samedi 20 avril 2024

COMPTE RENDU, Festival 1001 NOTES 2020 (15 ans), les 4 et 5 août 2020

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1001-NOTES-festival-classiquenews-concerts-critiques-annonce-classiquenewsCOMPTE RENDU, Festival 1001 NOTES 2020 (Haute-Vienne, Limousin), les 4 et 5 août 2020. Déconfinement, solidarité, ouverture… Face à la crise et la mise sous cloche de la culture, en particulier du spectacle vivant, les Festivals n’ont pas tardé à réagir et produire de premières alternatives bénéfiques. Le Festival 1001 Notes porté par son directeur artistique Albin de la Tour n’est pas en reste ; il a même été le premier à proposer sur la toile plusieurs courtes sessions musicales ; permettant aux artistes et au public de renouer un fil qui s’était coupé brutalement mi mars dernier ; à cause du confinement imposé (LIRE ici « Contre la crise et le confinement, le cycle de concerts live « Aux notes citoyens »).
Pour l’été, quand d’autres ont jeté l’éponge, empêtrés par la difficulté de mettre en pratique les mesures barrières et le protocole sanitaire, le Festival 1001 Notes affirme clairement sa ligne : solidarité, sécurité, éclectisme. Solidarité pour les artistes qui ont besoin de jouer ; sécurité sanitaire pour tous à tous les concerts ; éclectisme et ouverture d’une programmation qui par sa simplicité et son sens maîtrisé des métissages et des mélanges, réinvente concrètement l’expérience de la musique classique. Une alternative heureuse pour les spectateurs, d’autant plus méritante qu’elle a été conçue en très peu de temps.

 

 

 


15è édition du Festival 1001 Notes
ALTERNATIVE DÉCONFINÉE, HEUREUSE, ACCESSIBLE…

 

 

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Traditionnellement itinérant, rayonnant sur le territoire limousin, 1001 Notes pour ses 15 ans, s’est ainsi réinventé et propose cet été en un lieu unique (le parc de Saint-Priest Taurion à 20 km de Limoges) une multitude d’événements, riches, variés, divers, complémentaires ; de quoi régaler le festivalier venu sur place. Au sens strict comme figuré, car les produits locaux y sont aussi présentés, comme une restauration sur place est assurée. Les enfants s’y initient aux délices des contes en musique ; les amateurs de détente et de bien être expérimentent sous la yourte, ouverte aux vents rafraîchissants, les bienfaits du yoga, de la méditation, et tant d’autres pratiques qui soignent le corps comme l’esprit. Au bar, l’offre est alléchante, comptant entre autres une bière locale, … typiquement limousine. En somme de quoi vivre sur le site une nouvelle expérience de la musique, sans contraintes, sans codes, mais avec le masque obligatoire et l’application des gestes barrières comme de la distanciation sociale.

 

 

BAROQUE & CULTURES URBAINES
Fugacités, a work in progress
Le Concert de l’Hostel Dieu au travail

 

 

concert-hostel-dieu-danseur-fugacites-festival-1001-notes-critique-classiquenews-jerome-oudou-critique-danse-classiquenewsMardi 4 août 2020. En toute sécurité, nous avons pu ainsi découvrir le nouveau spectacle du Concert de l’Hostel Dieu et Franck Emmanuel Comte, intitulé « Fugacités ». Le chef et claveciniste présentait le 4 août, les 2 premiers volets d’un triptyque qui croise musique baroque et cultures urbaines. D’abord avec un danseur hip hop (Jérôme Oussou) dont la grâce gestuelle s’accorde aux respirations de la musique choisie : Westhoff, Playford… et aussi, clin d’oeil à l’excellent ballet chorégraphié également par Mourad Merzouki, « Folia », le finale chanté par tous les artistes sur le plateau. Effet d’apesanteur, séquences en solo syncopées, interaction humoristique avec les instrumentistes, le danseur fait danser la musique comme les musiciens la font parler.
Puis c’est le slameur Mehdi Krüger qui déclame un superbe texte rédigé pendant et sur le confinement, sur l’échec de notre société et le chaos global contemporain. On y détecte un goût particulier pour les jeux de mots, les doubles voire triples lectures, un raffinement de la langue qui passe d’abord par son articulation (vivante, gestes à l’appui) et sa musique propre dont les respirations, scansion, accentuation épousent idéalement la musique qui leur est associée. Dans un paysage déréglé, celui d’une course à l’abîme (« l’Odyssée d’un homme qui cherchait la mer… »), le conteur très en verve évoque de multiples rivages, électrisé par la pulsion des instruments, leur expressivité rythmique comme mélodique, épinglant l’hystérie paranoïaque de notre époque, avec une malice lyrique parfois ironique : « Champagne pour tous, sauf pour ceux qui trinquent ! ». En images allusives et prose riche en délicieuses allitérations, le récitant pointent du doigt tout ce qui compose aujourd’hui notre apocalypse moderne.

