DVD, critique, événement. BERLIOZ : DAMNATION DE FAUST (Versailles, Roth, Versailles, nov 2018 1 dvd CVS Château de Versailles Spectacles)

150 ans de la mort de BERLIOZDVD, critique, événement. BERLIOZ : DAMNATION DE FAUST (Versailles, Roth, Versailles, nov 2018 1 dvd CVS Château de Versailles Spectacles)  -  Après avoir affiner, étrenner, poli son approche de l’opéra de Berlioz, à Linz et à Bonn, le chef François-Xavier Roth présente sa lecture de La Damnation de Faust à Versailles, sur la scène de l’Opéra royal, mais dans des décors fixes empruntés au fonds local.

VoilĂ  une version allĂ©gĂ©e, Ă©claircie, volontiers dĂ©taillĂ©e (et d’aucun diront trop lente), mais dont l’apport principal est – instruments historiques obligent- la clartĂ©.

faust-berlioz-vidal-antonacci-courjal-dvd-cvs-roth-critique-opera-annonce-annonce-classiquenews-ROTHAu format particulier des instruments d’époque (Les Siècles), répondent trois voix qui se révèlent convaincantes tant en intelligibilité qu’en caractérisation : Mathias Vidal en Faust, Anna Caterina Antonacci (Marguerite), Nicolas Courjal (Méphistofélès)… Complète le tableau, le Chœur Marguerite Louise (direction: Gaétan Jarry) pour incarner les paysans dès la première scène, puis la verve des étudiants et celle des soldats, avant la fureur endiablée des suivants de Méphisto dans le tableau final, celui de la chevauchée, avant l’apothéose de Marguerite entourée d’anges thuriféraires et célestes… Roth prend le temps de l’introspection, fouillant la rêverie solitaire de Faust au début, l’intelligence sournoise et manipulatrice de Méphisto; le maestro rappelle surtout combien il s’agit d’une légende dramatique, selon les mots de Berlioz : peinture atmosphérique et orchestrale plutôt que narration descriptive. Le fantastique et les éclairs surnaturels s’exprimant surtout par le raffinement de l’orchestration… laquelle scintille littéralement dans le geste pointilliste du chef français (éclatant ballet des Sylphes). En 1846, soit 16 années après la Symphonie Fantastique, l’écriture de Berlioz n’a jamais aussi directe, flamboyante et intérieure.

Le point fort de cette lecture sans mise en scène, demeure l’articulation du français : un point crucial sur nos scènes actuelles, tant la majorité des productions demeurent incompréhensibles sans le soutien des surtitres.
Bravo donc à l’excellent Brander de Thibault de Damas (chanson du Rat, aussi rythmique et frénétique que précisément articulée : un modèle absolu en la matière). On le pensait trop léger et percussif voire serré pour un rôle d’ordinaire dévolu aux ténors puissants héroïco-dramatiques : que nenni… Mathias Vidal relève le défi du personnage central : Faust. Certes la carrure manque d’assurance et d’ampleur parfois (nature immense, un rien étroite), mais quel chant incarné, nuancé, déclamé ! Le chanteur est un acteur qui a concentré et densifié son rôle grâce à la maîtrise de phrasés somptueux qui inscrit ce profil dans le verbe et la pureté du texte. La compréhension de chaque situation en gagne profondeur et sincérité. La ciselure d’un français intelligible fait merveille. On se souvient de son Atys (de Piccinni) dans une restitution en version de chambre : l’âme percutante et tragique du chanteur s’était de la même façon déployée avec une grâce ardente, irrésistible.

 

 

 

Berlioz à l’Opéra royal de Versailles
FAUST exceptionnel :  textuel et orchestral

 

 

 

Sans avoir l’âge du personnage, ni sa candeur angélique, Anna Caterina Antonacci, aux aigus parfois tirés et tendus, « ose » une lecture essentiellement ardente et passionnée.…elle aussi diseuse, au verbe prophétique, d’une indiscutable excellence linguistique (Ballade du roi de Thulé). Capable de chanter la cantate Cléopâtre avec une grandeur tragique souveraine, la diva affirme sa vraie nature qui embrase par sa vibration rayonnante, la loyauté du Faust lumineux de Vidal (D’amour l’ardente flamme).
Aussi impliqué et nuancé que ses partenaires, Nicolas Courjal réussit un Méphisto impeccable d’élégance et de diabolisme, proférant un verbe lyrique là encore nuancé, idéal. C’est sûr, le français est ici vainqueur, et son articulation, d’une intelligence expressive, triomphe dans chaque mesure. La maîtrise est totale, sachant s’accorder au scintillement instrumental de l’orchestre, dans la fausse volupté enivrée (Voici des roses), comme dans le cri sardonique final de la victoire (Je suis vainqueur ! lancé à la face d’un Faust éreinté qui s’est sacrifié car il a signé le pacte infernal).
Comme plus tard dans Thaïs de Massenet, Berlioz échafaude son final en un chiasme dramatique contraire et opposé : à mesure que Faust plonge dans les enfers (comme le moine Athanaël saisi par les affres du désir), Marguerite gagne le ciel et son salut en une élévation miraculeuse (comme Thaïs qui meurt dans la pureté). Voilà qui est admirablement restitué par le chef et son orchestre authentiquement berliozien. Il est donc légitime de fixer par le dvd ce spectacle hors normes qui dépoussière orchestralement et vocalement une partition où a régné trop longtemps les brumes du romantisme wagnérien.

François-Xavier Roth (© Pascal le Mée Château de Versailles Spectacles)

 

 

 

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BERLIOZ : La Damnation de Faust, 1846

Faust : Mathias Vidal
Marguerite : Anna Caterina Antonacci
Méphistophélès : Nicolas Courjal
Brander : Thibault de Damas d’Anlezy

Chœur Marguerite Louise / Chef : Gaétan Jarry
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Enregistré à Versailles, Opéra Royal, en novembre 2018

1 dvd Château de Versailles Spectacles

 

 
 

 

CD, coffret Ă©vĂ©nement. BERLIOZ : La Damnation de Faust : Spyres, Courjal, NELSON (2 cd + 1 dvd ERATO – avril 2019)

BERLIOZ-DAMNATION-FAUST-NELSON-DIDONATO-SPYRES-COURJAL-critique-opera-classiquenews-annonce-critique-dossierCD, coffret Ă©vĂ©nement. BERLIOZ : La Damnation de Faust : Spyres, Courjal, NELSON (3 cd + 1 dvd ERATO – avril 2019). EnregistrĂ©e sur le vif Ă  Strasbourg en avril 2019, la production rĂ©unie sous la baguette Ă©lĂ©gante, exaltĂ©e sans pesanteur de l’amĂ©ricain John Nelson, rĂ©ussit un tour de force et certainement le meilleur accomplissement discographique et artistique pour l’annĂ©e BERLIOZ 2019. Du tact, de la pudeur aussi (subtilitĂ© caressante de l’air de Faust : « Merci doux crĂ©puscule » qui ouvre la 3è partie), l’approche est dramatique et d’une finesse superlative. Elle sait aussi caractĂ©riser avec mordant comme le profil des Ă©tudiants et des buveurs Ă  la taverne de Leipzig, vraie scène de genre, populaire Ă  la Brueghel, entre ripailles et grivoiseries sous un lyrisme libre. Il est vrai que la distribution atteint la perfection, en particulier parmi les hommes : sublime Faust de Michael Spyres, articulĂ©, nuancĂ© (aristocratique et poĂ©tique dans la lignĂ©e de Nicolas Gedda en son temps, et qui donc renouvelle le miracle de son EnĂ©e dans Les Troyens prĂ©cĂ©dents) auquel rĂ©pond en dialogues hallucinĂ©s, contrastĂ©s, fantastiques, le MĂ©phisto mordant et subtil de l’excellent Nicolas Courjal (dont on comprend toutes les phrases, chaque mot) ; leur naturel ferait presque passer l’ardeur de la non moins sublime Joyce DiDonato, un rien affectĂ© : il est vrai que son français sonne affectĂ© (et pas toujours exact). Manque de prĂ©paration certainement ; dommage lorsque l’on sait le perfectionnisme de la diva amĂ©ricaine, soucieuse du texte et de chaque intonation.

 

 

 

et de deux !, après Les Troyens en 2017,
John Nelson réussit son Faust
pour l’année BERLIOZ 2019

 

 

 

Son air du roi de Thulé, musicalement rayonne, mais souffre d’un français pas toujours intelligible. Mais la soie troublée, ardente que la cantatrice creuse et cisèle pour le personnage, fait de sa Marguerite, un tempérament romantique passionné, possédé, qui vibre et s’embrase littéralement. Quel chant ! Voilà qui nous rappelle une autre incarnation fabuleuse et légendaire celle de Cecilia Bartoli dans la mélodie de la Mort d’Ophélie…
Le chĹ“ur portugais (Gulbenkian) reste impeccable : prĂ©cis, articulĂ© lui aussi. L’Orchestre strasbourgeois resplendit lui aussi, comme il l’avait fait dans le coffret prĂ©cĂ©dent Les Troyens (il y a 2 ans, 2017). Il n’est en rien ce collectif de province et rien que rĂ©gional ici et lĂ  prĂ©sentĂ© (!) : FrĂ©missements, Ă©clairs, hululements… les instrumentistes, sous une direction prĂ©cise et qui respire, prend de la distance, confirme dans l’écriture berliozienne, cette conscience Ă©largie qui pense la scène comme un théâtre universel, souvent Ă  l’échelle du cosmos (avant Mahler). Version superlative nous l’avons dit et qui rend hommage Ă  Berlioz pour son annĂ©e 2019.
CLIC_macaron_2014Les plus puristes regretteront ce français amĂ©ricanisĂ© aux faiblesses linguistiques si pardonnables quand on met dans la balance la justesse de l’intonation et du style des deux protagonistes (Spyres / DiDonato). L’attention au texte, le souci de prĂ©cision dans l’émission et l’articulation restent louables. La conception chambriste prime avant toute chose, restituant la jubilation linguistique du trio Faust / Marguerite / MĂ©phisto qui conclut la 3è partie… Ailleurs expĂ©diĂ©e et vocifĂ©rĂ©e sans prĂ©cision. A Ă©couter de toute urgence et Ă  voir aussi puisque le coffret comprend aussi en 3è galette, le dvd de la performance d’avril 2019 Ă  Strasbourg. CLIC de CLASSIQUENEWS de l’hiver 2019.

 

 

  

 

 

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CD, coffret Ă©vĂ©nement. BERLIOZ : La Damnation de Faust (3 cd + 1 dvd ERATO – avril 2019).

Légende dramatique en quatre parties,
livret du compositeur d’après Goethe
Créée Ă  l’OpĂ©ra-Comique le 6 dĂ©cembre 1846

Joyce DiDonato : Marguerite
Michael Spyres : Faust
Nicolas Courjal : Méphistophélès
Alexandre Duhamel : Brander

Chœur de la Fondation Gulbenkian
Les petits chanteurs de Strasbourg

Orchestre philharmonique de Strasbourg
John Nelson, direction

 

 

 

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Enregistré à Strasbourg en novembre 2018
2 cd + 1 dvd – ref ERATO 9482753, 2h

LIRE aussi notre critique complète des TROYENS de BERLIOZ par John Nelson, Michael Spyres, Joyce DiDonato, StĂ©phane Degout (2017)… :

 

 

 

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berlioz-les-troyens-didonato-spyres-nelson-3-cd-ERATO-annonce-cd-premieres-impressions-par-classiquenewsCD, compte rendu, critique. BERLIOZ : Les Troyens. John Nelson (4 cd + 1 dvd / ERATO – enregistré en avril 2017 à Strasbourg). Saluons d’emblée le courage de cette intégrale lyrique, en plein marasme de l’industrie discographique, laquelle ne cesse de perdre des acheteurs… Ce type de réalisation pourrait bien relancer l’attractivité de l’offre, car le résultat de ces Troyens répond aux attentes, l’ambition du projet, les effectifs requis pour la production n’affaiblissant en rien la pertinence du geste collectif, de surcroit piloté par la clarté et le souci dramatique du chef architecte, John Nelson. Le plateau réunit au moment de l’enregistrement live à Strasbourg convoque les meilleurs chanteurs de l’heure Spyres DiDonato, Crebassa, Degout, Dubois… Petite réserve cependant pour Marie-Nicole Lemieux qui s’implique certes, mais ne contrôle plus la précision de son émission (en Cassandre), diluant un français qui demeure, hélas, incompréhensible. Même DiDonato d’une justesse émotionnelle exemplaire, peine elle aussi : ainsi en est-il de notre perfection linguistique. Le Français de Berlioz vaut bien celui de Lully et de Rameau : il exige une articulation lumineuse.

 

 

 
 

 

 

La Damnation de Faust version 1846, sur instruments d’Ă©poque

berlioz Hector Berlioz_0FRANCE 2, lun 2 déc 2019, 00h55. BERLIOZ : La damnation de Faust. L’année 2019 marque les célébrations du 150ème anniversaire de la disparition d’Hector Berlioz. En lien avec la grande exposition sur Louis-Philippe donnée au Château de Versailles, l’Opéra Royal de Versailles avait anticipé cet événement en programmant sur la saison 2018/2019, un cycle Berlioz, dont ce concert faisait partie.
Il y a  plus de 170 ans, prĂ©cisĂ©ment le dimanche 29 octobre 1848, dans une salle rĂ©novĂ©e et enfin ouverte au grand public, Hector Berlioz dirigeait l’un de ces immenses concerts dont il dĂ©tenait le secret : 400 musiciens sur scène alternant les compositions de Gluck, Beethoven, Rossini, Weber et Berlioz bien entendu (“Grande fĂŞte chez les Capulet” du RomĂ©o et Juliette, “La Marche Hongroise” de La Damnation de Faust). Ce concert marquait avec faste l’avènement de la Seconde RĂ©publique naissante.

François-Xavier Roth est un chef français dont la carrière avec son propre orchestre Les Siècles, mais aussi avec le Gürzenich Orchester à Cologne et le London Symphony Orchestra, connaît un fort développement. Ancien assistant de Sir John Eliot Gardiner, il cultive comme lui une passion pour Berlioz et la sonorité si « française » qui en est l’emblème comme l’esprit.
Son interprétation de La Damnation de Faust en version de concert (comme pour la création de 1846) permet d’entendre cette œuvre avec la force et les audaces du premier Berlioz : un chef-d’œuvre sombre et resplendissant, cosmique aussi par l’ampleur de ses évocations orchestrales.

Opéra Royal de Versailles, le 6 novembre 2018
Direction musicale : François-Xavier Roth
La Damnation de Faust. Musique de Hector Berlioz (1803-1869)
Livret de Almire Gandonnière (1813-1863) et Hector Berlioz (1803-1869)
D’après Faust de Goethe (1808)
Première reprĂ©sentation Ă  l’OpĂ©ra-Comique de Paris le 6 dĂ©cembre 1846
Les Siècles
Chœur Chœur Marguerite Louise
Chef des Chœurs Gaëtan Jarry

Mathias Vidal : Faust
Anne Caterina Antonacci : Marguerite
Nicolas Courjal : Méphistophélès
Thibault de Damas d’Anlezy : Brander

L’action de situe au Moyen-Age, en Hongrie et en Allemagne. Faust accablé par le dégoût de la vie, veut  mettre fin à ses jours en absorbant du poison. Les chants de Pâques l’arrachent à son désespoir en lui rendant la foi de son enfance, mais cet élan mystique suscite l’apparition soudaine du démon, Méphistophélès, qui lui promet tous les plaisirs de l’existence et l’entraîne dans une taverne au milieu d’une bruyante assemblée. Ces plaisirs vulgaires ne parviennent pas à séduire Faust et Méphistophélès le transporte sur les bords de l’Elbe où il lui fait découvrir la jeune Marguerite dans un rêve enchanteur. Dès que Faust et Marguerite se rencontrent, ils se reconnaissent et se jurent un amour réciproque. Mais les deux amants doivent se séparer car Méphistophélès les avertit qu’ils ont attiré l’attention du voisinage et de la mère de Marguerite. Faust, malgré sa promesse de revenir dès le lendemain, semble avoir oublié Marguerite pour s’abîmer dans la contemplation de la nature. Méphistophélès le rejoint pour lui apprendre que la jeune fille est condamnée à mort pour avoir empoisonné sa mère. Pour la sauver, il exige de Faust qu’il signe un pacte l’engageant à le servir et il l’entraîne avec lui en enfer au terme d’une chevauchée fantastique. Seule Marguerite est sauvée et accueillie au ciel par le chœur des esprits célestes.

