mardi 19 mars 2024

Compte rendu, concert. Montpellier, Festival Radio France-Occitanie-Montpellier, le 25 juillet 2017. Chostakovitch, Philharmonique de Radio France, Vladimir Fedoseyev

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fedosseiev vladimir chef maestro 2017Compte rendu, concert. Montpellier, Festival Radio France-Occitanie-Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, le 25 juillet 2017, 20 h. Albina Shagimuratova, Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Vladimir Fedoseyev. Chostakovitch, Glière et Prokofiev. Il y a un siècle, déjà, les bolcheviks faisaient tomber le régime tsariste. Dans le cadre de la thématique retenue pour le Festival Radio France-Occitanie-Montpellier, « Révolution(s) », un concert commémoratif, associant trois compositeurs russes, est organisé sous la direction d’un des plus grands spécialistes de ce répertoire, Vladimir Fedoseyev.

 

 

 

FEDOSEYEV : perfection musicale, apologie stalinienne

 

 

chostakovitch-compositeur-dmitri-classiquenews-dossier-portrait-1960_schostakowitsch_dresdenTout d’abord, la suite du ballet « Bolt » [le Boulon], de Chostakovitch, réalisée par Alexandre Gaouk. En 1931, succédant de peu à « L’Âge d’or », ce second ballet de propagande adopte un langage qui pouvait paraître audacieux avant la mise au pas dont Jdanov fut l’artisan. Un argument grotesque, affligeant de propagande révolutionnaire, avec un saboteur, la délation, des ivrognes, une bluette, des orphelins, l’armée rouge en parade, un nouveau saboteur, étranger, empêché de détruire un navire de guerre. Six des 23 numéros constituent cette suite, sorte de synthèse réussie de musique populaire et de réalisation classique. Dès l’ouverture, où la flûte et le basson devisent avant d’être rejoints par tout l’orchestre, la trivialité du propos prend une élégance, une distinction surprenantes sous la direction inspirée du grand chef russe. Les bois facétieux et les glissandi farceurs des trombones, le sirop des variations, comme le tango gouailleur suffisent à caractériser l’humour de Chostakovitch. Le finale, après l’explosion des cuivres, nous vaut une formidable progression d’une joie fébrile et débridée. Ce qui pourrait n’être qu’une pochade de style pompier prend une grâce, une légèreté singulières sous la direction de Vladimir Fedosseyev. On doute que les meilleures phalanges russes puissent faire mieux.
C’est à la soprano Albina Shagimuratova, rare en France, qu’est confiée la partie de soliste du Concerto pour colorature, en fa mineur, op. 82 (1943) de Reinhold Glière. Ce dernier n’est plus guère connu que pour avoir été professeur de Prokofiev et nous laisser une œuvre abondante quelque peu oubliée. Serviteur docile de l’Union des Compositeurs Soviétiques, Glière reçut son premier prix Staline pour cet ouvrage. Rachmaninov s’était déjà illustré par une célèbre Vocalise (transcrite pour à peu près tous les instruments). Glière élargit la formule pour nous offrir un authentique concerto où la voix et l’orchestre rivalisent et échangent comme il se doit. Sa particularité est d’être écrit pour colorature et d’exiger une maîtrise superlative de ce registre. C’est aussi la raison pour laquelle l’œuvre est si rarement jouée, les interprètes ayant les qualités requises étant particulièrement peu nombreuses (Natalie Dessay en 1998). Incontestablement une des plus belles Reines de la nuit, Albina Shagimuratova, dont les emplois vont de Mozart aux contemporains, éprise du répertoire russe, nous offre un joyau vocal. Sonore et ronde, la voix est aussi agile que large. Le registre de colorature est prodigieux d’aisance et toutes les acrobaties vocales qu’offre le concerto semblent un jeu pour cette extraordinaire interprète. La démonstration pyrotechnique, si elle force l’admiration, vaut aussi pour le propos musical, toujours chargé de sens. Une œuvre qui mérite d’être davantage connue

image-1En 1937, Prokofiev a mis définitivement fin à son exil et réside depuis un an à Moscou. La cantate pour le 20ème anniversaire de la Révolution russe, op.74, gigantesque par les effectifs exigés (un orchestre symphonique, un monumental orchestre de cuivres, des accordéons, deux chœurs mixtes) est le signe envoyé à Staline de la sincérité de son engagement. Acquis au réalisme socialiste, il veut démontrer publiquement son adhésion à la politique soviétique. Du reste, il réitérera avec une nouvelle cantate pour chœur mixte et orchestre (« Fleuris, pays tout puissant », op.114) pour célébrer le trentenaire de la Révolution d’octobre. Les dix numéros de la partition empruntent à Marx, Lénine, et à deux discours du « Petit père des peuples ». Du combat idéologique, puis de l’insurrection à la victoire, au serment et à la promesse des lendemains qui chantent, la progression dramatique nous vaut des pages riches en couleur, véhémentes, plaintives comme résolues, avec des progressions paroxystiques. Si un soliste des chœurs intervient brièvement, c’est la voix collective qui s’exprime. Musique de masse destinée aux masses, d’une écriture simple, voire simpliste, toujours efficace, avec une diction syllabique devant faciliter l’intelligibilité, c’est aussi l’occasion d’effets orchestraux annonciateurs d’Alexandre Nevsky. Même si le texte dérange et nous laisse partagé entre l’effroi et le sourire amer, la force du propos nous entraîne dans un tourbillon et « nous mobilise, prêts à une nouvelle lutte, prêts à gagner de nouvelles victoires pour le communisme », paroles de Staline sur lesquelles s’achève l’ouvrage. Ironie du sort : la commémoration musicale de la Révolution russe est sponsorisée par la Société Générale… les temps ont bien changé !
Vladimir Fedosseyev appartient à la génération des vétérans de la direction (85 ans). On est admiratif et pantois devant l’énergie, la vitalité dont il fait preuve tout au long du concert. Conscients de vivre un moment d’histoire, choristes et instrumentistes donnent le meilleur d’eux-mêmes pour cette célébration. Précise, toujours attentive, souveraine, quasi chorégraphiée, sa direction est un modèle d’efficacité. Malgré l’énormité des moyens mobilisés, il n’est pas une attaque, un phrasé, une fin qui ne réponde idéalement à l’intention manifestée. Un très grand Monsieur qui mérite amplement les longues ovations d’un public enthousiaste.

 

 

 

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Compte rendu, concert. Montpellier, Festival Radio France-Occitanie-Montpellier, Le Corum, Opéra Berlioz, le 25 juillet 2017, 20 h. Albina Shagimuratova, Chœur et Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Vladimir Fedoseyev. Chostakovitch, Glière et Prokofiev. Illustrations : © Luc Jennepin / 2017 – Festival de Radio France Montpellier

 

 

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