Coppélia au cinéma, indirect du ROH, Londres

classiquenews-copppelia-annonce-critique-danse-ballet-classiquenews-coppelia-royal-opera-house-gary-avis-nunez-coppelia-2019-ROH-copyright-gavin-smartCinéma, ballet. Coppélia, mardi 10 décembre 2019 en direct du ROH, Londres. Coppélia, grand classique du Royal Ballet à Covent Garden (londres), est ainsi projeté en direct dans les cinémas partout en France, ce 10 décembre 2019 (20h15). Fantastique et poétique, le ballet Coppélia bénéficie d’une musique raffinée, conçue par Léo Delibes. A Londres, la partition est devenue un pilier du répertoire de la troupe de danseurs britanniques depuis qu’elle a été chorégraphiée par la fondatrice du Royal Ballet, Dame Ninette de Valois. Inspiré des Contes d’Hoffmann, l’action fait paraître une poupée mécanique plus vraie que la vie, charmant jusqu’à l’enivrement un jeune romantique trop naïf (Franz)… que la jeune Swanilda va bientôt conduire vers la juste clairvoyance. Amour et illusion, désir et aveuglement nourrissent une intrigue particulièrement efficace qui se joue de la féerie du théâtre et des prouesses du danseur…
La production londonienne réunit la danseuse principale Marianela Nuñez dans le rôle de Swanilda, le danseur principal Vadim Muntagirov dans le rôle de son bien-aimé Franz, et l’artiste Gary Avis dans le rôle du magicien Dr Coppélius.

SYNOPSIS
royal-opera-house-ROH-logo-2019Le docteur Coppélius a une fille magnifique -  Coppélia. Franz commence à s’enticher d’elle depuis qu’il l’a vu assise au balcon. Swanilda, la fiancée de Franz, est très contrariée. S’introduisant dans la maison avec une amie, elles découvrent que Coppélia est l’une des nombreuses poupées à taille humaine fabriquées par le docteur.
Coppélius veut pousser plus loins ses expérimentations… il kidnappe Franz projetant de le sacrifier afin de donner vie à Coppélia. Swanilda réussit cependant à le sauver en faisant danser les poupées mécaniques, distrayant ainsi Coppélius afin qu’ils puissent s’enfuir.
Heureusement Dr Coppélius n’est pas aussi méchant qu’il n’y parait et au dernier acte le savant fait la paix avec Swanilda et Franz, désormais libres de célébrer leur mariage.

 

Illustration : Gary Avis dans le rôle de Dr Coppélius et Marianela Nuñez dans le rôle de Swanilda dans Coppélia ©2019 ROH / Royal Opera House Photographie par Gavin Smart

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Les retransmissions au cinéma depuis le Royal Opera House offrent au public une plongée au cœur même de la représentation grâce aux entretiens et accès exclusifs en coulisses. Projection dans plus de 1000 cinémas dans 53 pays.

La prochaine diffusion en direct du Royal Opera House
Royal Ballet :

La Belle au Bois Dormant le Jeudi 16 Janvier 2020.

Plus d’informations, billetterie : https://www.rohcinema.fr

La saison 2019/2020 du Royal Opera House au cinéma :

•    The Royal Ballet
Casse-Noisette (enregistrement de 2016)
En diffusion à partir du 11 décembre 2019

•    The Royal Opera
La Bohème
En direct le Mercredi 29 janvier 2020, en rediffusion le Dimanche 2 février

•    The Royal Ballet
The Cellist / Dances at a Gathering
En direct le Mardi 25 Février 2020, en rediffusion le Dimanche 1er Mars 2020

•    The Royal Opera
Fidelio (nouvelle production)
En direct le mardi 17 mars 2020, en rediffusion le 22 mars 2020

•    The Royal Ballet
Le lac des cygnes
En direct le Mercredi 1er Avril 2020, en rediffusion le Dimanche 5 Avril 2020

•    The Royal Opera
Cavalleria Rusticana / Pagliacci (en co-production avec La Monnaie, Brussels, Opera Australia et Göteborg Opera)
En direct le Mardi 21 Avril 2020, en rediffusion le Dimanche 26 avril 2020

•    The Royal Ballet
The Dante Project (Première Mondiale)
En Direct le Jeudi 28 May 2020, en rediffusion le Dimanche 31 Mai 2020

•    The Royal Opera
Elektra (Nouvelle Production)
En direct le Jeudi 18 Juin 2020, en rediffusion le Dimanche 21 Juin 2020

Compte rendu, opéra. Avignon, Grand Opéra, le 20 mars 2016. Delibes: Lakmé. Devielhe, Campellone..

Compte rendu, opéra. Avignon, Grand Opéra, le 20 mars 2016. Delibes: Lakmé. Devielhe, Campellone... Je le répète : à reprise d’une production prisée, reprise de sa présentation, même reprisée de ses éléments nouveaux.

Delibes : Lakmé sur instruments d'époqueL’œuvre. Fin du XIXe siècle … depuis Félicien David, la mode orientaliste règne en France sur la scène et les arts, appuyée aussi sur un colonialisme tranquille, à la bonne conscience. L’Europe impérialiste s’exporte dans le monde en le colonisant impudiquement. Pierre Loti, officier de marine, fait rêver avec ses récits, ses romans sur fond autobiographique d’amours faciles et sans engagement pour le mâle occidental triomphant. Cela donnera des tragédies comme Madame Butterfly, victime d’avoir cru au mirage d’un mariage qui n’était, pour le fallacieux époux américain, qu’une union par location, révocable à chaque instant. Mais, quinze ans avant Puccini, il y a, entre autres, cette Lakmé dont l’agréable et séduisante musique cache mal une douloureuse trame, un drame de l’incompréhension entre deux cultures, ici l’indienne, écrasée par l’arrogance supérieure de la colonisation anglaise, le fatal décalage entre deux cultures et deux milieux sociaux incompatibles malgré l’amour partagé entre la jeune hindoue et le jeune officier britannique.

L’Acmé du chant français

 

Intégrisme religieux, terrorisme ? En effet, dans l’Inde colonisée du XIXe  siècle,où l’occupant blanc interdit la religion autochtone qui devient clandestine, avec tous les secrets inquiétants que cela peut supposer et la haine accumulée, la rencontre entre Lakmé, vouée au temple et sacrée comme une vestale autrefois, et Gérald, officier anglais occupant, ne peut déboucher que sur une impasse, raciale, sociale, culturelle. C’était déjà le nœud de la prêtresse Norma pactisant en secret avec l’envahisseur romain, trahissant sa patrie : Lakmé est fille du Brahmane Nilakantha, qu’on dirait aujourd’hui intégriste religieux, fanatisé, extrémiste implacable proche d’un terrorisme  venir ; elle est une sorte de déesse, donc intouchable, en tout opposée au charmant colonisateur pour qui ce pays est une source d’exotisme et de curiosité esthétique. Le contraste entre les Hindous et les Anglais, Gérald, son ami Frédéric, les deux filles du gouverneur et leur gouvernante pincée, Mistress Bentson, est habilement traité par la musique qui en trahit l’inadéquation aux lieux, encore que le premier air de Gérald a une poétique saveur orientalisante qui exprime en lui, peut-être, au-delà de son sens esthétique émerveillé d’un bijou, un possible sentiment d’adaptation, sensible et amoureux.

Le discours endogène des femmes sur les indigènes, guère porté à la communication autre qu’exotique, ne fait que renforcer leur sentiment presque freudien d’inquiétante étrangeté face à ce pays, l’Inde, son peuple et ses rituels, d’autant que la situation politique est tendue entre occupants et occupés : le regard supérieur et rapide du touriste. Seul Frédéric a une approche plus sympathique et moins superficielle, seul personnage à n’être pas un sommaire « caractère » simpliste de convention, comme Nilakantha, le méchant « intégriste » bien méchant, même non sans raisons, contre l’envahisseur : à part Frédéric, tous sont pratiquement unidimensionnels, d’un simplisme conventionnel d’Opéra-comique, aux gros traits sans grandes nuances. Si Lakmé, douce et tendre, en attente inconsciente de l’amour comme un Chérubin féminin mélancolique,  dans son air délicat d’introspection, et Gérald, présenté comme un rêveur poète, énamouré d’un bijou, même pas d’un portrait de femme comme Tamino dans La Flûte enchantée, leur amour en une seule rencontre est bien fulgurant et d’une convention qui n’offre guère de place à un développement affectif vraisemblable, que pourtant, leur deux airs solitaires, deux âmes en recherche, laissaient entrevoir. Mais la grâce de la musique est telle qu’on se laisse embarquer, même sans autre émotion que musicale et lyrique, dans leur schématique aventure perturbée par le traditionnel baryton jaloux, ici un père quelque peu incestueux.