Symphonie des Mille de Mahler par l’ONL Orchestre National de Lille

bloch-alexandre-mahler-symphonie-8-mille-nov-2019-annonce-critique-symphonie-classiquenewsLILLE, ONL. MAHLER : Symph n°8, les 20 et 21 nov 2019. Alexandre Bloch emporte le National de Lille dans son dernier jalon mahlĂ©rien : la 8è, dite des mille par rĂ©fĂ©rence au nombre de musiciens sur le plateau : un Everest pour tout maestro, et une sorte de Nirvana pour l’amateur de sensations symphoniques… Certes Mahler n’a Ă©crit aucun opĂ©ra. Pourtant la seconde partie de sa 8è Symphonie dite des mille concentre tous les styles lyriques, sur un sujet que tous les Romantiques avant lui ont tentĂ© de traiter en musique : Faust. Après Berlioz et Schumann, Liszt et Gounod, Mahler met en musique en particulier la scène finale du second Faust de Goethe afin d’aborder et d’élucider le mystère et le sens de la vie terrestre.
Le volet exige pas moins de 8 solistes, en plus des deux choeurs adultes, du choeur d’enfants, de l’orchestre aux effectifs ahurissants… Symphonie opéra, cantate symphonique, la 8è s’ouvre en première partie sur le texte de l’hymne particulièrement dramatique « Veni Creator spiritus », ample prière chantée en latin, à la gloire de Dieu, où le compositeur se confronte à toutes les ressources du contrepoint.

 

 

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SYMPHONIE COSMOS : planètes et soleils en rotation

 

 

mahler_profilLa partition cyclopĂ©enne est conçue en 2 mois et créée Ă  Munich, le 12 sept 1910 sous la direction du compositeur. C’est son dernier concert public et son plus grand triomphe en Europe. Elle est constamment chantĂ©e (sauf l’ouverture du second mouvement). La modernitĂ© de l’œuvre tient surtout Ă  son plan, sans Ă©quivalent auparavant, Mahler innovant littĂ©ralement une nouvelle architecture, par sĂ©quences, selon le sens du texte, Ă  la façon d’un roman. A la diffĂ©rence des opus qui ont prĂ©cĂ©dĂ©, la 8è n’a rien de tragique ni de subjectif : aucun doute, aucune angoisse, aucun trouble. PlutĂ´t l’affirmation d’une joie intime et collective Ă  l’échelle du cosmos. Car Mahler Ă©crit lui-mĂŞme au chef Mengelberg en aoĂ»t 1906 : « Imaginez l’univers entier, en train de sonner et de rĂ©sonner. Il ne s’agit plus de voix humaines, mais de planètes et de soleils en pleine rotation ».  C’est donc l’aboutissement de tout un cycle orchestral oĂą Mahler s’est battu avec la matière orchestrale ; s’y impliquant personnellement ; au terme de l’aventure – odyssĂ©e, il rĂ©alise l’œuvre final, total, synthèse et miroir d’une conscience aussi accomplie qu’universelle. La 8è symphonie est une symphonie cosmique. Et pour l’auditeur, l’une des expĂ©riences orchestrales les plus marquantes dont il puisse rĂŞver.
Les interprètes en expriment le sens et l’ampleur avec d’autant plus de justesse qu’ils se sont jetés à corps perdus mais maîtrise totale et engagement permanent dans la réalisation des symphonies 1 à 8 depuis septembre 2018. Une expérience et une familiarité qui enrichissent encore leur approche du dernier vaisseau symphonique de Mahler, le plus impressionnant, le plus saisissant. 2 dates événements à Lille.

 

 

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Mercredi 20 novembre 2019, 20hboutonreservation
Jeudi 21 novembre 2019, 20h
Lille – Auditorium du Nouveau Siècle

 

 

RESERVEZ VOTRE PLACE
https://www.onlille.com/saison_19-20/concert/la-symphonie-des-mille-symphonie-n8/

 

 

Gustav Mahler
Symphonie n°8, dite “Des Mille”
Direction : Alexandre Bloch
Sopranos: Daniela Köhler, Yitian Luan, Elena Gorshunova / 
Altos: Michaela Selinger, Atala Schöck / 
Ténor: Ric Furman / 
Baryton: Zsolt Haja
 / Basse Sebastian Pilgrim

Orchestre National de Lille
  /  Orchestre de Picardie

Philharmonia Chorus
 / Chef de chœur : Gavin Carr
Jeune Chœur des Hauts-de-France
Cheffe de chœur : Pascale Dieval-Wils
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VIDEOS : les symphonies de MAHLER par l’Orchestre National de Lille / Alexandre BLOCH (intégrales et explications par Alexandre Bloch):
Retrouvez toutes les symphonies de Mahler sur la chaîne Youtube ONLille ,
jusqu’en avril 2020.

 

 

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Présentation par l’Orchestre National de Lille :
Pour la première en 1910, il fallut construire une estrade spéciale dans la salle afin de pouvoir accueillir l’ensemble des musiciens. Nécessitant deux chœurs d’adultes, un chœur d’enfants, huit solistes et un immense orchestre symphonique, la Symphonie n°8 dite “Des Mille” est la symphonie la plus démesurée, la plus folle du cycle dans laquelle Mahler nous emporte d’un Veni creator ravageur à une scène faustienne qui mélange tous les genres musicaux connus. Venez vivre le gigantisme de cette œuvre unique qui réunira plus de 300 artistes sur scène sous la direction d’Alexandre Bloch. Lors de la première à Munich, Thomas Mann et Stefan Zweig, présents dans le public, en étaient restés sidérés.

The Symphony of a Thousand
Symphony No. 8, known as “The Symphony of a Thousand”, is the most monumental of Mahler’s symphonies. With its two adult choirs, children’s choir, eight soloists and immense symphony orchestra, this unique work has strucken since its very première in 1910.

 

 

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Autour du concert
Ă  18h45
Rencontre mahlérienne

20 novembre 2019:
Bertrand Dermoncourt, directeur de la musique de Radio Classique et auteur du Retour de Gustav Mahler réunissant deux textes de Stephan Sweig

21 novembre 2019 :
Christian Wasselin auteur de Mahler : La Symphonie-Monde

En partenariat avec la
Médiathèque Musicale Mahler
(entrée libre, muni d’un billet du concert)

 

 

 

 

 

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Symphonie n°8 de Gustav Mahler – PLAN

Du polyphonique saisissant, du dramatique lyrique

Mahler n’a pas composé d’opéras proprement dit ; mais le directeur de lOpéra de Vienne qui a connu comme peu le répertoire lyrique de Mozart et Beethoven à Wagner et Strauss, a finalement écrit son drame lyrique dans la seconde partie de la 8è, inspiré de la scène finale du Faust de Goethe : vision et action spectaculaire qui imagine le héros tant éprouvé, atteindre délices et repos des béatitudes célestes. Dans les plus hautes sphères, anges, angelots, enfants bienheureux chantent, favorisent et accompagnent l’élévation et la métamorphose (chrysalide devenue ange sanctifié) de l’âme de Faust vers son dernier asile… alors que les Enfants bienhereux contemple le corps du Faust qui s’élève toujours, Marguerite paraît, implore Marie, d’accueillir cette âme nouvelle, morte et ressuscitée, éternellement jeune.

 

Après le monumental Veni Creator dont la force expressive, la complexité maîtrisée de l’écriture (océan contrapuntique où domine une double fugue) la sonorité colossale doivent saisir au sens strict selon les mots du compositeur le spectateur auditeur, place à un cycle fraternel et compassionnel, la deuxième partie de la 8è, épisode éblouissant sur le plan de l’écriture orchestrale et vocale, dans lequel Mahler rétablit le lien avec l’humanité.

 

Pour plus d’unité, le Faust cite certains thème du Veni Creator qui a précédé. L’architecture en est un triptyque : Andante, Scherzo, Finale, ou introduction, exposition en 3 parties, développement en 3 sections, épilogue.

En ouverture (poco adagio), Mahler évoque la solitude de Faust dans la montagne (prémices du Chant de la terre). Arbres, lions muets, asile d’amour…

 

EXPOSITION

Après le chœur (Waldung, sie schwankt heran),

PATER ECSTATICUS et PATER PROFUNDUS entonnent leur couplet.

EXTATICUS : proie de l’amour éternel

PROFUNDUS : témoin du miraculeux amour

Le choeur des anges, portant l’essence de Faust, amorcent le 2è épisode de l’exposition (« celui qui cherche et s’efforce dans la peine, sera sauvé » ;

Puis, se succèdent le chœur des enfants bienheureux

(très haut dans les cimes : « celui que vous vénérez, vous le verrez »),

le choeur des angelots qui ouvre le SCHERZO

(Jene rosen / les roses des pénitentes…).

Le choeur avec alto solo (Uns bleibt ein Erdenrest)

marque la 3è et dernière séquence de l’exposition

(le pur et l’impur mêlé dans un cœur, ne peuvent être dissociés

que par l’amour).

 

DEVELOPPEMENT

Le développement débute avec le choeur des angelots (Ich spüre soeben)

Le choeur des enfants bienheureux (Freudig empfangen wir) qui débouche sur

 

1- L’HYMNE A LA VIERGE (Mater dolorosa) du DOCTEUR MARIANUS :

« Hochste Herrscherin der Welt », témoin de la splendeur mariale (splendide et magnifique, la reine du ciel) ;

repris par le choeur (Jungfrau, ren im schönsten Sinne /Vierge pure, sublime… »).

S’épanouit alors le thème de l’Amour, pour violon et harmonium (mi maj),

pour l’entrée de la Mater dolorosa

 

 

2- Choeur d’hommes (Dir, der Unberührbaren)

MATER GLORIOSA : Choeur des PĂ©nitentes (Du Schwebst zu Höhen / Tu vogues vers les hauteurs, si mj), – apothĂ©ose de Marie, auxquelles succèdent

MAGNA PECCATRIX : Saint-Luc (Bei der Liebe : elle lave et parfume les pieds du Christ)

MULIER SAMARITANA : Saint-Jean (Bei dem Bronn) : elle abreuve les lèvres du Sauveur

MARIA AEGYPTIACA (Bei dem hochgeweithen Orte / Par le lieu saintement consacré)

puis unies en TRIO (Die du grossen Sünderinnen / accordes le pardon à Faust…).

La Pêcheresse MARGUERITE implore Marie (Neige, neige, ré maj) : sauve Marie, Faust

Choeur des enfants bienheureux

La PĂŞcheresse implore encore Marie (Vom edlen Geisterchor, si b maj)

avec point culminant (trompette du Veni Creator).

 

3- MATER GLORIOSA (Komm! Hebe dich zu höhern Sphären, mi bémol)

repris par

DOCTOR MARIANUS (Blicket auf !), repris par le choeur

 

 

Postlude orchestral

 

EPILOGUE / FINALE

Après un mystérieux prélude orchestral, s’affirme le presque imperceptible murmure du choeur mystique (Alles vergänglische ist nur ein Gleichnis)

Immense et progressif crescendo sur le thème du Veni Creator. Là encore, encensant la Vierge, source de toute miséricorde et divinité la plus admirable, « l’imparfait trouve l’achèvement ; l’ineffable devient acte ». Et « l’Eternel Féminin » porte toujours plus haut.

 

 

Comme jamais auparavant, Mahler échafaude une écriture qui lui est propre ; où la forme respecte le sens et les enjeux de chaque situation dramatique. Moins d’effet de masse. Mais une écriture « romanesque » et purement dramatique voire opératique qui suit le sens de l’action dramatique, celle du Faust de Goethe ; selon lequel le héros moderne (romantique) vit une expérience spirituelle, dans l’adoration de la Vierge, qui lui permet d’être transcendé.

 

 

CD, critique. GOUNOD : FAUST (1859). Foster-Williams, Bernheim, Gens / Talens Lyriques (3 cd Palazzetto Bru Zane, juin 2018)

gounod faust rousset gens palazzetto critique cd classiquenews review critique opera classiquenews bernheim gens bou rousset talens lyriques critique classiquenewsCD, critique. GOUNOD : FAUST (1859). Foster-Williams, Bernheim, Gens / Talens Lyriques (3 cd Palazzetto Bru Zane, juin 2018). Et voici un nouvel opus de la collection « opĂ©ra français » ( / French opera) Ă©ditĂ© par le Palazzetto vĂ©nitien Bru-Zane, aux initiatives exploratrices de rĂ©fĂ©rence. Faust complète notre meilleure connaissance du Gounod lyrique, après les prĂ©cĂ©dents livres disques Cinq-Mars (Ă©clairant ode dernier Gounod) et Le Tribut de Zamora (de 1881). Le pilier de l’opĂ©ra français, après Thomas, avant et Bizet et Massenet, mĂ©ritait bien ce focus. Surtout s’agissant d’un ouvrage emblĂ©matique de l’opĂ©ra romantique français tel qu’il est toujours reprĂ©sentĂ© Ă  l’OpĂ©ra Garnier. La production est d’autant plus opportune qu’elle s’intĂ©resse Ă  la version  « originelle » – de 1859, – alors prĂ©parĂ©e, jouĂ©e et donc enregistrĂ©e en juin 2018.

gounod charles portrait jeune par classiquenews gounod centenaire 2018 par classiquenews portr19Contrairement à la version actuellement jouée à l’Opéra de Paris, soit celle de 1869, celle de 1859 privilégie des dialogues inédits, proches du théâtre, qui éclairent le relief de rôles depuis minorés ou écartés (Wagner, Dame Marthe). Ces derniers restituent à l’ouvrage que l’on pesait très sérieux, une légèreté proche du genre opéra-comique de demicaractère dont le Gounod pas encore réellement célébré, avait la clé. Avec la présence des dialogues, le drame gagne en clarté et précision. Quand la version actuelle de 1869 fait se succéder des tableaux et des situations pas toujours très progressifs. On y perd certes l’air du Veau d’or de Mephisto pour celui plus ancien et presque rafraîchissant de « Maître Scarabée ».

Le Choeur de la radio flamande convainc quelle que soit la figure concernée : jeunes filles candides ou soldats juvéniles.
L’orchestre (Les Talens Lyriques) s’applique, détaille, reste efficace, mais parfois sonne étrangement pompier dans les tutti, couvre la voix (Thulé), … sans jamais donner le vertige fantastique et romantique que l’on attend. La direction est sèche, tendue, nerveuse certes mais sans chair. Strictement narrative. Ombres, vertiges romantiques d’un Gounod wagnérien, sont évacués… Ici importent la clarté, le souci du détail, la perfection de la mis en place : une « objectivité » parfois droite et désincarnée. Germanisme subtil, entre Wagner et Mendelssohn, brillant et élégant (où les valses soulignent les temps forts de l’action dramatique et psychologique), Gounod mérite plus de nuances, d’élans roboratifs, de fluidité incarnée.
L’impression générale reste celle d’une lecture appliquée, parfois maniérée, scrupuleuse, qui manque de souffle, de réels vertiges, de sincérité. Trop d’artifice, de gestes méticuleux au détriment de la vérité plus immédiate du drame.

Côté plateau vocal, détachons le timbre métallique et nasillard, pincé et sans tendresse du Faust de Benjamin Bernheim, mais avec une intelligibilité intéressante. Qu’il est plaisant de comprendre le texte, c’est à dire de ne rien perdre des nuances poétiques du livret, donc des accents spécifiques du chant orchestral qui l’enveloppe.
Truculent, léger, savoureux et comme amusé entre facétie et séduction, l’excellent baryton Andrew Foster-Williams s’impose : son jeu naturel contraste avec le timbre tendu, dévoré du Faust de B Berheim. De ce point de vue la caractérisation des caractères est parfaite.
Valentin dépourvu de son superbe air (« Avant de quitter ces lieux » dont le superbe motif s’entend dès l’ouverture), Jean-Sébastien Bou s’impose par sa présence dramatique.
Juliette Mars en Siebel maîtrise moins l’intelligibillité de son texte, avec des aigus tirés, tendus, vibrés (air « Faîtes lui mes aveux », début acte II). La Marguerite de Véronique Gens défend un souci du texte plus maîtrisé (Air du roi de Thulé), entre noblesse et naturel, un sens des nuances évident que contredit en arrière plan, un orchestre surexposé et hypernerveux aux accents appuyés… dommage. Mais que de distinction efface la pure jeune fille pour une conception plus mûre du personnage, très « princesse incognito » dans une pièce de théâtre.

Justement, dialogues et récits sont restitués dans un style théâtral, mais avec une réverbération étrange voire hors sujet pour la scène lyrique. Tous les caractères et leurs situations semblent se dérouler dans le même lieu : église ou vaste caverne, au volume résonnant, écartant l’intimisme des scènes pourtant plus psychologiques.

Notre réserve concerne le choix artistique des séquences présentées : s’il s’agit non pas d’un « premier Faust » mais d’un « autre Faust », il eut été moins frustrant d’écouter aux côtés des « premiers airs » conçus par le Gounod de 1859, ceux plus tardifs de 1869 mais si beaux et si populaires ; pertinente sur le plan documentaire (pour les spécialistes), une telle production pour le disque, présentant et les airs originels, et ceux plus tardifs, eut été « idéale ». Car ne pas entendre les airs du Veau d’or ou de Valentin crée un manque absolu. D’où l’impression globale de cette « autre » version : originelle certes, juvénile, théâtralement plus riche… mais moins aboutie.

