vendredi 19 avril 2024

Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra, le 12 novembre 2017. Verdi : Attila. Erwin Schrott / Daniele Rustioni.

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Jean-François Lattarico
Jean-François Lattarico
Professeur de littérature et civilisation italiennes à l’Université Lyon 3 Jean Moulin. Spécialiste de littérature, de rhétorique et de l’opéra des 17 e et 18 e siècles. Il a publié de Busenello l’édition de ses livrets, Delle ore ociose/Les fruits de l’oisiveté (Paris, Garnier, 2016), et plus récemment un ouvrage sur les animaux à l’opéra (Le chant des bêtes. Essai sur l’animalité à l’opéra, Paris, Garnier, 2019), ainsi qu’une épopée héroïco-comique, La Pangolinéide ou les métamorphoses de Covid (Paris, Van Dieren Editeur, 2020. Il prépare actuellement un ouvrage sur l’opéra vénitien.

VERDI_442_Giuseppe_Verdi_portraitCompte-rendu opéra. Lyon, Opéra de Lyon, Giuseppe Verdi, Attila, 12 novembre 2017. Erwin Schrott (Attila), Tatiana Serjan (Odabella),  Alexej Markov (Ezio), Massimo Giordano (Foresto), Grégoire Mour (Uldino), Paolo Stupenengo (Leone), Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction), Barbara Kler (préparation des chœurs).. En prélude au Festival Verdi prévu en mars prochain, l’Opéra de Lyon nous met l’eau à la bouche avec l’une des partitions les plus séduisantes du jeune Verdi. Composé après l’échec d’Alzira et avant le triomphe de Macbeth, Attila est une partition musicalement passionnante (notamment avec les deux rôles principaux – basse et soprano lirico spinto –, qui exigent des moyens considérables), mais qui, hélas, doit compter avec un livret bancal. Le neuvième opéra de Verdi sort sans conteste du lot de ces « opere brutte », dont parlait le grand musicologue Massimo Mila, et apparaît comme l’un des chefs-d’œuvre de l’opéra patriotique.

Hun pour tous

Donné en version concert (les deux autres opéras, Macbeth et Don Carlos seront mis en scène), Attila révèle d’emblée ses beautés (un prélude – et non une ouverture « pot-pourri » comme dans Nabucco – au lyrisme beethovénien) ; le pathétique et l’élégiaque (sublime romance d’Odabella au début du premier acte, « Oh, nel fuggente nuvolo ») côtoient les séquences martiales (présence récurrente des chœurs et des vents), typiques des opéras politiques de Verdi. La dimension fantastique n’y est pas absente et la scène du songe d’Attila à la fin du premier acte semble préfigurer l’opus shakespearien suivant. Mais le plus singulier est sans doute la présence en filigrane d’une mythologie pré-wagnérienne, inspirée d’une tragédie de Werner : on y invoque le dieu Wodan, dieu tutélaire d’Attila, et comme l’Ortrude du Lohengrin, Odabella est une héroïne qui agit principalement de nuit ; des thèmes empruntés à un drame patriotique allemand, assez éloignés de la thématique « risorgimentale », ce qui explique les remaniements de la source et le caractère un peu expéditif de la conclusion.
Le casting réuni à l’opéra de Lyon est assez inégal. Dans le rôle-titre, Erwin Schrott s’est au final plutôt bien défendu, malgré un démarrage inquiétant (chant rustre, gros problèmes de justesse, dans le prologue en particulier), et un style qui ne brille pas par son élégance ; s’il ne peut faire oublier Ramey, impérial et insurpassé (son grand air « Mentre gonfiarsi l’anima » manque de chair et de profondeur »), il a accompli sa tâche avec un professionnalisme qui rachète en partie sa prise de rôle incertaine. L’Odabella de Tatiana Serjan déçoit également. Si elle a l’amplitude vocale impressionnante qu’exige un rôle écrasant, les sollicitations constantes dans le registre aigu et suraigu la poussent à sacrifier moins l’intelligibilité du texte que l’homogénéité de l’émission qui pèche par sa fréquente instabilité. Ce défaut apparaît au grand jour dans le duo du premier acte (« Sì, quell’io son, ravvisami ») avec le Foresto de Massimo Giordano. Le ténor italien au chant un peu scolaire et parfois poussif, montre davantage de soin dans la diction, quasi irréprochable. Il se tire plutôt brillamment des difficultés de son rôle (dans la cavatine du prologue « Cara patria, già madré e reina »), même s’il manque de noblesse dans la très belle romance du III (« Che non avrebbe il misero ») en contournant les nombreuses indications de Verdi (« messa di voce, piano, morendo, etc.). Le rôle le mieux distribué est sans conteste l’Ezio du baryton russe Alexey Markov, membre du prestigieux théâtre Marinski. Un chant racé, d’une grande noblesse, une diction remarquable, y compris dans les passages aigus, et si l’émission est parfois légèrement engorgée, elle est la plus stable et la plus homogène de toute la distribution. Cette qualité éclate dans le célèbre duo du prologue avec Attila (« Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me ») et plus encore dans la cavatine du II (« Dagl’immortali vertici »). Sans être d’un charisme particulier, les deux rôles secondaires – l’Uldino de Grégoire Mour et le Leone spectral de Paolo Stupenengo – ne déméritent pas.
Une fois de plus, on ne peut que louer la direction magistrale de Daniele Rustioni qui galvanise un orchestre de Lyon au sommet de ses moyens : direction à la fois précise, roborative, subtile dans les passages élégiaques (très beaux préludes des actes I et III), même si l’orchestration de cet opéra n’est pas des plus raffinées. Les chœurs, particulièrement sollicités, et dans des formations très variées (voix féminines, voix masculines, ensemble), sont impeccables de justesse, dans le phrasé comme dans l’élocution. Une occasion sera donnée de réentendre ce très bel opéra, avec une distribution légèrement modifiée, en mars prochain (2018) à l’Auditorium de Lyon. RV pris. A suivre.

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Compte-rendu opéra. Lyon, Opéra de Lyon, Giuseppe Verdi, Attila, 12 novembre 2017. Erwin Schrott (Attila), Tatiana Serjan (Odabella),  Alexej Markov (Ezio), Massimo Giordano (Foresto), Grégoire Mour (Uldino), Paolo Stupenengo (Leone), Orchestre et Chœur de l’Opéra de Lyon, Daniele Rustioni (direction), Barbara Kler (préparation des chœurs).

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