mardi 19 mars 2024

CONCOURS. COMPTE-RENDU FINALES ET PALMARÈS CONCOURS LONG-THIBAUD-CRESPIN 2019 (Piano). PARIS, les 15 et 16 novembre 2019.

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concours-long-thibaud-crespin-annonce-palmares-critique-classiquenews-piano-chantCOMPTE-RENDU FINALES ET PALMARÈS CONCOURS LONG – THIBAUD – CRESPIN, Piano 2019. PARIS, Auditorium de Radio France, les 15 et 16 novembre 2019. Les 15 et 16 novembre se sont déroulées les épreuves concerto du Concours International Long-Thibaud-Crespin à l’Auditorium de Radio France, devant un jury présidé par Martha Argerich, présente seulement pour ces finales. Devant un public fourni réunissant comme on se doute mélomanes mais aussi de très nombreux professionnels, les six pianistes se sont produits avec l’Orchestre National de France, dirigé par le chef Jesko Sirvend. A l’issue d’une longue délibération, Bertrand Chamayou, directeur artistique du concours et membre du jury a proclamé le palmarès en présence du jury au complet, depuis la scène de l’auditorium. Loin de convaincre, et d’obtenir l’adhésion de l’assistance, ce palmarès a provoqué les protestations du public, et un malaise général.

 

 

 

UN INCOMPRÉHENSIBLE PALMARÈS!

 

 
C’est le premier adjectif qui a fleuri sur les lèvres d’une assistance médusée, à l’annonce des résultats, et qui a continué de se répandre au fil de la soirée. Beaucoup ont même réagi avec des huées, applaudissant les jeunes artistes, mais exprimant désapprobation et colère à l’encontre du jury.

LAURÉATS:

Kenji MIURA, 1er Grand Prix Marguerite Long – Académie des Beaux-ArtsMIURA
Keigo MUKAWA, 2e Grand Prix
Zhora SARGSYAN, 3e Grand Prix de la Ville de Nîmes
Jean-Baptiste DOULCET,  4e Prix des Amis du Concours
Alexandra STYCHKINA, 5e Prix Albert Roussel
Clément LEFEBVRE, 6e Prix

 

 
Prix spéciaux:
Kenji Miura:
– Prix de sa S.A.S le Prince de Monaco pour la meilleure interprétation du concerto
– Prix Harrison Parrott
– Prix Warner Classics
Jean-Baptiste Doulcet:
– Prix du public

 

 

Le Prix de la SACEM, pour la meilleure interprétation de l’œuvre de Michael Jarrell, n’a pas été attribué. (C’est la conclusion que nous avons tirée, ce Prix, curieusement, n’ayant pas été évoqué à la proclamation, et l’absence du compositeur remarquée! Nous y reviendrons…)

Pourquoi une telle polémique aujourd’hui? Il est apparu évident que Kenji Miura était loin d’avoir fait la meilleure performance, constatation unanime. On ne l’attendait pas en finale, et encore moins en tête du palmarès. Revenons sur ce que nous avons entendu: en demi-finale, la seule pièce qui ait été convaincante est l’extrait de Cerdana de D. de Séverac. Pour le reste, Miura a versé dans la tentation du brio, une qualité certes, mais qui peut nuire à la profondeur et à la sincérité d’expression. Ainsi a-t-il favorisé le registre aigu du clavier, délaissant bien souvent les basses (nocturne n°13 de Fauré). Ses préludes de Rachmaninov étaient par trop clinquants. Son récital de finale n’était qu’honnête, sans plus, et il y aurait même à redire sur la finesse d’approche de ses Valses nobles de Ravel. Son Liszt pas si inspiré que ça (Après une lecture du Dante) n’a pas été exempt d’accrocs. Quant au concerto de Chopin, ce fut le moins intéressant de tous ceux entendus: touché très souvent dur et forcé, projeté, déclamé en permanence, propreté parfois douteuse. Alors vraiment, pourquoi et comment ce pianiste a-t-il raflé tous les prix ou presque? Certes, pas un des six finalistes ne s’est détaché, très au-dessus des cinq autres. Chacun s’est montré avec ses forces et ses faiblesses (du moment, ou pas). Les départir et les positionner relevaient d’un arbitrage qui se devait d’être soigneux et réfléchi, en fonction de critères clairement hiérarchisés. Mais prenons le cas du 6ème prix: Clément Lefebvre. Ce pianiste a démontré de réelles qualités de musicien, au-delà de ce qu’ont pu faire passer les autres à ce niveau, puisqu’il s’agit de comparer. Un véritable artiste, au sens poétique incontestable, sachant faire chanter son piano, imaginer des atmosphères, doser les sonorités, varier les couleurs, le toucher très fin, indiciblement touchant. Lui n’est pas allé dans la facilité de la flamboyance, ni dans l’efficacité des tempi ultra-rapides (concerto n°1 Beethoven). Ses Oiseaux tristes de Ravel avaient une profondeur de champs magnifique, sa Barque sur l’océan dans la mouvance du vent et de vagues parties des profondeurs n’était pas uniquement de reflets et de scintillements, ses Rameau de haute tenue comme au disque, Franck (Prélude, choral et fugue) très inspiré et poignant malgré les stigmates d’une fatigue perceptible à la toute fin. Enfin son concerto n°1 de Beethoven n’était peut-être pas dans les conventions classiques, mais quel raffinement dans l’expression, quelle personnalité, quelle noblesse, et quelle belle cadence! Et pourtant il n’était guère servi par l’orchestre, lourd, écrasant dans le premier mouvement notamment. Si ce pianiste ne pouvait prétendre au premier prix, tout au moins sa place aurait dû être deux ou trois crans au-dessus dans le palmarès. La jeune Alexandra Stychkina, a démontré une aisance incontestable, et ce même concerto de Beethoven a été autrement plus brillant, sonnant clair d’un bout à l’autre, mais constamment prévisible, dans cette efficacité que j’évoquais plus haut, se souciant assez peu du détail, allant droit au but (cadence passant quasi inaperçue), aidée cette fois par un orchestre un peu plus alerte que la veille. A noter que cette œuvre a tout de même révélé de son jeu un défaut notable de legato. Par ailleurs, elle est passé à côté de Debussy en particulier avec ses Reflets dans l’eau, trop précipités. Ses inventions de Bach sont sans conteste sa plus belle réussite. Keigo Mukawa a mérité sa deuxième place, et aurait dû être classé avant son compatriote: il a montré un très grand talent dans son 5ème concerto « l’Égyptien » de Saint-Saëns: très imaginatif, virtuose, il a dépassé la pure démonstration brillante. on retiendra ses passages très orientalistes, d’un exotisme rehaussé bien rendu et de bon goût, quoique sur-ligné, et sa fin éclatante. Mais il manquait quelque chose d’ineffable à ses miroirs de Ravel (récital de finale) bien que soignés formellement : ses Oiseaux tristes aux effets un peu trop appuyés voulaient trop exprimer. Sa Partita n°2 de Bach, quoique brillante, manquait de respiration. L’arménien Zhora Sargsyan s’est vu attribuer la troisième place, malgré un jeu pas toujours très soigné, quoique fluide, et des Kreisleriana flottantes (récital finales). Mais ce pianiste a cette qualité d’un son plein et rond, qui ne force pas, ce qui est agréable à l’oreille. On aurait attendu davantage d’imagination, notamment dans les contrastes expressifs de la Mephisto Waltz, entre séduction trompeuse, et brasier infernal. Enfin le second français Jean-Baptiste Doulcet a été une découverte, lui aussi avec ses qualités et ses défauts: une personnalité affirmée, un jeu engagé, des idées musicales intéressantes, mais parfois un son dur manquant de longueur, des attaques nerveuses. Son concerto n°3 de Bartók très théâtral et électrisant a fait son effet. Mais la longue et si belle mélodie du deuxième mouvement a manqué d’horizontalité, marqué par des attaques de l’avant-bras nuisant à la ligne. Son parcours sur la durée du concours était cohérent avec un goût pour la musique du XXème siècle qui s’est exprimé notamment dans Debussy, Dutilleux et Berg.