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gounod faust rousset gens palazzetto critique cd classiquenews review critique opera classiquenews bernheim gens bou rousset talens lyriques critique classiquenewsCD, critique. GOUNOD : FAUST (1859). Foster-Williams, Bernheim, Gens / Talens Lyriques (3 cd Palazzetto Bru Zane, juin 2018). OpĂ©ra-comique en 4 actes – livret de Jules Barbier et Michel CarrĂ©, d’après Goethe – Version première ou « originelle » créé au Théâtre-Lyrique le 19 mars 1859.

Faust : Benjamin Bernheim
Marguerite : Véronique Gens
Méphistophélès : Andrew Foster-Williams
Valentin : Jean-Sébastien Bou
Siébel : Juliette Mars
Dame Marthe : Ingrid Perruche
Wagner : Jean-Sébastien Bou

Choeur de la Radio flamande
Direction : Martin Robidoux
Les Talens Lyriques / dir : Ch Rousset

Enregistrement réalisé en juin 2018.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Autres livre cd  GOUNOD / Collection “OpĂ©ra français, Palazzetto Bru Zane, prĂ©sentĂ©s / critiquĂ©s sur CLASSIQUENEWS.COM :

 

 

gounod cinq mars cd opera critique review account of classiquenews ulf schirmer mathias videl veronique gens cd 1507-1Livre cd, compte rendu critique. GOUNOD : Cinq-Mars, 1877. Vidal, Gens, Christoyannis, … (2 cd 2015). Dès l’ouverture, les couleurs vénéneuses, viscéralement tragiques, introduites par la couleur ténue de la clarinette dans le premier motif, avant l’implosion très wébérienne du second motif, s’imposent à l’écoute et attestent d’une lecture orchestralement très aboutie. Du reste l’orchestre munichois, affirme un bel énoncé du mystère évoqué, éclairé par une clarté transparente continue, qui quand il ne sature pas dans les tutti trop appuyés, se montre d’une onctuosité délectable. Tant de joyaux dans l’écriture éclairent la place aujourd’hui oubliée de Charles Gounod dans l’éclosion et l’évolution du romantisme français. Et en 1877, à l’époque du wagnérisme envahissant, (le dernier) Gounod, dans Cinq-Mars d’après Vigny, impose inéluctablement un classicisme à la française qui s’expose dans le style et l’élégance de l’orchestre (première scène : Cinq-Mars et le chœur masculin). D’emblée c’est le style très racé de la direction (nuancé et souple Ulf Schirmer), des choristes (excellentissimes dans l’articulation d’un français à la fois délicat et parfaitement intelligible) qui éclaire constamment l’écriture lumineuse d’un compositeur jamais épais, orchestrateur raffiné (flûte, harpe, clarinette, hautbois toujours sollicités quand le compositeur développe l’ivresse enivrée de ses protagonistes).

 

 

tribut de zamora gounod cd critique par classiquenews concert munich compte rendu de classiquenewsCD, critique. GOUNOD : Le Tribut de Zamora 1881. Livre, 2 cd, BRU ZANE, collection « Opéra français » / French opera / H. Niquet. 2018, année musicale riche. De Debussy à Gounod, le génie français romantique et moderne sort du bois et est plus ou moins honorablement servi par les institutions et initiatives privées. Ainsi cet enregistrement de l’opéra de Gounod, oublié, écarté depuis sa création, Le tribut de Zamora qui renaît par le disque après avoir occupé l’affiche munichoise (janvier 2018). Idem pour un Cinq Mars lui aussi méconnu, oublié, ressuscité à Munich…en 2015.
A Paris, on se souvient des récents Faust (Bastille), Nonne Sanglante (Opéra-Comique)… alors que Roméo et Juliette tarde à revenir à Paris, – quand l’Opéra de Tours en avait offert une sublime production, voici donc ce Zamora, espagnolade et peinture d’histoire, à l’efficacité dramatique indéniable, et aux joyaux mélodiques et orchestraux, irrésistibles. Dans cette Espagne du Xè, marqué par la présence arabe, le compositeur joue avec finesse de l’orientalisme coloré, sensuel dont use et abuse avec un génie de l’harmonie, son contemporain et peintre (d’Histoire), Gérôme.

Faust Symphonie de Liszt (1854)

FRANCE, MUSIQUE, Dim 14 avril 2019, 16h. FAUST-SYMPHONIE, LISZT. La Tribune des critiques de disque questionne l’œuvre clé de Franz Liszt, composée en 1854 à 43 ans. Le virtuose au piano impose son génie de la couleur et de la construction orchestrale dans cet ample poème symphonique avec ténor, créé à Weimar en 1857, structuré en 3 portraits psychologiques qui campent désirs et agissements des 3 protagonistes du mythe créé par Goethe : Faust, Marguerite, Méphistophélès.

 
 
 

Les 3 visages d’un mythe / Faust en triptyque
Liszt : l’orchestre psychologique

 
 
 

LIVRES. Liszt, "premier de son siècle"

 
 
 

Un point de vue cinématographique d’une modernité absolue qui campe le regard de chacun sur les enjeux d’une même situation. Liszt s’inspire du Fauts de Berlioz car ce dernier lui a révélé la force du sujet. La vision psychologique de Liszt permet à l’orchestre d’exprimer ce en quoi chacun des personnages est lié aux autres , avec musicalement le principe des motifs répétés d’une partie à l’autre et qui se répondent en reliant les rôles (et assumant de fait la cohésion interne de la partition tripartite). Liszt ajoute chez Méphistophélès un chœur d’hommes et la voix du ténor solo qui célèbre (avant Wagner et son Tristan de 1865), l’éternel féminin, comme source de rédemption. Ainsi, ce labyrinthe des passions (et manipulations) terrestres s’accomplit par l’apothéose finale, un volet spirituel qui évidemment cite aussi l’architecture de la Damnation de Faust de Berlioz (laquelle s’achève par l’apothéose de Marguerite). Liszt dédie son Faust à ce dernier.
Le chant orchestral dessine ainsi le portrait de Faust (le plus long, le plus complexe, tiraillĂ© par ses dĂ©sirs et sa clairvoyance, espoir et renoncement, mais l’épreuve essentielle demeure l’amour dont la force donne finalement le sens de sa vie) ; ensuite Marguerite dont le thème innocent et angĂ©lique est Ă©noncĂ© au hautbois solo : andante soave, puis – quand Marguerite succombe Ă  Faust-, soave con amore. Enfin MĂ©phistophĂ©lès, qui niant tout, ne crĂ©ant rien, dĂ©forme et caricature tous les thèmes de sa victimes dont il se nourrit. Le volet est un vaste rire et ricanement, grimaçant et vide ; mais Ă  la fin par le choeur d’hommes et le tĂ©nor solo, c’est marguerite qui a triomphĂ© ; son amour pur a conquis l’âme de Faust, au dĂ©triment de toutes les intrigues du diable. 
 
 
 
 
 

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logo_france_musique_DETOUREFRANCE, MUSIQUE, Dim 14 avril 2019, 16h. FAUST-SYMPHONIE, LISZT. La Tribune des critiques de disque questionne l’œuvre clé de Franz Liszt, composée en 1854 à 43 ans: un sommet de l’inspiration symphonique et romantique qui tout en s’inspirant du Faust de Berlioz, renouvelle totalement la conception architecturale de l’édifice orchestral.

 
 
 
 
 
 

COMPTE-RENDU, opéra. MARSEILLE, Opéra, le 19 février 2019. GOUNOD : Faust. BORRAS, COURJAL. L FOSTER / N DUFFAUT.

COMPTE-RENDU, opéra. MARSEILLE, Opéra, le 19 février 2019. GOUNOD : Faust. BORRAS, COURJAL. L FOSTER / N DUFFAUT. À reprise d’une production, reprise d’une introduction sur une œuvre qui ne bouge pas, même remuée des remous qui accueillirent à Avignon cette mise en scène de Nadine Duffaut, certes, dérangeante, hésitant entre symbolisme et réalisme, mais jamais indifférente. À Marseille, au rôle de Wagner près, c’est la distribution qui est renouvelée.

 
 
 

L’OEUVRE : Diables d’hommes

 

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Sur l’homme vendant son âme au diable contre l’amour d’une jeune femme, l’Espagne connaissait dĂ©jĂ  quelques pièces de théâtre,El esclavo del demonio (1612), â€L’esclave du dĂ©mon’, de Mira de Amescua et, entre autres plus tardives, El mágico prodigioso, â€La magicien prodigieux’ (1637) [1] de Pedro CalderĂłn de la Barca, inspirĂ©e de la lĂ©gende des saints Cyprien et Justine, martyrs d’Antioche, IIIe siècle : pour l’amour de la jeune chrĂ©tienne, le jeune savant paĂŻen, qui s’interrogeait sur le pouvoir absolu d’un Dieu unique contre la pluralitĂ© dissolue du panthĂ©on des dieux antiques, signe un pacte avec le Diable. C’est aux Ă©crivains allemands du Sturm und Drang, dont Herder, Schiller et Goethe, fĂ©rus de culture espagnole antidote au classicisme français, que l’on doit le renouveau de l’intĂ©rĂŞt pour la poĂ©sie du Siècle d’Or espagnol (GĹ“the en adaptera des poèmes) et son théâtre, dont s’abreuvera aussi Hugo.

Il est probable que GĹ“the y ait puisĂ©, pour sa fameuse tragĂ©die, l’enjeu de la femme dans le pacte avec le diable, Ă©tant absente dans le livre source, Historia von Dr. Johann Fausten dem weitbeschreyten Zauberer und SchwarzkĂĽnstler…,couramment appelĂ© Faustbuch, â€le Livre de Faust’, paru Ă  Francfort en 1587.Ce recueil populaire s’inspirait des lĂ©gendes tĂ©nĂ©breuses entourant le rĂ©el Docteur Johann Georg Faust (1480-1540), alchimiste allemand, astrologue, astrologue, nĂ©croman, c’est-Ă -dire magicien. Un MusĂ©e lui est consacrĂ© Ă  Knittlingen, sa ville natale.

La science rationnelle moderne, n’était pas encore sortie de la gangue des sciences occultes dans lesquelles, astrologue et astronome confondus, dans les secrets encore incompréhensibles, on voit souvent, par crainte et superstition, la main, la griffe du diable. Ainsi, la mort du savant Docteur Faust en 1540, dans une explosion due sans doute à ses recherches chimiques ou alchimiques, passera pour le résultat de ses expériences diaboliques, du pacte qu’il aurait passé avec le Diable, signé de son sang, pour retrouver la jeunesse sinon l’amour. [2]

Ce livre, qui sera aussi traduit avec succès en français en 1598, sera adapté, d’après la traduction anglaise, par Christopher Marlowe dans sa pièce La Tragique Histoire du Docteur Faust (1604) et, donc, deux siècle après, pa Johann Wolfgang von Gœthe dans son premier Faust(1808), qui fixera dans l’imagerie romantique, la touchante figure de Marguerite au rouet : séduite, enceinte, abandonnée, matricide, infanticide enfin : condamnée à mort, et refusant d’être sauvée avec la complicité de Méphistophélès, pour le salut de son âme.Son contemporain, Gotthold Ephaim,avait aussi commencé, sans l’achever, une pièce sur Faust en 1759.

Berlioz avait reprĂ©sentĂ© Ă  Paris, sans guère de succès, en 1846, La Damnation de Faust [3] d’après la cĂ©lèbre pièce de Goethe traduite en 1828 par GĂ©rard de Nerval: « Pour la â€Chanson du rat’,il n’y avait pas un chat dans la salle », constatera cruellement Rossini. RuinĂ©, Berlioz s’exile. Gounod sera plus heureux. HantĂ© par le thème, gratifiĂ© du bon livret que lui Ă©crivit Jules Barbier, la contribution de Michel CarrĂ©, auteur d’un drame intitulĂ© Faust et Marguerite, se limitant Ă  l’air du Roi de ThulĂ© et Ă  la ronde du veau d’or, deux beaux textes, il est vrai. Après des remaniements, l’opĂ©ra triompha en 1859, et rivalise en popularitĂ© dans le monde avec la Carmen de Bizet.

 
 
 
 
 
 

REALISATION

 
 
 

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Vaste demeure dévastée de l’hiver d’une vie à vau-l’eau : vanité des vœux, des rêves du savoir, des souvenirs évanouis à l’heure des bilans, des faillites, quand les regrets remplacent les projets. Vautré, avachi sur un immense prie-Dieu, un lit, dont la traverse est une croix, qui se multiplie en ombres, le vieux Docteur Faust se lamente avant d’être relayé par le jeune, vivifié par le pacte de sang ou transfusion sanguine, salvateur élixir de jouvence, dont le garrot élastique devient, comme un crachat, lance-pierre offensif d’un chenapan Méphisto contre une effigie christique.

Efficace scénographie unique d’Emmanuelle Favre dans des clair-obscur, au sens précis du terme, mélange de lumière et d’ombre à la Rembrandt, virant parfois aux contrastes rasants caravagesques (lumières de Philippe Grosperrin), qui arracheront à la pénombre les têtes d’une foule de spectres goyesques, cauchemar plein de choses inconnues, funèbre carnaval émergeant, surgissant des trappes, sinon des enfers, des arrière-fonds, des bas-fonds de l’âme sans doute, comme un retour du refoulé. Surplombant la scène, théâtre dans le théâtre, une autre scène ou tableau : un Christ de profil au regard douloureux sur ce monde, témoin apparemment aussi impuissant que le vieux Faust omniprésent rêvant ou revoyant sa vie au moment de sa mort, apparaissant ponctuellement dans le cadre, ainsi que divers personnages, dont le théâtral Méphistophélès. Rêve ou mirage, Marguerite est projetée en immense portrait.

Plafond effondré, tout est terreux, ruineux, grisâtre, brunâtre, ainsi que les costumes (Gérard Audier) ; le seul éclat sera celui de Marguerite, toute fraîche en robe vichy bleu à la Brigitte Bardot des années 60, apparemment seule vivante dans ce monde fantomatique, escortée de Dame Marthe, plus rieuse que pieuse, impérieuse, en austère tailleur noir. Une marionnette géante descendant des cintres de la manipulation diabolique symbolise la jeune fille. Le Faust jeune, aura l’éclat d’une chemise blanche sur ses jeans et Méphisto, en blouson de cuir, arbore des souliers rouges et non des pieds de bouc comme signe de son origine, comme le coffre et non coffret des bijoux, dont on s’étonne que Gretchen, Margot, ne l’ait pas vu du premier coup d’œil tant il accapare abusivement l’espace et la vue. Pas de rouet mais un nécessaire de couture de jeune fille de ce temps, pliée aux travaux de ménage et d’aiguille. Jolie trouvaille, le bracelet dont se pare la jeune fille est vraiment « une main qui sur [son] bras se pose », surgie magiquement de la marionnette diabolique. C’est la poupée mécanique, menaçante, de l’univers fantastique des Contes romantiques d’Hoffmann par la manipulation du Diable.

Sur les murs lépreux, des projections de vagues fleurs —pas forcément heureuses déjà à Avignon, et encore moins dans le vaste plateau marseillais qui les dilue—figurent un invraisemblable jardin et l’invisible bouquet d’un jeune Siebel masculin éclopé, expliquant sans doute sa réforme, il ne part pas à l’armée ; plus dramatiquement parlantes, celles d’actualités cinématographiques de nébuleux soldats coloniaux du retour des troupes qui (dé)chanteront une gloire discutable des aïeux dont la mise en scène de Nadine Duffaut, loin de donner dans le cliché de la guerre jolie, montre la vérité, les blessés, les estropiés, les gueules cassées, les morts : sous le regard du Christ semblant regarder de biais et non de front le monde, sous l’écrasante croix, on se pose inévitablement la question de ce « Dieu bon » que priera Marguerite à la fin qui permet cet enfer sur terre, autorise finalement ce Démon tout puissant, encore que terrassé parfois comme un vampire par l’ombre ou la lumière de la croix qui le crucifie. Sous le détail, décoratif en apparence, on retrouve l’humanité inquiète, militante et non militaire, de Nadine Duffaut.

En somme, refusant le faste facile, néfaste souvent au drame, la mise en scène propose une lecture nouvelle de cette tragédie, parlant plus à l’esprit que séduisant les yeux.

