jeudi 28 mars 2024

Compte rendu, concert. DIJON, le 29 mai 2018. Schumann, Brahms Goerner / Herreweghe

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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, Auditorium, le 29 mai 2018. Schumann (Concerto de piano) et Brahms (3ème symphonie). Nelson Goerner, Philippe Herreweghe. Outre le bonheur de retrouver deux œuvres phares du romantisme germanique, l’intérêt de ce concert réside dans la présence de Nelson Goerner dans un répertoire qu’il fréquente peu (même s’il a enregistré un CD Schumann) et dans celle de l’Orchestre des Champs-Elysées, jouant sur instruments d’époque.

Déconcertant concert
Trente-sept ans séparent les deux œuvres, mais combien sont-elles proches ? Par leur filiation naturelle déjà, mais aussi et surtout par leur caractère. Le concerto de Schumann, on le sait, n’est pas un concerto comme les autres. Davantage symphonie avec piano concertant, il offre au soliste toute la palette de la sensibilité romantique. Ce soir, ce dernier s’intègre effectivement au jeu orchestral plus qu’il ne rivalise. Dès l’entrée du piano on est surpris, moins par le timbre du beau Blüthner (de l’année de la mort de Schumann, 1856), que par l’articulation. Le caractère dynamique, lié au rythme haché des accords descendant sur trois octaves, est lissé, dépourvu de vigueur. Ce choix est partagé par l’orchestre et prévaudra durant les trois mouvements. C’est propre, avec quelques beaux passages, mais on cherche trop souvent  la poésie comme le lyrisme, contenus, sinon convenus, desservis entre autres par une absence de hiérarchisation des pupitres. Ainsi les six violoncelles (pour cinq contrebasses, sonores en diable, au dernier rang) semblent étouffés, en arrière-plan, dans l’intermezzo, même lorsque le compositeur leur confie le chant. Chaque mouvement apparaît comme une succession de séquences, très homogènes, mais dont on cherche la cohérence. Le romantisme est ici artifice quand il n’est pas ampoulé, maniéré. On attendait de Philippe Herreweghe une sensibilité particulière aux nombreuses polyphonies, aux strettes, derrière lesquelles se dessine l’ombre de Bach. En vain. La direction déçoit, scolaire, appliquée, incapable de dessiner une phrase, de doser les équilibres. Le jeu de Nelson Goerner, sensible, sait exprimer une douceur caressante comme une énergie puissante. Toutes les qualités qu’on lui connaît dans Chopin, Brahms et Debussy se retrouvent, avec un toucher qui rappelle celui de Martha Argerich, sa compatriote et marraine musicale. Les couleurs subtiles, la clarté comme les demi-teintes du Blüthner sont séduisantes. Mais, où sont Schumann, sa fantaisie, sa poésie, son mystère et son lyrisme? C’est particulièrement vrai dans la cadence, virtuose, mais dont on cherche le souffle, l’imagination comme la fièvre.

Avant le bis de fin de concert (début du poco allegretto de la 3ème de Brahms), si Philippe Herreweghe ne nous avait dit que ce concert marquait la fin d’une importante tournée, rien ne l’aurait laissé supposer.  Comme dans le concerto de Schumann, il semble étranger à la symphonie, plongé dans sa partition, avec une battue scolaire et inexpressive, presque toujours symétrique, peu d’attention aux musiciens comme aux pupitres. L’allegro con brio est dépourvu du moindre brio. Les bois, comme la petite harmonie sont de grande qualité, mais souffrent d’être au cœur de l’orchestre, avec une articulation insuffisante. Alors que chez Brahms plus que chez aucun romantique ou post-romantique le rythme, les mètres, sont le moteur du mouvement, c’est plat, terne.  L’andante est doux, serein mais fragile, avec une petite harmonie souveraine. Le célébrissime poco allegretto , à l’effusion élégante, contenue, aux textures claires, prend de beaux modelés. On comprend mal qu’un vieux routier de la direction chorale ait oublié la nature même de la respiration : tout s’enchaîne dans un continuo fastidieux. Pourquoi décomposer fébrilement le passage où les bois sont seuls – ce qui ne doit pas les aider – mais fait oublier la linéarité de leur chant ? La lecture est dépourvue d’âme, éludant le sens du texte. Il faudra attendre la finale pour trouver enfin la vigueur, même si les accents sont amoindris, une conduite remarquable des progressions, avec les contrastes accusés, les couleurs, les équilibres et la vie. Quant aux instruments d’époque, l’orchestre des Champs-Elysées sonne bien, mais on est à cent lieues de ce que les Dissonances, dans des conditions rigoureusement semblables, nous ont offert ces dernières saisons.

Malgré son attachement à Bruckner et Mahler, Philippe Herreweghe a peu fréquenté Brahms, en dehors de son œuvre chorale et du Requiem allemand, donné ici même il y a deux ans, dans une lecture très dramatique. Brahms symphoniste n’est pas dans ses cordes. Oublions.

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Compte rendu, concert. Dijon, Opéra, Auditorium, le 29 mai 2018. Schumann (Concerto de piano) et Brahms (3ème symphonie). Nelson Goerner, Philippe Herreweghe. Crédit photo : © DR

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