Réalisation et interprétation

Le minimalisme de la scénographie de Caroline Ginet, au lever de rideau, sur un fond indécis de verdure ombreuse, un tertre de terre rouge pour figurer le temple et son autel, nous épargne un pittoresque exotique à couleur locale trop colorée. La profanation de l’intrus anglais, la souillure, est élégamment symbolisée avec sobriété par le récipient renversé de poudre jaune, or ou safran, égales denrées précieuses pour les avides colonisateurs, à côté de corbeilles de fleurs, fleurs perdues, profanées, préfigurant le délicieux duo de Lakmé et sa servante ; au dernier acte, un énorme saule pleureur, signe éploré des amours à pleurer, avec encore ce rideau de fond, fondu végétal de lianes hésitant entre ombre et lumière, rêve et réalité, filtrant de superbes éclairages bleutés de Gilles Gentner, ont la même simplicité d’épure pour les pures amours ainsi mises en relief par la mise en scène sobre ou pauvre, trop a minima dramatique de Lilo Baur. Cependant, à l’acte II, vu du balcon, bien qu’apparaissant moins serré que sur la scène de Toulon, toujours trop crûment éclairé, l’entassement du portique, colonnettes et piliers métalliques, apparemment méticuleusement astiqués, claquent comme un clinquant hétéroclite de brocante de quincaille de bric et de broc, de temple hindou attendant des touristes pour cette exotique fête à la couleur locale  accusée par contraste avec les uniformes anglais en gris et non en rouge.

Les costumes d’Hanna Sjödin sont sagement post-victoriens pour les Anglais, délicats pastels rose et bleu pour les Ladies, un vert plus accusé pour la gouvernante, d’un pittoresque exubérant pour ceux qu’on appelait les « indigènes » dans l’acte II, à grand renfort de jaunes éblouissants, mais cela est d’e bon ton et dans la tonalité de la musique. Quelque arrogante brutalité des dominateurs européens, si elle traduit la botte impérialiste et justifie la haine du brahmane, est sans doute trop discrète, au milieu des agréables danses obligées des bayadères (chorégraphie : Olia Lydaki), pour montrer une tension politique explosive, juste un peu d’amertume dans le sirop amoureux entre la dolente hindoue et l’indolent Anglais. La bicyclette et le tricycle ambulant sont des signes de la modernité que les Anglais occupants apportent ou imposent à l’Inde, alibi de l’impérialisme.

Hors cela, l’arrière-plan politique, ou le choc culturel, qui aurait pu soutenir une tension dramatique puissante, malheureusement d’actualité aujourd’hui, est juste allusif dans les bousculades, mais la musique légère d’Opéra-Comique de la grave profanation du temple permet-elle autre choses sans artifice forcé? On regrette aussi que le personnage du Brahmane, monolithique religieusement mais père ambigu, qui guette même, comme un amant jaloux, le sommeil de sa fille, ne soit pas traité : « J’ai voulu t’écouter dormir », avoue-t-il dans une formule bien plaisante qui supposerait que la tendre Lakmé ronfle… (et l’on passera aussi sur le formule pléonastique d’une « ombre assombrit ta beauté. »

 

L’acmé du chant français

Dépassés l’amusement d’un Casanova à l’Opéra de Paris sur la façon française de chanter, ou les sarcasmes d’un Rousseau sur l’« urlo francese », ‘le hurlement français’, oubliées les failles d’une certaine école aujourd’hui dépassées par la jeune génération, on peut encore dire sans hésiter que la distribution entièrement française (la Québecoise Julie Boulianne ne nous en voudra pas de l’annexer à la famille) de cette production deLakmé, du premier au dernier chanteur de l’œuvre, a représenté l’acmé, un sommet sans doute du chant français dans sa plus belle expression d’élégance, de clarté, de diction : un bonheur. Une réussite chorale d’une équipe, un trio de trois talentueuses femmes aux lumières près (et l’on n’oublie pas le chÅ“ur bien mené) au service d’une musique française raffinée et délicate, d’un exotisme de bon ton, mais bon teint, efficace sans démonstration, aussi évanescente parfois que l’héroïne rêveuse, efflorescente non seulement de tant de fleurs évoquées, effeuillées par Lakmé et Mallika  dans leur duo poétique et charmeur, mais au lyrisme fleuri de vocalises en guirlandes : fleur du beau, du bien mais aussi du mal puisque la jeune fille en fleur se donne la mort en mangeant la datura fatale.

Avec humour, Julie Pasturaudcampe l’opulente Mistress Bentson, so british par le rôle et ses études musicales, son habitude de Glyndebourne, d’une belle voix grave, pleine d’autoritaire séduction. Chloé Briot est une bien jolie, piquante et pimpante Miss Roserousse, parée d’un joli timbre de soprano ; à Miss Ellen, Ludivine Gombert apporte une gravité et une profondeur sensibles et cette pureté de timbre donne au personnage la dignité de victime collatérale des amours exotiques de son fiancé Gérald. Duettiste dans le fameux duo des fleurs, Julianne Boulianne, Mallika au timbre tendre et voluptueux séduit d’emblée la salle.

Comparses, figures éphémères, mais sans lesquelles le spectacle n’existe pas, on salue Patrice Laulan, Cyril Héritier, Xavier Seince, respectivement un Chinois, un Dombien, un Kouravar, la diversité ethnique dans cette Å“uvre au fort parfum xénophobe. Déjà salué à Toulon et remarqué à Marseille dansOrphée aux Enfers, dans le rôle du fidèle serviteur Hadji, dévoué à sa maîtresse dont on croit sentir qu’il est amoureux, Loïc Félix, dans sa seule phrase d’importance, sans presque rien d’autre pour imposer son rôle, impose encore la beauté de son phrasé et de son timbre. Que dire de nouveau, sans se répéter, de Christophe Gay en Frédéric? Baryton à la sonore voix, plein d’allant et de prestance, il est juste dans quelque rôle que ce soit tout en restant lui-même, élégante allure et sympathique figure. Nicolas Cavallier, voix de tonnerre contre les occupants impies, adoucie de tendresse paternelle et amoureuse dans « Lakmé, ton doux regard se voile… », est un effrayant fanatique foudroyant dans la scène du complot, glacial à la mort de sa fille aussitôt sublimée par la foi.

Nous suivons depuis longtemps, avec bonheur et admiration, l’évolution, de l’opérette à l’opéra, de Florian Laconi passant, de ténor léger de ses débuts au ténor lyrique d’aujourd’hui, laissant pressentir, pour l’égalité du timbre dans tous les registres, le lirico spinto puccinien. Justement, c’est la puissance actuelle de sa voix qui semble contredire au rôle subtil d eGérald : la tradition française de l’Opéra-Comique attend une variation dans les couleurs, des passages du registre de poitrine aux piano de la voix mixte, surtout dans son premier air, une rêverie.  Mais Laconi, comme encombré de sa voix, demeure pratiquement dans le registre héroïque, dans une constante vaillance qui n’est pas de mise, de mise en scène nuancée comme celle-ci, et, en guise de demi-teintes donne des demi-fortes. C’est peut-être un Pinkerton du Middle West mais guère un Gérald victorien, passé sans doute par Oxford. On se dit alors que cet assaut viril de voix accuse la choc de civilisation avec la délicatesse indienne de l’héroïne.

lakme delibes sabine devielhe avignon 4346260_7_84af_lakme-de-leo-delibes-est-un-des-operas_72055592df625f669488257fcbaf97f1Que dire aussi, encore, sans se répéter, de la Lakmé de Sabine Devieilhe, qui semble d’y être identifiée. Je ne peux que citer ce que j’en disais à Toulon : “menue poupée qui n’est pas défigurée par une grande voix, émouvante et sensible dans son air d’introspection et les duos, elle déploie toutes les irisations d’un timbre délicat, moelleux même dans l’aigu extrême, sans nulle dureté, une technique impressionnante de précision et d’aisance : une petite grande Lakmé.” D’une Ï€ivre reposant pratiquement sur ses seules fragiles épaules, d’un rôle écrasant par le nombre d’airs et de duos, elle reste apparemment à la fin d’une fraîcheur de fleur et, même des passages qui pourraient être mièvres, elle en fait des merveilles de douceur, de poétique vérité.