 
 
 

INTERPRETATION

 
 
 

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D’emblée, on est capté par le rythme, sans concession aux « numéros » que le public attend pour applaudir, qu’impose Lawrence Foster à la partition. On a la sensation de redécouvrir cette œuvre usée de trop d’usage et d’habitudes paresseuses : une rigueur diabolique qui gomme les émollients clichés romantiques et, malgré les parenthèses obligées d’amour et de rêve du jardin, depuis le début, tout semble courir, concourir, dans la fièvre, à la course finale à l’abîme au galop haletant méphistophélique. Une conception globale perceptible malgré la longueur de l’œuvre. Et tout cela sans rien sacrifier au détail. Dans la « Sérénade » de Méphistophélès, on croit entendre les rires, les railleries des instruments qui nous font soupçonner que Gounod n’ignorait pas le persiflage instrumental du « Catalogue » de Leporello dans le Don Giovanni de Mozart dont son amie Pauline Viardot avait sans doute pu lui passer la partition qu’elle avait achetée. En tous les cas, on sent, dans cette interprétation magistrale toute la finesse mozartienne loin des pesanteurs orchestrales à la mode romanticoïde. La scène de l’église est angoissante avec cet orgue lointain et menaçant (Frédéric Isoletta) dont les vagues ondes semblent avancer pour engloutir Marguerite.

Les chœurs (Emmanuel Trenque), peut-être déshumanisés par les masques, trouvent alors leur pleine humanité par la musique et ils sont saisissants : les reproches à leur héros Valentin incapable de pardonner en mourant à sa sœur sont bouleversants d’une vérité morale, humaine et religieuse, qui dépasse leur apparence spectrale.

À certains moments de liesse populaire ou sensuelle, entre ciel et terre, trois acrobates semblent défier la pesanteur d’ici-bas.

Le baryton Philippe Ermelier qui figurait dans la production d’Avignon, confirme avec bonheur ce que j’en disais : c’est un solide Wagner de taverne digne compagnon sinon d’embauche guerrière, de bamboche, de débauche de bière ou vin qui hésitera moins entre les deux boissons qu’il ne les alternera. Originalité de cette mise en scène, le pénible aujourd’hui rôle travesti de Siébel, dévolu à un mezzo léger, est rendu à sa vérité théâtrale de jeune homme amoureux : Kévin Amiel bien qu’affublé d’une prothèse d’éclopé —sans doute blessure de quelque aventure militaire qui montre que la guerre est bien contre toute éthique et esthétique, contre la morale, la bonté, la beauté. Il est jeune, touchant, voix ronde de ténor de toutes les tendresses et délicatesses du cœur et il incarne, dans une vérité immédiate et sensible, l’amour désintéressé, la compréhension, la compassion humaine et chrétienne envers la Marguerite rejetée par la communauté.

Élément de comédie, d’opéra-bouffe, Dame Marthe, savoureuse, voluptueuse, veuve vite joyeuse, sous l’uniforme trop étroit de la duègne austère, vite maquerelle, faisant couple, sinon accouplée au fuyant Méphisto qui ne succombe pas à la tentation, tenté sans doute par d’autres types d’amours comme semble le suggérer le pluri-sexe Walpurgis, est campée avec une vivacité aiguë par la piquante mezzo Jeanne-Marie Lévy.

Le baryton Étienne Dupuis, a tout l’héroïsme de Valentin, voix aussi large et généreuse qu’il le sera peu pour sa sœur, par ailleurs très expressif, effrayant et sans compassion en maudissant Marguerite comme le fera Méphisto.

Celui-ci, c’est Nicolas Courjal (photo ci dessus): il mène le bal, et danse, se dandine même au son de ce transistor dont il tente, par la magie révolutionnaire de l’appareil, de tenter le vieux Faust dont les élucubrations de toute une vie n’auront pas suffi à créer ou imaginer cette merveille, ce miracle technologique. Il est un sacré diable facétieux, espiègle, qui épingle les ridicules de certains, diablement sûr de lui, sauf des faiblesses à la Croix, jouant des mains et des doigts comme on aspergerait les dévots d’une eau bénite, maudite plutôt, infernale. La tessiture est tendue, surtout dans le « Veau d’or » mais il s’en tire avec aisance, retrouvant des creux de graves infernaux à sa mesure. En moine blanc, dans la remarquable scène de l’église contre Marguerite, plus de plaisanterie : c’est le Démon dans une atroce volonté de destruction de la frêle jeune femme.

Celle-ci est incarnée par Nicole Car : elle a une saine vitalité, un sourire rayonnant, un regard solaire, qu’on imagine mal en général pour la fragile héroïne romantique des froideurs nordiques mêmes réchauffées par un Diable mutin. Ses exclamations de joie « Ah, je ris… », elle ne les donne pas en fines notes piquées de la glotte, toujours dangereuses pour l’organe, mais d’une voix large moins de jeune fille que de femme prête, sinon à croquer les diamants, à dévorer la vie qu’elle découvre avec enthousiasme. Cette solidité prend un sens tragique dans la scène grandiose de l’église où elle affronte le démon dans l’ombre, opposant la force de sa foi à la puissance infernale et sa prière qui clôt l’épisode est déjà la victoire qui annonce celle de son hymne final : « Anges pures, anges radieux… »

Marguerite accouche

Autre signe de l’humanisme réaliste de Nadine Duffaut, on voit Marguerite enceinte, ce qui est dissimulé toujours, à peine dit par de plus pudiques que pieuses allusions : mais c’est la réalité de son drame. Des spectateurs se sont offusqués de la voir accoucher, aidée par la compassionnelle Marthe, après la malédiction du frère. Mais cet enfant qu’elle noiera, qui lui vaudra sa condamnation à mort, occultée ici celle de sa mère, semble être parti avec l’eau du bain de la pudibonderie qui, pour oraison funèbre, ne lui concède qu’une rapide phrase de Faust, alors que c’est le cœur de la banale et triviale tragédie de la fille séduite et abandonnée.

Deux Faust

L’un des problèmes du théâtre, c’est sans doute la présentation d’un personnage à deux âges de sa vie, doublé ici par la difficulté que la métamorphose se fait à vue. Loin de grimer et de dégrimer ostensiblement le vieil héros prêt à se faire une injection mortelle de drogue et piqué sans doute à l’élixir de vie par Méphisto de ce même sang de la signature du pacte infernal, Nadine Duffaut a opté pour deux Faust, le vieux,c’est Jean-Pierre Furlan, dont la voix toujours juvénile anticipe sur sa nouvelle jeunesse infernale. Il est émouvant dans ses regrets et adieu à la vie, Faust encore sans faute, qui restera sur scène en témoin accablé de son pacte fautif sous le regard d’un Christ douloureux, sous l’ombre portée de la croix, poids de son péché, éternel stigmate de sa damnation, ou rédemption par ce regard qui semble le hanter dans ce théâtre des ombres du monde. C’est sûrement l’une des réussites de cette audacieuse mise en scène : ce regard rétrospectif à la fin de la vie, à l’heure cruellement lucide des bilans. Et soudain, sans solution de continuité, c’est le jeune Faust qui surgit, insolent et insultant de jeunesse moins physique que vocale, encore qu’un peu empêtré dans sa corpulence mal fagotée dans un blouson de teenager d’un joyeux luron avide de rattraper le temps perdu, à corps perdu. Dans ce sens, on comprend, en contrepoint physique maillée, émaillée de ces acrobates du plus bel effet graphique, perchés sur la croix du prie-Dieu devenu lit de débauche multi-libertine pour un heureux Faust repu plus qu’en repos.

La voix de Jean-François Borras est ronde, onctueuse, souple, d’une égale qualité dans tous ses registres, suavement triomphante dans l’aigu dès l’effet méphistophélique non méphitique mais bénéfique de Méphisto. Et voilà notre vieillard savant, oublieux des grands mystères du monde qui faisaient sa sublime ambition, qui chante, tout guilleret, un couplet digne d’un épicurien et contemporain bourgeois d’Offenbach, Brésilien ou Baron, qui borne, ou au contraire chante une insatiable ambition très Second Empire, « s’en fourrer jusque-là », avide de plaisirs terrestres et non plus spirituels ou intellectuels :

Ă€ moi, les plaisirs,

Les jeunes maîtresses,

À moi leurs caresses […]

Et la folle orgie

Du cœur et des sens.

Un Faust bourgeois plus physique que métaphysique.

 
 
 

[1] J’ai adapté cette pièce sous le titre de Faust vainqueur ou le procès de Dieu à la demande du metteur en scène Adán Sandoval.

[2] Sur les divers Faust, je renvoie à mon livre Figurations de l’infini. L’âge baroque européen, Prix de la prose et de l’essai 2000, le Seuil, 1999, « De Dieu le Père au Père-Dieu », « La fin des thaumaturges », p.389-399.

[3] Berlioz ne devait pas ignorer la pièce de Calderón, si admiré par Wagner qui dit, dans une lettre à Liszt, qu’il le lit pour maintenir l’inspiration de son Tristan. En tous les cas, l’invocation à la nature de son Faust est très proche de la tirade lyrique de Cyprien découvrant sa puissance diabolique dans Le Magicien prodigieux. Cf mon livre, Figurations de l’infini, op. cit. , p. 398.

 
 
 
 
 
 

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Faust de Gounod à l’Opéra de Marseille
Coproduction Opéra Grand Avignon / Opéra de Marseille / Opéra de Massy / Opéra Théâtre Metz Métropole / Opéra de Nice / Opéra de Reims
A l’affiche les 10, 13, 16, 19, 21 février 2019

Direction musicale: Lawrence FOSTER
Mise en scène: Nadine DUFFAUT
Décors: Emmanuelle FAVRE
Costumes: Gérard AUDIER
Lumières: Philippe GROSPERRIN

Marguerite: Nicole CAR
Marthe: Jeanne-Marie LEVY

Faust: Jean-François BORRAS
Vieux Faust: Jean-Pierre FURLAN
Méphistophélès: Nicolas COURJAL
Valentin: Étienne DUPUIS
Wagner: Philippe ERMELIER
Siebel: Kévin AMIEL

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille

Photos : Christian Dresse
Les deux Faust ;
Méphisto ;
Combat e Marguerite contre le Démon.

 
 
 
 
 
 

Compte-rendu, opéra. LIEGE, Opéra, le 25 janv 2019. Gounod : Faust. Patrick Davin / Stefano Poda.

Compte-rendu, opĂ©ra. Liège, OpĂ©ra, le 25 janvier 2019. Gounod : Faust. Patrick Davin / Stefano Poda. Créée en 2015 Ă  Turin, la production de Faust imaginĂ©e par Stefano Poda a dĂ©jĂ  fait halte Ă  Lausanne (2016) et Tel Aviv (2017), avant la reprise liĂ©geoise de ce dĂ©but d’annĂ©e. Un spectacle Ă©vĂ©nement Ă  ne pas manquer, tant l’imagination visuelle de Poda fait mouche Ă  chaque tableau au moyen d’un immense anneau pivotant sur lui-mĂŞme et revisitĂ© pendant tout le spectacle Ă  force d’Ă©clairages spectaculaires et variĂ©s. Ce symbole fort du pacte entre Faust et MĂ©phisto fascine tout du long, tout comme le mouvement lancinant du plateau tournant habilement utilisĂ©.

  

 

 

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On ne se lasse jamais en effet des tours de force visuels de Poda, virtuose de la forme, qui convoque habilement une pile dĂ©sordonnĂ©e de livres anciens pour figurer la vieillesse de Faust au dĂ©but ou un arbre dĂ©charnĂ© pour Ă©voquer la sĂ©cheresse de ses sentiments ensuite. Très sombre, le dĂ©cor minĂ©ral rappelle Ă  plusieurs reprises les scĂ©nographies des spectacles de Py, mĂŞme si Poda reste dans la stylisation chic sans chercher Ă  aller au-delĂ  du livret. Les enfers sont placĂ©s d’emblĂ©e au centre de l’action, Poda allant jusqu’Ă  sous-entendre que le choeur est dĂ©jĂ  sous la coupe de MĂ©phisto lors de la scène de beuverie au I : tous de rouges vĂŞtus, les choristes se meuvent de façon saccadĂ©e, Ă  la manière de zombies, sous le regard hilare de MĂ©phisto. On gagne en concentration sur le drame Ă  venir ce que l’on perd en parenthèse lĂ©gère et facĂ©tieuse.

Plus tard dans la soirĂ©e, Poda montrera le mĂŞme parti-pris frigide lors de l’intermède comique avec Dame Marthe, très distanciĂ©, et ce contrairement Ă  ce qu’avait imaginĂ© Georges Lavaudant Ă  Genève l’an passĂ© (voir notre compte-rendu : http://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-geneve-opera-le-3-fevrier-2018-gounod-faust-osborn-faust-plasson-lavaudant/). Le ballet de la nuit de Walpurgis est certainement l’une des plus belles rĂ©ussites de la soirĂ©e, lorsque les danseurs, au corps presque entièrement nu et peint en noir, interprètent une chorĂ©graphie sauvage et sensuelle, se mĂŞlant et se dĂ©mĂŞlant comme un seul homme. Les applaudissements nourris du public viennent logiquement rĂ©compenser un engagement sans faille et techniquement Ă  la hauteur. De quoi parachever la vision totale de Stefano Poda, auteur comme Ă  son habitude de tout le spectacle (mise en scène, scĂ©nographie, costumes, lumières…), mĂŞme si l’on regrettera sa note d’intention reproduite dans le programme de la salle, inutilement prĂ©tentieuse et absconse.

 

faust gounod opera critique opera classiquenews musique classique actus infos opera festival concerts par classiquenews thumbnail_Ensemble--Opra-Royal-de-Wallonie-Lige-3-ConvertImageLe plateau vocal rĂ©uni est un autre motif de satisfaction, il est vrai dominĂ© par un interprète de classe internationale en la personne d’Ildebrando d’Arcangelo, dĂ©jĂ  entendu ici en 2017 dans le mĂŞme rĂ´le de MĂ©phisto (celui de La Damnation de Faust de Berlioz). Emission puissante et prestance magnĂ©tique emportent l’adhĂ©sion tout du long, avec une prononciation française très correcte. Le reste de la distribution, presque entièrement belge, permet de retrouver la dĂ©licieuse Marguerite d’Anne-Catherine Gillet, meilleure dans les airs que dans les rĂ©citatifs du fait d’une diction qui privilĂ©gie l’ornement au dĂ©triment du sens. Elle doit aussi gagner en crĂ©dibilitĂ© dramatique afin de bien saisir les diffĂ©rents Ă©tats d’âme de cette hĂ©roĂŻne tragique, surtout dans la courte scène de folie en fin d’ouvrage. Quoi qu’il en soit, elle relève le dĂ©fi vocal avec aplomb, malgrĂ© ces rĂ©serves interprĂ©tatives. On pourra noter le mĂŞme dĂ©faut chez Marc Laho, trop monolithique, avec par ailleurs un timbre qui manque de chair. Il assure cependant l’essentiel avec constance, tandis que l’on se fĂ©licite des seconds rĂ´les parfaits, notamment le superlatif Wagner de Kamil Ben HsaĂŻn Lachiri.
Outre un chœur local en grande forme, on mentionnera la très belle prestation de l’Orchestre royal de Wallonie, dirigé par un Patrick Davin déchainé dans les parties verticales, tout en montrant une belle subtilité dans les passages apaisés. Un spectacle vivement applaudi en fin de représentation par l’assistance venue en nombre, que l’on conseille également chaleureusement.

  

 
 

 

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Compte-rendu, opéra. Liège, Opéra de Liège, le 25 janvier 2019. Gounod : Faust. Marc Laho (Faust), Anne-Catherine Gillet (Marguerite), Ildebrando d’Arcangelo (Méphistophélès), Na’ama Goldman (Siébel), Lionel Lhote (Valentin), Angélique Noldus (Marthe), Kamil Ben Hsaïn Lachiri (Wagner). Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Patrick Davin, direction musicale / mise en scène, Stefano Poda. A l’affiche de l’Opéra de Liège jusqu’au 2 février 2019, puis au Palais des Beaux-Arts de Charleroi le 8 février 2019. Illustrations © Opéra royal de Wallonie 2019

  

 

 
  

 

 

BERLIOZ 2019 : actualitĂ©s et infos des Ă©vĂ©nements BERLIOZ en 2019 (cd, spectacles…)

berlioz-ODYSSEY-box-set-10-CD-critique-cd-review-cd-CLIC-de-CLASSIQUENEWS-2019-dossier-BERLIOZ-150-ans-classiquenewsBERLIOZ 2019 : coffrets cd, spectacles…L’annĂ©e BERLIOZ 2019, – cĂ©lĂ©brant le 150è anniversaire de la mort du grand Hector (dĂ©cĂ©dĂ© en mars 1869 Ă  66 ans), le plus « classique » des Romantiques français, plusieurs Ă©diteurs annoncent leurs coffrets discographiques qui sont dĂ©jĂ  des Ă©vĂ©nements en soit, grâce entre autres Ă  la qualitĂ© de l’édition et au contenu, souvent des enregistrements de grande valeur. Le premier Ă©diteur sur les rangs est le LSO LONDON SYMPHONY ORCHESTRA, pilotĂ© par Sir Colin Davis, premier berliozien en Europe, et qui laisse plusieurs pages symphoniques inoubliables, comme des lectures de Faust, RomĂ©o et Juliette ou BĂ©atrice de première qualitĂ© (mĂŞme si les chanteurs ne sont pas français,… mais subtilement francophiles). Le coffret LSO est paru dès ce mois de novembre 2018 : LIRE ici notre critique et prĂ©sentation de cette somme incontournable (coffret LSO ” BERLIOZ Odyssey “).

