Palmes pour le Renaud de Paul Agnew, certes voix usée mais diction de lion, claire et si intelligible: le ténor aujourd’hui devenu chef, montre la voix à suivre: diction et distinction. Parmi leurs partenaires, saluons la profil plein de promesses d’Anders Dahlin (un amant malheureux): prestance scénique et chien vocal; Claire Debono et Isabelle Druet, piquantes voix dramatiques dans divers rôles du Prologue aux différents actes…
Problématique à bien des égards reste la mise en scène de Robert Carsen: trop de sophistication et de décalage esthétisant nuisent à la grandeur versaillaise du texte et de l’action. Le merveilleux, composante essentielle de la tragédie en musique de Lully est totalement absent, remplacé par un kitsch prétentieux dérivé des clips publicitaires les plus artificiels. Qu’ici Renaud s’endorme en touriste à Versailles dans le lit du Roi, pourquoi non? Mais le superflu du décalage force la tension de l’interprétation qui s’en trouve contrainte, crispée, raidie, refroidie… Dans le Prologue, Gloire et Sagesse deviennent conférencière au château projetant une série de diapos dont l’orchestre muselé doit accompagner la série: la musique du Surintendant, si majestueuse et naturelle, s’en trouve corsetée, maniérée, convulsive. Du grand gâchis au nom de petites idées scéniques?
La froideur atteint les costumes et les décors, soulignant le clinquant voire le bling bling prétentieux au détriment de l’onirisme et de la grandeur tragique pourtant si humaine d’Armide: l’histoire est bien celle d’un monstre magicien affaibli par cet amour qu’il ne maîtrise pas. Robert Carsen prend à la lettre ce qui devrait être allusif: la défaite d’Armide quand Renaud délivré par ses deux compagnons d’armes au V, rejoint le champs de bataille (son véritable monde), devient suicide !
Pourquoi tuer la Magicienne qui selon le livret d’impuissance se fait haine sur son char volant? Seul épisode mémorable et donc vrai instant de théâtre, la Haine démoniaque et savoureuse mais aussi troublante et travestie de Laurent Naouri en nuisette de satin rouge!
Le décalages et relectures sont toujours intéressants sauf quand ils cassent comme ici la cohérence et la vérité de l’oeuvre. C’est en définitive ce trop plein de fausses idées qui font l’échec de cette production: trop brillante… trop creuse. Tout un monde semble séparer Carsen d’un Villégier, lequel sait citer Versailles mais avec une poésie de la nostalgie et du funèbre autrement plus visuelle et onirique: voyez son Atys, avec le même Christie, devenu depuis 1986, légendaire (à juste titre). Visiblement chez Lully, Carsen ne s’est pas faire.
Dans la fosse, William Christie souffre d’un tel ratage scénique: trop d’artifices font obstacle à l’élocution fluide et naturelle de la majesté versaillaise. La tension contraint les respirations, le trouble, la nostalgie. Que ce Lully corseté paraît serré, pressé, … caricatural. Dommage.
Jean-Baptiste Lully: Armide (1686). Claire Debono (La Gloire, Phénice, Lucinde), Isabelle Druet (La Sagesse, Sidonie, Mélisse), Stéphanie d’Oustrac (Armide), Nathan Berg (Hidraot), Paul Agnew (Renaud), Marc Mauillon (Ubalde, Aronte), Marc Callahan (Artémidore), Andrew Tortise (Le Chevalier Danois), Laurent Naouri (La Haine), Anders J. Dahlin (un amant fortuné)… Chœur et Orchestre Les Arts Florissants. William Christie, direction musicale. Robert Carsen, mise en scène. Jean-Claude Gallotta, chorégraphie. Gideon Davey, décors et costumes, Robert Carsen et Peter Van Praet, lumières