de Dardanus : notons la gaietĂ© rustique d’une simplicitĂ© qui parle au coeur, sans apprĂŞts, seulement ivres, et naturellement frĂ©nĂ©tiques : quelle maĂ®trise grâce Ă  l’expertise d’un chef conteur.
Nouvelle Ă©lĂ©vation avec « Je vole, Amour », extrait des Paladins (1760) : l’air renoue avec la grâce d’AnacrĂ©on et une couleur instrumentale plus pĂ©tillante encore (flĂ»tes aĂ©riennes comme des chants d’oiseaux quand les cordes expriment la danse des nuages). Je vole nous dit Sandrine Piau, davantage maĂ®tresse de ses aigus et parfaite de ligne comme d’intonation : nous la croyons sans hĂ©siter. L’humour distanciĂ©, l’Ă©clectisme poĂ©tique de Rameau s’y dĂ©versent entre comique et tragique, une source expressive qui fourmille Ă  l’identique de sa prĂ©cĂ©dente comĂ©die lyrique (reprise par GrĂ©try dans La Caravane du Caire : PlatĂ©e l’inclassable). Ici Piau badine, oeillades Ă  l’appui d’autant mieux que l’orchestre s’allège, prĂŞt lui aussi Ă  s’envoler. En coquette d’une sensualitĂ© torride, la soprano excelle littĂ©ralement.
Grand moment de profondeur et de sincĂ©ritĂ© orchestrale, la Chaconne, extraite de Dardanus : formidable hymne nostalgique avec ce lâcher prise, cette pudeur exquise entre gravitĂ© et tendresse d’une Ă©locution (cordes) flexible parfaitement articulĂ©e … Rythmes coulants, passages dynamiques contrastĂ©s et nuancĂ©s, avec cette solennitĂ© pourtant jamais affectĂ©e ni dĂ©monstrative, Bill l’enchanteur nous offre une leçon de grâce ramĂ©lienne irrĂ©sistible. On l’aurait volontiers Ă©coutĂ© pour 2014, les 250 ans de la mort de Rameau, dans une belle et grande tragĂ©die lyrique : Hippolyte, Castor justement ou Dardanus voire Zoroastre. Il faudra ce contenter de PlatĂ©e. Ce qui est dĂ©jĂ  beaucoup sous la baguette d’un tel maestro.

 

Après l’entracte – rituel des 20 minutes de pause -, voici la seconde partie dĂ©diĂ©e au divin Saxon Handel.
Dans le  Concerto Grosso op. 6 n° 6 : chef et instrumentistes nous convainquent par leur Ă©lĂ©gance suggestive magnifiquement dramatique, pleine de rebondissement et de tendre intĂ©rioritĂ©, avec des Ă©carts contrastĂ©s qui tempĂŞtent et restituent un Handel imaginatif et percutant, grâce Ă  l’engagement des seuls instruments (cordes Ă©lectrisĂ©es sous la baguette du chef).
Puis la diva reparaĂ®t :  « Che sento o Dio », « Se pietĂ  », grand air dĂ©ploratif de ClĂ©opâtre extrait de Giulio Cesare. L’air rĂ©vĂ©la Sandrine Piau en 1993 Ă  Beaune : la soprano coloratoure malgrĂ© des aigus tirĂ©s dĂ©veloppe une ligne grave et sombre parfaitement au diapason de l’humeur de ClĂ©opâtre dĂ©faite et dĂ©truite Ă  cet instant de l’opĂ©ra… la justesse et la pudeur Ă©motionnelle de la diva saisissent, très investie et intĂ©rieure. Bill excelle, fluide et profond.

Nouvel sĂ©quence lyrique avec  « Scoglio d’immorta fronte », extrait de Scipione : crânement dĂ©fendu avec des aigus plus faciles mais toujours fragiles qui font l’Ă©motivitĂ© d’une tenue très musicienne, d’autant que l’orchestre et le chef se montrent impeccables.

En conclusion, Bill propose un Handel festif mais raffinĂ© : Musique pour les Feux d’artifices royaux. Pour la fin, vertiges et divertissement. La belle gradation des tutti de cuivres sĂ©duit : splendides gerbes Ă©clatantes dont Bill fait ressortir la puissante Ă©nergie pleinairiste. L’ivresse dansante, la respiration pastorale dans l’esprit du Water music, avec cette mĂŞme piquante et entraĂ®nante euphorie rythmique de Rameau … Bill y ajoute cette dose de suprĂŞme raffinement, de badinerie, d’Ă©lĂ©gance absolument irrĂ©sistible, Ă  la fois opulente et chorĂ©graphique, d’une emphase cuivrĂ©e tout Ă  fait calibrĂ©e et maĂ®trisĂ©e. Un handel idĂ©al.

Trois bis pour dire au revoir … Pas chiches pour un sou pour le ravissement du public dĂ©jĂ  conquis, les interprètes gratifient l’audience de 3 bis : bouquet progressif et gĂ©nĂ©reux avec l’air, au charme absolu, celui de Morgane d’Alcina, d’une facĂ©tie caressante. Lui succède avec une sincĂ©ritĂ© et une musicalitĂ© qui rayonnent : l’irrĂ©sistible Lascia de Rinaldo, puis rĂ©cidive en coquetterie assumĂ©e pour l’air d’AnacrĂ©on de Rameau, en fusion avec l’orchestre d’une fluiditĂ© caressante et sensuelle. Quele soirĂ©e !

 

Paris, TCE. Vendredi 27 septembre 2013 : récital Rameau et Haendel. Orchestre of The Age of Enlightenments. William Christie, direction.

 

détail du programme :

Rameau
Castor et Pollux, ouverture

Deuxième et troisième airs pour les Athlètes, Bruits de Guerre, Gravement
“Tristes apprĂŞts, pâles flambeaux”,
Menuet
”Sommeil”, extrait de Dardanus

« Règne avec moi, Bacchus », extrait d’Anacréon
Tambourins 1 & 2, extraits de Dardanus
« Je vole, Amour », extrait des Paladins
Chaconne, extrait de Dardanus

Haendel
Concerto Grosso op. 6 n° 6

« Che sento o Dio », « Se pietà », extraits de Giulio Cesare

Marche extraite de Scipione
« Scoglio d’immorta fronte », extrait de Scipione
Musique pour les Feux d’artifices royaux