CD coffret FANTASTIQUE BERLIOZ WARNER coffret Berlioz 2019 critique presentation cd par classiquenewsWarner classics annonce aussi un remarquable cycle, proposant l’intégrale des œuvres de Berlioz : là encore des versions de référence s’agissant des chefs, des orchestres, des chanteurs (entre autres, fleurons réédités du coffret : la Fantastique et Lélio par Jean Martinon (et Nicolai Gedda), Harold en Italie par Bernstein, Roméo et Juliette par Muti et Jessye Norman ; Les Nuits d’été par Janet Baker et Sir J Barbirolli ; La Damnation par Nagano (Moser, Graham, van Dam), Béatrice par John Nelson (Kunde, Ciofi, DiDonato…) ; le même chef pour Les Troyens (Spyre, DiDonato,…), sans omettre toutes les cantates pour le prix de Rome et les mélodies (dont la Mort d’Ophéie par Sabine Devielhe, comme des pièces pour orgue… inédites, et bien sûr La Messe solennelle découverte et enregistrée par Gardiner, et les fragments de La nonne sanglante (1841/1847), là encore un joyau inconnu enfin révélé… Parution en janvier 2019 (Coffret de 27 cd). Le must de l’année 2019 en France. A suivre : prochaine critique complète du coffret BERLIOZ 2019 ( « FANTASTIQUE BERLIOZ ! » ) chez Warner dans le mag cd dvd livres de classiquenews

AGENDA

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Côté productions berliozienne pour les 150 ans, ne tardez pas pour réservez les spectacles suivants :

Paris, Opéra Bastille
Les Troyens, 28 janv – 12 fev 2019. Nouvelle production

Heureusement à notre avis, l’Opéra Bastille choisit deux excellentes donc prometteuses interprètes : Stéphanie d’Oustrac en Cassandre ; Ekaterina Semenchuk en Didon. Chacune a son aimé, Chorèbe, mâle martial habité par la grâce et la tendresse (Stéphane Degout) ; Didon aime sans retour Enée (Bryan Hymel).
Cette nouvelle mise en scène attendue certes, devrait décevoir à cause du metteur en scène choisi Dmitri Tcherniakov dont l’imaginaire souvent torturé et très confus devrait obscurcir la lisibilité du drame, cherchant souvent une grille complexe, là où la psychologie et les situations sont assez claires. Son Don Giovanni dont il faisait un thriller familial assez déroutant ; sa Carmen plus récente, qui connaissait une fin réécrite… ont quand même déconcerté. De sorte que l’on voit davantage les ficelles (grosses) de la mise en scène, plutôt que l’on écoute la beauté de la musique. Le contresens est envisageable. A suivre…

http://www.classiquenews.com/paris-berlioz-2019-nouveaux-troyens-a-bastille/

APPROFONDIR

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LIRE aussi notre grand dossier BERLIOZ 2019 : ses voyages, ses épouses et muses, le romantisme de Berlioz, l’orchestre et les instruments de Berlioz…

Dossier spécial HECTOR BERLIOZ 2019

Compte rendu, opĂ©ra. Pourrières, le 26 juillet 2016 : Faust et Marguerite, Barbier, Terrasse, Offenbach…

Compte rendu, opĂ©ra. Pourrières, le 26 juillet 2016 : Faust et Marguerite, Barbier, Terrasse, Offenbach… DIABLERIES A POURRIERES. En changeant ou variant les lieux, mais en gardant la mĂŞme Ă©quipe, du petit cloĂ®tre du couvent des Minimes Ă  la Place du Château de Pourrières ou au Château de Roquefeuille, l’OpĂ©ra au Village n’a ni perdu son âme ni sa qualitĂ©. Ă‚me de personnes de qualitĂ© qui ont su animer musicalement un village, fĂ©dĂ©rer des dizaines de bĂ©nĂ©voles depuis plus de dix ans pour faire un rendez-vous obligĂ© de cet endroit, dĂ©sormais dissĂ©minĂ© en trois lieux, la chapelle douillette pour les concerts d’automne et d’hiver et, pour les spectacles d’Ă©tĂ©, la Place, admirable mirador du Château, dominant Ă  perte de vue une plaine viticole avec quelques mas arrimĂ©s Ă  un cyprès comme des barques dans la houle des sillons, entre le Montagne Sainte Victoire Ă  l’ouest, la chaĂ®ne de l’Étoile au sud et, Ă  l’est, les monts AurĂ©liens qui, sans l’Ă©craser, arrĂŞtent le regard et le chemin de la troisième scène, le beau domaine du Château de Roquefeuille.

 

 

 

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Lieux patrimoniaux et patrimoine
Des lieux patrimoniaux pour des spectacles modestes en moyens mais gĂ©nĂ©reux en rĂ©ussite et ardents au travail assidu d’exhumer et rendre vie Ă  des Ĺ“uvres d’un patrimoine ni pompeux, ni pompier et surtout pas pompant, mais « peuple » : des opĂ©rettes, coquette et tout aussi modeste appellation de ces courtes saynètes musicales qui ont fait rire nos arrière grands-parents et nous font, aujourd’hui, sourire par des livrets certes surannĂ©s, mais qui, mine de rien, sont imbus de culture, baignent dans une Ă©rudition musicale alors populaire. En effet, fonder des effets spectaculaires et musicaux sur le pastiche, la caricature Ă  force de citations scĂ©niques ou lyriques d’un original, ici le Faust de Gounod, suppose au moins un fonds culturel commun entre le bourgeois pouvant se permettre le luxe de l’opĂ©ra et le peuple se contentant au mieux du « paradis », le poulailler, ou de la vulgarisation populaire des parodies des vaudevilles oĂą, finalement, toutes les classes pouvaient se retrouver Ă  moindres frais. Une Ă©poque, entre Second Empire, malgrĂ© tout dĂ©jĂ  attentif au peuple, et une Troisième RĂ©publique dont la grandeur fut de veiller Ă  l’Ă©ducation populaire, qui nous adresse un miroir et ses reflets oĂą s’abĂ®me aujourd’hui la rĂ©flexion sur la perte du patrimoine national d’une culture, pour modeste qu’elle paraisse, identitĂ© d’un peuple.
Il me semble donc, sans emphase, nĂ©cessaire de souligner encore que, grâce Ă  la modeste gentillesse de tous ces bĂ©nĂ©voles et le travail acharnĂ© de l’Ă©quipe artistique, ce qui se passe Ă  Pourrières l’air de rien, sans prĂ©tention, est une restauration d’un humble pan de culture perdue.
Avec douze ans de recul, on peut juger, comparĂ©s aux moyens en rien grandioses, les grand rĂ©sultats, le bilan impressionnant de ce festival : quatorze Ĺ“uvres lyriques, quarante-cinq spectacles, soixante solistes (des jeunes) engagĂ©s pour deux-cent-cinquante-huit chanteurs auditionnĂ©s soigneusement, plus trente-six choristes, trente-sept musiciens, trente cinq concerts. L’action pĂ©dagogique a pu accueillir quatre-cent-quatre-vingt scolaires. Sans oublier mille repas servis aux spectateurs dĂ©sireux de partager ce sympathique moment avant le spectacle, c’est-Ă -dire près d’un sur dix. Car ce festival, on me pardonnera la redite, allie joyeusement la gastronomie, l’art de la bouche, et l’art de chanter : il mĂ©rite le nom d’opĂ©ra bouffe, Ă  tous les sens plaisants des termes, lyrique et culinaire, qu’on arrose des gĂ©nĂ©reux vins du cru gĂ©nĂ©reusement offerts par des vignerons locaux. D’autant que la solide Ă©quipe artistique qui le prĂ©side, Bernard Grimonet pour la scène, Luc Coadou pour la direction musicale, tout aussi bĂ©nĂ©voles, ont donnĂ© Ă  ce festival l’identitĂ© de brèves saynètes comiques, bouffesdonc. Avec la complicitĂ© d’Isabelle Terjan qui dirige du piano le petit effectif musical, clarinette, violoncelle, accordĂ©on, ils en assurent Ă©galement les arrangements musicaux dont les partitions sont absentes.

DIABLERIES AU PROGRAMME
Cette annĂ©e, l’OpĂ©ra au Village se donnait, s’adonnait joyeusement au diable, avec deux opĂ©rettes inspirĂ©es du cĂ©lèbre opĂ©ra de Charles Gounod, lui-mĂŞme inspirĂ© du fameux Faust de Goethe, dont le facteur commun, un lever de rideau, un Prologue, Ă©tait un extrait de Faust et Marguerite (1868) de FrĂ©dĂ©ric Barbier (1829-1889),prolifique compositeur d’opĂ©rettes bouffes en un acte,sur un texte cocasse de Bernard Grimonet, d’après le livret deBumaine et Blondelet. Deux chanteurs devant incarner Faust et Marguerite dans l’opĂ©ra de Gounod, Ă  force de tergiverser, de cabotiner, ratent non seulement la rĂ©pĂ©tition mais leur entrĂ©e en scène, et camouflet Ă  leur vanitĂ© de cabots, sans grand dommage apparemment pour le spectacle puisqu’on apprend que le metteur en scène moderne (clin d’Ĺ“il de Grimonet), plus que minimaliste, a pu se passer des hĂ©ros Ă  la grande satisfaction du public. On goĂ»te « J’ai cassĂ© ma bretelle… » qui Ă©voque irrĂ©sistiblement «Votre habit a craquĂ© dans le dos… » de l’antĂ©rieure Vie parisienne d’Offenbach (1866) et l’air du maquillage et ses coquettes et cocottantes notes joyeuses des joyaux faustiens. La soprano Claire Baudouin et le tĂ©nor Olivier Hernandez, belles et claires voix, bons acteurs, s’Ă©chauffent ici agrĂ©ablement pour les deux pièces qui suivent, leurs diverses incarnations de Marguerite et Faust et ils ne rateront pas leur entrĂ©e, ces deux fois !

Faust en ménage
OpĂ©rette bouffe posthume (1924)de Claude Terrasse (1867-1923), connu pour sa musique de scène d’Ubu Roi d’Alfred Jarry (1896), considĂ©rĂ© comme un hĂ©riter d’Offenbach. C’est une claire et hilarante suite Ă  Faust de Gounod. Sinon vingt ans, c’est quinze ans après que l’on retrouve nos hĂ©ros, mais bien fatiguĂ©s sauf la fringante Marguerite, la beautĂ© du diable, fatiguĂ©e justement de la fatigue de son Faust d’Ă©poux que la complaisance du mĂ©phitique MĂ©phisto a sauvĂ© de l’enfer, se condamnant lui-mĂŞme Ă  l’ire de Satan sauf Ă  se racheter par l’âme de Marguerite poussĂ©e Ă  l’adultère dans les bras d’un Siebel dĂ©sormais homme et soldat.
En couple amoureux usĂ© inĂ©galement par le mĂ©nage et le temps, nous retrouvons les excellents Claire Baudouin et Olivier Hernandez auxquels se joignent le puissant baryton Thibault Desplantes en MĂ©phisto dĂ©crĂ©pitet le contre-tĂ©nor RaphaĂ«l Pongy, dont la voix est judicieusement et plaisamment choisie ici sans doute pour incarner, par sa force, l’homme, et par son ambiguĂŻtĂ© sexuelle, le travesti du Siebel original. Une accorte et acariâtre comĂ©dienne, BĂ©atrice Giovannetti, campe avec drĂ´lerie une Dame Marthe servante du couple, Ă  l’accent allemand Ă  couper au couteau, bien capable d’attraper le pauvre diable par la queue.
Plus que le texte, le comique de qualitĂ© vient des citations musicales, exactes ou dĂ©tournĂ©es, variĂ©es, suggĂ©rĂ©es, de l’opĂ©ra de Gounod, la ballade du roi de ThulĂ©, air des fleurs, le duo, «  le Veau d’or… », « Anges purs… » etc, pĂ©tillantes de verve et d’intelligence musicale dans leur enchaĂ®nement. L’air de Marguerite est des plus jolis et celui « Le sucre est hors de prix », digne du loufoque Offenbach. Les beaux costumes d’Ă©poque (Mireille, Anne-Marie, Michelle, Nouch) contrastent avec la cape et bonnet pointus fatalement rouges de MĂ©phisto, hĂ©bĂ©tĂ©, titubant malgrĂ© sa canne, rĂ©duit ici, dĂ©possĂ©dĂ© de ses pouvoirs, au rĂ´le de « Diable honoraire d’opĂ©rette », ratant par excès de plus ou de moins un rajeunissement de la dernière chance de Faust, retombĂ© en enfance ou dans un gâtisme prĂ©coce, inutile aux vĹ“ux charnels d’une rouĂ©e Marguerite qui ne file plus doux le sien, finalement comblĂ©e par le fuseau du frais et fringant Siebel.

Les trois baisers du diable
Sur un texte de ses habituels comparses Henri Meilhac et Ludovic HalĂ©vy, les duettistes librettistes futurs auteurs du livret de Carmen , Offenbach, en 1858, met en musique Les trois baisers du diable, une Ĺ“uvre un peu inhabituelle dans sa prodigieuse production. Au lieu de la bouffonnerie boursouflant la bourgeoisie que Ă  laquelle nous a habituĂ©s « le petit Mozart des Champs-ÉlysĂ©es », cette Ĺ“uvre, une plutĂ´t insolite scène paysanne avec musique de musette pastorale souvent, bascule et baigne dans une fĂ©erie dont Offenbach, qui rĂŞvait de sortir de son rĂ´le d’amuseur permanent dans ses opĂ©rettes, nimbera son grand opĂ©ra, Les Contes d’Hoffmann, qu’il ne verra malheureusement pas sur scène puisqu’il meurt l’annĂ©e prĂ©cĂ©dant la crĂ©ation de 1881.
La vocalitĂ©, hors quelques procĂ©dĂ©s qui sont la marque du maĂ®tre ès dĂ©composition des mots, affiche ici une autre ambition : airs brillants, air Ă  boire, ensembles, longue scène concertante et, dans ce registre visant le « grand opĂ©ra », tous les chanteurs citĂ©s dans l’opĂ©rette prĂ©cĂ©dente (un enfant, muet, complète la distribution) sont Ă  fĂ©liciter de leur grande maĂ®trise technique et musicale pour un rĂ©sultat de toute beauté : on les sent heureux de donner leur mesure. L’instrumentation passionnĂ©ment et ludiquement forgĂ©e en commun par les musiciens est encore remarquable, l’on ne peut que le dire en passant, sans les Ă©puiser, au fil d’une plume Ă©puisĂ©e Ă  tenter d’en capter les trop rapides trouvailles musicales humoristiques en tachant de n’en pas perdre l’Ă©coute : frissons, ronflements diaboliques, grincements d’archet du violoncelle, ricanements de l’accordĂ©on, cris perçants de la clarinette, piano scandant ou ponctuant l’angoisse Ă  petit pas du Diable : ils se sont fait plaisir et nous le communiquent. Avec sa prĂ©cision habituelle, mais aussi sa libertĂ©, Luc Coadou dirige ce petit monde, plateau et ensemble, avec alacritĂ©, un sensible bonheur qu’il nous fait partager.
Dans un simple dĂ©cor pratiquement semblable et prestement modulable, loge de théâtre, intĂ©rieur d’appartement bourgeois ou paysan (sans autre prĂ©cision onomastique comme les costumières, dans une amicale dĂ©nomination,GĂ©rard, Jacky, Dominique, Alain, Jean-Pierre, Michel), Bernard Grimonet joue avec aisance d’une grande palette scĂ©nique Ă  laquelle ces jeunes chanteurs se plient avec souplesse : gestes typĂ©s, stĂ©rĂ©otypĂ©s, outrĂ©s des cabotins dans une plaisante gestuelle d’autrefois entre convention de théâtre et de cinĂ©ma muet, fluiditĂ© et accĂ©lĂ©rations ou ralentissement des dĂ©placements ; les personnages sont savoureusement campĂ©s, croquĂ©s. Mais, diablerie ? on avoue n’avoir pas saisi comment ce diable d’homme, sans moyens techniques extraordinaires, rĂ©ussit les scènes fĂ©eriques, des myriades, des constellations d’Ă©toiles que l’on garde aux yeux avec l’Ă©merveillement de l’enfance, sans rĂ©elle volontĂ© rĂ©aliste d’en percer le mystère, tout au plaisir bienheureux de s’abandonner Ă  cette nuit des Ă©toiles en avance.
Encore une rĂ©ussite sans tambour ni trompette de ce festival aux confins des Bouches-du-RhĂ´ne et du Var, qui n’est pas au Diable Vauvert.

