jeudi 18 avril 2024

Compte-rendu : Verbier. 20è Festival de Verbier (Valais, Suisse) le lundi 22 juillet 2013 : Beethoven, 2e volet de l’intégrale des Concertos pour piano, et Fantaisie…

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verbier festival logo 2Verbier, c’est aussi des intégrales, placées sous le signe de partitions connues et aimées d’un large public amateur de XIXe. A l’orée de la 20e édition, voici les 5 concertos de piano beethovéniens, et comme le Festival aime beaucoup les jeunes, ce sont cinq pianistes de la (toute) jeune génération qui traduisent ce bloc musical. Pour les 4e et 5e, deux Russes, D.Kozhukhin et Y.Sudbin. Mais Charles Dutoit dirige aussi dans une partition qui pourrait être le 6e Concerto – la Fantaisie avec chœurs, préfiguration de l’Ode à la Joie – une Elisabeth Leonskaja, sublime interprète de la pensée romantique.

 

 

Des orages qui ne bougent guère

 

Ce n’est pas semaine à froid, mais à orages, constamment réanimés dans leur propre fureur…encore n’est-ce pas le mot exact, car ils n’arrivent pas en vagues, d’un point précis de l’horizon ou des barrières montagneuses, ils stagnent ou se déplacent imperceptiblement , se nourrissant jusque dans la nuit à la chaleur et à l’électricité du jour. Ainsi en va-t-il pour cette 2nde soirée de l’intégrale des concertos de Beethoven, confié e à de jeunes talents comme à l’ardent et non moins jeune Verbier Festival Orchestra, que guide la sagesse organisatrice de Charles Dutoit, très respectueuse de l’individualité de « ses » pianistes.

Les dieux d’en bas et le 4e concerto

Denis Kozhukhin maîtrise sans faille le 4e concerto, tandis que roulements de tonnerre et tambourinement de pluie contrepointent cette œuvre de haute méditation dramaturgique. Le premier des deux Russes ici convoqués écoute « son » orchestre, prend la mesure du défi, puis se lance dans l’allegro le plus métaphysique qui soit : déjà personnage affronté à l’impérieuse Symphonie, et certes sans vaine virtuosité, en énergie plus qu’en force et d’un héroïsme sans tapage, qui sait buter sur les vides du silence toujours si actif chez Beethoven. C’est bien la juste mesure d’un affrontement d’opéra qui sous-tend le principe de tout concerto romantique. Car vient, avec l’andante, une mise en espace de ce qui a pu justement être rapporté à un dialogue (impossible) d’Orphée avec les dieux-d’en-bas : ce soir, le vacarme du dessus, n’est-ce pas l’orage qui s’éloigne, travail de Vulcain-Orchestre clamant sans pitié la Loi à laquelle Orphée-Piano a contrevenu ? On devine, on imagine que le murmure ondoyant de l’averse – comblant à bas bruit les silences dans le dialogue – participe du discours musical tel que peut le rêver un compositeur… Ainsi en va-t-il des concerts à Verbier, qui ne craignent pas le mauvais temps du plein-air dont ils sont abrités, mais aux Combins le répercutent, et même se nourrissent paradoxalement de ses caprices ! Trilles courageux, arpèges récitatifs par le Chanteur qui tente de convaincre l’Implacable, mais en même temps qu’il semble réussir à apaiser, peut-être l’absence d’illusion sur Eurydice sauvée ? Au dernier mouvement, l’hypothèse d’Orphée fait place à la joie parfois impérieuse, parfois charmante d’un rondo all’ungarese – souvenir de chant populaire – qui déjà annoncerait Chopin : D. Kozhukhin lui imprime une couleur d’éclat particulièrement séduisante.

Un Empereur poétique Et l’Empereur des 5 ?