À le tête de l’Orchestre régional Avigon-Provence et du chÅ“ur de l’Opéra de Grand Avignon, Laurent Campellone fait une grande musique même de cette Å“uvre sans doute pleine des facilités de la convention de l’Opéra-Comique dans le désir de plaire, mais dont on aurait tort de sous-estimer l’agrément, le charme, une grâce impondérable : orientalisme de bon aloi,  élégance et mesure, indéniable beauté mélodique. On la dirait encore exemplaire de la culture française si les frontières n’étaient absurdes, artificielles, et la musique, universelle, comme ceux qui la servent et la dirigent.

Lakmé de Léo Delibes
à l’Opéra Grand Avignon, les 20 et 22 mars 2016
Opéra en trois actes de Léo Delibes (1836-1891), livret d’Edmond Gondinet (1828-1888) et Philippe Gille (1831-1901) d’après  Rarahu ou le Mariage de Loti
Création : Paris, Opéra-Comique, 14 avril 1883

Distribution :
Lakmé : Sabine Devieilhe
Mallika : Julie Bouliane
Mistress Benson : Julie Pasturaud
Miss Ellen : Ludivine Gombert
Miss Rose : Chloé Briot
Gérald : Florian Laconi
Nilakantha : Nicolas Cavallier
Frédéric : Christophe Gay
Hadji : Loïc Félix
Un marchand chinois : Patrice Laulan
Un Dombien :Cyril Héritier
Un Kouravar : Xavier Seince.

Orchestre Régional Avignon-Provence
Chœur (Aurore Marchand) et ballet (Éric Belaud) de l’Opéra Grand Avignon

Direction musicale : Laurent Campellone.

Mise en scène : Lilo Baur.
Décors : Caroline Ginet
Costumes : Hanna Sjödin
Lumières : Gilles Gentner
Chorégraphie : Olia Lydaki.

Photos Atelier AC Delestrade copyright 2016.

Coppelia sur Brava

coppelia-ballet-eduardo-loaBrava, dimanche 27 décembre 2015. Coppelia. A 21h, la chaîne musique classique et ballet diffuse le chef d’oeuvre du ballet romantique et fantastique Coppelia, musique (divine) de Leo Delibes, dans la réalisation du Ballet Víctor Ullate (2013). Le collectif espagnol ajoute une nouvelle version du ballet romantique avec la ferme intention selon son directeur artistique Eduardo Lao de réinventer « Coppélia » ; sa compagnie de 23 danseurs accentue ainsi l’esprit comique de « Coppélia », tout en adoptant la partition originale écrite par Léo Délibes en 1870. Le thème de la vie artificielle, de l’automate, de la poupée mécanique se pose avec acuité, inscrite dès l’origine dans le sujet du ballet (inspiré d’une nouvelle de ETA Hoffmann). La création de Lao se déroule dans un laboratoire cybernétique spécialisé en intelligence artificielle, où le docteur Coppélius tente de créer un robot androïde qui se comporte comme un être humain. Cette production de « Coppélia » offre aux danseurs du Ballet Víctor Ullate de faire valoir leur savoir-faire technique et artistique, en combinant plusieurs styles de danse dont le vocabulaire du ballet classique et romantique. Outre le jeu fécond entre nature et artifice, le ballet ainsi réadapté exploite les ressources de l’art en ciselant les références multiples et les styles de danses historiques et contemporains.

On sait avec quel éclat en 1973 sur la scène du Palais Garnier, Pierre Lacotte si scrupuleux et si respectueux de la chorégraphie comme du plan originels avait reconstitué le ballet Coppélia, sublime ballet d’action, conçu par Saint-Léon et Delibes en 1870. La musique de Delibes (qui intègre une csardas sur la scène parisienne, volonté folkloriste oblige dans le I) apporte un supplément d’âme à l’action dansée, que Tchaikovski saura assimilé pour ses chefs d’oeuvres postérieurs (Le Lac des cygnes ou Casse noisette).  A travers le thème et la figure de la poupée mécanique, c’est le fantasme d’un corps fantasmé, idéal qui s’impose sur la scène : l’art chorégraphique est-il humain ? La danse, défi contre la pesanteur en forçant le corps naturel, n’a-t-elle pas une origine

Le grand ballet à l’époque industrielle

Delibes : Lakmé sur instruments d'époqueA l’origine, c’est Charles Nuitter, légendaire archiviste de l’Opéra, devenu librettiste et dramaturge pour les spectacles parisiens qui adapte une nouvelle de ETA Hofmann : « la fille aux yeux d’émail : Coppélia ».  Avec Saint-Léon (qui vivait alors entre Paris et Saint-Pétersbourg et était sous l’emprise de samuse, la danseuse étoile Adèle Grantzow), il se concentre surtout sur les épisodes originels qui favorisent l’attraction qu’exerce sur Nathanaël devenu dan sel ballet, Frantz, le poupée Coppélia, ainsi que la relation du docteur Coppélus avec Olimpia (Swanilda). Le fantastique surnaturel est quelque peu atténué, vers une comédie plus légère proche de la farce de la Fille mal gardée. Ici, c’est Swanilda qui sauve Frantz, son fiancé de l’enchantement dont il est victime, en prenant l’aspect de la poupée maléfique / fascinante, sirène mécanique : Coppélia.  Pour réussir le ballet nouveau, on emploie une virtuose âgée de 16 ans : Giuseppina Bozzacchi, qui assurant l’éclat spécifique du rôle de Swanilda, pilier du ballet, contribue au succès de la création (25 mai 1870).  A la fin du XIXè, surtout dans les années 1870, le romantisme a cédé la place à un rationalisme issu de la Révolution industrielle qui se manifeste sur la scène du ballet, dans une réflexion formelle interrogeant la forme du grand spectacle musical et chorégraphique, alternance de solos et duos et d’ensembles impressionnants, destinés à faire danser tout le corps de ballet. Illustration : portrait de Delibes.

Brava, dimanche 27 décembre 2015. Coppelia. A 21h. Ballet Víctor Ullate (Eduardo Lao). LIRE aussi notre dossier sur Coppelia de Delibes

Coppelia, Chorégraphie d’Eduardo Lao
Ballet Victor Ullate Comunidad de Madrid
Musique : Léo Delibes
Enregistré à l’Opéra Royal de Versailles, 2013

Avec
Sophie Cassegrain (Coppélia)
Yester Mulens (Docteur Coppélius)
Cristian Oliveri (Franz)
Zhengyja Yu (La Diva spectrale)
Leyre Castresana (Betty)
Albia Tapia (Rosi)
Zara Calero (Andreina) Dorian Acosta (D.J.)

Artistes chorégraphiques du Ballet Victor Ullate :

Ksenia Abbazova – Federica Bagnera – Marlen Fuerte – Laura Rosillo – Reika Sato – Lorenzo Agramonte – Mariano Cardano – Mikael Champs – Matthew Edwardson – Oliver Edwardson – Jonatan Luján – Andrew Pontius – Josué Ullate

Coppélia à l’Opéra de Nice

coppeliaNice, Opéra. Ballet : Coppélia du 18 au 31 décembre 2015. On sait avec quel éclat en 1973 sur la scène du Palais Garnier, Pierre Lacotte si scrupuleux et si respectueux de la chorégraphie comme du plan originels avait reconstitué le ballet Coppélia, sublime ballet d’action, conçu par Saint-Léon et Delibes en 1870. La musique de Delibes (qui intègre une csardas sur la scène parisienne, volonté folkloriste oblige dans le I) apporte un supplément d’âme à l’action dansée, que Tchaikovski saura assimilé pour ses chefs d’oeuvres postérieurs (Le Lac des cygnes ou Casse noisette).  A travers le thème et la figure de la poupée mécanique, c’est le fantasme d’un corps fantasmé, idéal qui s’impose sur la scène : l’art chorégraphique est-il humain ? La danse, défi contre la pesanteur en forçant le corps naturel, n’a-t-elle pas une origine

Le grand ballet à l’époque industrielle

Delibes : Lakmé sur instruments d'époqueA l’origine, c’est Charles Nuitter, légendaire archiviste de l’Opéra, devenu librettiste et dramaturge pour les spectacles parisiens qui adapte une nouvelle de ETA Hofmann : « la fille aux yeux d’émail : Coppélia ».  Avec Saint-Léon (qui vivait alors entre Paris et Saint-Pétersbourg et était sous l’emprise de samuse, la danseuse étoile Adèle Grantzow), il se concentre surtout sur les épisodes originels qui favorisent l’attraction qu’exerce sur Nathanaël devenu dan sel ballet, Frantz, le poupée Coppélia, ainsi que la relation du docteur Coppélus avec Olimpia (Swanilda). Le fantastique surnaturel est quelque peu atténué, vers une comédie plus légère proche de la farce de la Fille mal gardée. Ici, c’est Swanilda qui sauve Frantz, son fiancé de l’enchantement dont il est victime, en prenant l’aspect de la poupée maléfique / fascinante, sirène mécanique : Coppélia.  Pour réussir le ballet nouveau, on emploie une virtuose âgée de 16 ans : Giuseppina Bozzacchi, qui assurant l’éclat spécifique du rôle de Swanilda, pilier du ballet, contribue au succès de la création (25 mai 1870).  A la fin du XIXè, surtout dans les années 1870, le romantisme a cédé la place à un rationalisme issu de la Révolution industrielle qui se manifeste sur la scène du ballet, dans une réflexion formelle interrogeant la forme du grand spectacle musical et chorégraphique, alternance de solos et duos et d’ensembles impressionnants, destinés à faire danser tout le corps de ballet. Illustration : portrait de Delibes.