L’OpĂ©ra au Village, Pourrières,
Faust et Marguerite de Frédéric Barbier (adaptation B. Grimonet)
Faust en ménage de Claude Terrasse,
Les trois baisers du diable de Jacques Offenbach.
Pourrières, le 26 juillet 2016. A l’affiche les 23, 24, 26 et 27 juillet 2016.
Direction musicale : Luc Coadou,
Mise en scène : Bernard Grimonet.
Avec :
Claire Beaudouin, soprano ; Thibault Desplantes, baryton ; Olivier Hernández, tĂ©nor ; RaphaĂ«l Pongy, contre-tĂ©nor ; BĂ©atrice Giovannetti, comĂ©dienne, Annabelle (l’enfant).

Isabelle Terjan (piano), Claude Crousier (clarinette), Angélique Garcia (accordéon) et Virginie Bertazzon (violoncelle).
Décors : Gérard, Jacky, Dominique, Alain, Jean-Pierre, Michel.
Costumes : Mireille, Anne-Marie, Michelle, Nouch. Régie : Sylvie Maestro et MDE Sound Live. Photos : © JL.Thibault

Compte-rendu Opéra. Toulouse, Capitole, le 22 juin 2016 ; Charles Gounod (1818-1893) : Faust ; Nicolas Joël, mise en scène ; Anita Harding, Marguerite ; Orchestre National du Capitole ; Claus Peter Flor, direction musicale.

Compte-rendu Opéra. Toulouse, Capitole, le 22 juin 2016 ; Charles Gounod (1818-1893) : Faust ; Nicolas Joël, mise en scène ; Anita Harding, Marguerite ; Orchestre National du Capitole ; Claus Peter Flor, direction musicale. Et si nos amis allemands avaient complètement raison qui couramment débaptisent « Faust » pour le renommer « Margarete » ? D’ailleurs la pièce de laquelle est adapté le livret, est signée Carré et son titre est « Faust et Marguerite ». Car des deux Faust de Goethe, il faut bien dire que l’opéra de Gounod ne conserve que l’épisode de Marguerite. Et dans la salle bien des jeunes spectateurs se demandaient combien une romance si marquée par le modèle petit bourgeois des relations d’amour pouvaient avoir encore tant de séductions. Car cet opéra si marqué par son époque reste au top 3 des opéras représentés au monde avec Carmen et Traviata. La séduction de la partition de Gounod tiendrait donc tout l’ouvrage, et plus personne ne serait sensible à la force de la jeunesse éternelle, à l’enthousiasme des premiers transports dans la naissance de l’amour et aucun homme ne vibrerait à la pureté d’une belle vierge ?

 

 

 

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Belle reprise consensuelle de Faust Ă  Toulouse

 

 

Quoi qu’il en soit, dépassant toutes ces questions, un beau succès a été accordé à cette production de Nicolas Joël crée in loco en 2009. Mise en scène, décors, costumes et lumières font un tout harmonieux respectant les didascalies et ne cherchant pas à moderniser artificiellement, et trop souvent avec laideur, un propos qui n’en a pas besoin. Stéphane Roche fidèle à Nicolas Joël laisse les chanteurs libres et face au public pour leurs moments engagés. Peu de gestes mais qui prennent souvent sens. Méphisto trouve en Alex Esposito un diable vif-argent, maitre loyal organisant toute l’histoire et faisant voler les difficultés d’un coup d’éventail. Véritable acteur-chanteur, il donne énergie et vitalité à la scène qu’il occupe avec panache. Vocalement le charme opère avec un timbre clair mais sonore sur tout l’ambitus. La diction nonobstant un léger accent est compréhensible. Il arrive à rendre perceptible ce léger décalage du personnage grâce à l’humour. Le Faust de Teodor Ilincai a le mérite de tenir la gigantesque partition de bout en bout, ce qui n’est pas rien ! La voix est un peu trop monocorde et manque à notre goût de couleurs comme de nuances, signalant peut être un rôle un peu trop large pour son organe. Mais l’agrément du timbre fonctionne et il est un partenaire convainquant tant avec Méphisto que Margueritte. Son jeu est par contre apathique. C’est donc la magnifique Margueritte d’Anita Hartig qui gagne tous les cœurs. Le jeux est subtil et expressif, la jeune fille idéaliste, pure et naïve, la Gretchen intemporelle, deviendra amoureuse, femme puis mère, pêcheresse rejetée, meurtrière désespérée, enfin folle de douleur avant de devenir consciente du désastre de sa vie réelle. L’évolution du personnage est particulièrement touchante et la scène finale avec le trio de la transfiguration est absolument magnifique. Vocalement cette soprano lyrique a toutes les qualités souhaitées. Un timbre riche et beau, des couleurs variées, des expressions d’une délicieuse musicalité. Le brillant du début, les vocalises perlées, laissent place au lyrisme avec un legato de rêve dans la si belle scène d’amour. La douleur colore plus sombrement la voix dans la scène du rouet, la vaillance vocale dans la scène de l’église est admirable. Mais c’est l’engagement vocal total et scénique qui subjugue dans le trio final. Son « Anges purs anges radieux » est victorieux dans une pâte sonore enivrante de beauté ! Le Valentin de John Chest est très touchant. Ce rôle, si convenu dans sa représentation de la pudibonderie, est chanté avec tant de cœur et d’une voix si sensible et belle que le personnage en devient presque attachant. Ce jeune chanteur a de belles qualités d’interprète sensible. La dame Marthe de Constance Heller est élégante et pleine d’humour, la voix claire et jeune lui donne du panache loin des matrones habituelles. Elle sait tenir sa présence dans les ensembles et sa scène de séduction avec Méphisto est un régal…Le Siebel de Maité Beaumont est hors de propos, pour donner de la vitalité a cet adolescent elle a tendance a aboyer plus que chanter. Le Wagner de Rafał Pawnuk est vocalement bien discret face aux premiers rôles. L’orchestre si particulier de Gounod est défendu ce soir par un chef que nous avons admiré in loco dans Mozart et Strauss : Claus Peter Flor. Il se saisit de la partition avec beaucoup de respect, développe la richesse harmonique, vivifie les rythmes et assume les moments pompiers, tout en développant une sonorité chambriste bien venue dans les moments tendres. Il tient les chœurs fermement et soutient les chanteurs. La plus belle réussite est avec sa Marguerite au sommet de l’émotion dans la scène du rouet. Le soin apporté aux nuances et aux couleurs sombres dans les préludes rend hommage aux qualités expressives de l’orchestration de Gounod. Les choeurs admirablement préparés par Alfonso Caiani sont magnifiques de présence vocale et de précision avec une belle allure scénique.

La voix est à la fête dans cette production, le public ravi a fait un triomphe à cette belle équipe. La fin de saison capitoline est bien heureuse !

Compte-rendu Opéra. Toulouse, Capitole, le 22 juin 2016 ; Charles Gounod (1818-1893) : Faust, opéra en cinq actes sur un livret de Jules Barbier et Michel Carré créé le 19 mars 1859 au Théâtre-Lyrique, Paris ; Production du Théâtre du Capitole (2009) ; Nicolas Joel, mise en scène ; Stéphane Roche, collaborateur artistique à la mise en scène ; Ezio Frigerio, décors ; Franca Squarciapino, costumes ;Vinicio Cheli, lumières ; Avec : Teodor Ilincai, Faust ; Anita Hartig, Marguerite : Alex Esposito, Méphistophélès ; Maite Beaumont, Siébel ; John Chest,Valentin ; Constance Heller, Marthe ; Rafał Pawnuk, Wagner ; Chœur du Capitole : Alfonso Caiani Direction ; Orchestre National du Capitole ; Claus Peter Flor, direction musicale. Illustration : P. Nin

Poitiers. Théâtre, le 11 fĂ©vrier 2016. Andrea Liberovici (nĂ© en 1962) : Faust’s box (crĂ©ation). Helga Davis,Andrea Liberovici.Ars Nova Ensemble. Philippe Nahon

Faust en crĂ©ation Ă  PoitiersDe tous les mythes existants, celui de Faust est celui qui rĂ©ussit l’exploit de concentrer le plus grand nombre d’oeuvres littĂ©raires, cinĂ©matographiques ou musicales depuis son apparition. Parmi les plus cĂ©lèbres, figurent le Faust de Johann Wolfgang Von Goethe (1749-1832), celui de Charles Gounod (1818-1893) ou celui de RenĂ© Clair (1898-1981). Dans cet univers de chefs d’oeuvres, le dernier opus du compositeur italien Andrea Liberovici (nĂ© en 1962) ne fait que confirmer le succès jamais dĂ©menti du mythe de Faust. Faust’s box est la dernière commande d’Ars Nova Ensemble et de son directeur musical Philippe Nahon. A l’occasion de la crĂ©ation mondiale de Faust’s Box, c’est Helga Davis, actrice et chanteuse Ă  la voix assez jazzy, qui a Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  chanter et Ă  dĂ©clamer l’oeuvre prĂ©sentĂ©e en crĂ©ation Ă  Poitiers, une partition particulièrement exigeante de Liberovici.

Création saluée unanimement, le mythe de Faust réinventé par Andrea Liberovici

Faust’s box au TAP de Poitiers

Comme nombre de compositeurs contemporains, Liberovici utilise une bande son sur laquelle est enregistrĂ©e la voix de Robert Wilson, le «narrateur de l’ombre», mĂŞlĂ©e Ă  des sons captĂ©s dans la ville et dans la nature. Quant Ă  l’orchestre, outre les cordes et les timbales, paraissent des «instruments» surprenants que Liberovici est allĂ© chercher dans la vie quotidienne : marteaux, cravaches, roues Ă  eau par exemple. Faust damnĂ© après son pacte avec MephistophĂ©lès, arrivĂ© en enfer, s’Ă©chappe comme il peut pour tenter de rendre sa situation vivable, Ă  dĂ©faut d’ĂŞtre acceptable. L’actrice et chanteuse Helga Davis s’intègre dans le spectacle avec talent ; d’une voix chaleureuse, l’artiste alterne texte chantĂ© et parlĂ© et fait transparaĂ®tre avec talent le dĂ©sespoir de Faust enfermĂ© dans sa boite infernale. Le miroir installĂ© au fond de la boĂ®te oĂą se trouve Faust, oblige le malheureux damnĂ© Ă  affronter son passĂ© et les raisons qui l’ont poussĂ© Ă  accepter de passer un pacte avec le diable.
Philippe Nahon dirige Ars Nova avec souplesse et rigueur ; la battue est claire, nette, prĂ©cise ; d’ailleurs la musique de Liberovici ne permet pas vraiment d’improviser. Musicalement et textuellement, Liberovici alterne avec talent, espoir, dĂ©sespoir, tentative d’Ă©vasion, rĂ©signation. C’est la complicitĂ© entre Nahon et ses musiciens qui forme le socle du succès de la soirĂ©e, alliĂ©e Ă  une artiste exceptionnelle, Helga Davis, et Ă  un compositeur talentueux, Andrea Liberovici ; le collectif s’est appropriĂ© le mythe de Faust en une Ĺ“uvre absolument personnelle qui ne copie ni ne s’inspire de personne.

N’oublions pas qu’Ars Nova rĂ©alise une crĂ©ation Ă  peu près chaque annĂ©e. Après « A l’agitĂ© du bocal » de Bernard Cavanna en 2013 et ” Courte longue vie au grand petit roi » d’Alexandros MarkĂ©as, en 2014, Faust’s box » d’AndrĂ©a Liberovici qui voit le jour en ce mois de fĂ©vrier 2016, s’impose Ă  nous avec force et poĂ©sie. Le public venu nombreux rĂ©serve un accueil triomphal Ă  chacun, et Liberovici, prĂ©sent, car il assurait lui mĂŞme la mise en espace, reçoit largement sa part des «bravos» qui fusent ici et lĂ . Souhaitons longue vie Ă  ce «Faust’s box» dont la crĂ©ation a reçu comme rarement, un accueil spontanĂ© et plutĂ´t très chaleureux du public venu pour sa crĂ©ation. Preuve qu’il y a bien une audience pour la musique contemporaine, et que le TAP Ă  Poitiers a su parfaitement le fidĂ©liser.

Poitiers. Théâtre, le 11 fĂ©vrier 2016. Andrea Liberovici (nĂ© en 1962) : Faust’s box. Helga Davis, voix, Robert Wilson, narrateur de l’ombre, Andrea Liberovici, musique, texte, mise en scène, Ars Nova Ensemble. Philippe Nahon, direction.

Faust’s Box au TAP de Poitiers

TAP-visuel-660-2016-poitiers-tap1Poitiers, TAP. Le 11 fĂ©vrier 2016, 20h30. Faust in the box / Faust’s Box, crĂ©ation. Nouvel objet sonore en crĂ©ation Ă  Poitiers avec cette production inclassable dans sa forme musicale mais si riche en sens et questionnement que son thème suscite : Faust (dans une boĂ®te) interroge la destinĂ©e humaine, le sens d’une vie terrestre. DĂ©sirs comblĂ©s au delĂ  de ses espĂ©rances, le docteur Faust n’espère ni n’aspire Ă  rien. Peut-il encore vivre ? En a t il encore la volontĂ© et le vouloir ? A trop s’ĂŞtre perdu, peut-il se (re)trouver ? C’est tout l’enjeu de la nouvelle production qui met en scène les multiples interrogations de Faust dans sa boĂ®te.

Création au TAP de Poitiers

Faust’s Box / Faust in the box

Andrea Liberovici / Ars Nova ensemble instrumental

Faust en création à Poitiers

 

Faust est seul, enfermĂ© dans une boĂ®te. Il vient d’être damnĂ© et il est en fuite. Non plus vers un monde extĂ©rieur mais en lui-mĂŞme. Il ne cherche plus rien sinon retrouver sa voix. S’ouvre alors un dialogue entre lui et son ombre. La chanteuse Helga Davis, remarquĂ©e dans la recrĂ©ation de Einstein on the Beach de Philip Glass et Robert Wilson, campe un Faust ni homme ni femme. Un ĂŞtre qui pense et dit Ă  la fois l’horreur et le miracle de la condition humaine. Narrateur, chanteuse et musiciens interprètent une partition Ă  la croisĂ©e des esthĂ©tiques, dĂ©multipliant les espaces grâce Ă  l’électronique et ouvrant la voie Ă  de multiples illusions sonores. Andrea Liberovici signe une Ĺ“uvre très originale pour voix, corps, instruments, ombres en mouvement, et crĂ©e un seul et mĂŞme langage, nouveau et profondĂ©ment expressif.

liberovici-andrea-faust-creation-opera-poitiers-presentation-annonce-CLASSIQUENEWS-fevrier-2016FACE AU MIROIRAndrea Liberovici qui a conçu la musique, le texte et la mise en scène du spectacle imagine Faust dans un ultime face Ă  face : lui-mĂŞme et son ombre. C’est face au miroir, le bilan d’une existence en quĂŞte de sens. Le hĂ©ros (la chanteuse Helga Davis) interroge l’enjeu et le but d’une vie terrestre Ă  travers sa propre quĂŞte. C’est un voyage intĂ©rieur et intime qui Ă  travers l’Ă©vocation de son enfance, de l’amour, du pouvoir, de l’argent, rĂ©capitule enjeux et dĂ©sirs, finalitĂ© et moralitĂ© de toute une vie, entre passion, dĂ©sir, ambition. Face au miroir de son âme, que va dĂ©couvrir Faust de lui-mĂŞme ? Le spectacle d’Andrea Liberovici souligne la vacuitĂ© des existences solitaires et dĂ©sespĂ©rĂ©es oĂą le lien humain, la conscience Ă  la Nature font dĂ©faut. La force du spectacle tient Ă  la figure centrale de la chanteuse-Faust, ni homme ni femme ; au concours d’une voix off (celle de Robert Wilson, prĂ©enregistrĂ©e, sorte de “ghost-writer” ou narrateur de l’ombre dont la voix structurante mordante et juste par la pertinence des propos, organise l’action et lui apporte sa continuitĂ© dramaturgique). Avec l’apport de l’Ă©lectronique, la rĂ©alisation visuelle produit de superbes illusions sonores. Les 7 instrumentistes se fondent dans une rĂ©flexion vivante d’une tension irrĂ©sistible. Car le théâtre de Liberovici nous parle Ă  travers Faust du chemin qui s’offre Ă  chacun de nous. Faust, c’est nous.