Le « dernier » des jeunes, et 2e Russe, lui donne sa marque pleinement originale et assumée. Figure tendue, presque émaciée – tiens, ne dirait-on pas le « vrai » Chopin ? – que celle de Yevgeny Sudbin, traductrice d’un art d’aristocrate dont les moyens physiques de claviériste ne sont là que pour faire accéder à la vision qui n’est nullement hasard mais bien nécessité. Oui, quelque chose de tendu mais d’admirablement contrôlé, qui évoque ce qui est dit chez Proust sur « les nerveux qui sont le sel de la terre » (mais en souffrent tant !)… Car Y.Sudbin a ce don rare, dont il témoignera tout au long de l’œuvre : saisir, et faire sentir que tout est immense phrase, comme dans un poème, ponctué selon les lois de la tradition, ou déponctué pour mieux faire surgir l’attirance vers un ailleurs-que-dans-les-mots(les notes). N’est-ce pas cette « grande haleine pneumatique » dont parle Claudel dans les Cinq Grandes Odes (et il s’y connaissait, « l’ambassadeur de France et poète » !), où l’écrivain comme le musicien sont Maîtres de l’espace et du temps ? Jouer avec cela, c’est aussi, quel que soit le tempo adopté, hors de « ce qui advient ou n’advient pas » (selon Breton, le grand ennemi idéologique de l’Ambassadeur, et réciproquement, mais il y avait des intuitions « communes »), faire désirer en Attente. Y.Sudbin , si jeune et si intériorisé, à travers le nécessaire endossement des habits du héros par une écriture triomphante, fait la preuve d’un « Empereur » essentiellement poétique, avec un mouvement lent qui bouleverse en toutes ses phases. Le finale, pris à allure vertigineuse, semble subjuguer jusqu’à l’orchestre et son chef, n’est ici pas fait pour éblouir, mais faire briller une flamme qui n’a rien de destructeur, et au contraire édifie le monument de l’inspiration…

Dans le Carnet d’esquisses

Cela mène à la très belle idée programmatique de cette intégrale : donner à entendre – on dirait : découvrir – un 6e concerto, tant l’œuvre nommée Fantaisie, la plus expérimentale qui soit mais aussi la plus difficile à réaliser par l’ampleur de son effectif, surprend par son projet et son insertion dans le parcours du compositeur. Car, fin décembre 1808, c’est pour cette Fantaisie que Beethoven apparut – l’ultime fois dans la carrière du pianiste prodigieux qu’il fut pour les Viennois -, porteur de son message au clavier. Et la Fantaisie a un autre titre de gloire : dans le gigantesque Carnet d’esquisses dont Ludwig eut coutume de tisser sa création, c’est l’apparition de ce qui sera quinze ans plus tard un des Symboles de la pensée musicale, l’Ode à la Joie qui couronne la IXe Symphonie. On dira que ce thème, épars dans l’immense « improvisation » que constitue le dialogue du pianiste et de l’orchestre, est ensuite préfiguration, y compris dans le texte que « prennent en charge » solistes et chœurs, et que « les harmonies de la vie » ainsi évoquées sont loin de la valeur universaliste du poème de Schiller. Alors, pré-collage, ou superposition, indignes qu’on s’y attarde avant la perfection absolue du dernier mouvement de la IXe ? Oh non ! Plutôt passionnant laboratoire, et jaillissement avant la mise en place définitive, tels les états de sculpture des Grands Italiens de la Renaissance…

Un dialogue passionné

Et que voici une interprétation grandiose mais très humaine ! C’est justice d’avoir donné à Elisabeth Leonskaja – qui avait été trop incomplètement « reconnue » à Verbier dans son intégrale des Sonates de Schubert – le rôle souverain, dans un dialogue passionné avec l’Orchestre et Charles Dutoit, tous portant à l’incandescence d’abord la longue création-improvisation instrumentales, et y joignant ensuite la part vocale, six solistes valeureux, et le Chœur ample (on peine à dénombrer, pas loin de la centaine ?) du Collegiate Chorale (James Bagwell). Très humaine, venons-nous de dire pour la pianiste : relisant les notes prises dans l’ombre des représentations, nous mesurons à quel point cette qualification (on l’a dit pour un « chef de religion » : « expert ès humanité » !) convient à la pianiste géorgienne. Et nous sentons déjà, en réécoutant (par mémoire) ses Impromptus, combien en Schubert elle avait su donner par un admirable disque (TELDEC, naguère) une leçon d’approche fraternelle, vouée à l’imaginaire(demain, Grigory Sokolov sera là marmoréen, d’une sublimité qui n’est pourtant pas uniment ce dont nous rêvons pour Franz !). Ce soir, en Beethoven, elle est grande, et c’est tout.

Le concert s’achève en ovation qui fait venir de la salle le Maître d’œuvre de Verbier, Martin Engstroem : l’orchestre, les « vocaux », le piano « improvisent » un « happy birthsday to you » dont on ne sait si c’est anniversaire d’état-civil ou « 20e Verbier ». Cette charmante célébration, c’est Verbier aussi, en coda et post-scriptum d’un concert capital.

Festival de Verbier. Lundi 22 juillet 2013, Salle des Combins. 2e volet de l’intégrale des Concertos de Beethoven(1770-1827) : 4e, 5e, Fantaisie. Orch.Verbier, dir. C.Dutoit ; Chœur Collegiate Choral ; D.Kozhukhin, Y.Sudbin, E.Leonskaja, piano.

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