 

 

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Degas : la classe de danse de l’Opéra de Paris, vers 1873 (DR)

 

De la Sylphide (1832) et  de Giselle (1841), ballet romantique par excellence, Coppélia emprunte sa construction claire, numéros courts et leitmotiv associé à chacun des personnages importants (Frantz, Coppélius, Swanilda…). Sylvia, le ballet qui suit Coppélia, créé en 1876, est le premier ballet autonome, non relié à un opéra ou intégré. Les concepteurs ont soigné le contraste et l’enchaînement spectaculaire des tableaux : paysage d’Europe central pour l’acte I ; maison de Coppélius dont son sublime cabinet des automates au II ; Fête seigneuriale au III (qui revisite en fait le principe du divertissement hérité des opéras de Lully, Campra, Rameau).

Après la création triomphale de mai 1870, Napoléon III fait appelé dans sa loge les protagonistes du succès : la danseuse Bozzacchi et sa partenaire, Eugnéie Fiocre, qui travesti, incarnait Frantz, car alors, les rôles masculins sont assurés par les femmes : les danseurs hommes ayant déserté depuis longtemps la classe de danse de l’Académie royale et impériale.

 

boutonreservationNice, Opéra. Ballet : Coppélia du 18 au 31 décembre 2015.
Chorégraphie : Eric Vu-An,
d’après Saint-Léon et Aveline
Musique : Léo Delibes
Orchestre Philharmonique de Nice
David Garforth, direction
Durée : 2 h

Synopsis
Une place de village, des jeunes gens en proie au désir amoureux dansent dans l’insouciance la plus charmante. Coppélia, une poupée qu’un vieux savant a rendue suffisamment réaliste provoque la jalousie d’une demoiselle un brin  capricieuse et sur le point de se marier.

L’oeuvre possède tous les ingrédients du succès, avec un équilibre parfait entre la pantomime, la danse et la musique de Léo Delibes. Elle valorise l’ensemble des danseurs qui font preuve sur scène d’une grande complicité et  d’un enthousiasme communicatif, notamment à travers les danses colorées empruntées au folklore d’Europe Centrale. Seul personnage demeuré en retrait de cette joie contagieuse, Coppélius, est obsédé par l’idée de transmettre la vie
à un automate plutôt que de considérer celle qui fleurit sous sa fenêtre. Malgré tout, ce vieux personnage resté dans l’enfance émeut par sa naïveté et montre qu’il n’est pas un misanthrope endurci. Mais un savant qui a du cœur… Coppélia, la fille aux yeux d’émail est un ballet mythique à (re)voir pour en mesurer l’appel au rêve, au surnaturel, à la force enivrante d’une imagination flamboyante et tendre : les relations de Frantz et Coppelia, du savant Coppélius et de Swanilda affirment des individualités non des types. Chef d’œuvre éternel.

Compte rendu, opéra. Pourrières, l’Opéra au village. Le 23 juillet 2015. Deux Vieilles gardes de Léo Delibes. La Bonne  d’enfant, d’Offenbach  

pourrieres-opera-au-village-2015-offenabch-delibesA Pourrières, opération transfert. On ne le répétera jamais assez, ce festival, né de la volonté d’un groupe d’actives personnes ou personnalités du village de Pourrières, aux confins des Bouches-du-Rhône et du Var, a su entraîner dans son dynamisme nombre de villageois qui le vivent désormais comme une expérience non seulement estivale, mais aussi annuelle, puisque l’année y est désormais jalonnée de concerts qui ponctuent patiemment en pointillés la ligne d’une activité musicale continue de qualité, qui enfin s’élargit en trois longues soirées festives d’été. Ce festival allie joyeusement la gastronomie, l’art de la bouche, et l’art de chanter : il mérite le nom d’opéra bouffe, à tous les sens plaisants des termes, lyrique et culinaire, qu’on arrose des généreux vins du cru généreusement offerts par des vignerons locaux. D’autant que la solide équipe qui le préside lui a donné l’identité de brèves saynètes comiques, bouffe donc, qui mêlent comédie et chant grâce à une troupe de jeunes artistes des plus talentueux.

 

 Ancien lieu

 Jusqu’à l’an dernier, il se nichait, se lovait dans le minuscule cloître du Couvent des Minimes, à l’abri d’un marronnier qui en couvrait amoureusement presque tout l’espace, sous la douce vigilance du joli clocher de l’église au porche d’entrée humblement gothique : humilité amicale des pierres pain d’épice patiemment entassées par quelques moines sans prétentions maximales, au modeste nom bien mérité de Minimes, au XIIIe siècle, pour en faire un petit lieu de méditation, barque de pierre arrimée à un cyprès entre le creux de la vague d’un vallon et la douce ondulation d’une crête, à ses pieds les vaguelettes tranquilles des sillons des labours de cultures en terrasses et les sages lignes parallèles des vignes. On n’oubliera pas, le long du mur aux vieilles pierres rousses de crépuscule, sous une allée de marronniers, les repas à thème lyrique, préparés par les gens du village, pris joyeusement en commun, qui précédaient les festivités musicales. Aujourd’hui, le cloître, le couvent des Minimes est classé monument national : pas besoin d’être un grandiose monument pour mériter ce titre, la modestie est aussi récompensée.

 

 Nouveau lieu : Place du Château

Ce n’est pas sans pincement de cœur qu’on s’apprêtait à découvrir l’un des nouveaux lieux et, comme un exorcisme et un salut nostalgique, on allait d’abord caresser encore du regard l’ancien cœur battant du festival, le petit couvent au creux d’un chemin vert, avant de grimper vers la hauteur du village, sous le fier clocher provençal couronné de son feston de fer, la Place du Château —qu’on chercherait en vain. De cette hauteur, le spectacle, le paysage couperait le souffle s’il n’y avait, dans sa beauté, une sérénité aimable et humaine de vieille terre de culture, j’entends aussi cultivée, civilisée. Du haut de cette vaste terrasse, on domine un large panorama, plus ouvert que limité par des montagnes : au sud-est, la ligne de crête de la chaîne de l’Étoile bleuie de lointain ; à l’est, la sainte Baume où, dit-on, se retira Marie Madeleine, fait un fond au Mont Aurélien de l’antique Voie aurélienne et, face à elle, en parallèle verticale, au nord-ouest, dans un apaisement de son relief, le versant sud de la grandiose Sainte Victoire chère à Cézanne finit en faisant le dos rond pour laisser un vaste espace à une plaine, un plateau adouci entre ces murs montagneux. Et Pourrières vit naître et mourir Germain Nouveau (1851-1920), poète maudit prisé des surréalistes, et non sans influence sur les Illuminations de son ami Rimbaud.

