Compte-rendu. Lyon, Opéra, le 31 octobre 2017. Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri… Bleuse / Lacornerie. Ce Mozart et Salieri avait été donné à l’opéra de Lyon en mai 2010 dans la même mise en scène efficace de Jean Lacornerie, mais avec une distribution et une direction différentes. Nous n’avions pu le voir à l’époque et c’est une très bonne idée de l’avoir reprogrammé, tant ce délicieux opéra de chambre est rarement représenté en dehors des frontières de Russie. Écrit par le compositeur qui reprend presque textuellement la pièce (« petite tragédie ») de Pouchkine, ce bref opéra en un acte et deux scènes imagine la rivalité entre un Salieri indigné par l’injustice qui pèse sur lui et un Mozart dépeint comme un génie paresseux qu’il va se résoudre à tuer, en dépit de la sentence prononcée par Mozart lui-même qui rend incompatible le génie et le mal.
Sombres lumières
Difficile cependant de ne pas penser au célèbre film de Milos Forman, Amadeus, qui s’est clairement inspiré de l’hypotexte pouchkinien, film magnifique mais coupable d’avoir, comme la pièce et l’opéra, colporté une rumeur historiquement fausse. La force dramatique de l’homme en noir commandant à Mozart son Requiem est dans toutes les mémoires et, en bonne place dans l’opéra, produit le même effet saisissant. En fait la « petite tragédie musicale » de Rimski-Korsakov pose la question du Bien et du Mal, et du lien que ce dernier entretient avec le génie. Question essentielle, propre au XIXe siècle romantique finissant, mais traité dans le cadre restreint d’un opéra qui s’apparente, par sa structure (deux sections distinctes) et le nombre limité de personnages (deux), à une sorte d’intermezzo. Il faut néanmoins, pour interpréter les deux rôles, et surtout celui de Salieri, de formidables comédiens chanteurs, et force est d’admettre que la distribution réunie pour cette reprise a en tout point convaincu. Pawel Kolodziej campe un Salieri parfaitement crédible à incarner un être à la fois émotif et froid, replié sur lui-même et goûtant son amitié avec un rival qu’il exècre et admire à la fois. Sa belle voix de basse impressionne, même si elle pèche parfois dans le registre aigu et révèle quelque légère instabilité, péché véniel en regard de sa formidable prestation d’acteur. Le Mozart de Valentyn Dytiuk est encore plus remarquable : une voix de ténor racé, charnue, magnifiquement projetée, à la fois sombre et lumineuse, d’une ampleur qui force le respect.
Visuellement, le spectacle de Jean Lacornerie est d’une grande beauté et d’une grande force de suggestion. De simples et longs rideaux noirs créent une atmosphère d’intimité et de noire prophétie, renforcée par les silhouettes de nuages blancs sur fond de suie qui deviennent au cours de la représentation des arbres psychédéliques, puis des figures inquiétantes à la Goya ou à la Füssli, dont les bras se confondent avec les branches des arbres, illustrant ainsi l’esprit tourmenté de Salieri. Un acteur joue à la fois le violoniste aveugle et l’homme en noir venu commandé le Requiem, personnage qui rappelle le silencieux jeune homme, également de noir vêtu, dans le Don Giovanni de Losey. La scène est légèrement surélevée, comme pour mieux suggérer l’idée d’un théâtre de poche et l’atmosphère pesante du huis-clos. Costumes sobres et élégants qui évoquent un XVIIIe siècle revisité par le romantisme noir du XIXe siècle. Belle direction de Pierre Bleuse – assistant de Kazushi Ono –, qui tire des forces de l’orchestre de Lyon des sonorités sombrement dramatiques, révélant avec bonheur l’âme musicale russe de cette envoûtante partition.
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Compte-rendu. Lyon, Opéra de Lyon, Nicolaï Rimski-Korsakov, Mozart et Salieri, 31 octobre 2017. Valentyn Dytiuk (Mozart), Pawel Kolodziej (Salieri), Louis Thélot (acteur), Orchestre et Studio de l’Opéra de Lyon, Pierre Bleuse (direction), Jean Lacornerie (mise en scène), Bruno de Lavenère (décors et costumes), David Debrinay (lumières), Étienne Guiol (vidéo).