slam-fe-comte-concert-hostel-dieu-fugacites-volet-2-critique-concert-classiquenews-1001-notes-limousinAu coeur de la performance, jaillit une perle lyrique (Monteverdi), prière pour un monde régénéré ou souvenir d’un monde perdu, chantée par la violoncelliste Aude Walker-Viry dont on apprécie la finesse, et du jeu et de la voix. Encore perfectible, selon les mots de Franck-Emmanuel Comte, la séquence saisit et convainc, dans ses contrastes, ses tensions, l’espérance qu’elle fait naître, la parfaite fusion du verbe déclamé et des pièces baroques associées. Voilà qui prolonge le travail du Concert de l’Hostel Dieu, fruit d’un compagnonage fécond avec 1001 Notes et Albin de la Tour. Ou comment explorer (et réussir) de nouvelles formes à partir et autour du Baroque. Dans la lignée du ballet « Folia », le nouveau spectacle « Fugacités », dans ses premiers aspects, tient déjà ses promesses. A suivre.

CHOPIN, SATIE… le piano explorateur
de Laure Favre Kahn et Artuan de Lierrée

 

 

Mercredi 5 août 2020. Riche parcours pour le mélomane : cette seconde journée à 1001 Notes enchaîne récitals et concerts, autant d’invitations musicales défendues, incarnées par des tempéraments pianistiques indiscutables. La richesse et la diversité des programmes (autant dans leur formulation que dans le répertoire joué) soulignent cette ouverture du Festival, son éclectisme décomplexé, à l’adresse de tous les publics ; une conception désormais emblématique dans l’esprit d’une célébration à la fois conviviale et fraternelle (il y est très facile par exemple pour les spectateurs de rencontrer et de dialoguer avec chaque artiste présent… avant, après le concert, à la buvette, à l’occasion des repas ; toujours dans le respect des gestes barrières).

1001-notes-laure-favre-kahn-piano-recital-concert-critique-classiquenewsPremier récital dès 11h, celui de Laure Favre Kahn dont l’amour pour Chopin se livre sans entraves en première partie. Le jeu est limpide et fluide ; la construction franche et claire. C’est un Chopin pleinement assumé qui se dévoile, en sa double nature : éperdument tendre et nostalgique, mais aussi impétueux et conquérant (voire guerrier). L’articulation directe, le relief d’une conception contrastée sait aussi s’adoucir, réalisant d’heureux phrasés au galbe nuancé. Les Valses de Chopin permettent le passage avec les danses qui suivent : celles aiguës, percutantes de Bartok (à la carrure rythmique si spécifique, à l’orientalisme à peine masqué aussi) ; l’ampleur orchestrale, riches en textures harmoniques s’affirme enfin dans le Granados, voluptueux, volontaire ; tandis que la pianiste née à Arles, joue dans la même veine naturelle la suite de Bizet, « l’Arlésienne »; bel hommage personnel qui fonctionne à merveille.

artuan-de-lierree-piano-concert-festival-1001-notes-aout-2020-classiquenews-critique-cd-et-concert-5-aout-2020Familier de 1001 notes, le pianiste et compositeur Artuan de Lierrée retrouve son public (12h) dans le format atypique qui lui est propre : présentation de ses œuvres personnelles auxquelles l’auteur ajoute moult explications souvent savoureuses, jouant parfois sur deux claviers, le piano classique et son piano miniature aux sons plus courts, plus secs, sans résonance avec lequel le musicien aime échafauder ses propres divagations musicales, le plus souvent inspirées de Satie, un modèle permanent qui est sa principale source d’inspiration. L’inventeur ajoute un 3è clavier, son piano jouet (aux sons de clochette)… Comme un fabuleux conteur, le compositeur présente ses œuvres, parfois courtes (8 miniatures présentées pour la première fois) ; d’autres ont des titres narratifs prometteurs (« l’étrange découverte d’Albert Poisson », « le service à Thé de Marthe Célérier ») ; ils immergent l’auditeur dans un univers imprévu: le nom même de Marthe Célérier n’est pas fictif car le compositeur l’a découvert sur l’étiquette de son instrument miniature (sa propriétaire précédente ?). Le cas relève du roman, mais une fable à la Satie évidemment : on y détecte l’humour délirant et loufoque de l’auteur des Gnossiennes, sa coupe dramatique et narrative si puissante et originale, ses harmonies rares, une sensibilité manifeste aussi pour le son et la texture… le compositeur conduit le spectateur au delà des notes, le sensibilise à la durée, la hauteur du son ; son exploration est sans limites, mais toujours dans ses tuilages harmoniques et ses scintillements enchantés, une réponse poétique à la férocité déshumanisée et barbare de notre époque.