Sur la terrasse, des villageois d’affairent à dresser les tables du repas qui prélude au spectacle et servent avec diligence, simplement et sympathiquement, les convives et futurs spectateurs. Tous les responsables du festival et les bénévoles, et même la démocratique Présidente, cravatés de lumières comme autant de clins d’œil, mettent la main à la pâte avec une bonhomie efficace, qui ne dissimule pas, au regard averti, tout le travail d’intendance que suppose pareille organisation, installation des gradins de la scène et ce restaurant improvisé à l’air vraiment libre. On goûte le paysage et savoure les plats en conviviale compagnie, le soleil sculpte encore les reliefs sud de Sainte Victoire avant d’en faire une ombre chinoise bleue sur horizon rose et gris en passant derrière, incomparable fond de scène, à jardin du petit théâtre de tréteaux dressé sur la place. On retrouve, avec une souriante émotion, dans cette simplicité de bon aloi, quelque chose des modestes mais fortes fêtes de village, de quartiers, aujourd’hui disparues, qui, ne serait-ce qu’à la faveur d’un spectacle, par la grâce d’un bal, d’un concert partagés resserraient la cohésion d’une communauté, soudaient les groupes, les liens sociaux malheureusement si distendus de nos jours.

On se disait, sans préjuger du spectacle, que le pari était déjà gagné.

 

LES SPECTACLES

 

La suite le confirmait amplement. C’est un bonheur sensible, pour un critique, quand l’affect et l’intellect se rejoignent, sans que le jugement soit la dupe du cœur, que de saluer la réussite si évidente de ce spectacle constitué de deux opérettes. D’abord, l’équipe de Pourrières, son directeur artistique et metteur en scène, Bernard Grimonet, Luc Coadou, le directeur musical et chef, nous a habitués à des pièces rares, oubliées ou méconnues, exhumées et rendues à la vie et à leur verve pour nous. Ce travail premier de recherche tient d’une heureuse résurrection. Ce soir, des deux œuvres présentées, il n’existe que la partition piano chant, et il faut noter, justement, question notes, que tout ce travail de broderie instrumentale est une création dans cette recréation, un travail minutieux dû au chef Coadou et à Isabelle Terjan, pianiste, qui, des cordes percutée de son instrument, assure une sorte de continuo secondé des cordes frottées du violoncelle de Virginie Bertazzan, dans le chatoiement irisé de l’accordéon d’Angélique Garcia et les ironiques éclats de la clarinette d’Aurélia Céroni. Si l’on ajoute que tous ces excellents musiciens sont professeurs dans des écoles ou conservatoires de région, à l’exception de Luc Coadou, à la carrière internationale, on souligne l’originalité locale de qualité de ce festival qui permet à des artistes du cru de se produire chez eux en participant à cette belle aventure collective, où même costumes et décors sont conçus et créés sur place par ces habitants d’un petit village qui voit grand.

 

 Deux vieilles gardes 

C’est la première partie. Farce en un acte, musique de Léo Delibes,
 livret de Ferdinand de Villeneuve et Alphonse Lemonnier. L’opérette fut représentée pour la première fois à Paris,
en 1856, au Théâtre des Bouffes Parisiens d’Offenbach, commande d’Offenbach lui-même qui avait senti toute la capacité de ce jeune homme de vingt ans, dont le maître, Adolphe Adam, mourut l’année même où il donnait, pour ce même théâtre, Les Pantins de Violette donnés ici l’an dernier.  Pochade légère et lourde par le sujet, situation inverse du népotisme bourgeois comme dans Don Pasquale de Donizetti, le jeune Fortuné est infortuné, son oncle l’a déshérité au profit d’un intrigant, le privant de l’espoir d’épouser sa bien-aimée : pas de mariage sans héritage, loi bourgeoise.


Pour fléchir son intraitable parent, il feint une grave maladie. Son oncle lui envoie deux garde-malades  ou gardes, guère anges gardiens, Mesdames Vertuchou et Potichon, rôles chantés ici par des hommes. Si l’on imagine que Fortuné est un rôle confié à une soprano on voit déjà le ressort bouffe de ces travestis, exacerbé par le malicieux traitement du metteur en scène Bernard Grimonet. Le seul personnage assumant son vrai sexe sera Mikhaël Piccone qui campe un apothicaire passager.

Le faux malade affecte tellement la maladie que le croyant à l’agonie, les deux harpies, voraces rapaces, prises d’une fringale effrénée, pillent le logis tout en échangeant des confidences, familière harangue de harengères, langage outrancier, truculent, truffé d’involontaires jeux de mots par la Vertuchou :  cloître pour goitre, cerceau pour sursaut, chapeaux en Espagne, la brise de la Bastille, la caniche (pour calife) de Bagdad, le nègre plus ultra, un ogre de barbarie, la reine Marie aux toilettes pour Marie-Antoinette, etc, etc. Cela ne vole pas très haut toujours mais le systématique excès n’en repose pas moins sur une observation subtile des mécanismes du langage chez des gens simples épris de termes compliqués qu’ils entendent sans comprendre et répètent, décalés, décalqués, phénomène très sensible aujourd’hui avec tant de termes savants tombés du haut de la télévision, reproduits béatement par des ignorants innocents, répétés approximativement à l’oreille sans le contrôle d’un écrit qu’on ne possède plus sans la lecture. Cela ne manque pas d’intérêt historique en ces années 1856 d’un Second Empire qui sent poindre, malgré tout, ce bienheureux SMIG culturel rigoureux des futures lois Jules Ferry et son admirable et démocratique Certificat d’Études primaires. Cela suppose aussi que le public, sûrement bourgeois, savait capter ces dérapages langagiers. 

Tentation d’éclairer rétrospectivement cette opérette inconnue d’un jeune homme par le compositeur d’âge mur de Lakmé et de Coppélia, avec une ouverture pimpante, la musique, quelques numéros guillerets, des danses, un air tendre pour la soprano travestie (Anne-Claire Baconnet), au joli timbre si féminin, au petit vibrato bien perlé, nous semble d’une transparence d’aquarelle et de la plus délicate facture, qui relève même d’une aura de poésie légère la lourdeur du sujet, presque scatologique avec la purge infligée en punition aux deux commères aigres et amères, avides de douceurs. En tous les cas, les deux joyeuses luronnes larrones, campées de façon inénarrable par les deux comparses travestis, les ténors Denis Mignien, en ronde et oronde potiche Potichon, yeux ronds ou furibards, joues rebondies, bouffie en robe bouffante de crinoline et falbalas, affublé d’une charlotte ébouriffée, forte voix terrienne, et Guilhem Chalbos, affûtant de fausset son timbre clair de pimbêche maniérée,  pincée, nez pincé de bésicles, l’un(e) en largeur, accusée par les falbalas et fleurs de sa robe, l’autre en hauteur collet monté étriqué des lignes verticales de la sienne (Mireille Caillol et son équipe), rondeur et minceur, font une paire impayable dans le jeu, le chant et ce duo et duel, canne contre parapluie. C’est réglé, même dans la verbeuse prose du texte, comme du papier à musique par le metteur en scène Grimonet et le chef Coadou qui tient même la folie de la scène dans la rigueur musicale de la fosse.

 

 La bonne d’enfant 

Transformant à vue le simple décor de la première opérette, sur une musique de danse de Delibes et la présentation des deux pièces par Bernard Grimonet, le lit de malade devient berceau, une belle frise à liserés et liserons courant des cadres de portes au rebord de la cheminée et gagnant même le tissu d’une chaise, d’une sobre élégance, un transparent figurant un cartel et des flambeaux (Gérard Alain, Dominique, Yves, etc),  et nous voici dans un autre appartement bourgeois pendant que les chanteurs se dégriment et habillent pour la seconde opérette de la soirée, dans des costumes toujours seyants, de la même équipe d’une élégance Second Empire relevée de fantasques couleurs.  Musique de Jacques Offenbach, livret d’Eugène Bercioux, La Bonne d’enfant fut aussireprésentée pour la première fois en 1856 également, dans ce Théâtre des Bouffes Parisiens qui confinait l’inspiration d’Offenbach à des spectacles n’excédant pas quatre intervenants scéniques. Ce n’est qu’en 1858 que sera levée l’interdiction de limiter de nombre de chanteurs qui permettra à son génie de s’épanouir et donnera lieu à tant de ses chefs-d’œuvre. Pourquoi cette limitation ? Parce d’autres compositeurs mieux en cour, avaient ce privilège exorbitant de composer et d’écrire à leur aise pour le nombre d’exécutants laissé à leur indiscrète discrétion et finances. Mais, même réduit à quelques comparses, notre facétieux Offenbach écrit une multitude d’œuvres, plus d’une centaine sur ses près de sept cents compositions, une constellation d’opérettes brèves que l’Opéra au Village, comme autrefois le Festival Offenbach de Carpentras, nous permet aujourd’hui de découvrir peu à peu. 