Le spectacle est repris à Paris, Philharmonie, le 17 septembre 2016 ; puis du 29 nomvebre au 4 décembre 2016, au Teatro Stabile de Gènes (Italie)

 

 

boutonreservationPoitiers, TAP. Le 11 fĂ©vrier 2016, 20h30. Faust in the box / Faust’s Box, crĂ©ation
Placement libre / Création
Andrea Liberovici, musique, texte et mise en scène
Helga Davis, chant
Philippe Nahon, direction
Ars Nova ensemble instrumental (7 musiciens)
Robert Wilson, narrateur de l’ombre
Controluce – Teatro d’ombre, ombres en vidĂ©o

Autour de Faust au TAP de Poitiers

Dialogue des plateaux : Faust, une légende allemande de Murnau, dim 14 fév 11h

Pourquoi les chefs d’orchestre mènent-ils tout le monde à la baguette ? avec François Martel, jeu 11 fév 18h30

Une question existentielle à laquelle tentera de répondre par trois fois au cours de la saison un comédien ou metteur en scène avec la complicité d’un musicien ou chef d’orchestre. Ce duo s’interrogera sur une oeuvre du répertoire, un air connu ou un compositeur célèbre, il nous ouvrira avec humour et espièglerie les portes de la musique classique et contemporaine. Des « non-conférences », élaborées avec nos trois orchestres associés, à déguster au bar de l’auditorium.
jeudi 11 février 18h30
La réponse de François Martel, comédien, avec la complicité d’Alain Tresallet, altiste d’Ars Nova ensemble instrumental.
En lien avec Faust in the box

 

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Jonas Kaufmann chante Faust sur France Musique

Jonas Kaufmann est RadamèsFrance Musique. Samedi 2 janvier 2016, 19h. Berlioz : Damnation de Faust avec Jonas Kaufmann. C’Ă©tait LA production Ă  Bastille Ă  ne pas manquer en dĂ©cembre 2015, pourvu que vous ayez sĂ©lectionnĂ© la bonne date avec le tĂ©nor illustrissime et Ă©poustouflant, Jonas Kaufmann qui affrontait un nouveau dĂ©fi dans carrière (après Werther, Lohengrin et bientĂ´t Otello), ici sur les planches parisiennes, le rĂ´le du docteur Faust, vieux philosophe, aigri et dĂ©sillusionnĂ©, qui au bord du suicide est envoĂ»tĂ© par le diabolique MĂ©phistophĂ©lès : contre son âme, le manipulateur lui offre l’Ă©ternelle jeunesse et la satisfaction de tous ses dĂ©sirs… Pour lire le compte rendu critique de Clasiquenews (soirĂ©e du 13 dĂ©cembre 2015, cliquer ici : compte rendu critique du Faust de Berlioz par Jonas Kaufmann et Philippe Jordan)
France Musique nous rĂ©gale en diffusant samedi 2 janvier 2016 Ă  19h, de Faust mĂ©morable non pas tant par la mise en scène, dĂ©calĂ©e, laide, hors sujet, parfois parasitant la lisibilitĂ© de l’action, mais convaincante grâce Ă  la distribution, surtout masculine : Jonas Kaufmann donc et aussi Bryn Terfel dans le rĂ´le du dĂ©mon tentateur… sous la direction toujours très fine, intĂ©rieure, allusive du directeur musical de l’OpĂ©ra parisien, Philippe Jordan.
LIRE notre prĂ©sentation de l’opĂ©ra Faust de Berlioz : genèse, enjeux, perspectives…

 

Distribution

Direction musicale: Philippe Jordan
Marguerite: Sophie Koch
Faust: Jonas Kaufmann (5 > 20 déc.)
Méphistophélès: Bryn Terfel
Brander: Edwin Crossley-Mercer
Voix céleste: Sophie Claisse

ChĹ“ur de l’OpĂ©ra de Paris
Chef des Choeurs : José Luis Basso
Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris

 

Synopsis
Première partie. Au printemps, à l’aube, dans les plaines de Hongrie, tandis que le vieux philosophe Faust contemple seul l’éveil de la nature,  le chant des paysans célèbre les plaisirs de l’amour. Au loin retentissent bientôt les éclats d’une marche guerrière entonnée par l’armée hongroise qui se prépare au combat. Faust reste indifférent, « loin de la lutte humaine et loin des multitudes ».
Deuxième partie. Au nord de l’Allemagne, Faust dans son cabinet de travail porte une coupe de poison à ses lèvres, décidé à en finir avec une existence devenue trop douloureuse, quand retentit dans l’église voisine un cantique de Pâques qui le sauve du désespoir en lui rendant la foi de son enfance. C’est alors qu’apparaît  le cynique Méphistophélès venu lui promettre : « tout ce que peut rêver le plus ardent désir ». Il transporte Faust dans un cabaret à Leipzig au milieu d’une assemblée bruyante et vulgaire. Puis, voyant que Faust est dégoûté par tant de trivialité, il l’entraîne sur les bords de l’Elbe où il le berce d’un rêve enchanteur dans lequel apparaît l’image parfaite de l’amour, Marguerite. A son réveil, Faust veut aller retrouver la jeune fille et Méphistophélès lui suggère de se mêler à une bande de soldats, puis d’étudiants qui se dirigent vers la ville.
Troisième partie. C’est le soir. Faust, dissimulé dans la chambre de Marguerite, observe avec émerveillement la jeune fille qui tresse ses cheveux en chantant la vieille ballade du roi de Thulé. Méphistophélès, devant la maison, ordonne à son armée de feux follets d’ensorceler Marguerite. Dès le premier regard, Faust et Marguerite, se reconnaissent et se jurent une foi mutuelle. Mais Méphistophélès les interrompt brutalement pour conseiller à Faust de fuir car les voisins réveillés par les démonstrations des deux amants, ont alerté crûment la mère de la jeune fille qui va les surprendre.
Quatrième partie. Dans sa chambre, Marguerite, seule à son rouet, s’abandonne au chagrin. En dépit de sa promesse, Faust n’est pas revenu et elle l’attend, accablée par le sentiment d’avoir été oubliée. Loin d’elle, il se laisse exalter par son désir de ne faire qu’un avec la nature qui lui apparaît comme l’unique consolation face à son «  ennui sans fin ».Méphistophélès le rejoint et lui annonce la condamnation à mort de Marguerite accusée d’avoir empoisonné sa mère avec une « certaine liqueur brune » que Faust lui-même lui avait conseillé d’utiliser pour l’endormir et faciliter ainsi leurs futures rencontres nocturnes.
Pour sauver Marguerite, MĂ©phistophĂ©lès exige que Faust signe un pacte qui l’engage Ă  le servir dans l’autre monde et il l’entraĂ®ne en enfer au terme d’une terrible chevauchĂ©e, course Ă  l’abĂ®me. Marguerite est sauvĂ©e et le chĹ“ur des esprits cĂ©lestes accueille cette « âme naĂŻve que l’amour Ă©gara ». Si la jeun femme est sauvĂ©e, Faust est promis Ă  d’Ă©ternelles flammes.

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 13 décembre 2015. Hector Berlioz : La Damnation de Faust. Avec Jonas Kaufmann (Faust), Sophie Koch (Marguerite), Bryn Terfel (Méphistophélès), Edwin Crossley-Mercer (Brander), Sophie Claisse (Voix Céleste). Alvis Hermanis (mise en scène). Philippe Jordan (direction musicale).

Jonas Kaufmann est RadamèsOn le sait, La Damnation de Faust du gĂ©nial Hector Berlioz est une partition rebelle, Ă  la fois opĂ©ra de l’imagination et anti-opĂ©ra , dont la fantaisie et la concision des scènes causent bien des soucis aux metteurs en scène qui s’aventurent Ă  la traduire en images. Nouveau trublion des scènes lyriques internationales, le letton Alvis Hermanis – signataire d’une extraordinaire production des Soldaten de Zimmerman au Festival de Salzbourg – a essuyĂ© une bronca historique Ă  l’OpĂ©ra Bastille, Ă  l’issue de la première, Ă  tel point que StĂ©phane Lissner lui a demandĂ© de revoir certains dĂ©tails de sa copie, changements opĂ©rĂ©s dès la deuxième reprĂ©sentation (nous Ă©tions, quant Ă  nous, Ă  la troisième).

Mise en scène huĂ©e Ă  l’OpĂ©ra Bastille

Bronca Ă  Bastille

La DamnationNous n’avons donc pas vu certains « effets », tel la copulation d’escargots pendant le grand air de Marguerite « D’amour l’ardente flamme », qui a provoquĂ© l’ire ou les rires du public, et qui pourtant ne faisait, nous le voyons ainsi, que traiter avec humour l’Ă©rotisme très accusĂ© entre les deux principaux protagonistes. Pour notre part, donc, nous avons Ă©tĂ© sĂ©duits par la production, tant par son postulat de dĂ©part – Faust est ici un scientifique et non plus un philosophe, dĂ©doublĂ© par Stephen Hawking dans un fauteuil roulant (jouĂ© par le danseur Dominique Mercy), convaincu que la survie du genre humain passe par la colonisation de Mars – que par les fabuleuses images vidĂ©o de Katarina Neiburga, projections d’une grande beautĂ© visuelle (images de mars, champ de coquelicots d’un rouge flamboyant, baleines s’Ă©battant dans l’onde ou encore spermatozoĂŻdes jetĂ©s dans une course frĂ©nĂ©tique pour aller fĂ©conder une ovule), jamais gratuites Ă  nos yeux, Ă  l’instar des superbes chorĂ©graphies imaginĂ©es par Alla Sigalova.

Un bĂ©mol cependant Ă  apporter Ă  ses dernières, qui n’ont rien Ă  voir avec leur pertinence et beautĂ© intrinsèque, mais leur omniprĂ©sence nuit parfois Ă  l’attention que l’on devrait porter au chant, comme Ă  la musique. Autre point noir, Alvis Hermanis ne s’est pas assez investi dans la direction d’acteurs, les chanteurs – et plus encore le chĹ“ur – restant la plupart figĂ©s, ou ne faisant que passer de cour Ă  jardin sans guère plus d’interaction entre eux.

 

Jonas Kaufmann, Bryn Terfel : Faust et Méphistofélès de rêve

Mais c’est plus encore pour le somptueux plateau vocal que le dĂ©placement s’imposait. Le tĂ©nor star Jonas Kaufmann campe un Faust proche de l’idĂ©al, capable d’assumer aussi bien la vaillance de « L’Invocation Ă  la Nature » que les ductilitĂ©s du duo avec Marguerite. A partir du sol aigu, son utilisation très subtile du falsetto dĂ©livrĂ© pianississimo (la « marque maison » du tĂ©nor allemand) est un authentique tour de force, et le raffinement avec lequel il intègre ces passages escarpĂ©s dans la ligne mĂ©lodique souligne une musicalitĂ© hors-pair. De surcroĂ®t, sa prononciation du français est parfaite, de mĂŞme que celle du baryton gallois Bryn Terfel, tour Ă  tour insinuant et incisif, qui ravit l’auditoire avec sa magnifique voix chaude et superbement projetĂ©e. La puissance de l’instrument, la beautĂ© d’un timbre reconnaissable entre tous, comme la pertinence du moindre de ses regards, donnent le frisson. Enfin, comment ne pas ĂŞtre admiratif devant la multitude d’inflexions dont il pare la fameuse « Chanson de la puce », ou devant l’intelligence et l’Ă©lĂ©gance avec lesquelles il dĂ©livre sa magnifique « SĂ©rĂ©nade ».

Face Ă  ces deux personnages, Marguerite symbolise la vie qui rĂ©siste. La voix ronde et chaude de Sophie Koch donne beaucoup de douceur Ă  l’hĂ©roĂŻne, et la manière dont la mezzo française dĂ©livre avec maĂ®trise et Ă©motion sa « Ballade », de mĂŞme que sa « Romance », fait d’elle une Marguerite lyrique et grave Ă  la fois, qui est la vraie opportunitĂ© offert Ă  l’humanitĂ© d’ĂŞtre sauvĂ©e. La distribution est complĂ©tĂ©e par le Brander plus que convenable du baryton Edwin Crossley-Mercer. Quant aux ChĹ“urs de l’OpĂ©ra de Paris, magnifiquement prĂ©parĂ©s (dĂ©sormais) par JosĂ© Luis Basso, ils sont superbes de bout en bout, et la cohĂ©sion des registres impressionnent durablement dans la fugue de l’Amen ou encore dans la sublime apothĂ©ose finale.

Dans la fosse, Philippe Jordan veille aux grands Ă©quilibres, et si « La Marche hongroise » manque de clinquant, il sait toutefois – Ă  certains moments – conduire Ă  l’effervescence un Orchestre de l’OpĂ©ra de Paris qui fait honneur Ă  l’extraordinaire et subtile orchestration berliozienne. Sous sa baguette, la phalange parisienne vit, les cordes chantent, les bois se distinguent, et les mille et un dĂ©tails de la partition sautent ici Ă  nos oreilles enchantĂ©es. A peu près seul et contre tous – et malgrĂ© les quelques rĂ©serves Ă©mises plus haut – la mise en scène imaginative et esthĂ©tique d’Alvis Hermanis nous a fait rĂŞver.

Compte-rendu, opéra. Paris, Opéra Bastille, le 13 décembre 2015. Hector Berlioz : La Damnation de Faust. Avec Jonas Kaufmann (Faust), Sophie Koch (Marguerite), Bryn Terfel (Méphistophélès), Edwin Crossley-Mercer (Brander), Sophie Claisse (Voix Céleste). Alvis Hermanis (mise en scène). Philippe Jordan (direction musicale).

Compte rendu, opĂ©ra. Paris. OpĂ©ra Bastille, le 2 mars 2015. Charles Gounod : Faust. Piotr Beczala, Jean-François Lapointe… Orchestre et choeurs de l’OpĂ©ra National de Paris. Michel Plasson, direction. Jean-Romain Vesperini, mise en scène.

Michel Plasson revient Ă  l’OpĂ©ra National de Paris pour Faust de Charles Gounod. L’OpĂ©ra Bastille accueille une distribution largement non-francophone dans une nouvelle mise en scène conçue par Jean-Romain Vesperini. 3 heures d’Ă©motion et de musique enchanteresse, mais peut-ĂŞtre trop dĂ©sĂ©quilibrĂ©e en ce qui concerne quelques choix artistiques qui laissent perplexes. Une performance honorĂ©e plutĂ´t par les quelques spĂ©cialistes engagĂ©s, et un choeur et un orchestre… ravissants.

 Gounod + Plasson = un duo gagnant !

FAUSTFaust de Gounod a Ă©tĂ© reçu comme une Ĺ“uvre innovante et impressionnante lors de sa crĂ©ation en 1859 grâce Ă  un certain rejet des conventions de l’Ă©poque, notamment le chĹ“ur introductif et le final concertĂ©. Aujourd’hui, nous apprĂ©cions surtout les vertus musicales de la partition, sa transparente et efficace théâtralitĂ©, malgrĂ© le livret de modeste envergure de Jules Barbier et Michel CarrĂ© d’après Goethe. Rarement mise en scène, l’opus a une abondance mĂ©lodique indĂ©niable et un certain flair avec beaucoup de potentiel dramatique. Or, ce soir le drame se voit largement affectĂ© par toute une sĂ©rie de pĂ©ripĂ©ties et choix incomprĂ©hensibles. Le bateau tient bon grâce Ă  la direction musicale d’un Michel Plasson toujours maĂ®tre de son art et des chĹ“urs impressionnants, mais nous avons de nombreuses rĂ©serves vis-Ă -vis de la plupart des rĂ´les et aussi quant Ă  la mise en scène.

Les choeurs de l’OpĂ©ra de Paris sous la nouvelle direction de JosĂ© Luis Basso sont extraordinaires. Ils sont toujours investis lors des nombreuses interventions et font preuve d’un dynamisme saisissant que ce soit dans la lĂ©gèretĂ© mondaine au deuxième acte dans « Ainsi que la brise lĂ©gère » ou dans l’expression d’un hĂ©roĂŻsme mystique et glorieux au quatrième lors du cĂ©lèbre chĹ“ur des soldats « Gloire immortelle ». Nous regrettons pourtant l’Ă©cart abyssal entre la richesse de leur prestation musicale et la trop modeste inspiration du metteur en scène. En ce qui concerne les solistes embauchĂ©s, il s’agĂ®t sans doute d’artistes de qualitĂ©, dont les talents musicaux arrivent Ă  toucher l’auditoire malgrĂ©, notamment, un grand souci d’articulation et de diction du français pour la plupart. Mais connaissant la prosodie pas facile du livret, nous constatons tout autant que de tels artistes spĂ©cialistes du chant français auraient pu avoir plus d’impact. En
l’occurrence le Faust de Piotr Beczala est solide, avec le beau timbre qui lui est propre et une projection correcte. Or, si nous aimons l’intensitĂ© passionnante et passionnĂ©e de son chant lors du cĂ©lèbre air « Salut, demeure chaste et pure », nous pensons que le français peut s’amĂ©liorer et nous sommes davantage frappĂ©s et conquis par le violon solo du morceau (NDLR : le tĂ©nor polonais vient de sortir chez Deutsche Grammophon un rĂ©cital dĂ©diĂ© aux Romantiques Français : Piotr Beczala, The French Collection : lire notre compte rendu critique complet “Les Boieldieu et Donizetti sans dĂ©faut de Beczala, 1 cd DG).
Ildar Abdrazakov en MĂ©phistophĂ©lès est une force de la nature. C’est un diable charmant et charmeur, avec une voix qui ne nous laisse pas insensibles. Or, encore une fois, il est regrettable que son français ne soit pas Ă  la hauteur de son charisme scĂ©nique ni de son Ă©vidente musicalitĂ©. Nous pouvons presque en dire autant de Krassimira Stoyanova dans le rĂ´le de Marguerite. Si nous aimons les qualitĂ©s de l’instrument, le français presque incomprĂ©hensible nous Ă©loigne des charmes de sa belle voix. En plus elle ,’est guère aidĂ©e par la mise en scène, pas très valorisante pour son personnage.