 

 

Superbe récital de Nicolas Horvat
SCINTILLEMENTS MINIMALISTES DE PHILIP GLASS

horvat-nicolas-philipp-glass-concert-5-aout-2020-critique-concert-classiquenewsRemplaçant le spectacle de Marie-Agnès Gillot qui blessée, n’a pu présenté son programme, le pianiste Nicolas Horvat à 17h30, est invité à défendre un compositeur contemporain qu’il connaît plutôt bien. Familier voire spécialiste de Glass, l’interprète offre un somptueux programme 100% Glass, généreux, explicatif, n’hésitant pas à présenter lui-même chaque pièce choisie dont une première « Tissu number 6 », hymne lyrique à la Nature, évoquant le fragile équilibre du vivant et tout ce que l’homme fait subir à la flore comme à la faune. C’est d’abord la Suite Orphée dont on distingue immédiatement le formidable travail sur l’architecture, la progression structurelle et les nuances apportées dans chaque réitération. Horvat fait surgir du matériau sonore, son intensité intérieure, l’activité qui bouillonne, souterraine, s’infiltre puis s’expose, dans le sens d’un écoulement perpétuel. La répétition n’est pas mécanique, mais cyclique, unifie, construit en une conception toujours renouvelée, jaillissante et revivifiée. Voilà qui donne à l’approche, à la nappe sonore qui en découle, son étonnante assise organique. L’idée d’un parcours et d’un cheminement se déploie ; la question du sens et du développement s’aiguise, de sorte qu’à chaque palier harmonique, se précise le principe de transformation et de métamorphose. La reformulation et les multiples réexpositions alimentent un flux permanent, fluvial ; et le jeu du pianiste en une apesanteur inéluctable, comme une prière méditative exprime le fragile équilibre, la « gravitas » aussi d’un temps à la fois compté, unique et infini. Nicolas Horvat sait exprimer l’ampleur de cette Suite conçue comme un portique impressionnant dont il perçoit et délivre les éclats, alertes, glissements, anéantissements.
L’élégie que forme « Tissu number 6 » frappe tout autant par sa construction aussi souple et flexible, qu’affirmée voire dénonciatrice. La couleur est proche d’un lamento, d’une déploration au chevet de la Nature martyrisée dont le pianiste exprime l’exhortation primitive, le jaillissement continu, celui d’un rituel qui gravit une à une les marches d’une arche spirituelle dont le cri final dit le chaos qui menace.
Enfin, la Sonate « Trilogie » associe trois opéras, en particulier leur mouvement ascendant, vers le soleil en une élévation irrépressible (Einstein on the Beach, Satyagraha, Akhenaton) – chaque extrait marque un climax dramatique dans le déroulement de l’action lyrique. Nicolas Horvat renforce sans appui leur formidable activité ascensionnelle, constellée de particules qui s’agglomèrent peu à peu dans la quête des sommets. Exposition, réponse, répétition, précipitation, questionnement, extase, fureur… Il fallait évidemment Vers la Flamme (Scriabine), bis ou conclusion opportune, pour résoudre les appels d’un programme fabuleux, d’une ivresse sonore inextinguible. Scriabine lui donne sa réponse propre dans l’éblouissement final qui vaut révélation. Superbe programme, servi par un interprète habité et particulièrement juste.

 

 

Le Festival 1001 Notes réussit son pari. Il surprend, explore, réinvente. Le site accorde heureusement comme une Arcadie moderne, toutes les envies, tous les goûts des festivaliers, heureux d’éprouver les délices du déconfinement. Albin de La Tour y cultive l’accessibilité et l’invention, de quoi dans les faits décloisonner la musique classique, la démocratiser ; de quoi surtout régénérer l’expérience du concert classique. Une évasion heureuse en Limousin, à vivre encore aujourd’hui, vendredi 7 août et samedi 8 août 2020. A l’affiche : Simon Ghraichy, Thibault Cauvin, Hemolia entre autres

 

 

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1001-notes-festival-bandeau-pave-imu-from-1er-juin-20203Festival 1001 Notes, Limousin, 20 km de Limoges, Parc Saint-Priest Taurion, jusqu’au 8 août 2020. Découvrez ici tous les programmes, les horaires et les nombreuses activités sur place à vivre en famille et entre amis : http://www.classiquenews.com/limousin-les-15-ans-du-festival-1001-notes-1er-9-aout-2020/

Photos du Festival 1001 NOTES 2020 : merci à © Amelin Chanteloup

 

 

 

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Approfondir

LIRE notre entretien avec Franck Emmanuel Comte : chantiers d’été (Fugacités…), nouvelle saison 2020-2021 (French Connection, l’Affaire Bach…), nouvel album discographique (La Francesina) : ici
http://www.classiquenews.com/franck-emmanuel-comte-chantiers-dete-nouveaux-programmes-20-21/

Découvrir les coulisses et les acteurs du Festivals 1001 NOTES 2020, dans le BLOG dédié, sur le site du Festival 1001 NOTES : ici  


1001 NOTES
, c’est aussi un label discographique, une chaine vidéo dont des contenus exclusifs en liaison avec l’édition 2020 seront diffusés prochainement. Supports, modalités de visionnage à suivre sur CLASSIQUENEWS

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