L’intrigue est simple, simplette : Dorothée, bonne d’enfant chez un couple de bourgeois n’a qu’une idée en tête : devenir sa propre maîtresse en se mariant, le mariage (on parle de Mairie et non d’Église !) est gage de liberté. Elle hésite entre trois amoureux : le sérieux, bon parti, mais  « guère joli » un ramoneur aisé, le bel homme, sapeur de la garnison, mais « trop farceur », et Brindamour, le trompette des dragons, qu’on ne verra pas, dont elle ne sait pas s’il veut de l’hymen.

Le reste, c’est du vaudeville : entrée et sortie des amants postulants, cachette dans le placard, travesti, quiproquos, dont on peut imagine ce qu’en tire la veine et verve bouffe d’Offenbach.

Une ouverture plus fournie, avec en coda le thème de « Dodo, l’enfant do… » qui reviendra dans l’ensemble final, des airs plus consistants pour la belle Dorothée d’Anne-Claire Baconnet, dont une agréable valse à cocottes. Denis Magnien, vieille garde hagarde de la première partie, n’est ici que le bourgeois propriétaire et père. On retrouve avec bonheur Guilhem Chalbos, qui sait tout faire sur scène et en chant, en fumiste enflammé, amoureux transi et brûlant, plus séduisant de sa personne que séducteur aguerri face à sa belle, toujours convaincant dans son jeu très divers. Et l’on retrouve enfin, après son apparition fugace en première partie, le baryton Mikhaël Piccone, par ailleurs directeur de la Troupe lyrique méditerranéenne, remarquable metteur en scène, dont une production, Orphée aux Enfers dans laquelle Chalbos était un Pluton irrésistible, était digne d’un grand théâtre. Il a le rôle des plus drôles de l’officier des sapeurs, bien sapé dans son uniforme pantalon garance, flambant, fringant et frimeur, débitant magistralement avec une volupté verbale vertigineuse, avec une assurance et arrogance académiques, des tirades amoureuses à la syntaxe, au lexique et périphrases à rendre vertes de jalousie les précieuses de Molière et Monsieur Jourdain : « le liquide puéril » pour le lait de l’enfant, bordées et bardées d’épithètes centripètes, d’un cocotant vocabulaire cocasse et coruscant (intrinsèque, circonspect, subreptice, hypothèse, etc), où tout pèse et pose plaisamment, pompeux, pompier, mais jamais pompant.

Dans un tempo étourdissant sans solution de continuité, des gestes symétriques comiques réglés comme des danses, ce trio chante et joue à merveille, s’amuse visiblement malgré la terrible chaleur et les lourds costumes et communique généreusement au public une saine et heureuse gaîté.

Une réussite devenue un label de Pourrières, qui mériterait de tourner comme ses vins qui font tourner les têtes.

 

L’Opéra/au Village

Deux Vieilles gardes de Léo Delibes,

La Bonne  d’enfant, de Jacques Offenbach

Pourrières, Place du Château et château de Roquefeuille

 

23 et 25, 28 juillet, 21h30, repas à 20 h. tarif : 15 € pour le spectacle seul, 35 € avec le repas inclus. Renseignements :

mailto:contact@loperaauvillage.frcontact@loperaauvillage.fr,

www.operaauvillage.fr

06 98 31 42 06

 

 

 

Compte rendu, opéra.  Pourrières, l’Opéra au village. Le 23 juillet 2015. Deux Vieilles gardes de Léo Delibes. La Bonne  d’enfant, d’Offenbach

Isabelle Terjan, piano ; Virginie Bertazzan, violoncelle ; Angélique Garcia, accordéon ; Aurélia Céroni, clarinette. Direction musicale : Luc Coadou. Directeur artistique, metteur en scène, scénographe, Bernard Grimonet . Costumes : Mireille Caillol et son équipe. Décors : Gérard, Alain, Dominique, Yves, etc.  Régie : Sylvie Maestro et MDE Sound Live.

Avec : Anne-Claire Baconnais, soprano ; Denis Mignien, ténor ; Guilhem Chalbos, Mikhaël Piccone, baryton.

 

Paris. Féerie de La Source,ballet romantique au Palais Garnier

Paris, Palais Garnier : Ballet La Source. Jusqu’au 31 décembre 2014, le Palais Garnier vous offre une soirée au romantisme orientaliste et féerique irrésistible : La Source (1866) récente recréation de la maison (2011) ressuscite, affirmant derechef la cohérence esthétique du spectacle et l’excellence des danseurs parisiens. En réexhumant le ballet La Source de Saint-Léon, Minkus et Delibes, Jean-Guillaume Bart, ex étoile parisienne, réussit totalement: régénéré dans ses décors somptueux et une chorégraphie subtile et fluide, le spectacle devrait s’inscrire durablement sur la scène de Garnier, devenant même l’équivalent du Lac des cygnes ou de La Bayadère.

La Source : un jaillissement romantique et féerique !C’est de facto in loco un «  romantisme réenchanté ».On aime l’équilibre des épisodes et des tableaux, l’alternance ciselée des numéros solistiques et des collectifs spectaculaires (les épisodes des nymphes comptent jusqu’à 20 ballerines), l’enchantement permanent d’une danse jamais purement athlétique et démonstrative, mais qui sait a contrario relire le vocabulaire du romantisme féerique et orientalisant, laissant aux 5 personnages clés, l’occasion de composer des personnages de chair et de sang. En préservant le caractère dans chaque pas, l’élégance et la clarté du dessin, la simplicité des tableaux symétriques, Bart fait un ballet aussi prenant et enchanteur que les classiques du genre: le Lac des Cygnes ou La Bayadère (1992, chorégraphie de Noureev). Mais le chorégraphe va plus loin qu’une simple évocation réactualisée du ballet romantique français: il en révèle grâce à d’excellentes coupes, la poésie, la grâce et la subtilité. L’orientalisme du sujet est bien présent (les costumes des Caucasiens et des Odalisques signés Christian Lacroix rappellent Bakst) et le déroulement de l’action du début à la fin, soigne les enchaînements et les contrastes. Voici un grand ballet digne de la maison parisienne, dont les enchantements multiples font un spectacle résolument incontournable. D’autant plus adapté pour les fêtes et les sorties familiales.
LIRE nos critiques du ballet La Source, octobre 2011, décembre 2014.

Une soirée exceptionnelle à voir et revoir au Palais Garnier à Paris les 2, 3, 5, 6, 7, 8, 10, 12, 13, 15, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 29, 30 et 31 décembre 2014. Spectacle idéal pour les fête de cette fin d’année 2014.

Compte rendu, danse. Paris. Palais Garnier, le 2 décembre 2014. Jean-Guillaume Bart : La Source. Muriel Zusperreguy, François Alu, Audric Bezard, Vamentine Colasante… Ballet de l’Opéra de Paris. Minkus, Délibes, compositeurs. Orchestre Colonne. Koen Kessels, direction musicale.

la source bart carre vignetteLa Source revient au Palais Garnier à Paris trois ans après sa création pour notre plus grand bonheur ! (LIRE notre premier compte rendu de la création de La Source au Palais Gariner, le 25 octobre 2011 par Alban Deags) Le professeur et chorégraphe français (ancien danseur Etoile) Jean-Guillaume Bart signe une chorégraphie très riche inspirée du ballet éponyme original d’Arthur Saint-Léon crée en 1866. Pour cette aventure, il est rejoint par une équipe artistique fabuleuse, avec notamment les costumes de Christian Lacroix, les décors d’Eric Ruf. L’Orchestre Colonne accompagne les différentes distributions sous la direction musicale de Koen Kessels.

 

 

 

Une Source éternelle de beauté

Le livret de La Source, d’après Charles Nuitter, est l’un de ces produits typiques de l’ère romantique inspiré d’un orient imaginé et dont la cohérence narrative cède aux besoins expressifs de l’artiste. L’actualisation élaborée par Jean-Guillaume Bart avec l’assistance de Clément Hervieu-Léger pour la dramaturgie, rapproche le spectacle, avec une histoire toujours complexe, à l’époque actuelle et y explore des problématiques de façon subtile. Ainsi, nous trouvons le personnage de La Source, appelé Naïla, héroïne à la fois pétillante, bienveillante et tragique, qui aide le chasseur dont elle est éprise, Djémil, à trouver l’amour auprès de Nouredda, princesse caucasienne aux intentions douteuses. Elle est promise au Khan par son frère Mozdock. Un Djémil ingénu ne reconnaît pas l’amour de Naïla qui se donne et s’abandonne en se sacrifiant pour que Djémil et Nouredda puisse vivre leur histoire d’amour. La Source a des elfes, des nymphes, des caucasiens caractéristiques, les odalisques du Khan exotiques, et tant d’autres figures féeriques… Si l’histoire racontée parle de la situation de la femme, toute époque confondue, il s’agît surtout de l’occasion de revisiter la grande danse noble de l’Ecole française, avec ses beautés et ses richesses. Un faste audio-visuel et chorégraphique, plein de tension comme d’intentions.