Bien heureusement la distribution compte avec quelques francophones dans les rĂ´les secondaires, notamment le baryton spĂ©cialiste du chant français Jean-François Lapointe. Il habite le rĂ´le de Valentin avec une prestance et une prĂ©sence pleine d’Ă©motion qui ensorcelle l’auditoire. A la beautĂ© plastique du chanteur se joignent une prosodie sensible et un chant sincère et touchant. Lors de son air au deuxième acte « Sol natal de mes aĂŻeux » comme dans la scène de sa mort au quatrième, il se donne et s’abandonne totalement,  théâtralement et musicalement, rĂ©galant l’audience des moments de très fortes sensations. La mezzo-soprano AnaĂŻk Morel dans le rĂ´le travesti de Siebel, rayonne d’un charme attendrissant lors de ses participations, son articulation est bonne et son chant irrĂ©prochable.

L’orchestre de l’OpĂ©ra, lui, est sans doute le protagoniste de l’oeuvre en l’occurrence, et son principal argument. Si nous avons aimĂ© les lumières de François Thouret et la chorĂ©graphie de Selin DĂĽndar au ballet du dernier acte, nous avons beaucoup de rĂ©serves vis-Ă -vis Ă  la mise en scène de Jean-Romain Vesperini, protĂ©gĂ© d’un Luc Bondy et d’un Peter Stein.
Certaines idĂ©es de potentiel aboutissent souvent Ă  un rien quelque peu dĂ©suet. Des nombreuses et longues transitions scĂ©niques impliquent beaucoup de temps mort (dans une Ĺ“uvre dĂ©jĂ  longue…), l’aspect fantastique se limite Ă  des explosions et du feu sur scène, frappant aux yeux et aux oreilles, mais d’un kitsch et d’une facilitĂ© confondante. La beautĂ© monumentale des dĂ©cors de Johan Engels contrastant avec la modestie confondante de quelques scènes cĂ©lèbres. Notamment la scène de Marguerite, avec tant de potentiel, « Il Ă©tait un Roi de ThulĂ© » finissant dans l’air des bijoux,  moments de la mise en scène que nous aimerions oublier.

FAUSTLa prestation de l’orchestre est, elle, complètement inoubliable. Michel Plasson est un des grands spĂ©cialistes de la musique romantique française d’une ardeur intacte, et toujours avec une baguette sensible et raffinĂ©e, mais aussi inventive, rĂ©active, parfois dynamique, parfois sublime. Toujours intĂ©ressante ! Impossible de ne pas aimer l’œuvre devant un travail si bien ciselĂ©, l’Orchestre de l’OpĂ©ra faisant preuve d’un beau coloris, de transparence et de clartĂ©, de charme et de brio ; une prestation si frappante par son naturel et son rigueur, inspirant tour Ă  tour des soupirs et des frissons, des frĂ©missements dĂ©licieux qui caressent et enivre l’ouĂŻe  en permanence. Une Ĺ“uvre Ă  voir par sa raretĂ©, pour la beautĂ© des performances et gestes d’un Lapointe saisissant, d’un Plasson inspirĂ© et rayonnant, d’un superbe orchestre, de superbes choeurs, et de quelques bons danseurs… Suffisamment de sĂ©ductions Ă  nous yeux pour venir applaudir ce nouveau Faust parisien.  A l’affiche Ă  l’OpĂ©ra Bastille Ă  Paris, les 5, 9, 12, 15, 18, 22, 25 et 28 mars 2015.

Compte-rendu, concert. Bordeaux. Auditorium de Bordeaux. Le 18 février 2015. Hector Berlioz : La Damnation de Faust (Version de concert). Eric Cutler, Géraldine Chauvet, Laurent Alvaro, Frédéric Gonçalves. Paul Daniel, direction.

LĂ©gende dramatique ou opĂ©ra en version de concert ? Berlioz a longtemps hĂ©sitĂ© entre les deux termes pour dĂ©finir son opus faustien. Dans tous les cas, il ne semble pas avoir songĂ© Ă  une rĂ©alisation scĂ©nique, et c’est sous forme concertante que l’OpĂ©ra National de Bordeaux a retenu ce titre, donnĂ© trois soirĂ©es dans le formidable Auditorium dont s’est dotĂ©e la ville il y a deux ans.

Eric CutlerDans la partie de Faust, le tĂ©nor amĂ©ricain Eric Cutler s’avère – aux cĂ´tĂ©s de Michael Spyres (qui l’a justement remplacĂ© le 20, Cutler Ă©tant souffrant) – le titulaire le plus enthousiasmant actuellement : perfection de la diction, clartĂ© des aigus, raffinement de la ligne, intensitĂ© vocale, tout y est. La douceur de son air de la troisième partie, les notes Ă©mises en falsetto dans son duo avec Marguerite, le corps Ă  corps avec la houle de l’orchestre dans l’Invocation Ă  la nature, … tous les Ă©cueils sont franchis avec une indĂ©niable rĂ©ussite !

En revanche, la mezzo française GĂ©raldine Chauvet offre une prestation bien lisse face Ă  lui, et se trouve trop souvent Ă  court de souffle, d’articulation et d’influx passionnels pour vraiment convaincre en Marguerite. Par bonheur, le baryton-basse Laurent Alvaro sait lui ce que chanter Berlioz veut dire, et il en traduit magnifiquement le style, colorant chacune de ses interventions de toute l’ambiguĂŻtĂ© requise. Nous resterons malheureusement muet sur la prestation de FrĂ©dĂ©ric Gonçalves (Brander), un “accident de personne” dans le train, entre Toulouse et Bordeaux, nous ayant fait arriver en gare de Bordeaux alors que le concert avait dĂ©jĂ  dĂ©butĂ©, et en salle après qu’il eĂ»t interprĂ©tĂ© la fameuse “Chanson du rat”…

Paul DanielHabitĂ© d’une fougue communicative, le chef britannique Paul Daniel confère Ă  l’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine – dont il est le directeur musical depuis septembre 2013 -, une chaleur, une jubilation et une prĂ©cision enthousiasmantes. Sous sa battue, l’orchestre vit, les cordes chantent, les bois se distinguent et les mille et un dĂ©tails qui innervent la partition sont magnifiquement ciselĂ©s. Cependant, les choristes lui voleraient presque la vedette : par leur cohĂ©sion et leur articulation parfaitement naturelle du français, les membres des Choeurs conjuguĂ©s de l’OpĂ©ra de Bordeaux et de l’ArmĂ©e française forment une seule et mĂŞme grande voix qui se plie Ă  toutes les nuances voulues par le compositeur. Quand on pense Ă  la manière dont Berlioz les sollicite dans cet ouvrage, on ne peut qu’applaudir pareille rĂ©ussite. L’apothĂ©ose de Marguerite – avec l’arrivĂ©e lĂ©gère et galopante des jeunes chanteurs de la Jeune AcadĂ©mie vocale d’Aquitaine – est d’ailleurs le radieux couronnement de cette superbe soirĂ©e.

Compte-rendu, concert. Bordeaux. Auditorium de Bordeaux. A l’affiche les 18, 20, 22 février 2015. Hector Berlioz : La Damnation de Faust (Version de concert). Eric Cutler, Géraldine Chauvet, Laurent Alvaro, Frédéric Gonçalves. Paul Daniel, direction.

Illustrations : Eric Cutler et Paul Daniel (DR)

Marco Guidarini dirige Mefistofele de Boito Ă  Prague

prague-opera-narodni-divadlo-prague-opera-580-380Prague, 22 janvier>29 mai 2015. Boito : Mefistofele. Marco Guidarini. La genèse du Mefistofele (1868-1881) de Boito est longue et difficile : Ă  chaque reprise après l’Ă©chec retentissant de la crĂ©ation initiale (5h de spectacle!) Ă  La Scala de Milan en 1868, Boito comme dĂ©passĂ© par un trop plein d’idĂ©es formelles, recoupe, taille, réécrit en 1875, 1876 enfin en 1881, dĂ©voilant la formation que nous connaissons. Dès le prologue -conçu comme un final symphonique exprimant la souverainetĂ© de Mefistofele parmi les anges et les chĂ©rubins soumis-, le souffle goethĂ©en portĂ© par le livret rĂ©digĂ© par le compositeur lui-mĂŞme, saisit : violence, passion, lyrisme Ă©chevelĂ© sont au diapason et Ă  la hauteur du mythe littĂ©raire. Ne serait-ce que pour cet ample portique qui atteint le grandiose palpitant d’une cathĂ©drale, la partition sait enchanter avec une redoutable efficacitĂ©, entre l’opĂ©ra et l’oratorio (un clin d’oeil au final du premier acte de Tosca de Puccini, lui aussi sur le thème d’un vaste Te Deum atteint la mĂŞme surenchère chorale et orchestrale, voluptueuse, terrifiante et spectaculaire).

Le Faust de Boito, 1868-1881

Dans le Prologue – fresque orchestrale inouĂŻe, aux dimensions du Mahler de la Symphonie des mille, Boito souligne le dĂ©monisme de Mefistofele qui mĂ©prisant l’homme et sa nature corruptible, jure en prĂ©sence des crĂ©atures cĂ©lestes, de prĂ©cipiter le vertueux Faust, tout philosophe qu’il soit. va-t-il pour autant rĂ©ussir ?

boito-arrigo-mefistofele-operaSynopsis, argument. EmpĂŞtrĂ© par les tableaux divers du roman homĂ©rique de Goethe, Boito respecte tant bien que mal le fil de la narration originelle oĂą peu Ă  peu le docteur Faust pourtant conscient des limites de l’homme et de sa nature, s’enfonce dans les tourments de la tentation et de l’expĂ©rience sensorielle. A Francfort pendant la fĂŞte de la RĂ©surrection, Faust qui cĂ©lèbre l’avènement du printemps accepte l’offre du dĂ©mon Mefistofele face aux miracles et prodiges dont il sera bĂ©nĂ©ficiaire (Acte I).  Au II, alors que Mefistofele dĂ©tourne la duègne Marta, Faust peut roucouler avec Marguerite en son jardin d’amour. Très vite, le revers tragique d’une vie insouciante montre ses effets effrayants : au III, c’est la visite de Faust coupable dans la prison de Marguerite, incarcĂ©rĂ©e pour avoir commis un double meurtre : empoisonner sa mère (pour que son amant la visite) et noyer son enfant ! Mais Mefistofele se souciant de la seule chute morale de Faust  entraĂ®ne son sujet passif dans le sabbat des sorcières, oĂą paraĂ®t surtout l’irrĂ©sistible HĂ©lène, la plus belle femme du monde Ă  laquelle Faust dĂ©sormais ensorcelĂ© voue son âme (IV).
MalgrĂ© tous ces prodiges oĂą tout est offert au philosophe : amour, richesse, joyaux et femme sublime, … le coeur du docteur n’est pas apaisĂ© : au ciel, il destine sa vraie nature… morale. Mefistofele avouant sa dĂ©faite finale, Ă©clate d’un rire sardonique. Ainsi l’opĂ©ra mephistophĂ©lique dĂ©bute sur l’apothĂ©ose du DĂ©mon puis s’achève par son rire sardonique.

La partition est l’une des plus ambitieuses de son auteur dont le gĂ©nie dramatique se dĂ©voile sans limites : Boito après avoir dans sa jeunesse militante conspuĂ© le théâtre de Verdi, devient son librettiste prĂ©fĂ©rĂ©, rĂ©alisant la construction d’Otello et de Falstaff (les ultimes chefs d’oeuvre de Verdi) et surtout reprenant l’architecture complexe de Simon Boccanegra. Mefistofele profite Ă©videmment du travail de Boito avec Verdi.

 

 
 
 

Agenda : Mefistofele de Boito Ă  l’OpĂ©ra de Prague

 
 
Guidarini © R. DuroselleL’excellent chef italien, symphoniste, bel cantiste et tempĂ©rament lyrique, Marco Guidarini, dirige Ă  l’OpĂ©ra de Prague (Narodni Divadlo) Mefistofele de Boito, en janvier, fĂ©vrier et mars 2015 :  soit au total 8 reprĂ©sentations Ă  l’affiche pragoise : 22,24 et 30 janvier, 5 et 22 fĂ©vrier puis 10 mars 2015 (puis le 15 avril et le 29 mai 2015). La direction du maestro cofondateur du rĂ©cent Concours Bellini (dont il assure la sĂ©lection des laurĂ©ats) est l’atout majeur de cette nouvelle production praguoise.

RĂ©servez votre place pour cet Ă©vĂ©nement d’un raffinement orchestral flamboyant sur le site de l’opĂ©ra de Prague  / narodni-divadlo.

 
 

 
 

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Renata-Tebaldi-1960La version enregistrĂ©e sous la direction de Tulio Serafin Ă  Rome en 1958 fait valoir la sensualitĂ© raffinĂ©e de l’orchestration comme son souffle Ă©pique dès le prologue (domination du dĂ©mon sur la cohorte des anges et des ChĂ©rubins), la cour d’amour entre Faust et Marguerite, le sabbat orgiaque et le culte d’HĂ©lène…) :  Renata Tebaldi chante Marguerite aux cĂ´tĂ©s de Mario del Monaco (Faust) et Cesare Siepi (Mefistofele). Decca. L’intĂ©grale de l’opĂ©ra Mefistofele est l’objet d’une réédition Ă©vĂ©nement au sein du coffret rĂ©unissant tous les enregistrements de Renata Tebaldi pour Decca : “Reanta Tebaldi, Voce d’angelo, The complete Decca recordings, 66 cd (1951 (La Bohème, Madama Butterfly), Un Ballo in maschera (1970).

 
 

DVD. Gounod : Faust (Nézet Séguin, Kaufmann, 2011)

Gounod faust kaufmann pape decca dvdMetropolitan Opera de New York, 2011. Aux cĂ´tĂ©s de ses Siegmund, Werther, Lohengrin et rĂ©cemment Parsifal (sur la mĂŞme scène new yorkaise en 2013), le Faust de Jonas Kaufmann irradie d’une vĂ©ritĂ© superlative grâce Ă  une intelligence des phrasĂ©s, particulièrement dĂ©lectable. Fin, possĂ©dĂ© par une angoisse sourde, le philosophe dĂ©sespĂ©rĂ© au dĂ©but qui veut croire encore Ă  la beautĂ© de la vie et l’illusion de l’amour trouve dans le tĂ©nor munichois, un visage, une prĂ©sence, une sensibilitĂ© … souverains. Quel chanteur ! MĂŞme si le français n’a pas la clartĂ© immĂ©diate de ses prĂ©dĂ©cesseurs parmi les plus marquants (dont Alagna), Kaufmann s’affirme par l’opulence de son timbre sombre d’une infinie langueur. A ses cĂ´tĂ©s, le Mephisto de RenĂ© Pape, est certes puissant et trempĂ© mais… rien que routinier. Les Valentin (Russel Braun) et SiĂ©bel (Michèle Losier), corrects. Face Ă  ce tableau viril, globalement convaincant, que vaut l’hĂ©roĂŻne, icĂ´ne romantique ? HĂ©las, la Marguerite de Marina Poplavskaya ne tient pas la route : d’autant que comparĂ© Ă  la prestation de son partenaire munichois, son chant reste imprĂ©cis, dĂ©jĂ  inintelligible, mais surtout stylistiquement poussiĂ©reux et archaĂŻque. C’est le maillon faible qui ternit le niveau musical de la production.
Dans la fosse new yorkaise, Yannick NĂ©zet SĂ©guin cisèle le romantisme flamboyant d’une partition Ă  juste titre mythique. Dommage que la mise en scène soit elle aussi sans idĂ©e, sans relief, sans aucune intelligence dramatique. Disposant d’un tel tĂ©nor, avec les moyens du Met, on avait pensĂ© qu’une toute autre rĂ©alisation, plus exigeante scĂ©niquement, fut possible.

Gounod : Faust. Jonas Kaufmann, RenĂ© Pape… Yannick NĂ©zet SĂ©guin. Enregistrement rĂ©alisĂ© au mettropolitan de New York en 2011. 1 dvd Decca 074 3811.