vendredi 19 avril 2024

Compte rendu, concert. Sablé sur Sarthe, le 16 octobre 2015. Histoires sacrées : Carissimi (Jonas, Jephté), MA Charpentier (Le reniement de Saint-Pierre). Stradivaria. Bertrand Cuiller, direction. Christian Gangneron, mis en scène.

A lire aussi

Que donne une troupe lyrique en itinérance ? Que vaut l’expérience d’un chœur habitué aux salles d’opéra, confronté comme ici aux nouveaux défis d’un tréteau placé dans une église, à la rencontre de nouveaux spectateurs ? Acoustique réverbérante incontrôlable, dispositif scénique aléatoire dépendant de la configuration du lieu (lequel à priori n’est pas conçu pour un spectacle), nouveaux profils de spectateurs… les épreuves ne manquent pour cette nouvelle production défendue par Angers Nantes Opéra et dont l’enjeu (exemplaire) est d’oser la rencontre avec de nouveaux spectateurs, hors du théâtre lyrique traditionnel et dans une forme repensée pour l’occasion. Subventionnés par les impôts des contribuables, les maisons d’opéras entretiennent souvent une routine qui ne profitent qu’à ceux qui connaissent déjà le lyrique (et qui donc font la route pour aller l’entendre). Ici, grâce à l’initiative d’Angers Nantes Opéra, de son directeur idéalement engagé, Jean-Paul Davois, le principe est tout autre et même inverse, tout en respectant l’accessibilité du spectacle pour le plus grand nombre, en particulier pour celles et ceux pour lesquels aller à l’opéra est trop difficile, du seul fait de la distance pour s’y rendre. Plutôt que de venir à l’opéra, c’est l’opéra qui s’invite dans les villes du territoire.

 

 

 

charpentier-carissimi-oratorios-angers-nantes-opera-classiquenews-presentation-opera-clic-de-classiquenews

 

 

 

Angers Nantes Opéra diffuse l’opéra hors les murs

Le Lyrique dans les territoires

 

Le choix des œuvres est réfléchi : les oratorios romains de Carissimi, créateur du genre dans la Rome du XVIIè ; les Histoires sacrées de Charpentier, son élève et tout autant génial … les deux formes sont effectivement conçus pour l’église et son acoustique. Rien à dire donc sur la trilogie sacrée à laquelle nous assistons, dans le site où nous la découvrons. L’exemple moral de Jonas, de Pierre ou de Jephté – figures lumineuses (ou sombre dans le cas du traître Pierre) de l’Ancien et du Nouveau Testament-, prend une dimension naturelle, presque évidente sous la voûte de l’église Notre-Dame de Sablé. C’est un prolongement aguerri à Sablé car depuis septembre, en ouverture de sa nouvelle saison lyrique, Angers Nantes Opéra a fait tourner la production dans plusieurs églises de Nantes.

L’éloquence des gestes, la succession des épisodes d’un dramatisme resserré parfois fulgurant prennent un sens régénéré dans la réalisation du metteur en scène Christian Gangneron : or les obstacles ne sont pas minces pour réussir une telle production. Le nombre des choristes en ferait pâlir plus d’un : 30 chanteurs sur la scène et présents en totalité tout au long de chaque séquence ; il faut un solide métier pour vaincre et écarter l’effet de la masse comme de la confusion. Pari relevé pourtant d’autant que chaque choriste mis en avant selon son tempérament, invité à chanter et à jouer, défend trois partitions dont l’enjeu est bien la dramatisation édifiante des actes de l’Histoire sacrée. Le jeu expressif préserve la surenchère et s’inscrit constamment dans une mesure qui rend intelligible chaque situation dramatique. La cohérence renforce la séduction du triptyque : l’air de Jonas, déchirant de la part de celui qui connaît mieux que personne la vacuité de la nature humaine, préfigure déjà en ouverture, la prière déchirante de Jephté puis de sa fille, à l’extrémité du spectacle. Unité stimulante du triptyque.

 

 

angers nantes opera le-choeur-de-lopera-va-emplir-la-collegiale-vendredi

 

 

 

Chaque drame contient un air, point fort psychologique et dramatique : sous la lumière et sur ce fond noir qui découpe les profils, chaque séquence prend des allures de tableau vivant, convoquant la comédie populaire de Latour, le ténébrisme éblouissant du Caravage. Christian Gangneron reprend en vérité un spectacle déjà présenté en 1987 mais ici, dans une configuration toute autre, où le nombre des acteurs chanteurs sur le plateau a considérablement modifié les moyens de réalisation. Les voix habituées au grand répertoire lyrique (XIXème essentiellement) articulent pourtant, s’ingénient à caractériser sans élargir chaque intervention vocale. L’intonation est subtilement calibrée, le style remarquable d’attention à l’autre ; et le format sonore global répond malgré la forte réverbération à l’obligation d’intelligibilité (conduit par le chef des chœurs d’Angers Nantes opéra, Xavier Ribes) : l’équilibre avec les instrumentistes de Stradivaria reste délectable du début à la fin.

Vocalement, les parties solistes les plus exigeantes sont confiés à 3 solistes très convaincants : le ténor Hervé Lamy (Jonas d’abord, puis très émouvant père de Jephté), l’excellent Francisco Fernández-Rueda (intense, ardent, précis : son Pierre est humain et finement tiraillé), surtout – révélation de la soirée : la soprano d’origine algérienne Hadhoum Tunc qui éblouit par sa subtilité et sa grande maîtrise technique dans le rôle de la fille de Jephté. La jeune cantatrice n’est pas seulement naturelle et idéalement fluide malgré la très grande tension du rôle, c’est aussi une actrice convaincante qui sait nuancer son caractère dans ce souci des équilibres précédemment évoqués.

La surprise est donc totale et la curiosité comme l’enseignement moral, subtilement réalisés. Les initiatives de ce type sont rares : inédites même dans l’Hexagone. Un Chœur qui s’engage et se dépasse ;  un metteur en scène jouant finement des allusions cinématographiques et picturales pour la clarification de sommets baroques… autant de composantes qui nous font vivre le lyrique et l’expérience du spectacle vivant, différemment, dans l’intensité et la proximité. Stimulante aventure.
La production présentée par Angers Nantes Opéra poursuit sa tournée en novembre 2015 à Rennes (Cathédrale, le 4 novembre) puis en 2016, à Angers : incontournable. Consulter le site d’Angers Nantes Opéra pour connaître les dernières dates des reprises du spectacle Histoires Sacrées, Carissimi / Marc-Antoine Charpentier.

 

 

 

Compte rendu, concert. Sablé sur Sarthe, le 16 octobre 2015. Histoires sacrées : Carissimi (Jonas, Jephté), MA Charpentier (Le reniement de Saint-Pierre). Chœur d’Angers Nantes opéra (Xavier Ribes, direction). Stradivaria. Bertrand Cuiller, direction. Christian Gangneron, mise en scène.

 

Illustrations : photos Jef Rabillon © Angers Nantes Opéra 2015

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, festival. DEAUVILLE, 28ème Festival de Pâques (Salle Elie de Brignac-Arqana), le 13 avril 2024. Haydn / Beethoven / Fauré. QUATUOR AROD.

Débutée le 6 avril, la 28ème édition du Festival de Pâques de Deauville court cette année sur trois semaines,...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img