 

 

 

Rafinement collectif, virtuosités individuelles…

source bart delibes opera garnier paris decembre 2014 49199La-SourceNous sommes impressionnés par la qualité et la grandeur de la production dès le levée du rideau. L’introduction fantastique révèle non seulement les incroyables décors d’Eric Ruf, mais présente aussi les elfes virevoltants de La Source. Zaël, l’elfe vert en est le chef de file. Il est interprété ce soir par Axel Ibot, Sujet, sautillant et léger, avec un regard d’enfant qui s’associe très bien à l’aspect irréel du personnage, dont la danse est riche des difficultés techniques. Audric Bezard dans le rôle de Mozdock, le frère de la princesse caucasienne, est magnétique sur scène. Il fait preuve d’une beauté grave par son allure, amplifiée par un je ne sais quoi d’alléchant dans sa danse de caractère, souple et tranchant au besoin. Si nous trouvons ses atterrissages parfois pas très propres, son investissement, sa présence sur scène, et sa complicité surprenante avec ses partenaires, notamment avec sa sÅ“ur Nouredda, éblouissent. François Alu en Djémil est aussi impressionnant. Le jeune Premier Danseur a l’habitude d’épater le public avec une technique brillante et une virtuosité insolite et insolente. Ce ne sera pas autrement ce soir, mais nous constatons une évolution intéressante chez le danseur. Le personnage de Djémil semble ne jamais être au courant des vérités sentimentales de ses partenaires. Il subit l’action presque. Dans ce sens il n’a pas beaucoup de moyens d’expression, à part la danse. C’est tant mieux. Dès sa rentrée Alu frappe l’audience avec une virilité palpitante sur scène (trait qu’il partage avec Bezard) ; tout au long de la représentation, c’est une démonstration de prouesses techniques époustouflantes, de sauts et de tours à couper le souffle.

Indiscutablement, le danseur gagne de plus en plus en finesse, mais nous remarquons un fait intéressant… Il est si virtuose en solo qu’il paraît un tout petit peu moins bien en couple. Nous pensons surtout à la fin de la représentation, qu’il y avait quelque chose de maladroit dans ses portés avec la Nouredda d’Eve Grinsztajn, peut-être une baisse de concentration… due à la fatigue.

La-Source-danse-Opera_pics_390Les femmes de la distribution ce soir offrent aussi de très belles surprises. Trois Premières Danseuses dont les prestations, contrastantes, révèlent les grandes qualités de leurs techniques et de personnalités. Eve Grinsztajn est une Nouredda finalement formidable, même si nous n’en avons eu la certitude qu’après l’entracte. C’est une princesse séduisante manipulatrice et glaciale à souhait, avec un côté méchant mais subtile qui montre aussi qu’il s’agît d’une bonne actrice. Mais c’est après sa rencontre avec le Khan (fabuleux Yann Saïz!), et l’humiliation qui arrive, que nous la trouvons dans son mieux. Elle laisse tomber la couverture épaisse et contraignante de la méchanceté et de la froideur après le rejet du Khan et devient ensuite touchante, presque élégiaque. La Naïla de Muriel Zusperreguy est tous sourires et ses gestes sont fluides et ondulants comme l’eau qui coule. Une sorte de grâce chaleureuse s’installe quand elle est sur scène, avec une délicatesse et une fragilité particulière. Elle fait preuve d’un abandon lors de son échange avec le Khan auquel personne ne put rester insensible. Une beauté troublante et sublime. Finalement, Valentine Colasante campe une Dadjé (favorite du Khan) tout à fait stupéfiante ! En tant qu’Odalisque elle paraît avoir plus d’élégance et de prestance que n’importe quelle princesse méchante… Elle est majestueuse, caractérielle, ma non tanto, avec des pointes formidables… Sa performance brille comme les bijoux qui décorent son costume exotique !

Qu’en est-il du Corps de Ballet ? Jean-Guillaume Bart montre qu’il sait aussi faire des très beaux tableaux, insistons sur la tenue de ces groupes, chose devenue rare dans la danse actuelle. Les nymphes sont un sommet de grâce mystérieuse mais pétillante, elles deviennent des odalisques altières et alléchantes. Les mêmes danseuses plus ou moins dans le même décor, dans les ensembles ne se ressemblent pas, et les groupes sont tous intéressants. De même pour les caucasiens et leur danse de caractère, à la fois noble et sauvage. L’orchestre Colonne sous la direction de Koen Kessels joue aussi bien les contrastes entre la musique de Minkus, simple, pas très mémorable, mais irrémédiablement russe et mélancolique, et celle de Léo Delibes, sophistiquée, raffinée, plus complexe. Il sert l’œuvre et la danse avec panache et sensibilité, avec des nombreux solos de violon et des vents qui touchent parfois le sublime.

 

 

Une soirée exceptionnelle dans le Palais de la danse, à voir et revoir au Palais Garnier à Paris les 2, 3, 5, 6, 7, 8, 10, 12, 13, 15, 17, 19, 20, 22, 23, 24, 26, 27, 28, 29, 30 et 31 décembre 2014. Spectacle idéal pour les fête de cette fin d’année 2014.

Compte rendu, danse. Paris. Palais Garnier, le 2 décembre 2014. Jean-Guillaume Bart : La Source. Muriel Zusperreguy, François Alu, Audric Bezard, Vamentine Colasante… Ballet de l’Opéra de Paris. Minkus, Délibes, compositeurs. Orchestre Colonne. Koen Kessels, direction musicale.

 

 

 

Delibes : Lakmé

Paris. Opéra Comique. Delibes : Lakmé. France Musique, le 18 janvier 2014, 20h. Léo Delibes (1836-1891), comme Gouvy fait partie des compositeurs romantiques français méconnus, mésestimés à torts. Le jeune choriste à la création du Prophète de Meyerbeer, élève d’Adam, auteur d’opérettes finement troussées, se fait remarquer en livrant la musique pour l’acte II du ballet La Source de Minkus à l’Opéra de Paris (1863). La partition plaît tant qu’on lui demande alors un ballet complet : Coppelia, créé en 1870, sommet de l’orchestration française, et aussi de la musique chorégraphique, synthétisant le style Second Empire. Tchaïkovski pour Le Lac des Cygnes et La Belle au bois dormant saura assimiler l’élégance instrumentale et le raffinement dont fut capable Delibes dans l’écriture orchestrale, y compris pour le ballet.

 

 

 

Eclectisme orientaliste
Lakmé sur instruments d’époque

 

delibesAprès la guerre, Léo Delibes livre un nouveau ballet tout aussi applaudi, Sylvia (1876) d’une prodigieuse invention mélodique. Mais c’est à l’opéra que le compositeur offre ses meilleurs musiques : Jean de Nivelle, 1880 puis surtout Lakmé, 1883, – ces deux derniers ouvrages pour l’Opéra-Comique. En trois actes, Lakmé, chef d’oeuvre orientaliste incarne le raffinement de l’orchestre de Delibes : en Inde à l’époque colonialiste, la fille du brahmane fanatique, Lakmé aime le beau soldat anglais Gerald. Mais le devoir militaire et l’intrigue de son père, auront raison de l’amour éperdu de la belle indienne qui ne survira pas à cette histoire amoureuse qui vaut surtout pour les effusions sentimentales et les captivantes évocations à l’orchestre. L’air des clochettes (aux terribles vocalises) a fixé dans l’imaginaire collectif l’art de Delibes, une écriture majeure dans l’histoire du romantisme français, à la fois éclectique, tendre et brillante, surtout suave quand parait le couple des amants. Ici l’effusion supplante le réalisme des situations et c’est essentiellement l’orchestre flamboyant et transparent qui assure la cohérence de l’ouvrage.