 

 

Alors que dire à côté de cela d’un concerto de Chopin qui aurait pu passer totalement inaperçu en écoute en aveugle par exemple, et qui le demeurera, noyé dans la multitude d‘interprétations existantes, dont certaines inégalées?
Il y a bien un problème! Comment se fait-il que les candidats français aient été repoussés si loin dans le classement? Comment se fait-il que les deux japonais soient en tête et pas dans le bon ordre, car quand même, Keigo Mukawa est artistiquement beaucoup plus intéressant que son compatriote. En quoi Kenji Miura est-il si consensuel, pour être à ce point récompensé? Incompréhensible, oui, totalement.

Considérant le caractère inique et l’opacité du jugement d’un jury souverain, pliant les résultats au point d’« oublier » d’évoquer le Prix de la SACEM pour l’interprétation de l’œuvre de Michael Jarrell, lui-même absent, les réactions de ceux qui attendaient un grand moment avec ce concours sont totalement justifiées, y compris dans leurs proportions. Le jury devrait en prendre graine et n’a pas d’autre issue aujourd’hui que de jouer la carte de la transparence, en publiant la grille des critères ainsi que leur hiérarchie, et les notes attribuées aux candidats. Le jury dans la situation présente doit une explication, en plus de la transparence, qui est la règle dans d’autres grands concours internationaux aujourd’hui. Que Kenji Miura remporte le 1er prix, soit, mais que cela soit clairement justifié par le jury, par les notes réellement attribuées et des arguments recevables, afin que soient définitivement écartés de tous les esprits doutes et toutes autres considérations qui n’auraient rien à voir avec le talent artistique et la musique.

Cerise sur le gâteau, il aurait été de bon ton que le compositeur Michael Jarrell remerciât les interprètes de sa création, plutôt qu’enfoncer publiquement avec un mépris affiché et une prétention manifeste ces candidats courageux qui ont passé tant de temps à braver les difficultés peu gratifiantes de son étude.

Pour toutes ces raisons, il serait plus que souhaitable que le jury veuille bien considérer la stupeur et le mouvement de protestation actuels, et tenter de redresser la barre, s’il en est encore tant, d’un concours qui a décidément bien du mal à se relever. Nous français, nous aimons ce concours, ses origines. Nous y tenons. Il n’avait pas besoin de ce faux pas.

Cela dit, justice doit être rendue: conscients du travail accompli en amont, nous faisons confiance à Bertrand Chamayou qui a pris à bras le corps la direction artistique du concours, le préparant avec conscience, conviction et engagement. Nos espoirs lui sont particulièrement adressés. Puisse le Long-Thibaud-Crespin vivre à l’avenir dans des valeurs qui feront sa renommée et son rayonnement!

 

  

 

 

LIRE aussi notre compte rendu des demi finales des 11 et 12 nov 2019

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