CRITIQUE, opĂ©ra. MONTPELLIER, le 11 juin 2022. HAENDEL : Giulio Cesare. Arquez, BarĂĄth, Fagioli, Michieletto / Artaserse, Jaroussky – AprĂšs les reprĂ©sentations du TCE, le Giulio Cesare dirigĂ© par Philippe Jaroussky dĂ©barque Ă Montpellier avec une distribution lĂ©gĂšrement remaniĂ©e. Il y confirme ses talents de chef, magnifiĂ©s par la puissante vision allĂ©gorique de Michielletto, cohĂ©rente, mais contestable.
Giulio Cesare funeste et mortifÚre
Pour son premier opĂ©ra, Philippe Jaroussky a choisi lâun des chefs-dâĆuvre de Haendel, et sans doute son opĂ©ra le plus jouĂ©. Des quatre heures de la partition intĂ©grale, le chef a retranchĂ© une trentaine de minutes qui nâobĂšre pas la continuitĂ© et la cohĂ©rence dramatique dâune intrigue souvent qualifiĂ©e de shakespearienne. La lecture de Damiano Michielletto, qui sâattaque ici Ă son premier opĂ©ra baroque, se concentre sur les aspects sombres et mortifĂšres du drame (oubliant son origine vĂ©nitienne qui repose toujours sur un fragile Ă©quilibre entre les diffĂ©rents registres) : point dâexotisme Ă©gyptomaniaque, mais une sorte de huis-clos symbolisĂ© par les quatre murs dâune boĂźte qui suggĂšre lâunitĂ© de lieu de la tragĂ©die classique. La mort rĂŽde en permanence, comme en tĂ©moigne la prĂ©sence rĂ©currente des trois Parques, aux silhouettes cadavĂ©riques et dont les fils de la vie apparaissent aussi comme⊠le fil rouge du dispositif scĂ©nique, sortant tour Ă tour de la bouche de certains personnages ou constituant une immense toile de fond, ou encore les traces de sang ou les cendres funĂ©raires se dĂ©versant sur CĂ©sar, qui rappellent constamment la finitude du personnage que symbolise la prĂ©sence des conspirateurs Ă la fin du drame. Une scĂ©nographie austĂšre, mais non moins spectaculaire qui gomme, et câest bien dommage, un aspect essentiel du drame vĂ©nitien, mĂȘme si la version de Haendel, Ă la base, sâen Ă©loignait dĂ©jĂ quelque peu.
Sur scĂšne, la distribution rĂ©unie pour ces 3h30 de musique, confine Ă la perfection.  Dans le rĂŽle-titre, GaĂ«lle Arquez dĂ©ploie un timbre solide et sonore, faisant preuve dâun abattage efficace, bien que tempĂ©rĂ© par sa position de victime en sursis. Ses arie di sdegno « Empio dirĂČ tu sei » et « Al lampo dellâarmi » impressionnent par leur virtuositĂ© martiale, tandis quâune grande variĂ©tĂ© de couleurs et dâaffetti triomphent dans « Va tacito e nascosto » et dans le sublime « Alma del gran Pompeo ». Carlo Vistoli incarne magnifiquement le tyrannique et effemminato Tolomeo, fougueux Ă souhait, prĂ©sence scĂ©nique Ă©lectrisante et Ă©tendue vocale Ă couper le souffle. Le Sesto de Franco Fagioli mĂ©rite les mĂȘmes louanges, mĂȘme si lâon peut parfois regretter certains maniĂ©rismes qui nuisent Ă la clartĂ© de lâĂ©locution. Les autres rĂŽles masculins oscillent entre lâimpeccable Achillas de Francesco Salvadori, au timbre caverneux et superbement projetĂ©, lâexceptionnel Nireno de Paul Figuier (en lieu et place de Paul-Antoine Benos-Djian), malgrĂ© un rĂŽle trĂšs limitĂ© (on est admiratif de cette voix dâune grande puretĂ© et dâune diction absolument parfaite), et le Curio dĂ©cevant dâAdrien Fournaison, au registre pas toujours bien timbrĂ©, Ă la voix quelque peu nasillarde et Ă la souplesse souvent dĂ©faillante. Mention spĂ©ciale pour la ClĂ©opĂątre dâEmĆke BarĂĄth (qui remplace Sabine Devieilhe au TCE), trĂšs émouvante dans lâun des plus beaux airs de la partition (« Se pietà  »), malgrĂ© une position peu confortable, Ă quatre pattes et coiffĂ©e dâune tĂȘte de cheval⊠Sa prĂ©sence scĂ©nique, qui avait dĂ©jĂ fait merveille dans la belle Elena de Cavalli exhumĂ©e Ă Aix par Leonardo GarcĂa AlarcĂłn, est ici une nouvelle fois exemplaire ; elle imprime au personnage une fougue et une fiĂšvre qui montrent une large palette de sentiments, de la femme ambitieuse et vengeresse Ă lâamoureuse sincĂšre Ă la fin du drame. Quant Ă la Cornelia de Lucile Richardot, son timbre unique, ses graves abyssaux, que rĂ©vĂšle davantage encore une prĂ©sence paradoxalement tout en retenue, continue de nous faire Ă©carquiller les yeux de stupore (symbole de la meraviglia baroque), et le duo avec Sesto qui clĂŽt le deuxiĂšme acte, restera un des grands moments de la soirĂ©e.
 Dans la fosse, Philippe Jaroussky gagne en assurance par rapport Ă son entrĂ©e en scĂšne lâan dernier en tant que chef dans lâoratorio de Scarlatti, Il primo omicidio, qui avait dĂ©jĂ fait fort bonne impression. Si lâon peut regretter certains manques de justesse (chez les violons et les cuivres notamment), et parfois des tempi un peu trop rapides, son Ă©nergie communicative, son attention Ă lâĂ©quilibre des pupitres et surtout sa louable intĂ©gritĂ©, insufflent une rĂ©elle continuitĂ© dramatique qui fait oublier la durĂ©e quasi wagnĂ©rienne de la partition. Artiste en rĂ©sidence, il reviendra lâan prochain dans un opĂ©ra vĂ©nitien dâAntonio Sartorio, le compositeur de la version originale de Giulio Cesare, dont sâest inspirĂ© Haendel. On sâen dĂ©lecte dĂ©jĂ .
______________________________________
CRITIQUE, opĂ©ra. MONTPELLIER, le 11 juin 2022. HAENDEL : Giulio Cesare. GaĂ«lle Arquez (Jules CĂ©sar), EmĆke BarĂĄth (ClĂ©opĂątre), Franco Fagioli (Sextus), Lucile Richardot (CornĂ©lia), Carlo vistoli (PtolĂ©mĂ©e), Francesco Salvadori (Achillas), Adrien Fournaison (Curio), Paul Figuier (Nireno), SĂ©bastien Duvernois (Pompeo), Damiano Michieletto (mise en scĂšne), Paolo Fantin  (dĂ©cors), Agostino Cavalca (Costumes), Alessandro Carletti (lumiĂšres), Thomas Wilhelm (chorĂ©graphie), CĂ©cile Kretschmar (coiffure, maquillage et masques), Diane ClĂ©ment (Assistante Ă la mise en scĂšne), Gianluca Castaldo (assitant aux dĂ©cors), Chiara Amaltea Ciarelli (assistante aux costumes), Ensemble Artaserse, Philippe Jaroussky (direction).