Paris, Opéra-Comique. Les 10,12,14,16,18,20 janvier 2014

logo_francemusiqueFrance Musique, samedi 18 janvier 2014, 20h
En direct

 

 

Léo Delibes: Lakmé
Opéra en trois actes.
Livret d’Edmond Gondinet et Philippe Gille
Créé le 14 avril 1883 à l’Opéra Comique

Sabine Devieilhe, soprano, Lakmé
Frédéric Antoun, ténor, Gérald
Elodie Mechain, alto, Mallika
Paul Gay, basse, ilakhanta
Jean-Sébastien Bou, baryton, Frédéric
Marion Tassou, soprano, Ellen
Roxane Chalard, Rose
Hanna Schaer, Mistress Bentson
Antoine Normand, ténor, Hadji
Laurent Deleuil, Un Domben
Accentus
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction

 

 

Coppelia (Delibes, Bart, 2011)

coppelia_bart_paris_delibes_bartMEZZO. Delibes: Coppélia, chorégraphie de Patrice Bart, le 30 décembre 2013 à 15h. Le vieux Coppélius, fabricant de poupées automates, a l’ambition d’en créer une hyper-réaliste et douée d’une âme. Frantz s’éprend de la dernière création du vieillard, entrevue par la fenêtre : c’est Coppélia dont il ne soupçonne pas qu’il s’agit d’une marionnette.
Swanilda sa fiancée, jalouse s’introduit dans l’atelier. Frantz y pénètre à son tour, surpris par Coppélius qui tente à l’aide d’un breuvage de sa composition de l’endormir pour lui ravir son âme. C’est alors que la poupée Coppélia s’anime, et pour cause : Swanilda a pris la place de la poupée. Elle brise les automates et s’enfuit avec son fiancé qu’elle épousera à la fête du village…

Mirage ou figure idéale, Coppélia suscite chez le fiancé Frantz, un trouble profond… qui lui fait oublier jusqu’à son véritable amour, du moins celui réel (et peut-être non idéal) : Swanilda. Le ballet puise son intrigue chez Hoffmann, poète romantique, chef de file du fantastique féerique : rien n’est équivalent en terme d’illusion et d’enchantement à cette esthétique de l’illusion où toujours, l’amour est une tromperie.
C’est la force concrète de Swanilda qui vainc les enchantements d’un démiurge finalement dépassé, Coppelius.

Coppélia, genèse

Avec Gisèle, Coppélia est l’emblème du ballet romantique français. L’ouvrage découle d’une collaboration riche et fructueuse entre Léo Delibes (mélodiste et orchestrateur de premier plan) et le danseur et musicien, Arthur Saint-Léon, lequel fournit au jeune compositeur, idées, astuces mais aussi mélodies glanées pendant ses voyages nombreux entre Paris et Saint-Pétersbourg où le mène sa carrière paneuropéenne, plutôt très active. L’écrivain archiviste à l’Opéra de Paris, Charles Nuitter adapte pour eux, l’intrigue d’après la nouvelle de ETA Hoffmann (Der Sandmann, 1816) dont s’est aussi largement inspiré Offenbach pour son premier tableau des Contes d’Hoffmann (acte d’Olympia): Nathanaël tombe amoureux de la fille du professeur Spalanzani: Olympia, une créature divine qui n’est… qu’une automate, créé par Spalanzani avec la collaboration du savant délirant Coppélius (Coppola). Mais les deux géniteurs se disputent et la poupée en fait les frais: elle perd ses yeux… Nathanaël témoin de la bagarre, comprend qu’il a été trompé et devient fou. Clara sa fiancé apaise un temps son tourment mais le jeune homme, aveuglé et trahi, se suicide du haut du clocher de l’église, après avoir aperçu dans la foule au-dessous, le mystérieux Coppélius. Fantastique et tragique se mêlent ici pour créer un spectacle à la magie illusoire; l’onirisme cède le pas au vertige de l’amertume et de la tromperie…  Le ballet a été conçu par Saint-Léon qui travaille en très étroite complicité avec le compositeur Delibes.
Dans la transcription pour l’Opéra impérial, Nuitter édulcore la gravité originelle et l’ambivalence onirique et fantastique du drame: il en fait une comédie légère non dénuée de profondeur et d’éclairs mystérieux: ainsi naît le ballet Coppélia ou la fille aux yeux d’émail présenté à l’Opéra le 25 mai 1870. Olympia devient Coppélia; Nathanaël, Franz; Clara, Swanilda. Le succès est immédiat; l’Empereur conquis ne ferma pas les yeux pendant la création, (c’est dire!) et après 40 représentations, le ballet est transféré au Palais Garnier flambant neuf en 1875, devenant l’un de ses spectacles emblématiques.
L’Opéra national de Paris profite de la reprise de l’ouvrage en 1996 pour actualiser la version originelle de Saint-Léon. L’ex danseur et maître de ballet à l’Opéra, Patrice Bart, réécrit le profil des personnages (Spalanzani devient l’assistant du professeur Coppélius qui est un aristocrate déçu par l’amour), ajoute des musiques complémentaires d’autres partitions de Léo Delibes (extraits de Lakmé, du Roi l’a dit…) … il fusionne aussi les figures de Coppélia et de Swanilda: car pour raviver l’amour et la flamme (le goût à la vie) de Coppélius, Spalanzani s’engage à prendre l’âme d’une innocente afin d’en doter la poupée qu’ils ont fabriqué.  Mais à mesure que la jeune femme perd sa flamme au profit de la poupée, Coppélius se sent attirer par la jeune femme ainsi dépossédée. Tableau essentiel, dans l’atelier de Spalanzani, Swanilda revêt le costume de la reine des blé, puis danses des figures espagnoles et écossaises, s’identifiant à la ballerine dont fut tant épris Coppélius… la danseuse réelle éblouit par son élégance: elle dépasse même ce que fit la poupée.
Patrice Bart approfondit le rôle de Frantz: il est étudiant (et non plus silhouette à peine élaborée du ballet de Saint-Léon où le rôle était traditionnellement dansé par une femme!). Pas de deux, pas de trois, le personnage du jeune homme prend ici de l’épaisseur… C’est lui qui sauve Swanilda du piège tendu par les deux hommes mûrs prêts à ravir son âme trop enviable.

La production présentée en mars 2011 au Palais Garnier souligne la part du fantastique et du rêve, tout en permettant aux deux jeunes amants de se retrouver dans un duo triomphal. Ni le port altier de prince blessé mais digne qui s’ouvre enfin à l’amour de José Martinez, ni la grâce aérienne de Dorothée Gilbert, sans compter l’excellent et malicieux Fabrice Bourgeois (Spalazani équivoque et idéal) n’affectent l’excellente réalisation de cette Coppélia 2011 dans la vision en rien datée de Patrice Bart: la dramaturgie reconstituée par le chorégraphe et ex danseur étoile de l’Opéra de Paris, délivre toujours ses qualités visuelles et théâtrales. Même le Frantz de la jeune étoile (parfois fébrile dans ses enchaînements, Mathias Heymann) défend avec conviction un personnage totalement repensé… Les ensembles sont soignés; le duo des jeunes amoureux rééquilibre absolument l’action du ballet romantique et les options parisiennes (décors et danse) savent régénérer ce caractère de féerie et de mystère, de fantastique entre illusion et réalité, tragédie et art qui font de Coppélia, l’un des ballets romantiques français les plus captivants. Dommage cependant que l’Orchestre Colonne n’exprime en rien la finesse instrumentale de la partition, l’un des joyaux du romantisme musical… que les orchestres d’époque, Les Siècles en tête, savent si superbement transfigurer. A quand une reprise de Coppélia avec orchestre d’époque? Le bénéfice musical en sortirait largement gagnant comme la magie de la réalisation scénique et chorégraphique. Un spectacle où l’illusion et l’imaginaire pèsent de tout leur poids, le mérite définitivement.

Production magistrale qui mérite absolument sa publication en dvd. Swanilda: Dorothée Gilbert. Frantz: Mathias Heymann. Coppélius: José Martinez. Spalanzani: Fabrice Bourgeois. Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris. Orchestre Colonne. Koen Kessels, direction. Chorégraphie: Patrice Bart (1996). Filmé à Paris, Palais Garnier, mars 2011. 1 dvd Opus Arte

 

Coppélia
Chorégraphie de Patrice Bart

Musique de Léo Delibes
d’après le conte d’Hoffmann,  L’Homme au sable

Orchestre Colonne
Koen Kessels, direction

Dorothée Gilbert (Swanilda)
Mathias Heymann (Frantz)
José Martinez (Coppélius)
Fabrice Bourgeois (Spalanzani)
Et le Corps de Ballet de l’Opéra National de Paris

Réalisé par Vincent Bataillon (2011 – 1h35)
Enregistré au Palais Garnier, Paris